Plateau d'affaires en or

Énergie et croissance

Dossier : Dossier FFEMagazine N°730 Décembre 2017
Par Julien DELEUZE (99)

ÉNERGIE ET CROISSANCE, UNE TAUTOLOGIE ?

Sur les 50 dernières années, l’économie mon­di­ale (hors infla­tion) a crû en moyenne à 3,7 % par an. Sur la même péri­ode, l’énergie con­som­mée au niveau mon­di­al (en vol­ume) a crû de 2,6 % par an. Plus l’économie croît et plus la con­som­ma­tion d’énergie croît — même si le coef­fi­cient de cor­réla­tion dimin­ue au cours du temps, grâce aux pro­grès technologiques. 

Il n’y a pas d’activité humaine sans con­som­ma­tion d’énergie. Il faut du pét­role pour le car­bu­rant néces­saire aux trans­ports ou à l’agriculture, du gaz pour le chauffage domes­tique et indus­triel, du gaz et du pét­role pour les pro­duits man­u­fac­turés, du char­bon pour l’acier, et de l’électricité pour les trans­ports fer­rovi­aires et urbains, les usages domes­tiques, et les indus­tries électro-intensives. 

Même les métiers de ser­vices liés à la dig­i­tal­i­sa­tion n’y échap­pent pas. Le développe­ment d’Amazon dans l’e‑commerce par exem­ple est adossé à un réseau de dis­tri­b­u­tion physique con­som­ma­teur de car­bu­rant, et à l’industrie « physique » du numérique (ordi­na­teurs, smart­phones, serveurs) qui est elle aus­si con­som­ma­trice d’énergie.

Pour Ama­zon, l’ensemble de ces deux élé­ments représente une con­som­ma­tion d’énergie cor­re­spon­dant à la pro­duc­tion annuelle de 1 à 2 cen­trales nucléaires. 

DES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES, PRINCIPALEMENT FOSSILES, ET DONC FINIES

L’essentiel des ressources énergé­tiques mon­di­ales est d’origine fos­sile : pét­role, gaz, char­bon. Ces trois ressources représen­tent plus de 75 % de l’énergie con­som­mée. Cela restera le cas pour les dix prochaines années, quels que soient les scé­nar­ios et les volon­tés de faire évoluer les mix énergétiques. 

Leur exis­tence étant le résul­tat d’un proces­sus géologique de plusieurs mil­lions d’années, leur quan­tité sur la planète est donc lim­itée sur l’horizon de temps d’une civil­i­sa­tion humaine. 

L’exploration pétrolière a con­nu un max­i­mum de décou­vertes au milieu des années 1960. Depuis, les décou­vertes décrois­sent. Par suite, l’extraction de pét­role con­naî­tra égale­ment un max­i­mum, dans un futur plus ou moins proche. Il en est de même pour le gaz et le char­bon à terme, et donc pour l’énergie fos­sile au total. La seule ques­tion est « quand ? ». 

Alors qu’aujourd’hui la pro­duc­tion de pét­role sem­ble excé­den­taire et les prix sont bas, une chose est cer­taine à court ou moyen terme : les prix remon­teront si l’économie mon­di­ale pour­suit sa croissance. 

UN RISQUE POUR LA CROISSANCE MONDIALE – HORS INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES

Crois­sance et énergie étant cor­rélées, et l’énergie fos­sile disponible devant pass­er par un max­i­mum, il y a un risque que la crois­sance économique mon­di­ale ne soit sous con­trainte crois­sante — à tech­nolo­gies et sources d’énergies con­stantes. Il est cepen­dant pos­si­ble que les inno­va­tions tech­nologiques puis­sent desser­rer cette contrainte. 

En effet, le développe­ment de nou­velles sources d’énergie (hydrogène, fusion) et l’augmentation de la pro­duc­tiv­ité des moteurs, du ren­de­ment des cen­trales élec­triques et des bat­ter­ies, de l’efficacité énergé­tique des bâti­ments, peu­vent per­me­t­tre de génér­er plus de crois­sance économique à par­tir d’une même quan­tité d’énergie.

UNE POLARISATION ACCRUE DES SOURCES DE CROISSANCE

Dans un monde économique sous con­trainte énergé­tique crois­sante (au moins dans les 20 ans à venir), les leviers de crois­sance se polarisent de plus en plus. 

En ter­mes de géo­gra­phies, la crit­ic­ité de l’accès aux ressources énergé­tiques va se ren­forcer. Les pays béné­fi­ci­aires seront ceux qui en dis­posent (Amérique du Nord1 et du Sud2, Moyen-Ori­ent3, Russie, Chine4, Inde4), ou ont les moyens d’en acheter (Chine), ou ont des tech­nolo­gies alter­na­tives sig­ni­fica­tives (France, Roy­aume-Uni et Chine avec le nucléaire). 

“ DANS LE DÉBAT PUBLIC, ON OPPOSE SOUVENT ÉCOLOGIE ET NUCLÉAIRE, ALORS QUE DANS LES SCÉNARIOS DE L’AGENCE INTERNATIONALE DE L’ÉNERGIE LES PLUS AMBITIEUX EN TERMES DE MAÎTRISE DES ÉMISSIONS DE CO2 ET DE DÉVELOPPEMENT DES ENR, LE NUCLÉAIRE JOUE UN RÔLE CLÉ AU NIVEAU MONDIAL. ”


En ter­mes de métiers, les métiers économes en énergie vont se dévelop­per, à con­di­tion qu’ils soient com­péti­tifs (en offre, prix et coût), avec par exemple : 

  • L’agriculture : cul­tures végé­tales plutôt qu’élevage bovin 
  • La con­struc­tion et le loge­ment : iso­la­tion ther­mique, fil­ière bois 
  • Le chauffage (bois), l’éclairage (LED), l’électroménager économe en énergie 
  • Les fil­ières de répa­ra­tion, réu­til­i­sa­tion et recy­clage des matières (tex­tiles, plas­tiques, verre, car­ton) et des équipements 
  • Les trans­ports (véhicules hybrides et élec­triques) à con­di­tion de pro­duire les bat­ter­ies avec des sources d’énergie non car­bonées, le fret (fer­rovi­aire plutôt que routi­er à essence), le tourisme (des­ti­na­tions moins lointaines). 

