Energie consommée et croissance économique

Énergie et croissance

Dossier : Dossier FFEMagazine N°725 Mai 2017
Par Julien DELEUZE (99)

ÉNERGIE ET CROISSANCE, UNE TAUTOLOGIE ?

De 1965 à 2015, soit sur les 50 dernières années, l’économie mon­di­ale (hors infla­tion) a crû en moyenne de 3,7 % par an. Sur la même péri­ode, l’énergie con­som­mée au niveau mon­di­al (en vol­ume) a crû de 2,6 % par an. En analysant d’une année sur l’autre sur les 50 dernières années la crois­sance économique mon­di­ale et la crois­sance de la con­som­ma­tion mon­di­ale d’énergie, leur cor­réla­tion appa­raît de façon explicite. 

Plus l’économie croît et plus la con­som­ma­tion d’énergie croît — avec un coef­fi­cient de cor­réla­tion qui dimin­ue au cours du temps, c’est-à-dire un ren­de­ment de l’énergie qui aug­mente, grâce aux pro­grès tech­nologiques (cf. tableau 1). 

Il n’y a pas d’activité humaine qui ne soit pas con­som­ma­trice d’énergie, directe­ment ou indi­recte­ment. Il faut du pét­role pour pro­duire le car­bu­rant néces­saire aux trans­ports ou à l’agriculture, du gaz pour le chauffage domes­tique et indus­triel, du gaz et du pét­role pour les pro­duits man­u­fac­turés, du char­bon pour pro­duire de l’acier et du ciment, et de l’électricité pour ali­menter les trans­ports fer­rovi­aires et urbains, et per­me­t­tre les usages domestiques. 

Même les métiers de ser­vices liés à la dig­i­tal­i­sa­tion n’échappent pas à la con­som­ma­tion d’énergie. Le développe­ment d’Amazon par exem­ple, même s’il s’agit d’e‑commerce, est large­ment adossé à un réseau de dis­tri­b­u­tion physique con­som­ma­teur de car­bu­rant d’une part, et à l’industrie « physique » du numérique d’autre part (ordi­na­teurs, smart­phones, serveurs, câbles et fibres optiques…) qui elle aus­si est con­som­ma­trice d’énergie.

Pour Ama­zon, l’ensemble de ces deux élé­ments représente au niveau mon­di­al une con­som­ma­tion d’énergie cor­re­spon­dant à la pro­duc­tion annuelle de 1 à 2 cen­trales nucléaires en ordre de grandeur. 


1 — Energie con­som­mée et crois­sance économique cor­rélées. Monde – 1966–2015

DES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES PRINCIPALEMENT FOSSILES, ET DONC FINIES

L’essentiel des ressources énergé­tiques mon­di­ales est d’origine fos­sile : le pét­role, le gaz, le char­bon. Ces trois ressources représen­tent à elles seules env­i­ron 80 % de l’énergie con­som­mée au niveau mon­di­al. Leur exis­tence étant le résul­tat d’un proces­sus géologique qui dure plusieurs mil­lions d’années, leur quan­tité peut donc être con­sid­érée comme ayant une lim­ite don­née. Et ceci, que la total­ité des gise­ments exis­tants soient con­nus et acces­si­bles à ce jour ou non. 

Dans le cas du pét­role (30 % de la con­som­ma­tion d’énergie totale), l’activité d’exploration, sig­ni­fica­tive depuis le début du vingtième siè­cle, a con­nu un max­i­mum de décou­verte de gise­ments au milieu des années 1960. Depuis, les décou­vertes de gise­ments « d’or noir » sont dans une ten­dance de décroissance. 

La décou­verte de pét­role ayant con­nu un max­i­mum, il est cer­tain que la pro­duc­tion de pét­role con­naî­tra égale­ment un max­i­mum. Il en est de même pour le gaz et le char­bon, et par con­séquent pour l’énergie disponible dans son ensem­ble. La seule ques­tion clé est « quand ? » (cf tableau 2). 

Quand l’énergie disponible atteindra-t-elle son maximum ?
2 — Quand l’énergie disponible attein­dra-t-elle son maximum ?
Con­som­ma­tion d’énergie pri­maire Monde — Mil­lions de tonnes équiv­a­lent pét­role – 1965–2015

UN RISQUE POUR LA CROISSANCE MONDIALE HORS INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES

Si crois­sance et énergie sont cor­rélées, et si l’énergie disponible doit pass­er pas un max­i­mum (c’est-à-dire par un ralen­tisse­ment de sa crois­sance, puis par une décrois­sance), alors il y a un risque que la crois­sance économique mon­di­ale ne soit sous une con­trainte de plus en plus dure à l’avenir. Ce raison­nement n’est cepen­dant val­able qu’à tech­nolo­gie constante. 

