L'ENSAE à Palaiseau

Entretien avec Isabelle MÉJEAN, professeur associé d’économie à l’X

Dossier : TrajectoiresMagazine N°720 Décembre 2016
Par Isabelle MÉJEAN

Isabelle vient de recevoir le prix MALINVAUD (qui récom­pense le meilleur arti­cle sci­en­tifique d’é­conomie pub­lié par un jeune écon­o­miste). Elle explique que les chocs de type microé­conomique sont plus impor­tants que prévus dans les fluc­tu­a­tions du PIB. 

Vous venez de recevoir le prix Malinvaud. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Ce prix est pres­tigieux. Il y a la per­son­nal­ité de Mal­in­vaud, qui reste une fig­ure cen­trale dans le monde de l’économie, bien sûr dans le monde de la sta­tis­tique publique à l’INSEE et à l’ENSAE, mais aus­si ici à l’X.

“ Les chocs de type microéconomique expliquent 50 % des fluctuations du PIB ”

Il y a aus­si les lau­réats précé­dents de ce prix qui sont le plus sou­vent des chercheurs qui enseignent à Har­vard, au MIT, etc. C’est donc plutôt flat­teur de se voir recon­nue par­mi ces gens-là. 

Enfin, ce prix récom­pense non pas un chercheur en général, mais plus pré­cisé­ment un arti­cle de recherche. C’est donc aus­si une recon­nais­sance et une cau­tion apportées à mes recherch­es et aux thès­es que je défends. 

Plus précisément, de quoi s’agit-il ?

Je tra­vaille dans le domaine de la macroé­conomie appliquée (je suis du reste en cela bien dans la ligne des travaux de Mal­in­vaud). Dans mes travaux, j’utilise des don­nées sur les entre­pris­es français­es, en l’occurrence les don­nées de liasses fis­cales, pour com­pren­dre les dynamiques macroéconomiques. 

LE PRIX MALINVAUD

Le prix Edmond Malinvaud a été créé en 2010 par l’Association française de science économique pour récompenser le meilleur article scientifique d’économie publié par un jeune économiste de moins de 40 ans.
Ce prix est doté d’une récompense de 3 000 €. Il est remis par le président de l’AFSE lors du Congrès de l’association.

Je m’appuie forte­ment sur l’économétrie, ce qui me rap­proche à nou­veau de Mal­in­vaud. L’article primé cherche à établir dans quelle mesure les fluc­tu­a­tions du PIB français trou­vent leurs orig­ines dans des chocs microé­conomiques, spé­ci­fiques à cer­taines entreprises. 

En macroé­conomie, on explique générale­ment les cycles agrégés par des per­tur­ba­tions de type macroé­conomique, qui affectent l’ensemble du tis­su pro­duc­tif, par exem­ple un choc sur le prix du pét­role ou une mod­i­fi­ca­tion de la poli­tique monétaire. 

Cette approche est jus­ti­fiée par un argu­ment basé sur la loi des grands nom­bres : dans la mesure où l’économie d’un pays comme la France est con­sti­tuée de plusieurs mil­lions d’entreprises, les chocs affec­tant les entre­pris­es indi­vidu­elles devraient se com­penser et n’avoir qu’un impact nég­lige­able sur la crois­sance du PIB agrégé. 

Dans notre arti­cle, nous mon­trons que cet argu­ment est en par­tie invalidé par les don­nées. Nous esti­mons que les chocs de type microé­conomique expliquent env­i­ron 50 % des fluc­tu­a­tions du PIB agrégé, le reste étant lié à des per­tur­ba­tions sec­to­rielles ou agrégées. La rai­son pour laque­lle les chocs indi­vidu­els gar­dent une influ­ence non nég­lige­able au niveau agrégé est liée à la struc­ture même de l’économie française. 

En par­ti­c­uli­er, l’existence de très grandes entre­pris­es, dont l’impact sur la moyenne est sub­stantiel, et les liens entre entre­pris­es, qui facili­tent la trans­mis­sion des chocs microé­conomiques, con­tribuent à ampli­fi­er l’effet agrégé des chocs individuels. 

