Forum Carrières à l'École polytechnique

Ce qui peut motiver un jeune polytechnicien pour l’armement : une démarche de choix

Dossier : Les 50 ans du Corps de l'armementMagazine N°734 Avril 2018
Par Jérôme de DINECHIN (84)

Le choix du corps de l’ar­me­ment ne se fait plus d’of­fice. On trouve ici les réflexions du char­gé du recru­te­ment pour per­ce­voir les moti­va­tions pro­fondes des can­di­dats, qui se pré­sentent tous avec des CV brillants et identiques. 

Dans son livre La pro­cess com­mu­ni­ca­tion, typo­lo­gie de carac­tères issue de l’analyse tran­sac­tion­nelle, Gérard Col­li­gnon prend comme exemple un bon élève, Éric, qui reçoit d’un oncle poly­tech­ni­cien cette parole magique : « Tu feras Poly­tech­nique. » Et c’est bien ce qui arrive, lorsqu’il est admis­sible en 32 et qu’il est séduit par la beau­té qua­si sovié­tique du platâl. 

Il est reçu en 52, mais à par­tir de là, tout s’effondre pour lui et il se demande ce qu’il fait là. De retour de stage à l’étranger, Éric choi­sit sur un coup de tête le corps de l’armement.

L’anecdote se pour­suit en pré­ci­sant qu’il rejoint plus tard une grande entre­prise en décla­rant : « Je sais ce que je vais faire main­te­nant, et il m’a fal­lu 44 ans pour le visualiser ! » 

REPÈRES

Les carrières des IA se passent en général d’abord à la Direction générale de l’armement (DGA), qui pilote les grands programmes de défense français et emploie près de 480 IA, sur 900 ingénieurs en activité dans le corps et 800 autres à l’extérieur.
Ils peuvent y prendre la voie principale de « directeur de programme », mais bien d’autres métiers y sont possibles.

CHOIX OU CONTINUITÉ ?

En me voyant confier la mis­sion de recru­ter pour le corps des IA, je me suis deman­dé ce qu’il y avait de vrai dans cette image, et ce qu’il fal­lait faire pour la corriger. 

Recon­nais­sons d’abord que la pré­pa n’habitue pas beau­coup à faire des choix. Être bon élève, être pous­sé vers « le meilleur », se faire noter et clas­ser, résoudre des pro­blèmes qui ont une seule solu­tion peut conduire à l’X sans vrai­ment y réfléchir. 

Pour être hon­nête du reste, en ce qui me concerne, c’est assez juste. La voca­tion d’ingénieur est soli­de­ment ancrée dans ma famille, et quand on a l’X, on ne refuse pas. 

Et ensuite ? Admet­tons que les corps repro­duisent un peu le même sché­ma, puisque, pour choi­sir un corps, il n’est pas même besoin de pas­ser un entre­tien de recru­te­ment. Seul le clas­se­ment compte, et la feuille de botte suf­fit – pour l’instant du moins puisqu’une épreuve de soft skills sera ins­ti­tuée dans un futur proche. 

DES JEUNES AUX MOTIVATIONS PRÉCOCES

Pour­tant, il serait réduc­teur de ne s’en tenir qu’à cela. 

Pour par­ti­ci­per depuis plu­sieurs années à « l’usine à CV » qui pré­cède chaque forum des employeurs, je suis frap­pé de voir que les jeunes X ont déjà une voca­tion mar­quée, même si elle n’apparaît pas immédiatement. 

DEUX PROFILS

J’ai en mémoire ces deux garçons, l’un ayant participé au concours international de la ville durable, et mentionnant une compétition de golf à Pornic, et l’autre revenant d’un treck en montagne, et ayant fait des missions exceptionnelles chez les pompiers de Paris.
En le validant auprès d’eux, le premier se nourrissait de compétition et le second de dépassement de lui-même. On peut être certain que leurs futurs métiers, et la manière même de les exercer, seront radicalement différents.

Ils pré­sentent tous le même CV bien propre : men­tion très bien, classes pré­pa­ra­toires et inté­gra­tion en 32 ; une majeure au nom incom­pré­hen­sible et dont tout le monde se fiche, et une for­ma­tion humaine et mili­taire dégui­sée en expé­rience professionnelle. 

Mais lorsqu’on creuse, il est frap­pant de voir com­bien les pro­fils sont différents. 

Dans la majo­ri­té des cas, des pré­fé­rences très nettes sont ins­crites en eux dès vingt-deux ans. À tel point que, le len­de­main, tenant le stand de la DGA/corps des IA, j’ai eu la sur­prise de voir l’un de mes clients tirer par la manche un cama­rade en lui disant : « Montre lui ton CV, c’est lui qui va te dire pour quoi tu es fait ! » 

Leur per­mettre de mettre des mots sur leurs pré­fé­rences leur donne une bous­sole pour s’orienter vala­ble­ment dans leurs choix, dès maintenant. 

SERVIR DANS L’EXCELLENCE TECHNIQUE

Le corps des IA pro­pose une cer­taine conti­nui­té pour des élèves qui y conservent le sta­tut mili­taire. L’X elle-même étant sous la tutelle de la DGA, on n’est pas dépay­sé. Peut-être y ver­rait-on une cer­taine absence de choix. 