Il reste per­mis d’espérer que les inno­va­tions tech­nologiques puis­sent desser­rer un peu la con­trainte énergé­tique. C’est-à-dire dévelop­per de nou­velles sources d’énergie (comme les moteurs à hydrogène par exem­ple) et/ou aug­menter la pro­duc­tiv­ité des moteurs exis­tants des voitures, camions, avions et engins agri­coles, le ren­de­ment des cen­trales élec­triques et des bat­ter­ies d’ordinateurs, smart­phones et voitures élec­triques, l’efficacité énergé­tique des bâti­ments, etc. pour génér­er à par­tir d’une même quan­tité d’énergie, plus de crois­sance économique. 

UNE POLARISATION ACCRUE DES SOURCES DE CROISSANCE

Dans un monde économique sous con­trainte énergé­tique crois­sante, il est prob­a­ble que les leviers de crois­sance se polarisent de plus en plus. En ter­mes de géo­gra­phies, le car­ac­tère cri­tique de l’accès aux ressources énergé­tiques devrait se renforcer. 

Les pays béné­fi­ci­aires seront ceux qui en dis­posent sur leur ter­ri­toire (ex. : un nom­bre lim­ité de pays en Amérique du Nord1, Amérique du Sud2, et au Moyen-Ori­ent3, la Russie, la Chine et l’Inde4…), ceux qui ont les moyens de se les pro­cur­er (ex. : la Chine), ou ceux qui ont les tech­nolo­gies pour réduire par­tielle­ment leur dépen­dance (ex : la France, le Roy­aume-Uni, la Chine avec le nucléaire). 

Au-delà de la ques­tion de l’accès aux ressources (c’est-à-dire de l’offre énergé­tique), l’efficacité de leur util­i­sa­tion (c’est-à-dire de la demande énergé­tique) est égale­ment cri­tique. C’est tout l’enjeu réel de « l’efficacité énergé­tique », ou plus large­ment de l’évolution sig­ni­fica­tive des usages vers des modes de con­som­ma­tion plus économes en énergie. 

Ain­si, en ter­mes de métiers, sans doute faut-il s’attendre au développe­ment des métiers économes en énergie, à con­di­tion qu’ils soient dans le même temps com­péti­tifs (en offre, en prix, ou en coût). Ceci con­cerne l’ensemble des métiers et indus­tries exis­tantes, par exemple : 

  • L’agriculture et l’alimentation (cul­tures végé­tales plutôt qu’élevage bovin). D’ailleurs, Bill Gates n’a‑t-il pas investi dans Impos­si­ble Foods, une start-up cal­i­forni­enne qui développe des recettes de ham­burg­ers à par­tir de pro­téines végétales ? ; 
  • La con­struc­tion et le loge­ment (davan­tage d’isolation ther­mique, davan­tage de con­struc­tion en bois lorsque c’est possible…) ; 
  • Le chauffage (bois lorsque c’est pos­si­ble), l’éclairage (ampoules basse ten­sion), l’électroménager économe en énergie (cf. les éti­que­tages d’efficacité énergétique) ; 
  • Les fil­ières de répa­ra­tion, réu­til­i­sa­tion et recy­clage des matières et équipements (vête­ments, tex­tiles, plas­tiques, verre, équipements domestiques…) ; 
  • Les trans­ports (des véhicules hybrides et élec­triques de petite taille, y com­pris des deux-roues, plutôt que des 4x4 à essence – à con­di­tion de pro­duire les bat­ter­ies avec des sources d’énergie non car­bonées), le fret (fer­rovi­aire plutôt que routi­er), le tourisme (des des­ti­na­tions moins lointaines…). 

Evolution des énergies consommées au fil du temps

3 — Le bois et l’hydraulique représen­tent l’essentiel des éner­gies renou­ve­lables, par oppo­si­tion à l’éolien et au solaire, aujourd’hui et à long terme
Scé­nar­ios d’évolution de la demande d’énergie pri­maire – 2014–2040 Monde
Agence Inter­na­tionale de l’Energie – World Ener­gy Out­look 2016

CERTAINS PIÈGES À ÉVITER DANS LES ACTIVITÉS « DURABLES »

Dans cette recherche de métiers économes en énergie, plus résilients à long terme face à la con­trainte énergé­tique, il y a des pièges à éviter. 