Un tel résul­tat a des con­séquences impor­tantes sur la manière dont on com­prend les fluc­tu­a­tions agrégées. Les mod­éli­sa­tions stan­dard, entière­ment basées sur des per­tur­ba­tions de type macroé­conomique, ne peu­vent espér­er expli­quer plus de 50 % de la volatil­ité agrégée. 

Com­pren­dre les évo­lu­tions cycliques néces­site aus­si de s’intéresser à ce qui se passe au niveau microé­conomique. La microé­conométrie appliquée aux don­nées indi­vidu­elles peut per­me­t­tre de com­pren­dre les évo­lu­tions agrégées. 

Quelle évolution des études économiques depuis Malinvaud et la génération d’après-guerre ?

Les écon­o­mistes aujourd’hui ont beau­coup plus recours aux don­nées et aux approches empiriques. La mode n’est plus aux théories abstraites d’apparence math­é­ma­tique (en fait, les math­é­ma­tiques util­isées dans ces théories étaient bien sou­vent très rudimentaires). 

Donc, pri­or­ité aux don­nées et aux approches expéri­men­tales : les mécan­ismes théoriques sont sys­té­ma­tique­ment testés au moyen de pro­to­coles expéri­men­taux jus­ti­fiés et reproductibles. 

Ce change­ment a beau­coup crédi­bil­isé la dis­ci­pline, en lui con­férant une vraie légitim­ité scientifique. 

Et ces études ont une actualité concrète dans la situation d’aujourd’hui ?

Oui. De tels résul­tats ont des con­séquences impor­tantes en ter­mes de con­duite de la poli­tique économique. La poli­tique indus­trielle, par exem­ple, ne peut plus se con­tenter d’orienter l’argent pub­lic vers cer­tains secteurs de l’économie.

“ Priorité aux données et aux approches expérimentales ”

Les aides ponctuelles doivent être dirigées vers des caté­gories d’entreprises qui « con­tribuent » à l’agrégé. Par exem­ple, le sou­tien aux con­struc­teurs d’automobiles lors de la crise de 2008–2009 a pu avoir des effets mul­ti­pli­ca­teurs en béné­fi­ciant au reste de la fil­ière auto­mo­bile et métallurgique. 

À l’inverse, encour­ager le développe­ment à long terme de PME peut per­me­t­tre de ren­dre l’économie moins « gran­u­laire », c’est-à-dire moins sen­si­ble aux chocs affec­tant ses cham­pi­ons nationaux. 

Et l’économie à l’X aujourd’hui ?

C’est une matière forte, avec un enseigne­ment oblig­a­toire en pre­mière année, et des options ouvertes en deux­ième et troisième années. Nous insis­tons beau­coup sur les approches empiriques plutôt que sur les théories. 

En deux­ième année, les élèves peu­vent choisir de réalis­er leur pro­jet sci­en­tifique col­lec­tif au sein du départe­ment d’économie. Par exem­ple, l’an dernier, un groupe de PSC a étudié le sys­tème de pric­ing pour une appli­ca­tion d’optimisation des recherch­es de places de park­ing dans Paris. 

Un autre a tra­vail­lé sur les règles de votes au sein du con­seil d’administration de l’École. De tels pro­jets mon­trent com­ment la mod­éli­sa­tion économique, com­binée à une approche économétrique, peut per­me­t­tre de résoudre des ques­tions com­plex­es concrètes. 

En ce qui con­cerne nos activ­ités de recherche, nous sommes en cours de rap­proche­ment avec l’ENSAE qui s’installe sur le plateau : nous avons déjà fusion­né nos lab­o­ra­toires pour créer une unité de recherche mixte CNRS sous la dou­ble tutelle X et ENSAE. 

Cette fusion doit nous per­me­t­tre d’atteindre la taille cri­tique néces­saire à une meilleure vis­i­bil­ité internationale. 


Nou­veau bâti­ment de l’ENSAE à Palaiseau.

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