Forum Carrières à l'École polytechnique

Ce qui peut motiver un jeune polytechnicien pour l’armement : une démarche de choix

Dossier : Les 50 ans du Corps de l'armementMagazine N°734 Avril 2018
Par Jérôme de DINECHIN (84)

Le choix du corps de l’arme­ment ne se fait plus d’of­fice. On trou­ve ici les réflex­ions du chargé du recrute­ment pour percevoir les moti­va­tions pro­fondes des can­di­dats, qui se présen­tent tous avec des CV bril­lants et identiques. 

Dans son livre La process com­mu­ni­ca­tion, typolo­gie de car­ac­tères issue de l’analyse trans­ac­tion­nelle, Gérard Col­lignon prend comme exem­ple un bon élève, Éric, qui reçoit d’un oncle poly­tech­ni­cien cette parole mag­ique : « Tu feras Poly­tech­nique. » Et c’est bien ce qui arrive, lorsqu’il est admis­si­ble en 3/2 et qu’il est séduit par la beauté qua­si sovié­tique du platâl. 

Il est reçu en 5/2, mais à par­tir de là, tout s’effondre pour lui et il se demande ce qu’il fait là. De retour de stage à l’étranger, Éric choisit sur un coup de tête le corps de l’armement.

L’anecdote se pour­suit en pré­cisant qu’il rejoint plus tard une grande entre­prise en déclarant : « Je sais ce que je vais faire main­tenant, et il m’a fal­lu 44 ans pour le visualiser ! » 

REPÈRES

Les carrières des IA se passent en général d’abord à la Direction générale de l’armement (DGA), qui pilote les grands programmes de défense français et emploie près de 480 IA, sur 900 ingénieurs en activité dans le corps et 800 autres à l’extérieur.
Ils peuvent y prendre la voie principale de « directeur de programme », mais bien d’autres métiers y sont possibles.

CHOIX OU CONTINUITÉ ?

En me voy­ant con­fi­er la mis­sion de recruter pour le corps des IA, je me suis demandé ce qu’il y avait de vrai dans cette image, et ce qu’il fal­lait faire pour la corriger. 

Recon­nais­sons d’abord que la pré­pa n’habitue pas beau­coup à faire des choix. Être bon élève, être poussé vers « le meilleur », se faire not­er et class­er, résoudre des prob­lèmes qui ont une seule solu­tion peut con­duire à l’X sans vrai­ment y réfléchir. 

Pour être hon­nête du reste, en ce qui me con­cerne, c’est assez juste. La voca­tion d’ingénieur est solide­ment ancrée dans ma famille, et quand on a l’X, on ne refuse pas. 

Et ensuite ? Admet­tons que les corps repro­duisent un peu le même sché­ma, puisque, pour choisir un corps, il n’est pas même besoin de pass­er un entre­tien de recrute­ment. Seul le classe­ment compte, et la feuille de botte suf­fit – pour l’instant du moins puisqu’une épreuve de soft skills sera insti­tuée dans un futur proche. 

DES JEUNES AUX MOTIVATIONS PRÉCOCES

Pour­tant, il serait réduc­teur de ne s’en tenir qu’à cela. 

Pour par­ticiper depuis plusieurs années à « l’usine à CV » qui précède chaque forum des employeurs, je suis frap­pé de voir que les jeunes X ont déjà une voca­tion mar­quée, même si elle n’apparaît pas immédiatement. 

DEUX PROFILS

J’ai en mémoire ces deux garçons, l’un ayant participé au concours international de la ville durable, et mentionnant une compétition de golf à Pornic, et l’autre revenant d’un treck en montagne, et ayant fait des missions exceptionnelles chez les pompiers de Paris.
En le validant auprès d’eux, le premier se nourrissait de compétition et le second de dépassement de lui-même. On peut être certain que leurs futurs métiers, et la manière même de les exercer, seront radicalement différents.

Ils présen­tent tous le même CV bien pro­pre : men­tion très bien, class­es pré­para­toires et inté­gra­tion en 3/2 ; une majeure au nom incom­préhen­si­ble et dont tout le monde se fiche, et une for­ma­tion humaine et mil­i­taire déguisée en expéri­ence professionnelle. 

Mais lorsqu’on creuse, il est frap­pant de voir com­bi­en les pro­fils sont différents. 

Dans la majorité des cas, des préférences très nettes sont inscrites en eux dès vingt-deux ans. À tel point que, le lende­main, ten­ant le stand de la DGA/corps des IA, j’ai eu la sur­prise de voir l’un de mes clients tir­er par la manche un cama­rade en lui dis­ant : « Mon­tre lui ton CV, c’est lui qui va te dire pour quoi tu es fait ! » 

Leur per­me­t­tre de met­tre des mots sur leurs préférences leur donne une bous­sole pour s’orienter val­able­ment dans leurs choix, dès maintenant. 

SERVIR DANS L’EXCELLENCE TECHNIQUE

Le corps des IA pro­pose une cer­taine con­ti­nu­ité pour des élèves qui y con­ser­vent le statut mil­i­taire. L’X elle-même étant sous la tutelle de la DGA, on n’est pas dépaysé. Peut-être y ver­rait-on une cer­taine absence de choix. 


