L’Hermione et la FREMM Provence naviguant de conserve.

Faire d’un acteur de la défense un champion mondial

Dossier : Les 50 ans du Corps de l'armementMagazine N°734 Avril 2018
Par Hervé GUILLOU (73)

Une indus­trie de défense forte ne peut exis­ter que si elle s’ap­puie sur des cham­pions mon­diaux. C’est pour­quoi le DCNS se moder­nise pour deve­nir un acteur inter­na­tio­nal majeur dans la construc­tion navale. En chan­geant de nom pour Naval Group, puis en nouant des par­te­na­riats de longue durée avec cer­tains pays et enfin en fina­li­sant pro­chai­ne­ment une alliance avec Fincantieri. 

Notre groupe s’est fixé des objec­tifs ambi­tieux de crois­sance, s’appuyant sur l’excellence recon­nue des navires opé­rés par la Marine fran­çaise, sa nou­velle stra­té­gie euro­péenne et inter­na­tio­nale et la construc­tion d’un pacte indus­triel et social ins­crit dans la durée. 

Pour tra­duire cette volon­té de trans­for­ma­tion cultu­relle et de déve­lop­pe­ment à l’international, DCNS a chan­gé de nom et, le 28 juin 2017, est deve­nue Naval Group. 


Tra­di­tion et moder­ni­té : L’Hermione et la FREMM Pro­vence de conserve.

DES CONCURRENTS DE PLUS EN PLUS NOMBREUX

Aujourd’hui, Naval Group aborde à nou­veau un moment majeur de son his­toire à l’instar d’autres sec­teurs d’excellence de la France comme le fer­ro­viaire ou le nucléaire. La concur­rence s’est lar­ge­ment démul­ti­pliée entre 2003 et 2018. À côté de nos concur­rents his­to­riques, sou­vent euro­péens, arrivent de nou­veaux entrants d’envergure mon­diale, essen­tiel­le­ment venus d’Asie (Chine, Corée, Japon) mais aus­si d’Inde, de Rus­sie, de Turquie. 

Ces nou­veaux com­pé­ti­teurs, lar­ge­ment sou­te­nus par les mar­chés domes­tiques en crois­sance et par leurs États, ont des ambi­tions mon­diales et croisent notre che­min dans le monde entier. 

REPÈRES

Naval Group, entreprise de haute technologie, tournée vers la défense de la France comme vers l’international, est l’un des tous premiers groupes mondiaux de systèmes navals militaires.
À la pointe de l’innovation navale depuis près de quatre siècles, l’entreprise compte de nombreuses réalisations emblématiques et des succès commerciaux sans précédent.

TROIS LEVIERS D’ACTION

Nous avons choi­si d’actionner trois leviers prin­ci­paux pour faire face à cette concur­rence et pré­ser­ver, voire ren­for­cer nos parts de mar­ché. En pre­mier lieu, ren­for­cer notre pré­sence pérenne et indus­trielle hors de France ; en Aus­tra­lie, au Bré­sil, en Égypte, en Inde, en Ara­bie saou­dite, en Malai­sie, etc. 

Ensuite, accé­lé­rer les cycles d’innovation et adap­ter notre poli­tique pro­duit : évo­lu­ti­vi­té, coûts, diver­si­té des équi­pe­ments. Enfin, le troi­sième levier, être le moteur des alliances européennes. 

C’est la rai­son pour laquelle nous sommes entrés en dis­cus­sion avec nos homo­logues ita­liens de Fin­can­tie­ri en sep­tembre der­nier, à l’initiative des Pré­si­dents de nos deux pays lors du som­met de Lyon. 

UN PARTENARIAT AUSTRALIEN POUR LES CINQUANTE PROCHAINES ANNÉES

Après la créa­tion d’une base d’entretien à Kota Kina­ba­lu, d’une usine de sous-marins à Ita­guai au sud de Rio, la sélec­tion de Naval Group par l’Australie pour le pro­gramme Aus­tra­lian Future Sub­ma­rine, déci­sion his­to­rique pour les rela­tions entre nos deux pays, sera une étape clé de l’implantation indus­trielle à long terme hors de France. 

