Échographie magnétique d'une éruption solaire

Éruptions solaires : des chercheurs de l’X à la une de “ Nature ”

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°735 Mai 2018
Par Tahar AMARI

Tahar AMARI et son équipe ont pub­lié dans la revue “Nature” leurs travaux d’ob­ser­va­tion et de cal­cul per­me­t­tant de prévoir l’én­ergie max­i­male libérée lors d’une érup­tion solaire. 

L’atmo­sphère du Soleil est sans cesse per­tur­bée par des érup­tions solaires, dont les plus intens­es sont sus­cep­ti­bles d’impacter les instal­la­tions tech­nologiques de notre planète (réseaux de satel­lites de com­mu­ni­ca­tion, de local­i­sa­tion, dis­tri­b­u­tion d’électricité, traf­ic aérien, etc.). 

On peut estimer l’énergie maximale libérable par l’éruption solaire”

Afin d’améliorer la prévi­sion de ces érup­tions, une équipe de chercheurs a mis au point un mod­èle capa­ble d’estimer l’énergie max­i­male poten­tielle­ment libérée lors d’une érup­tion solaire. 

Ces travaux, menés par Tahar Amari et Aurélien Canou du Cen­tre de physique théorique (CNRS / École poly­tech­nique), en col­lab­o­ra­tion avec Jean-Jacques Aly du lab­o­ra­toire d’Astrophysique, inter­pré­ta­tion – mod­éli­sa­tion (CNRS / CEA / Paris- Diderot), François Dely­on du Lab­o­ra­toire de physique théorique de la matière con­den­sée (CNRS / Sor­bonne Uni­ver­sité) et Frédéric Alauzet de l’Inria, ont fait la une de Nature le 8 févri­er 2018. 

Une équipe spécialiste des éruptions solaires

En 2014, une équipe de recherche pilotée par Tahar Amari fai­sait déjà la une de la pres­tigieuse revue grâce à la mise en évi­dence d’une struc­ture par­ti­c­ulière des lignes de champs mag­né­tiques qui for­ment une corde tor­sadée dans les heures précé­dant une érup­tion solaire. 

Mais alors qu’il s’était con­cen­tré sur les érup­tions éjec­tant de la matière, le chercheur s’est, cette fois-ci, inter­rogé sur le mécan­isme régis­sant les érup­tions sans éjec­tion de masse, qui peu­vent être tout aus­si puis­santes mais ne libèrent de l’énergie que sous la forme de ray­on­nements puissants. 

Rendre visible l’invisible

« Pour avoir accès au champ mag­né­tique, nous avons étudié les dernières heures de la “grossesse” qui a don­né nais­sance à l’éruption », explique Tahar Amari. Le chercheur image ain­si le phénomène afin de mieux faire com­pren­dre la méthode, ana­logue à une échogra­phie, qui leur a per­mis de déduire le champ mag­né­tique dans l’atmosphère du Soleil. 

HASARD SOLAIRE

Le hasard a voulu que l’objet d’étude pour cette nouvelle publication soit une éruption solaire qui s’est déroulée le 24 octobre 2014, le jour même de la publication des précédents travaux dans Nature.

En effet, les méth­odes d’observation « clas­siques », qui con­sis­tent à analyser le spec­tre de lumière du Soleil pour en déduire le champ mag­né­tique, ne fonc­tion­nent pas pour l’atmosphère solaire car ce spec­tre est dégradé par les très hautes températures. 

Afin d’observer l’éruption, ce « bébé mag­né­tique », Tahar Amari récolte des don­nées qu’il image comme des échogra­phies mag­né­tiques : « En mesurant le champ mag­né­tique à la sur­face du Soleil, nous en déduisons les champs mag­né­tiques dans l’atmosphère solaire. L’analogie s’arrête ici car con­traire­ment à une échogra­phie qui observe l’intérieur du corps, notre méthode per­met de voir le bébé mag­né­tique à l’extérieur du Soleil à par­tir de mesures à sa surface. » 

Les mesures réal­isées par des satel­lites sont cou­plées à la réso­lu­tion d’équations dans un mod­èle théorique dévelop­pé par les chercheurs et sim­i­laire aux mod­èles météorologiques. Grâce à cette méthodolo­gie, les chercheurs ont réus­si à déter­min­er la forme des champs mag­né­tiques dans la couronne solaire. 