CERTAINS PIÈGES À ÉVITER DANS LES ACTIVITÉS « DURABLES »

Il y a cer­tains pièges à éviter. Les activ­ités dites « durables », sou­vent instru­men­tal­isées, en sont un exem­ple, et notam­ment les « éner­gies renou­ve­lables ». Leur intérêt est clair lorsqu’il s’agit d’économiser des éner­gies fos­siles qui se raré­fient et qui émet­tent du CO2.

  • On réduit l’enjeu énergé­tique au mix élec­trique, alors que l’électricité ne représente qu’une part mod­érée de l’énergie finale con­som­mée mon­di­ale­ment (env­i­ron 20 %) 
  • On réduit les « éner­gies renou­ve­lables » à l’éolien et au pho­to­voltaïque (< 2 % de l’énergie mon­di­ale), alors que les pre­mières éner­gies renou­ve­lables sont durable­ment le bois et l’hydraulique (13 % à 20 % de l’énergie mondiale) 
  • On oppose écolo­gie et nucléaire, alors que dans les scé­nar­ios les plus ambitieux en ter­mes de maîtrise du CO2 et de développe­ment des EnR, le nucléaire joue un rôle clé au niveau mondial 
  • On oublie que le gaz est cri­tique pour boucler l’équation du besoin en énergie et la réduc­tion de l’usage du pét­role (subie) et du char­bon (souhaitée) : 20 à 25 % de l’énergie mondiale. 

QUI A LES MOYENS DE CHOISIR ?

Quels sont les acteurs indus­triels ou publics qui ont les moyens de décider et d’investir pour accom­pa­g­n­er ou influer sur l’évolution de l’offre et de la demande énergé­tique décrite ci-dessus : 

  • Les élec­triciens ? Leurs moyens financiers sont réduits compte tenu des enjeux de réin­vestisse­ment dans les infra­struc­tures et des prix bas (tar­ifs régle­men­tés bas et prix de marché bas en rai­son des moyens de pro­duc­tion subventionnés) 
  • Les pétroliers ? Leur capac­ité d’autofinancement est mobil­isée pour la défense du coeur de méti­er (investisse­ment en exploration/production)
  • Les gaziers ? Leur poten­tiel est sig­ni­fi­catif, à con­di­tion d’avoir des accès directs aux gise­ments (Russie, Qatar, Iran, USA…) 
  • Les États ? Leurs moyens financiers sont faibles en Europe (sauf en Alle­magne) ; les pays européens qui ont pu décider de men­er des straté­gies de rup­ture énergé­tique dans les années 1970 n’en ont plus les moyens ; seuls les grands pays émer­gents (prin­ci­pale­ment la Chine) ont des moyens significatifs 
  • Les inno­va­teurs tech­nologiques ? Leur poten­tiel est aujourd’hui sig­ni­fi­catif, à l’image de Tes­la dont la cap­i­tal­i­sa­tion bour­sière (54 Md $) est désor­mais proche de celle de Gen­er­al Motors, mais pour com­bi­en de temps ? 

QUE FAIRE ?

Les leviers de crois­sance rentable vont se polaris­er entre géo­gra­phies (dis­posant de ressources énergé­tiques) et métiers (facil­i­tant les usages économes en énergie). 

Les options d’investissements doivent être arbi­trées de façon plus forte à cet égard, avec des posi­tions tranchées, par exemple : 

  • Renon­cer à inve­stir dans les métiers sub­ven­tion­nés à long terme (non soutenables) 
  • Inve­stir dans les fil­ières économes : moins d’élevage bovin, plus d’urbanisme en zone dense (plutôt que des maisons indi­vidu­elles), plus de cir­cuits courts, plus de recyclage 
  • Anticiper une remon­tée des prix du pét­role et un dépasse­ment du plus haut his­torique de 140 $ le bar­il (juin 2008), mais à quel horizon ? 
  • Miser à court-moyen terme sur le gaz (notam­ment liqué­fié) comme alter­na­tive face à la diminu­tion du char­bon (souhaitée) et du pét­role (subie)
  • Inve­stir dans la recherche de nou­velles sources d’énergie promet­teuses (fusion, moteur à hydrogène) et les solu­tions de stock­age (bat­ter­ies, barrages) 
  • Ne pas enter­rer le nucléaire, qui pour­rait dou­bler à terme au niveau mon­di­al, soit 6 parcs de pro­duc­tion français de plus dans le monde d’ici à 2040. 

EN BREF

Estin & Co est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres, Zurich, New York et Shanghai. Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens, nord-américains et asiatiques dans leurs stratégies de croissance, ainsi que les fonds de private equity dans l’analyse et la valorisation de leurs investissements.

Des choix dif­fi­ciles compte tenu de l’ampleur des risques, des mon­tants et de la durée des investisse­ments, mais qui peu­vent être en par­tie rationalisés. 

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1. USA, Canada
2. Venezuela, Brésil
3. Ara­bie Saou­dite, Qatar, Iran, Irak, Koweït, Émi­rats Arabes Unis
4. Char­bon uniquement

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