Eurotunnel –Panama deux grands défis de l’histoire

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°536 Juin/Juillet 1998Par : Guy FARGETTE (48)Rédacteur : Marcel RAMA (41)

Vous con­nais­sez bien sûr, comme moi, l’histoire du tun­nel sous la Manche. Mais, comme moi, vous con­nais­sez peu celle du canal de Panama.

Alors lisez le livre de notre cama­rade Guy Far­gette : ayant eu l’occasion de suiv­re de près la pré­pa­ra­tion et la réal­i­sa­tion de l’opération Euro­tun­nel et ayant étudié de près égale­ment tout le déroule­ment de l’opération Pana­ma, il nous instru­it – ou rafraî­chit nos sou­venirs – sur la genèse et l’accomplissement de l’une et l’autre réal­i­sa­tions, sous une forme orig­i­nale et intéressante.

Son ouvrage ne com­porte pas deux par­ties dis­tinctes, suc­ces­sives. Les chapitres con­sacrés à Pana­ma et Euro­tun­nel s’imbriquent intel­ligem­ment en les alter­nant à chaque stade de l’évolution des deux pro­jets et jusqu’à leur achève­ment et leur mise en exploitation.

La mise en par­al­lèle est instruc­tive. Mais soyons clairs, avec l’auteur, dès le début : s’il y a eu scan­dale financier dans l’affaire de Pana­ma, avec procès en escro­querie et procès en cor­rup­tion, il n’y a en aucune façon rien eu de tel dans Euro­tun­nel : seule­ment un sur­coût très impor­tant, dont une par­tie aurait peut-être pu être évitée, donc un sur­croît impor­tant de besoin de finance­ment très dif­fi­cile­ment sup­port­able pour l’économie du projet.

Cette mise au point étant faite, les deux opéra­tions per­me­t­tent des rap­proche­ments très intéres­sants et Guy Far­gette les a faits. Il rap­pelle d’abord l’époque loin­taine à laque­lle remon­tent les pre­miers ger­mes de l’idée de l’une et l’autre liaisons : 1700 et quelques avec Nico­las Des­marets pour la liai­son sous la Manche, et bien avant, 1500 et quelques sur instruc­tions de Charles Quint pour la tra­ver­sée de l’isthme de Panama.

Sau­tons quelques siè­cles et relevons une coïn­ci­dence de temps : c’est en 1879 que F. de Lesseps lance sa pre­mière souscrip­tion publique – pra­tique­ment ratée – pour Pana­ma. C’est en 1880 que se situe un début de travaux du Tun­nel, mod­este et vite arrêté.

Pana­ma reprend une bonne avance sur Euro­tun­nel puisque c’est finale­ment le 3 août 1914 que le Cristo­bal, navire de haute mer, a le pre­mier franchi le Canal transocéanique, pas­sant de l’Atlantique au Paci­fique, alors que l’inauguration du Tun­nel par Eliz­a­beth II et François Mit­ter­rand n’a eu lieu que le 6 mai 1994.

Je n’analyserai pas les péripéties par­faite­ment décrites par Guy Far­gette de l’une et l’autre réal­i­sa­tions. Bien sûr ce sont celles de Pana­ma qui m’ont le plus intéressé puisque je n’en avais que de très vagues notions. Et ce qui m’a décon­certé, c’est l’évolution de la per­son­nal­ité émi­nente mais hélas ! vieil­lis­sante de l’homme de génie qu’avait été Fer­di­nand de Lesseps, devenu méga­lo­mane après la réus­site extra­or­di­naire de son canal de Suez, et pour Pana­ma refu­sant les con­seils de qui que ce soit et notam­ment des ingénieurs, igno­rant délibéré­ment les con­di­tions géologiques et cli­ma­tiques locales, la malar­ia, la fièvre jaune, et allant jusqu’à remanier autori­taire­ment à la baisse les devis de la con­struc­tion du Canal.

