Erik Decamp

Erik Decamp (72), ouvreur de voies

Dossier : TrajectoiresMagazine N°755 Mai 2020
Par Pierre LASZLO

Excel­lant tant dans le sport que dans la sci­ence : il rap­pelle ain­si Jean Boro­tra, Yves du Manoir, Alfred Sauvy, Jean-François Cler­voy, et quelques autres. Il est de ces X — un pas­sion­né réfléchi. Quels furent ses deux métiers ? Guide de haute mon­tagne et alpin­iste, avec des ascen­sions aux qua­tre coins de la planète, Ever­est com­pris. Son goût pour les maths le pous­sa dans la recherche en maths, après l’X. Sa soif de ­com­préhen­sion des choses de la vie s’exprima par un pas­sage, via l’IA, en direc­tion des sci­ences cog­ni­tives (cf. Neu­ro­cal­cul et réseaux d’automates, 1988, Le Seuil).

Mi-grimpeur, mi-ingénieur

Durant tout son par­cours, il tint à main­tenir cette activ­ité duelle. Comme il se plaît à le dire : « J’étais très ten­té de bas­culer com­plète­ment du côté de la mon­tagne […] il faut garder un pied dans chaque […] : c’était moitié, moitié. »

L’initiation au rocher, une pas­sion nais­sante aus­si, lui vin­rent à 18 ans, l’âge de son entrée à l’École. Il décou­vrit avec enivre­ment la joie de grimper, la sat­is­fac­tion de s’être offert une voie, à Fontainebleau deux ans durant et sur les falais­es de la Seine en Nor­mandie. Puis, il tes­ta sa voca­tion nais­sante d’alpiniste sur les grandes voies clas­siques de la val­lée de Cha­monix et plus large­ment des Alpes : « Du jour où je suis entré à l’X, j’ai com­mencé à grimper vrai­ment. […] J’ai passé aspi (aspi­rant-guide) au même moment où je sor­tais de l’X, deux ans et demi après avoir com­mencé à grimper. »

Le point com­mun à ses deux pas­sions ? « Le plaisir, et l’élégance de la démon­stra­tion. L’art de trou­ver une solu­tion aus­si aisée que pos­si­ble à un prob­lème (paroi, ascen­sion, pas­sage) dif­fi­cile fait de nous, ­alpin­istes, des paresseux para­dox­aux. » La for­ma­tion du grimpeur, son instinct, lui ouvrent la voie d’une solu­tion, du pas­sage à explor­er, avant de le men­er à bien.

“Les alpinistes sont des paresseux paradoxaux.”

Grimper et transmettre

Tout jeune guide, Erik Decamp devint pro­fesseur à l’École nationale de ski et d’alpinisme (Ensa) à Cha­monix, où il enseigna durant dix ans. Puis il reprit sa liber­té, devint guide de haute mon­tagne – tout en pour­suiv­ant son activ­ité d’ingénieur. Depuis 2000, il offre des con­férences et inter­ven­tions en entre­prise, à par­tir de son ­expéri­ence de la montagne.

Erik épousa en 1996 – ils ne sont plus ensem­ble – Cather­ine ­Des­tiv­elle, la pre­mière femme à avoir accom­pli en soli­taire ces clas­siques dans l’histoire de l’alpinisme que sont ces trois grandes faces nord : 1992 (mars), ascen­sion hiver­nale de l’Eiger en dix-sept heures ; 1993 (févri­er), éper­on Walk­er aux Grandes Jorass­es en trois jours ; 1994 (févri­er), voie Bon­at­ti du Cervin (pre­mière répéti­tion de la voie ouverte en 1965 par Wal­ter Bonatti).

Erik Decamp affec­tionne aus­si tant la pho­togra­phie que l’écriture, le bon­heur de l’expression, après le plaisir de la réflex­ion. Nous avons la chance de pou­voir lire nom­bre d’ouvrages de sa plume.

Quelques sommets

Mais revenons sur quelques grandes étapes de son par­cours, autant dire aus­si ses ascen­sions les plus remar­quables : 1980, Ganesh IV – Népal ; 1982, Pumori – Népal, pili­er sud, la pre­mière comme chef d’expédition ; 1987, Mustagh Ata – Chine, mon­tée à 7 400 mètres en peaux de phoque et redes­cente à skis ; 1987, Jan­nu – Népal, face nord ; 1990, Ever­est, voie népalaise ; 1993, Aconcagua – Argen­tine, face sud ; 1996, Antarc­tique, pre­mière ascen­sion du Pic sans nom, 4 160 m dans la chaîne Ellsworth, une face vierge de 1 700 m. Par­venus à ce som­met, Des­tiv­elle et Decamp eurent un acci­dent grave, elle chuta et fut vic­time d’une frac­ture ouverte au tib­ia droit : une con­damna­tion à mort. Mais l’un et l’autre sur­mon­tèrent ce désas­tre grâce à leur pro­fes­sion­nal­isme. Ils parv­in­rent à redescen­dre vivants.


Pour en savoir plus :

Majas­tre (J.-O.), Decamp (E.), Guides de haute mon­tagne, pho­togra­phies de Max Le Borgne, Greno­ble, Glé­nat, 1988, 189 pages.

Decamp (E.), « Entre héroïsme et hédon­isme : la mon­tagne au corps-à-corps », Revue de géo­gra­phie alpine, 1991, 79(4), 119–128 pages.

Bour­deau (P.), Decamp (E.), Majas­tre (J.-O.), Vizioz (O.), Le mont Aigu­ille et son dou­ble, Greno­ble, PUG. Col­lec­tion Empreinte du temps, 1992, 129 pages.

Decamp (E.), Alpin­isme et escalade, Claix, Didi­er-Richard, 1998. 

Decamp (E.), « Fron­tières, lieux com­muns et mon­tagnes ordinaires »,
Les Temps mod­ernes, 2009, 5(656), 189–196 pages.

Des­tiv­elle (C.) et Decamp (E.), Le petit alpin­iste, illus­tra­tions de Claire Robert, Cha­monix, Guérin, 2009, 112 pages. 

À paraître en avril 2020 aux édi­tions du Mont-Blanc : Le guide et le pro­cureur. Une réflex­ion sur la respon­s­abil­ité con­duite, expéri­men­tée et racon­tée en dia­logue avec un pro­cureur général.

Son site inter­net : http://www.orexios.net/newsite/fr


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