“ Ces nouveaux compétiteurs ont des ambitions mondiales et croisent notre chemin dans le monde entier ”

Le 26 avril 2016, au terme d’un pro­ces­sus d’évaluation com­pé­ti­tive de qua­torze mois, le gou­ver­ne­ment aus­tra­lien a sélec­tion­né l’offre fran­çaise por­tée par Naval Group comme par­te­naire inter­na­tio­nal pour le desi­gn et la construc­tion des douze futurs sous-marins de sa force navale. 

Le pro­gramme Aus­tra­lian Future Sub­ma­rine (AFS) est le pro­gramme d’armement par lequel le gou­ver­ne­ment du Com­mon­wealth of Aus­tra­lia (CoA) rem­pla­ce­ra ses six sous-marins de classe Col­lins par une flotte de douze sous-marins océa­niques dotée d’une supé­rio­ri­té régio­nale dans la durée. 

Cet inves­tis­se­ment sans pré­cé­dent nous engage aux côtés de l’État fran­çais et nos par­te­naires indus­triels dans un par­te­na­riat de cin­quante ans : la construc­tion com­men­ce­ra dans cinq ans envi­ron à Adé­laïde et le pre­mier sous-marin sor­ti­ra vers 2030. Ils seront en ser­vice jusque vers 2080. 

LE PLUS GRAND PROGRAMME DE DÉFENSE AUSTRALIEN

C’est le plus grand pro­gramme de défense de toute l’histoire de l’Australie. Le bud­get est esti­mé pour l’ensemble du pro­gramme, c’est-à-dire le desi­gn, la construc­tion et la main­te­nance des douze sous-marins sur cin­quante ans, à 50 mil­liards de dol­lars aus­tra­liens, soit envi­ron 35 mil­liards d’euros.

“ Un budget est estimé pour l’ensemble du programme à environ 35 milliards d’euros ”

Il per­met­tra au pays de dis­po­ser du sous-marin conven­tion­nel le plus per­for­mant de la région en alliant l’expertise tech­no­lo­gique de Naval Group recon­nue par l’Australie avec les com­pé­tences de l’industrie locale grâce à un trans­fert de tech­no­lo­gie sans précédent. 

Par­te­naire indus­triel de l’Australie pour la concep­tion et la construc­tion des sous-marins, Naval Group tra­vaille en étroite coopé­ra­tion avec l’intégrateur du sys­tème de com­bat, Lock­heed Mar­tin Aus­tra­lia, une socié­té amé­ri­caine de pre­mier rang mon­dial implan­tée en Aus­tra­lie, et le minis­tère de la Défense australien. 

DES RÉSULTATS DÉJÀ TANGIBLES

ACCORD INTERGOUVERNEMENTAL

L’un des points saillants de l’offre française repose sur le potentiel de croissance technologique de ces sous-marins, rendu possible grâce à un accord intergouvernemental (GtoG) signé le 20 décembre 2016 entre le Premier ministre australien, Malcolm Turnbull, et l’ex-ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, et au plein soutien des plus hautes autorités de la France pour soutenir l’accès de l’Australie à la souveraineté en matière de design et de construction.

Pour ses deux pre­mières années d’existence, le pro­gramme Aus­tra­lian Future Sub­ma­rine (AFS) a déjà atteint de nom­breux résul­tats posi­tifs, avec notam­ment le déve­lop­pe­ment de notre filiale aus­tra­lienne ou encore l’accueil des équipes aus­tra­liennes en France à Cher­bourg, avec le sou­tien très actif des auto­ri­tés locales. 

Le 9 juillet 2017 Mal­colm Turn­bull a inau­gu­ré à Cher­bourg, en pré­sence de Flo­rence Par­ly, ministre fran­çaise des Armées, les bureaux du pro­gramme Aus­tra­lian Future Sub­ma­rine, bap­ti­sés « Hughes House ». 

TRANSFERTS TECHNOLOGIQUES EN INDE

Plus géné­ra­le­ment, le déve­lop­pe­ment de nos mar­chés inter­na­tio­naux repose sur notre capa­ci­té à réa­li­ser les trans­ferts de tech­no­lo­gie. En Inde, l’admission au ser­vice actif du Kal­va­ri, le 14 décembre 2017, a été le pre­mier pro­gramme de la poli­tique du Make in India. 

Ce sous-marin de type Scor­pène® est le pre­mier à avoir été construit entiè­re­ment à Mum­bai avec un par­te­naire local, le chan­tier public indien Maza­gon Dock Ship­buil­ders Limi­ted (MDL).