Atten­tion aux activ­ités rapi­de­ment qual­i­fiées de « durables », et sou­vent instru­men­tal­isées à des fins politiques. 

Par exem­ple : les « éner­gies renou­ve­lables ». Leur intérêt est tout à fait per­ti­nent pour économiser des éner­gies fos­siles qui se raré­fient et qui émet­tent du CO2. Elles doivent sans doute se dévelop­per encore à l’échelle mon­di­ale. Cepen­dant, les prob­lé­ma­tiques qui leur sont liées sont sou­vent mal posées dans le débat pub­lic français : 

  • On réduit l’enjeu énergé­tique à la ques­tion du mix élec­trique, alors que l’électricité ne représente qu’une part mod­érée de l’énergie finale con­som­mée mon­di­ale­ment (env­i­ron 20 %) ; 
  • On réduit les « éner­gies renou­ve­lables » à l’éolien et au pho­to­voltaïque (< 2 % de l’énergie mon­di­ale), alors que les pre­mières éner­gies renou­ve­lables sont — et pour longtemps — le bois et l’hydraulique (13 % à 20 %) ; 
  • On oppose écolo­gie et nucléaire, alors que dans les scé­nar­ios les plus ambitieux de lim­i­ta­tion des émis­sions de CO2, le nucléaire joue un rôle clé au niveau mondial ; 
  • On oublie de soulign­er que le gaz est aus­si clé pour aider à boucler l’équation du besoin en énergie et de la réduc­tion de l’usage du pét­role (subie) et du char­bon (souhaitée — sauf si les tech­nolo­gies de cap­ture de CO2 se dévelop­pent) : entre 20 % et 25 % de l’énergie mon­di­ale à long terme (cf. tableau 3). 

QUI A LES MOYENS DE DÉCIDER ?

Quels sont les acteurs indus­triels ou publics qui ont les moyens de décider et d’investir pour accom­pa­g­n­er l’évolution de l’offre et de la demande énergé­tique décrite ci-dessus : 

EN BREF

Estin & Co est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres, Zurich, New York et Shanghai.
Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens, nord-américains et asiatiques dans leurs stratégies de croissance, ainsi que les fonds de private equity dans l’analyse et la valorisation de leurs investissements.
  • Les élec­triciens ? : leurs marges de manœu­vre finan­cières sont réduites compte tenu des enjeux de réin­vestisse­ment dans les infra­struc­tures et des prix bas (tar­ifs régle­men­tés main­tenus bas pour des raisons poli­tiques et prix de marché bas en rai­son du développe­ment de moyens de pro­duc­tion subventionnés) ; 
  • Les pétroliers ? : leur capac­ité d’autofinancement est prin­ci­pale­ment mobil­isée pour la défense du cœur de méti­er (enjeux d’investissement en exploration/production pour main­tenir l’activité) ;
  • Les gaziers ? : le poten­tiel est sig­ni­fi­catif, mais unique­ment pour ceux qui ont un accès direct aux gise­ments de gaz (Russie, Qatar, Iran, USA…) ; 
  • Les États ? : leurs marges de manœu­vre finan­cières sont faibles en Europe (à l’exception de l’Allemagne) ; seuls les grands pays émer­gents (prin­ci­pale­ment la Chine) ont des moyens significatifs ; 
  • Les inno­va­teurs tech­nologiques ? : leur poten­tiel est sig­ni­fi­catif, par exem­ple à l’image de Tes­la (bat­ter­ies et voitures élec­triques) dont la cap­i­tal­i­sa­tion bour­sière (52 Md$) sur­passe désor­mais celle de Gen­er­al Motors. 

Les prin­ci­paux acteurs qui sem­blent en mesure de chang­er la donne sont finale­ment les États qui dis­posent de ressources finan­cières impor­tantes (comme la Chine) et les acteurs indus­triels pou­vant innover avec suc­cès à grande échelle (comme Tesla). 

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1. USA, Canada.
2. Venezuela, Brésil.
3. Ara­bie Saou­dite, Qatar, Iran, Irak, Koweït, EAU.
4. Char­bon uniquement.

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