Un avion de combat Kfir (Israël)

Faire émerger des acteurs de taille mondiale

Dossier : Israël : Les X et la Start-up NationMagazine N°728 Octobre 2017
Par Frédéric FURCAJG (85)

C’est après l’ef­fon­drement de la bulle inter­net des années 2000 qu’une deux­ième généra­tion d’entrepreneurs et d’investisseurs plus avisés, per­me­t­tra la nais­sance de la Sart-Up Nation. Le revers de la médaille est que faute de débouchés locaux, de cap­i­taux disponibles et de cul­ture man­agéri­ale les sociétés qui réus­sis­sent se vendent pré­maturé­ment à l’éttranger.

Après l’embargo français sur la vente d’armes à Israël, le pays entame le développe­ment de sa pro­pre indus­trie mil­i­taire, aérospa­tiale, avec des sociétés comme Elbit Sys­tems, Elop, Elis­ra, Elbit Med­ical Imag­ing, leurs fil­iales et com­pag­nies affiliées. 

Des entre­pris­es civiles nais­sent aus­si, qui devien­dront des multi­na­tionales, Amdocs (soft­ware de fac­tura­tion pour les télé­coms, 1982), Com­verse (soft­ware mes­sagerie télé­com, 1984), Elscint (imagerie médi­cale, 1969), pour n’en citer que quelques-unes. 

REPÈRES

Le 2 juin 1967, le général de Gaulle déclare l’embargo sur la vente d’armes à destination d’Israël. Le gouvernement israélien demande alors à Israel Aircraft Industries, devenu aujourd’hui Israel Aerospace Industries, le développement d’un chasseur local destiné à remplacer les Mirage III.
C’est le début des programmes Nesher et Kfir qui donneront naissance à l’un des chasseurs les plus performants au monde. L’industrie high-tech israélienne est née.

INCUBATEURS ET FONDS D’INVESTISSEMENT

Mais l’histoire de l’industrie des start-up ne démarre réelle­ment qu’au début des années 1990. Nous sommes en pleine immi­gra­tion russe et le gou­verne­ment veut inté­gr­er cette nou­velle main‑d’œuvre sur-qual­i­fiée, qui com­prend un bon nom­bre d’ingénieurs et de scientifiques. 

“ L’histoire de l’industrie des start-up ne démarre réellement qu’au début des années 1990 ”

Le gou­verne­ment crée alors les pre­miers incu­ba­teurs tech­nologiques et fonds d’investissement pour les financer – regroupés dans le fameux Yoz­ma Group, totale­ment pri­vatisé depuis. Une struc­ture dédiée, l’Office of the Chief Sci­en­tist (aujourd’hui Israel Inno­va­tion Author­i­ty), voit égale­ment le jour au min­istère de l’Économie pour accom­pa­g­n­er le développe­ment du secteur high-tech. 

Puis, c’est tout l’écosystème israélien qui se met en place : des dizaines de Ven­ture Cap­i­tal (VCs), incu­ba­teurs publics, accéléra­teurs (uni­ver­sités ou privés), implan­ta­tions R & D de com­pag­nies multi­na­tionales, busi­ness angels clubs… 


Un avion de com­bat Kfir.

NAISSANCE D’UNE INDUSTRIE

De nom­breux entre­pre­neurs fraîche­ment sor­tis de la fameuse unité d’élite de l’armée 8 200 mon­tent leur société. Les tech­nolo­gies sont sou­vent dérivées du mil­i­taire. C’est le cas de la géolo­cal­i­sa­tion, de la vision par ordi­na­teur, ou encore de la cybersécurité. 

le livre de Dan Senor et Saul Singer retrace le miracle israélien de la Start-up Nation
Paru en 2009, le livre de Dan Senor et Saul Singer retrace le mir­a­cle israélien de la créa­tion d’une indus­trie à l’échelle mondiale.

En 2000, la généra­tion start-up 1.0 est à son apogée avant l’effondrement du sys­tème en 2001 suite à la crise Inter­net. Cette crise fera naître la deux­ième généra­tion d’entrepreneurs et d’investisseurs plus avisés, qui pour­ra enfin don­ner lieu à une indus­trie mature. 

En un peu moins de vingt ans, Israël a créé une des indus­tries start-up les plus puis­santes au monde, le con­cept de « Start-up Nation » est né. 

ISRAËL, LA START-UP NATION 

Le terme de Start-up Nation est apparu suite à la paru­tion en 2009 du livre éponyme de Dan Senor et Saul Singer, qui retrace le mir­a­cle israélien de la créa­tion d’une indus­trie à l’échelle mondiale. 

Israël compte aujourd’hui 5 500 start-up, sociétés en développe­ment compt­abil­isées comme inno­vantes dans le busi­ness mod­el, la tech­nolo­gie ou la pro­priété intel­lectuelle, soit env­i­ron une start-up pour 1 500 habi­tants. Le meilleur ratio au monde et de loin. 