Le Khan­de­ri, deuxième sous-marin de la série, a été lan­cé le 12 jan­vier et le troi­sième, le Karanj, a été mis à l’eau le 31 jan­vier. Les six sous-marins de la série seront livrés pro­gres­si­ve­ment au rythme d’un navire tous les neuf mois. Et nous pré­pa­rons avec notre par­te­naire MDL les offres pour les pro­chains programmes. 

DES NAVIRES DE SURFACE POUR L’ÉGYPTE ET LA MALAISIE

Cette évo­lu­tion est éga­le­ment visible pour les bâti­ments de sur­face. Nous avons livré la pre­mière cor­vette Gowind®, ENS Elfa­teh, à la Marine égyp­tienne le 22 sep­tembre der­nier. Ce navire, déjà com­man­dé à dix exem­plaires, vient com­plé­ter la gamme éten­due de navires et sous-marins du groupe. 

Conçue, réa­li­sée et livrée en un temps record de trois ans, c’est la pre­mière des quatre uni­tés com­man­dées par la Marine égyp­tienne. Naval Group pour­suit son par­te­na­riat stra­té­gique et de long terme avec l’Égypte.

La Gowind® a éga­le­ment été com­man­dée en six exem­plaires par la Malai­sie et, le 24 août der­nier, notre par­te­naire malai­sien, Bous­tead Naval Shi­pyard, a pro­cé­dé à la mise à flot de la pre­mière cor­vette des­ti­née à la Marine royale malaisienne. 

L’EXPORT, LEVIER DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE

Ces pro­grammes inter­na­tio­naux sont vitaux pour entre­te­nir dans la durée le savoir-faire et les com­pé­tences des équipes de Naval Group, néces­saires au main­tien de notre sou­ve­rai­ne­té ain­si que la com­pé­ti­ti­vi­té de notre base indus­trielle nationale. 


DES SOUS-MARINS POUR LE BRÉSIL

Ce qui est vrai pour l’Inde l’est aussi pour le Brésil ! Le 20 février 2018, une cérémonie officielle avec les plus hautes autorités brésiliennes a marqué l’achèvement du chantier naval d’assemblage des quatre sous-marins Scorpène® commandés par le Brésil en transfert de technologie.
Ce chantier, réalisé par une entreprise brésilienne, a été conçu par Naval Group.

Pre­nons l’exemple de Cher­bourg : sans les pro­grammes de sous-marins Scor­pène® et aus­tra­liens notam­ment, les bureaux d’études auraient connu deux périodes de creux de cinq à sept ans entre les pro­grammes de sous-marins nucléaires lan­ceurs d’engins (SNLE) et sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) français. 

Les pro­grammes export contri­buent ain­si éga­le­ment à main­te­nir les com­pé­tences stra­té­giques néces­saires pour les futurs pro­grammes de sous-marins fran­çais, et plus par­ti­cu­liè­re­ment le futur pro­gramme de SNLE de troi­sième géné­ra­tion, qui vien­dront rem­pla­cer à terme les sous-marins de deuxième géné­ra­tion de type Le Triomphant. 

Pre­nons l’exemple de Lorient : sur les vingt-neuf navires construits en trente ans, treize l’ont été pour l’export. Et pen­dant ces trois décen­nies, les com­mandes fran­çaises ne pou­vaient pas à elles seules char­ger suf­fi­sam­ment l’outil indus­triel pour gar­der des prix très com­pé­ti­tifs pour la Marine natio­nale comme pour l’export et signi­fi­ca­ti­ve­ment infé­rieurs (20 à 30 %) à ceux des pays qui n’exportent pas ou peu. 

MAINTENIR LA SUPÉRIORITÉ TECHNOLOGIQUE

Pour conser­ver la supé­rio­ri­té tech­no­lo­gique au com­bat, il est fon­da­men­tal de ne pas rater de marche. L’entreprise est confron­tée à une accé­lé­ra­tion sans pré­cé­dent des cycles d’innovation. Les anti­ci­per et être capable de les inté­grer très rapi­de­ment sur nos navires est une obligation. 