Les jeunes X pré­sentent tous le même CV bien propre, mais lorsqu’on creuse, il est frap­pant de voir com­bien les pro­fils sont différents.

Il y a aus­si la chose publique : être utile à son pays, ser­vir un but qui dépasse l’utilitarisme, « rendre ce que j’ai reçu », cela attire. Bien sûr, le choix n’est peut-être pas fait en toute connais­sance de cause, et peut-être trouve-t-on de la « dési­déa­li­sa­tion » par­fois, mais, lorsqu’on se marie, le fait-on en toute connais­sance de cause ? 

Et les mariages pré­coces ne sont pas les moins solides, les sta­tis­tiques disent même l’inverse !

L’armement pro­pose aux jeunes ingé­nieurs des métiers où l’on met en œuvre des tech­no­lo­gies de pointe, la fameuse « Tech­nique ». Car les grands équi­pe­ments de défense sont par nature à des niveaux de per­for­mance par­mi les plus éle­vés au monde. 

Même s’ils n’ont pas la dyna­mique des pro­duits grand public, leurs condi­tions d’utilisation ne sont com­pa­rables à rien d’autre. Vou­loir s’engager dans la conduite de grands pro­jets com­plexes, voi­là un vrai chal­lenge, qui appelle un choix de conscience. 

Les métiers des IA se passent en géné­ral d’abord à la Direc­tion géné­rale de l’armement (DGA). Ils peuvent y prendre la voie prin­ci­pale de « direc­teur de pro­gramme » mais, si cela leur cor­res­pond mieux, ils peuvent aus­si s’épanouir au minis­tère des Armées, ou dans des orga­nismes proches comme le CEA, l’Onera, le Cnes, ou encore dans les autres minis­tères et notam­ment le SGDSN ou Ber­cy. Ils peuvent après quelque temps pour­suivre leur car­rière dans l’industrie.

COMMENT ÉCLAIRER LES CHOIX DE CARRIÈRE ?

Au fil des ren­contres qui s’étalent d’automne à mai, il ne s’agit pas de séduire un can­di­dat contre son gré ou, plus grave, contre sa nature. Nous essayons de lui faire ren­con­trer dif­fé­rents IA aux­quels il pour­rait sou­hai­ter s’identifier, tant il est dif­fi­cile d’imaginer lorsqu’on est étu­diant ce à quoi res­sem­ble­ra la vie professionnelle. 

“ S’engager dans la conduite de grands projets complexes, voilà un vrai challenge ! ”

Bien sûr, nous devons par­fois cor­ri­ger telle ou telle vision mani­fes­te­ment faus­sée ou même le dis­sua­der. Enfin, si un étu­diant nous semble avoir une solide per­son­na­li­té mais qu’il ne sait pas du tout quoi faire, il arrive de dire : « Il y a de la place, on avi­se­ra plus tard… » 

Jusqu’à récem­ment, le clas­se­ment impor­tait assez peu. De médiocres « pou­gneurs » ont fait des ingé­nieurs et diri­geants de pre­mier plan, et ce cri­tère ne nous a pas sem­blé déter­mi­nant, à l’expérience. Nous assis­tons cepen­dant depuis quelques années à une prise de conscience, en lien avec les atten­tats isla­mistes, et qui a contri­bué à un renou­veau des vocations. 

De nom­breux jeunes témoignent de l’importance pour eux de défendre leur pays, à tra­vers l’armement ou dans les armées qui ont reçu cette année huit candidatures. 

LA DGA, UN PREMIER EMPLOYEUR MOTIVANT

Qui sont alors ces X qui choi­sissent le corps de l’armement ? En regar­dant les pro­mo­tions récentes, on peut les clas­ser en une dizaine de pro­fils : d’abord des ingé­nieurs, sou­vent d’orientation aéro, des « fanas milis », des gens des SI et du « rens », des pas­sion­nés de tech­no­lo­gie, des experts, des contrô­leurs, des mana­gers, des pro­fils inter­na­tio­naux, des entrepreneurs… 

Pour la plu­part, ils trouvent à la DGA, ou dans son envi­ron­ne­ment proche, des pre­mières années par­ti­cu­liè­re­ment moti­vantes. Puis, cha­cun évo­lue et gran­dit vers les métiers de son pro­fil, qui se déploient aus­si bien côté public que côté privé. 

Il en reste des per­son­na­li­tés affir­mées, un solide réseau d’amitiés et de par­tage de valeurs et comme le sou­ligne Éric, des choix éclairés.

Commentaire

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Peter Burépondre
25 septembre 2018 à 16 h 48 min

Aspect moral

» Nous assis­tons cepen­dant depuis quelques années à une prise de conscience, en lien avec les atten­tats isla­mistes, et qui a contri­bué à un renou­veau des vocations. 

De nom­breux jeunes témoignent de l’importance pour eux de défendre leur pays, à tra­vers l’armement ou dans les armées qui ont reçu cette année huit candidatures. » 

N’est-il pas curieux qu’il fal­lait des atten­tats isla­mistes pour que les X veuillent défendre leur pays ? 

J’es­père que ce n’est pas tout à fait vrai mais à part ce para­graphe l’ar­ticle ne parle pas du sens moral du tra­vail des IA. Pour­tant, cette ques­tion doit – ou devrait se poser quand on décide de ce que l’on fera pour le res­tant de ses années au travail.

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