Fin du procès du 13 novembre : Arthur Dénouveaux (X05) et son avocat témoignent

Fin du procès du 13 Novembre : Arthur Dénouveaux (X05) et son avocat témoignent

Dossier : TrajectoiresMagazine N°776 Juin 2022
Par Alix VERDET

Arthur Dénou­veaux (X05) nous a don­né son témoignage de rescapé du Bat­a­clan dans un précé­dent arti­cle pub­lié en jan­vi­er 2020. Dans cette nou­velle inter­view qu’il nous a accordée au milieu des innom­brables sol­lic­i­ta­tions médi­a­tiques et juridiques engen­drées par le procès, c’est au côté de son avo­cat, Maître Julien d’Andurain, qu’il donne à la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne des clefs d’analyse per­son­nelle de ce procès his­torique des atten­tats du 13 Novembre.

Cette interview est le fruit d’un entretien réalisé le 7 mars à la Maison des polytechniciens, complété par un échange le 12 juillet, après le verdict. 

Est-ce que vous pouvez vous présenter l’un et l’autre, ainsi que vos rôles respectifs dans ce procès ? 

Arthur Dénou­veaux (X05) : J’é­tais présent au Bat­a­clan et donc je me suis con­sti­tué par­tie civile en décem­bre 2015. Et je suis prési­dent de l’association « Life for Paris » qui est l’as­so­ci­a­tion regroupant sûre­ment le plus de vic­times directes de ces atten­tats ; ça représente un petit mil­li­er de per­son­nes à accom­pa­g­n­er plus ou moins. J’ai donc un dou­ble rôle, celui de vic­time et surtout celui d’accompagnant. Et, si je regarde en toute hon­nêteté, je suis plus présent à ce procès en tant que prési­dent de l’as­so­ci­a­tion. Le chem­ine­ment intime, je le fais à la mai­son. Mes pris­es de parole publique ou ma présence au procès sont liées à mon engage­ment comme prési­dent de l’association.

Julien d’Andurain : Je suis avo­cat, avec Me Delas, de l’association Life for Paris ain­si que d’une cinquan­taine de par­ties civiles. En théorie, nous sommes là pour faire val­oir leurs souf­frances et, à la fin, plaider pour obtenir une indem­ni­sa­tion des préju­dices subis plutôt que sur la par­tie action publique, c’est-à-dire la cul­pa­bil­ité des accusés. Sauf que, dans un procès d’as­sis­es pour ter­ror­isme, le rôle de l’av­o­cat est amputé de cette par­tie indem­ni­taire parce que la cour d’as­sis­es n’a pas com­pé­tence en matière de ter­ror­isme pour stat­uer sur ce qu’on appelle les intérêts civils. En théorie donc, il n’y a pas un rôle juridique très impor­tant pour l’av­o­cat de par­ties civiles, plutôt d’accompagnement sur l’ensem­ble des dix mois. Et effec­tive­ment, il y a eu des péri­odes du procès au cours desquelles les par­ties civiles avaient de nom­breux questionnements.

AD : Cette ampu­ta­tion de la par­tie « intérêts civils » s’explique car nous avons en France la chance d’avoir un fonds spé­cial chargé d’in­dem­nis­er les vic­times, parce que les ter­ror­istes ne sont jamais solv­ables. Et ce fonds se dou­ble main­tenant d’une juri­dic­tion spé­cial­isée. Et, pour rebondir sur ce que dit Me d’Andurain, pour les par­ties civiles la place au procès est assez bien définie, mais elle est aus­si min­ime, finale­ment. En théorie, la par­tie civile peut faire des deman­des d’acte pen­dant l’instruction, deman­der un com­plé­ment d’in­for­ma­tions. Arrivée au procès, elle a le droit de dépos­er à la barre et, en théorie, son rôle s’ar­rête un peu là. Il n’y a pas de début de jus­tice restau­ra­tive, on ne par­le pas directe­ment aux accusés.

Maître, comment vous vous êtes retrouvé dans ce procès, dans cette aventure un peu hors norme ? 

JdA : Me Delas m’a pro­posé de l’accompagner pour assis­ter des vic­times des atten­tats du 13 novem­bre 2015, et ça ne se refuse pas. Nous avons tous été touchés par les atten­tats. Je suis parisien de nais­sance, Le Car­il­lon était à 200 mètres de chez moi à l’époque. Et j’avais une espèce de besoin de sens.