L’industrie high-tech emploie en 2016 12 % de la pop­u­la­tion active pour une part de 9 % du PIB israélien, et de 49 % des expor­ta­tions. En 2015, le poids des dépens­es allouées à la recherche représente tou­jours 4,1 % du PIB, selon l’Unesco. Seule la Corée du Sud fai­sait mieux en 2015 (4,3 %), alors que les États-Unis sont dix­ièmes (2,7 %) et la France treiz­ième (2,3 %).

DES SUCCÈS REMARQUÉS

On peut rap­pel­er les suc­cès de Mirabilis, l’ancêtre de la mes­sagerie instan­ta­née, reven­du 407 mil­lions de dol­lars à AOL en 1998 ; de M‑Systems l’inventeur de la clé USB reven­du à San­disk pour 1,6 mil­liard de dol­lars ; ou de Waze le sys­tème de nav­i­ga­tion GPS reven­du pour 1,15 mil­liard de dol­lars à Google en 2014. 

UNE FORTE PRÉSENCE ÉTRANGÈRE

Selon le Bureau central des statistiques israélien, plus de 270 centres de R & D de compagnies étrangères sont établis en Israël, pour deux tiers d’origine américaine : de Facebook à Huawei en passant par Intel (20 000 employés en Israël, Intel Israël représentant plus de 10 % de toutes les exportations israéliennes), Google, Apple, Amazon, eBay, Paypal, Microsoft, Yahoo, mais aussi Deutsche Telecom, Bosch…
Ces centres emploient plus de deux tiers des employés R & D du high-tech israélien offrant des salaires relativement élevés.

Et cela pour ne par­ler que des pro­duits grand pub­lic, le « B2C ». Mais le point fort d’Israël est le « B2B ». Les pro­duits israéliens équipent égale­ment une gamme com­plète de pro­duits high-tech allant de l’ordinateur portable au smart­phone, des sys­tèmes de nav­i­ga­tion mil­i­taires ou civils aux pro­duits grand pub­lic divers. 

Les sys­tèmes de télévi­sion à péage utilisent par exem­ple la solu­tion israéli­enne NDS rachetée par Cis­co pour 5 mil­liards de dol­lars en 2012. 

En 2016, 4,8 mil­liards de dol­lars sont investis dans les start-up (+11 % en hausse par rap­port à 2015), pour un mon­tant d’exit – intro­duc­tions en Bourse, revente ou buy-out – avoisi­nant les 9 mil­liards de dol­lars (source IVC Report). Cette année, ce chiffre sera large­ment dépassé avec la vente annon­cée de Mobil­eye à Intel pour un mon­tant sans précé­dent de 15 mil­liards de dollars. 

Entre 1998 et 2012, le secteur du high-tech israélien a con­nu un taux de crois­sance annuel de 9 % en moyenne, soit le dou­ble de la pro­gres­sion du PIB. Mais depuis 2012, la ten­dance s’est inver­sée. Ce n’est plus le secteur high-tech qui tire la crois­sance israélienne. 

UNE AVANCE QUI SE RÉDUIT

L’une des raisons de ce ralen­tisse­ment est que, con­traire­ment aux pays asi­a­tiques et européens, l’écosystème d’innovation israélien arrive à matu­rité. Jusqu’au début des années 2010, il y avait la Sil­i­con Val­ley, puis Israël, puis le reste du monde. 

“ Ce n’est plus le secteur high-tech qui tire la croissance israélienne ”

Désor­mais, il y a aus­si la Chine, l’Inde, le Roy­aume-Uni, l’Allemagne, la Corée du Sud, le Brésil et même la France. Ces pays ont com­pris que l’innovation est le moteur de l’avantage com­péti­tif et se met­tent à essay­er de « copi­er » le mod­èle israélien. 

Mais com­ment Israël, ce pays de seule­ment 22 000 km2, soit plus petit que la Bre­tagne, peut-il tenir tête à ces nou­veaux entrants ? Israël a des dif­fi­cultés à créer des indus­tries de classe mon­di­ale et les sociétés se reven­dent de façon prématurée. 

Le marché local reste lim­ité, tant en taille qu’en cap­i­taux disponibles, et Israël ne dis­pose pas de cul­ture man­agéri­ale et indus­trielle à grande échelle. 

DES SUCCÈS EN DEMI-TEINTE

Shéma de fonctionnement de autotalks
Cer­tains secteurs à très forte valeur ajoutée, comme la voiture élec­trique autonome (Autotalks), où excel­lent les tal­ents israéliens, sem­blent prop­ices à la créa­tion d’une indus­trie de taille mondiale.

En 2007, l’entreprise Bet­ter Place voit le jour, avec pour ambi­tion de devenir leader mon­di­al dans le secteur de la voiture élec­trique. Mais, mal­gré une alliance avec Renault promet­teuse et un développe­ment à l’international, l’initiative se sol­de par un échec en 2013, suite à une ges­tion mal­adroite et à un manque de sou­tien de la part du gou­verne­ment israélien. 