Dans leur mod­èle, le com­porte­ment de l’atmosphère ter­restre est rem­placé par le com­porte­ment de l’atmosphère solaire qui obéit à des lois de la physique bien spé­ci­fiques : la dynamique des flu­ides élec­trique­ment conducteurs. 

En réal­isant une suc­ces­sion de ces échogra­phies (mesures + réso­lu­tions par leur mod­èle théorique), ils ont pu, dans la con­ti­nu­ité de leurs travaux de 2014, met­tre en évi­dence qu’une corde mag­né­tique se dévelop­pait égale­ment lors de ces érup­tions sans éjec­tion de masse. 

La nature des éruptions solaires déterminée par un rapport de force magnétique

Les chercheurs ont fait une autre décou­verte : la corde grandit dans un « cocon », une cage de champs mag­né­tiques, qui aide la corde à se dévelop­per en la con­fi­nant à prox­im­ité du Soleil. Lorsque la corde est suff­isam­ment intense, un rap­port de force s’établit alors entre elle et sa cage. 


Échogra­phie mag­né­tique à l’aide des don­nées du champ mag­né­tique à la sur­face du Soleil (satel­lite SDO de la NASA) et d’un mod­èle puis­sant mul­ti-échelles, quelques min­utes avant le début de l’éruption. Le résul­tat révèle la présence d’une cage mag­né­tique ren­for­cée mul­ti­couche (jaune, rose, blanc) dans laque­lle se développe pen­dant les dernières heures avant l’éruption la corde mag­né­tique (bleu).
© Tahar Amari et al./Centre de physique théorique (CNRS-École polytechnique)

Dans le cas de l’éruption observée le 24 octo­bre 2014, les chercheurs ont pu établir que la cage était suff­isam­ment ren­for­cée pour retenir la corde et l’empêcher d’éjecter de la matière. Leur mod­èle théorique dynamique va plus loin car à par­tir de don­nées mesurées dix min­utes avant l’éruption, les chercheurs ont été capa­bles d’estimer l’énergie max­i­male libérable par l’éruption solaire. 

Cette méthode les a aidés à bien com­pren­dre le rap­port de force entre la cage et la corde : ain­si, comme dans l’éruption qu’ils ont étudiée, une cage très ren­for­cée empêche l’éruption de pro­duire une éjec­tion de masse. Mais ce mod­èle est égale­ment val­able pour les érup­tions qui éjectent de la masse : en affaib­lis­sant la cage dans leur mod­èle, ils ont démon­tré que si cette dernière n’est pas assez ren­for­cée par rap­port à la corde, l’éruption va pou­voir rompre la cage en éjec­tant une bulle mag­né­tique de plasma. 

Des conséquences pour le GPS

Tahar Amari et ses col­lab­o­ra­teurs ont ain­si amélioré la com­préhen­sion des mécan­ismes qui régis­sent les érup­tions solaires et lais­sent ain­si entrevoir la pos­si­bil­ité de réalis­er des prévi­sions pré­co­ces de leurs inten­sités, s’ils dis­posent de mesures en amont d’une érup­tion solaire. 

Ce paramètre est essen­tiel pour anticiper notam­ment l’extinction de satel­lites dont les appareils tech­nologiques pour­raient être endom­magés, coupant ain­si les accès au sys­tème GPS ou aux réseaux de communication. 

Ces prévi­sions ne seront pos­si­bles qu’à con­di­tion de dis­pos­er de suff­isam­ment de don­nées néces­si­tant l’envoi de nou­velles mis­sions, dans lesquelles la France est impliquée, afin de sur­veiller le Soleil sous dif­férents angles. 

Arti­cle paru sur le site de l’É­cole, repro­duit avec son aimable autorisation.
L’ar­ti­cle de Nature (payant)

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