Cela n’a pas tou­jours été facile sur les dix mois, c’était par­fois com­plexe en ter­mes organ­i­sa­tion­nels. Au début je ne savais d’ailleurs pas bien anticiper quel investisse­ment cela représen­tait. Per­son­ne ne savait exacte­ment ce que ça allait don­ner : un procès totale­ment inédit en France, pour lequel on a con­stru­it une salle ad hoc, dix mois d’audience, 2 500 par­ties civiles, plus de 400 avo­cats, sept semaines de dépo­si­tions de par­ties civiles. Per­son­ne ne savait com­ment se préparer.

On a d’ailleurs décou­vert après les cinq pre­mières semaines de témoignage ce qu’était le syn­drome vic­ari­ant, qui peut affecter les soignants, ceux qui reçoivent les témoignages des vic­times. Pour ma part, sans aller jusque-là, j’ai par­fois pu ressen­tir une fatigue émo­tion­nelle extrême.

« On a découvert après les cinq premières semaines de témoignage ce qu’était le syndrome vicariant, qui peut affecter les soignants, ceux qui reçoivent les témoignages des victimes ».

Un tel procès fait-il évoluer des pratiques de justice ? 

AD : Oui, je le crois ; par exem­ple l’ordre de parole entre les avo­cats de la défense, les avo­cats de par­ties civiles et les avo­cats généraux a été mod­i­fié. Et puis on a vu la notion de par­tie civile s’élargir. Typ­ique­ment, les proches de vic­time sur­vivante, qui n’é­taient pas sur les lieux et qui donc ont récupéré quelqu’un de trau­ma­tisé, n’avaient pas le droit pen­dant l’in­struc­tion d’être par­tie civile. Et il a été décidé à l’au­di­ence par le prési­dent, en ver­tu de son pou­voir, qu’ils pou­vaient l’être.

JdA : Sur les tours de parole, en principe les par­ties civiles inter­vi­en­nent en pre­mier, ensuite le par­quet, enfin la défense. Là, à la demande du par­quet, les ques­tions aux accusés ou témoins étaient d’abord posées par le par­quet puis seule­ment par les avo­cats de par­ties civiles, et enfin par la défense. Cela a per­mis d’éviter que les mêmes ques­tions soient posées plusieurs fois, la pri­or­ité étant don­née au par­quet, les avo­cats de par­ties civiles ne revenant que sur quelques points intéres­sant spé­ci­fique­ment leurs clients et qui n’auraient pas été traités auparavant.

S’agissant de la recev­abil­ité des con­sti­tu­tions de par­ties civiles, le prési­dent n’a pas encore statué sauf excep­tion (NB. : La Cour d’assises a mis sa déci­sion en délibéré sur cette ques­tion-là, et ren­dra son arrêt le 25 octo­bre prochain). À l’audience, il n’y a pas eu de con­tes­ta­tion par le par­quet de la recev­abil­ité des proches de vic­times sur­vivantes. En revanche, il y a eu une con­tes­ta­tion de la recev­abil­ité des per­son­nes qui se trou­vaient dans le Stade de France, de même que de celle des habi­tants de l’immeuble de Saint-Denis où se trou­vaient les deux derniers ter­ror­istes et où un assaut a été don­né par les forces de l’ordre dans la nuit du 17 au 18 novem­bre 2015. Ce n’est pas le préju­dice subi par ces per­son­nes qui est con­testé, mais le lien direct avec les infrac­tions reprochées aux accusés. La recev­abil­ité des per­son­nes morales hors asso­ci­a­tions de vic­times (il s’agit par exem­ple de la mairie de Paris, des sociétés d’exploitation des lieux où ont eu lieu les attaques etc.) a égale­ment été con­testée, par référence à un arrêt ren­du le 12 mars 2019 par la Cham­bre crim­inelle de la Cour de cas­sa­tion. Aux ter­mes de cet arrêt, la com­mune de Nice avait été jugée irrecev­able à se con­stituer par­tie civile dans le dossier de l’attentat du 14 juil­let 2016, la Cour de cas­sa­tion esti­mant qu’une « entre­prise ter­ror­iste n’[est] sus­cep­ti­ble d’avoir porté atteinte, au-delà des per­son­nes physiques, qu’aux intérêts de la Nation ».