La dernière ces­sion en mars 2017 de Mobil­eye, le fleu­ron israélien dans l’industrie auto­mo­bile, à Intel pour un mon­tant record de 15 mil­liards de dol­lars, citée glo­rieuse­ment dans tous les jour­naux, peut être con­sid­érée comme un nou­v­el échec à créer un acteur majeur israélien de cette indus­trie, en cédant le con­trôle de la pro­priété intel­lectuelle à un acteur étranger. 

Et pour­tant, Israël dis­pose aujourd’hui d’atouts majeurs pour réus­sir : onze « licornes » (com­pag­nies privées val­orisées plus d’1 mil­liard de dol­lars), dont Gett, Taboola, Out­brain, Iron­source, Infinidat, con­tre par exem­ple seule­ment trois pour la France (BlaBlaCar, OVH, Vente-privée.com).

Mais que faut-il pour ren­dre ces entre­pris­es pérennes avec un développe­ment à l’international, à l’instar de Check­point, Amdocs ou Teva ? 

DE LA START-UP NATION À LA « KEEP-UP NATION »

Cer­tains secteurs à très forte valeur ajoutée, où excel­lent les tal­ents israéliens, sem­blent prop­ices à la créa­tion d’une indus­trie de taille mon­di­ale : cyber­sécu­rité (380 start-up en 2017, ini­tia­tive gou­verne­men­tale de créa­tion d’un cen­tre à l’université Ben Gou­ri­on de Beer She­va), voiture élec­trique autonome (Autotalks), stock­age de l’énergie (Store­dot), indus­trie 4.0 (impres­sion 3D, Strata­sys), biotech/ san­té dig­i­tale (380 start-up en 2017, la Caisse de sécu­rité sociale Clalit no 2 au monde en ter­mes de vol­ume de don­nées digitales)… 

UN MODÈLE POUR BEAUCOUP

On voit des délégations du monde entier affluer en Israël, participer à des échanges commerciaux, mettre en place des cellules de veille, réaliser des investissements.
En 2015, les Chinois ont investi 2,8 milliards de dollars dans le pays, dont au moins 550 millions de dollars en investissements directs dans les start-up, sans passer par des fonds locaux.

Mais pour per­me­t­tre ce développe­ment, il faudrait avoir les ressources locales suff­isantes en main‑d’œuvre, cap­i­taux, et mod­i­fi­er la cul­ture managériale. 

Israël manque de main‑d’œuvre qual­i­fiée, les uni­ver­sités israéli­ennes n’en four­nissant aujourd’hui qu’environ 60 %. Une poli­tique récente con­siste à recruter auprès de la pop­u­la­tion arabe qui four­nit 30 % des diplômés du Technion. 

L’incubateur Naztech à Nazareth ouvert en 2014, fruit d’un parte­nar­i­at entre Cis­co et l’État, est le pre­mier incu­ba­teur des­tiné aux entre­pre­neurs arabes-israéliens. Autres pop­u­la­tions cibles : les ultra­ortho­dox­es (Kamat­e­ch, pre­mier accéléra­teur ultra­ortho­doxe), les nou­veaux immi­grants, les vétérans (âge 45 +) ou encore les femmes (50 % de femmes com­posent l’unité 8 200 !). 

PROMOUVOIR UNE NOUVELLE CULTURE MANAGÉRIALE

Des nou­veaux fonds d’investissement late stage doivent se créer ou ceux exis­tant s’ajuster aux besoins en cap­i­taux de ces nou­veaux géants du high-tech : par exem­ple, le fonds israélien Aleph VC a aug­men­té à douze ans sa péri­ode de cash in, au lieu des sept ans habituels. 

“ Les universités israéliennes ne fournissent qu’environ 60 % de la main‑d’œuvre qualifiée ”

Enfin, il fau­dra enseign­er aux jeunes entre­pre­neurs la cul­ture man­agéri­ale et indus­trielle à grande échelle en créant des fil­ières d’enseignement spé­cial­isées dans les uni­ver­sités israéliennes. 

La mon­di­al­i­sa­tion des échanges et la dématéri­al­i­sa­tion per­mise par Inter­net ont large­ment amoin­dri la cor­réla­tion tra­di­tion­nelle entre la taille d’une nation et sa puis­sance économique. 

Israël doit faire face aujourd’hui à un nou­veau défi : utilis­er son lead­er­ship tech­nologique pour la créa­tion d’industries pérennes de classe mon­di­ale. Ain­si la Start-up Nation se trans­formera en « Keep-up Nation » et se dotera d’une économie bien plus robuste, dont le pou­voir d’attraction pour­rait devenir un impor­tant fac­teur d’intégration et de paix régionale.

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