Les jeunes X présen­tent tous le même CV bien pro­pre, mais lorsqu’on creuse, il est frap­pant de voir com­bi­en les pro­fils sont différents.

Il y a aus­si la chose publique : être utile à son pays, servir un but qui dépasse l’utilitarisme, « ren­dre ce que j’ai reçu », cela attire. Bien sûr, le choix n’est peut-être pas fait en toute con­nais­sance de cause, et peut-être trou­ve-t-on de la « désidéal­i­sa­tion » par­fois, mais, lorsqu’on se marie, le fait-on en toute con­nais­sance de cause ? 

Et les mariages pré­co­ces ne sont pas les moins solides, les sta­tis­tiques dis­ent même l’inverse !

L’armement pro­pose aux jeunes ingénieurs des métiers où l’on met en œuvre des tech­nolo­gies de pointe, la fameuse « Tech­nique ». Car les grands équipements de défense sont par nature à des niveaux de per­for­mance par­mi les plus élevés au monde. 

Même s’ils n’ont pas la dynamique des pro­duits grand pub­lic, leurs con­di­tions d’utilisation ne sont com­pa­ra­bles à rien d’autre. Vouloir s’engager dans la con­duite de grands pro­jets com­plex­es, voilà un vrai chal­lenge, qui appelle un choix de conscience. 

Les métiers des IA se passent en général d’abord à la Direc­tion générale de l’armement (DGA). Ils peu­vent y pren­dre la voie prin­ci­pale de « directeur de pro­gramme » mais, si cela leur cor­re­spond mieux, ils peu­vent aus­si s’épanouir au min­istère des Armées, ou dans des organ­ismes proches comme le CEA, l’Onera, le Cnes, ou encore dans les autres min­istères et notam­ment le SGDSN ou Bercy. Ils peu­vent après quelque temps pour­suiv­re leur car­rière dans l’industrie.

COMMENT ÉCLAIRER LES CHOIX DE CARRIÈRE ?

Au fil des ren­con­tres qui s’étalent d’automne à mai, il ne s’agit pas de séduire un can­di­dat con­tre son gré ou, plus grave, con­tre sa nature. Nous essayons de lui faire ren­con­tr­er dif­férents IA aux­quels il pour­rait souhaiter s’identifier, tant il est dif­fi­cile d’imaginer lorsqu’on est étu­di­ant ce à quoi ressem­blera la vie professionnelle. 

“ S’engager dans la conduite de grands projets complexes, voilà un vrai challenge ! ”

Bien sûr, nous devons par­fois cor­riger telle ou telle vision man­i­feste­ment faussée ou même le dis­suad­er. Enfin, si un étu­di­ant nous sem­ble avoir une solide per­son­nal­ité mais qu’il ne sait pas du tout quoi faire, il arrive de dire : « Il y a de la place, on avis­era plus tard… » 

Jusqu’à récem­ment, le classe­ment impor­tait assez peu. De médiocres « pougneurs » ont fait des ingénieurs et dirigeants de pre­mier plan, et ce critère ne nous a pas sem­blé déter­mi­nant, à l’expérience. Nous assis­tons cepen­dant depuis quelques années à une prise de con­science, en lien avec les atten­tats islamistes, et qui a con­tribué à un renou­veau des vocations. 

De nom­breux jeunes témoignent de l’importance pour eux de défendre leur pays, à tra­vers l’armement ou dans les armées qui ont reçu cette année huit candidatures. 

LA DGA, UN PREMIER EMPLOYEUR MOTIVANT

Qui sont alors ces X qui choi­sis­sent le corps de l’armement ? En regar­dant les pro­mo­tions récentes, on peut les class­er en une dizaine de pro­fils : d’abord des ingénieurs, sou­vent d’orientation aéro, des « fanas milis », des gens des SI et du « rens », des pas­sion­nés de tech­nolo­gie, des experts, des con­trôleurs, des man­agers, des pro­fils inter­na­tionaux, des entrepreneurs… 

Pour la plu­part, ils trou­vent à la DGA, ou dans son envi­ron­nement proche, des pre­mières années par­ti­c­ulière­ment moti­vantes. Puis, cha­cun évolue et grandit vers les métiers de son pro­fil, qui se déploient aus­si bien côté pub­lic que côté privé. 

Il en reste des per­son­nal­ités affir­mées, un solide réseau d’amitiés et de partage de valeurs et comme le souligne Éric, des choix éclairés.

Commentaire

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Peter Burépondre
25 septembre 2018 à 16 h 48 min

Aspect moral

” Nous assis­tons cepen­dant depuis quelques années à une prise de con­science, en lien avec les atten­tats islamistes, et qui a con­tribué à un renou­veau des vocations. 

De nom­breux jeunes témoignent de l’importance pour eux de défendre leur pays, à tra­vers l’armement ou dans les armées qui ont reçu cette année huit candidatures.” 

N’est-il pas curieux qu’il fal­lait des atten­tats islamistes pour que les X veuil­lent défendre leur pays ? 

J’e­spère que ce n’est pas tout à fait vrai mais à part ce para­graphe l’ar­ti­cle ne par­le pas du sens moral du tra­vail des IA. Pour­tant, cette ques­tion doit — ou devrait se pos­er quand on décide de ce que l’on fera pour le restant de ses années au travail.

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