Il y a eu une inno­va­tion tech­nologique aus­si avec la webra­dio qui a per­mis aux par­ties civiles qui ne pou­vaient pas venir à l’audience, ou qui ne pou­vaient pas venir autant qu’elles le souhaitaient, d’écouter le procès à dis­tance. Le même dis­posi­tif devrait être recon­duit pour le procès des atten­tats de Nice.

Quels sont les éléments qui vous ont marqué à l’audience ?

AD : Moi, un épisode qui m’a beau­coup mar­qué, c’est un accusé qui arrive et qui explique que, pour lui, ce n’est pas pour la reli­gion qu’il y est allé, c’est pour la poli­tique. Il explique : « Je suis Tunisien, je par­ticipe à la révo­lu­tion en Tunisie. Quand, en 2013, ça com­mence à se soulever en Syrie, je me dis la même chose qu’en Tunisie. Je vais y aller. » Il part en Syrie, puis il se retrou­ve embri­gadé dans la guerre ; il est blessé, hos­pi­tal­isé. Il dit voir les bom­barde­ments de la coali­tion et qu’après ça il est prêt à venir frap­per en Europe. En tout cas, il affirme que c’est un engage­ment poli­tique, pas un engage­ment religieux. Car demeure ce débat entre les soci­o­logues Gilles Kepel et Hugo Micheron d’un côté et Olivi­er Roy de l’autre côté : est-ce une rad­i­cal­i­sa­tion de l’is­lam (Kepel et Micheron) ou une islami­sa­tion de la rad­i­cal­ité (Roy) ? Le témoignage de cet accusé est venu con­forter la vision d’Olivier Roy et a plutôt don­né tort à Kep­pel et Micheron.

D’autres choses inattendues ? 

AD : Le tabou autour des images de l’intérieur du Bat­a­clan où il y a eu 90 assas­si­nats, alors que l’or­don­nance de mise en accu­sa­tion est pour com­plic­ité d’as­sas­si­nat. Ça inter­roge beau­coup. Parce que, dans tous les procès d’as­sis­es, les pho­tos des corps sont mon­trées. Ce qui n’a pas été le cas dans ce procès. Sur ce sujet j’ai essayé, comme sur d’autres thèmes, d’être quelque part une par­tie civile de rup­ture, être act­if et non pas­sif face à ce moment de jus­tice, mon­tr­er qu’on peut avoir une réflex­ion et pas juste être là pour se met­tre à nu, à racon­ter sa douleur.

Arthur Dénouveaux (X05) : « J’ai essayé d’être une partie civile de rupture, être actif et non passif face à ce moment de justice. » 

JdA : C’est un débat qui existe régulière­ment ailleurs. Aux États-Unis par exem­ple, il est habituel que les avo­cats de la défense deman­dent que cer­taines pho­tos ne soient pas mon­trées aux jurés, leur dif­fu­sion risquant d’influer anor­male­ment sur leur appré­ci­a­tion des faits et sur leur déci­sion. Ici, en matière de crimes ter­ror­istes, il n’y a pas de jurés, seule­ment des mag­is­trats pro­fes­sion­nels qui ont de toute façon accès au dossier et donc aux images. L’opposition à la dif­fu­sion ne venait pas de la défense.

Pour ma part, je me suis dit que c’était néces­saire quand Salah Abdeslam, en réponse aux ques­tions d’une avo­cate, a indiqué par un signe de la tête qu’il n’avait jamais regardé les pho­tos des scènes des atten­tats fig­u­rant dans le dossier. Il ne me sem­blait pas pos­si­ble de juger les accusés sans les avoir con­fron­tés à la réal­ité visuelle de ce à quoi on leur reprochait d’avoir par­ticipé de près comme de loin.

Et vous, Maître, qu’est-ce que ce procès change pour vous, en tant qu’avocat et en tant que personne ? 

JdA : Dans ma vie d’av­o­cat, je pense que c’est une par­en­thèse. Ça ne cor­re­spond pas à la façon dont j’avais exer­cé mon méti­er jusqu’alors. J’ai été moins avo­cat qu’accompagnant au cours de ces dix mois. J’espère que j’ai pu être utile dans ce rôle-là, à ceux qui ont témoigné et ceux qui se posaient des ques­tions ou voulaient des comptes ren­dus sur des points précis.