Lorsque, enfin, il se rend à l’évidence que le Canal ne peut être d’un bout à l’autre à niveau, c’est tout de même à un ingénieur déjà de grand renom – bien que sa Tour ne devait être inau­gurée que deux ans plus tard – qu’il fait appel pour la con­struc­tion des 10 éclus­es : on voit alors appa­raître Gus­tave Eiffel.

Hélas ! faute de moyens financiers, les travaux sont arrêtés fin 1888 (ceux du tun­nel sous la Manche, repris en 1973, ont eux aus­si été arrêtés, très vite, pour rai­son avouée de crise économique mon­di­ale et inavouée d’opposition poli­tique out­re-Manche) et la Com­pag­nie uni­verselle du Canal transocéanique est liquidée.

Le Canal sera finale­ment repris par les Améri­cains, et achevé vingtcinq ans plus tard.

Vous trou­verez dans le livre de Guy Far­gette toute l’histoire, tech­nique bien sûr, mais plus encore finan­cière et poli­tique des deux réal­i­sa­tions, dans les moin­dres détails. Vous trou­verez aus­si les noms de très nom­breuses per­son­nal­ités mêlées aux deux réal­i­sa­tions. Notre cama­rade Philippe Bunau-Var­il­la (X1878) a joué un très grand rôle dans celle du Canal, et notam­ment dans la reprise de l’affaire par les Améri­cains avec le coup d’État de fin 1903 aboutis­sant à la séces­sion et à l’indépendance de Panama.

Il est dom­mage que l’auteur n’ait pas inséré un index des noms cités. Je pense qu’on en ren­con­tre plusieurs cen­taines et non des moin­dres. Vous crois­erez Clemenceau et André Siegfried, Theodore Roo­sevelt et le Prési­dent de la République de Colom­bie – et com­bi­en d’autres à pro­pos de Panama !

Vous ren­con­tr­erez Fran­cis Bouygues à pro­pos d’Eurotunnel, à qui l’auteur voue man­i­feste­ment une très grande admi­ra­tion – méritée – et dont il regrette qu’il n’ait pas voulu s’imposer au com­man­de­ment du Tun­nel de A à Z. Mais il manque un nom et je tiens à le rétablir : c’est celui de Pierre Math­eron, directeur de la total­ité des travaux du côté français tant sous-marins qu’en sur­face, à qui l’on doit incon­testable­ment la pleine réus­site du chantier de génie civ­il et en par­ti­c­uli­er celle, dans les délais, du for­age de la par­tie française des tunnels.

Mon analyse met en valeur les points qui m’ont per­son­nelle­ment le plus intéressé. Mais, je le répète, vous trou­verez dans le livre de Guy Far­gette une étude par­ti­c­ulière­ment détail­lée et doc­u­men­tée de tous les aspects de ces deux réal­i­sa­tions et tout par­ti­c­ulière­ment, out­re l’aspect tech­nique, des aspects poli­tique, admin­is­tratif et financier.

Si, en con­clu­sion, le canal de Pana­ma, âgé aujourd’hui de 80 ans, ne fait plus par­ler de lui depuis longtemps, son util­ité ayant été recon­nue et son util­i­sa­tion passée avec plein suc­cès “ dans les moeurs ” – mais la con­ces­sion se ter­mine dans quelques années et son renou­velle­ment don­nera peut-être lieu à quelques dif­fi­cultés – le tun­nel sous la Manche vient seule­ment d’atteindre avec peine l’âge de rai­son. Il est de plus en plus utile et util­isé, mais son équili­bre financier est encore en sus­pens. Guy Far­gette ter­mine cepen­dant sur une note d’optimisme : l’avenir d’Eurotunnel et de ses action­naires n’est peut-être pas aus­si som­bre qu’on pour­rait le crain­dre. Il faut savoir être patient et d’abord se réjouir de voir la Grande-Bre­tagne enfin ancrée à l’Europe qui donc, main­tenant, n’est plus “ isolée ”.

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