“ Ces programmes internationaux sont vitaux pour entretenir dans la durée le savoir-faire et les compétences ”

Par exemple, les cycles tech­no­lo­giques des logi­ciels uti­li­sés à bord des navires pour leur conduite et leurs sys­tèmes de com­bat sont de cinq ans au maxi­mum, et cer­taines tech­no­lo­gies sont obso­lètes en trois à cinq ans. 

Mais la durée de vie d’un bateau, elle, est tou­jours de qua­rante ans. Cela veut dire cinq, six ou sept cycles de trans­for­ma­tion à bord des navires. En tant qu’industriel, c’est le défi le plus impor­tant à relever. 

Cela touche à la culture d’entreprise, à la culture des clients et à la culture des marins. Naval Group adapte les méthodes de mana­ge­ment de pro­jet à cette accé­lé­ra­tion des cycles de main­te­nance et de moder­ni­sa­tion des navires, mais aus­si s’est lan­cé dans une marche for­cée vers la digi­ta­li­sa­tion avec notre par­te­naire Das­sault Systems. 

Nous avons pour objec­tif d’être les pre­miers au monde à assu­rer la conti­nui­té numé­rique totale depuis les pre­mières phases de concep­tion jusqu’au retrait du service. 

Dans le domaine de l’énergie, les bat­te­ries et les sys­tèmes AIP (air-inde­pendent pro­pul­sion) connaissent des évo­lu­tions considérables. 

L’internet des objets et le big data vont per­mettre d’évoluer et de quit­ter les méthodes de main­te­nance pro­gram­mée pour pas­ser à de la main­te­nance pré­dic­tive. Nous inves­tis­sons for­te­ment dans ce domaine. Ce sera un gain de pro­duc­ti­vi­té consi­dé­rable pour les forces navales. 

Notre lea­der­ship ne sau­rait s’affirmer sans l’intégration de com­pé­tences nou­velles, comme la cyber­sé­cu­ri­té navale ou les data scientists. 

L’ALLIANCE NAVAL GROUP/ FINCANTIERI

Lancement du sous-marin Scorpène indien Karanj.
Lan­ce­ment du Scor­pène indien Karanj.

Le troi­sième levier pour résis­ter à la concur­rence mon­diale est de ren­for­cer l’offre et la com­pé­ti­ti­vi­té de l’Europe. Face à cette évi­dence, nous esti­mons néces­saire d’être le moteur des alliances indus­trielles du sec­teur naval au niveau euro­péen plu­tôt que de subir dans une décen­nie des restruc­tu­ra­tions qui s’imposeront, pour consti­tuer et faire croître à terme un lea­der mon­dial à même de gagner de nou­velles parts de mar­ché hors des mar­chés domestiques. 

Le rap­pro­che­ment envi­sa­gé vise à « créer un cham­pion mon­dial dans le naval », a décla­ré le Pré­sident Emma­nuel Macron à l’occasion du 34e som­met fran­co-ita­lien à Lyon le 27 sep­tembre 2017. Naval Group et Fin­can­tie­ri, qui ont déjà coopé­ré avec suc­cès dans le domaine naval mili­taire – réa­li­sa­tion en com­mun du pro­gramme de fré­gates de défense aériennes Hori­zon, fré­gates mul­ti­mis­sions FREMM – sont donc entrés en dis­cus­sion en septembre. 

UN PROJET D’ALLIANCE POUR JUIN 2018

L’équipe de pro­gramme a été mise en place très rapi­de­ment et est épau­lée par des groupes de tra­vail très actifs. La pre­mière phase, lan­cée en sep­tembre, a consis­té à recen­ser les pistes de syner­gie et de coopé­ra­tion entre les deux entre­prises sus­cep­tibles d’améliorer la com­pé­ti­ti­vi­té mais aus­si de gagner ensemble de nou­veaux mar­chés en pro­fi­tant d’un por­te­feuille de pro­duits éten­dus offert par les deux groupes, ain­si que des implan­ta­tions inter­na­tio­nales com­plé­men­taires des deux sociétés. 

Enfin, c’est l’occasion de conce­voir et réa­li­ser conjoin­te­ment des bâti­ments de sur­face comme le bâti­ment de sou­tien et de ravi­taille­ment du pro­gramme Flotlog. 

Les moda­li­tés détaillées du pro­jet d’alliance seront pré­sen­tées aux gou­ver­ne­ments des deux pays d’ici la fin du mois de juin 2018.

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