C’est un procès où une rela­tion intense s’est nouée dans le temps avec cer­tains clients, par la récur­rence d’entretiens dont pour ma part je n’avais pas beau­coup l’expérience. Voir des clients tous les jours pen­dant dix mois, ce n’est pas habituel, et c’est agréable de con­naître de mieux en mieux les per­son­nes qu’on accompagne.

Mais cela crée aus­si une dif­fi­culté : c’est com­pliqué de scinder entre la sphère pro­fes­sion­nelle et la sphère per­son­nelle. Si on est dix mois durant qua­si-exclu­sive­ment sur la même affaire, quand on ren­tre à la mai­son, on ne peut pas vrai­ment fer­mer la porte du procès.


12 juillet

Le procès s’est achevé le 29 juin sur un verdict très commenté dans la presse. Que retenez-vous de ces mois d’audience ?

AD : J’en ressors avec une impres­sion de sérénité que je n’avais plus vrai­ment ressen­tie depuis le 13 Novem­bre, mais aus­si une las­si­tude de par­ler de cet évène­ment, ce qui est plutôt bon signe et ouvre l’espoir de l’avoir encore évac­ué un peu plus.

Nous venons d’apprendre qu’il n’y aurait pas d’appel, ce qui peut sembler surprenant. Quelle est votre réaction ? 

JdA : La las­si­tude ressen­tie par M. Dénou­veaux, j’imagine que beau­coup la parta­gent et sont sat­is­faits que la procé­dure pénale prenne fin. Il reste encore quelques incertitudes.

S’agissant d’Ahmed Dah­mani d’abord. Purgeant une peine en Turquie, il était jugé par défaut et pour­rait faire oppo­si­tion à la con­damna­tion dont il a fait l’objet pour sa par­tic­i­pa­tion aux atten­tats du 13 novem­bre 2015. C’est-à-dire qu’il pour­rait à nou­veau être jugé en pre­mière instance, cette fois-ci en sa présence, et seul. Et éventuelle­ment en appel ensuite.

Égale­ment con­cer­nant l’exécution de leur peine par quelques-uns des con­damnés. Nous savons en effet déjà que cer­tains d’entre eux exé­cuteront leur peine en Bel­gique, c’était prévu ab ini­tio lors de leur remise à la France. Dans une telle sit­u­a­tion, la peine pronon­cée est adap­tée dans l’État d’exécution, c’est-à-dire qu’elle est, le cas échant, réduite au max­i­mum légal encou­ru dans cet État pour des infrac­tions de même nature. À titre d’exemple, l’un des con­damnés con­cernés a été recon­nu coupable de com­plic­ité de meurtre, de ten­ta­tives de meurtre, de séques­tra­tions et de ten­ta­tives de meurtre sur per­son­nes déposi­taires de l’autorité publique, le tout en bande organ­isée en rela­tion avec une entre­prise ter­ror­iste. En France, le com­plice encourt la même peine que l’auteur de l’infraction, soit au cas d’espèce la réclu­sion crim­inelle à per­pé­tu­ité avec une péri­ode de sûreté illim­itée (sans amé­nage­ment de peine pos­si­ble). Le con­damné en ques­tion a été con­damné à la réclu­sion à per­pé­tu­ité avec une péri­ode de sûreté de 22 ans (sans amé­nage­ment de peine pos­si­ble avant 22 ans). En Bel­gique, en revanche, le com­plice encourt la peine immé­di­ate­ment inférieure à celle encou­rue par l’auteur de l’infraction. Sauf erreur de ma part, pour les mêmes faits que ceux préc­ités, en Bel­gique, le com­plice n’encourt que 30 ans de réclu­sion crim­inelle, et peut au regard du droit en vigueur le 13 novem­bre 2015, et donc seul applic­a­ble, sol­liciter une libéra­tion con­di­tion­nelle après avoir purgé 10 ans de cette peine. Ce con­damné ne devrait par con­séquent exé­cuter sa peine que dans ces lim­ites et conditions.

AD : Voilà une issue que je n’aurais pas prédite avant le début du procès. Une issue qui va nous forcer à réfléchir peut-être à accélér­er un peu la dis­so­lu­tion de l’association. Même si comme le dit Me d’Andurain, on aura pos­si­ble­ment un ou deux autres procès liés au con­damné détenu en Turquie.

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