Emmanuel Hublot (30), 1911–2003

Dossier : ExpressionsMagazine N°587 Septembre 2003Par : Serge PETKOVSEK (35), général de division (2s)

Le 1er févri­er 2003 dis­parais­sait le général d’ar­mée Emmanuel Hublot, grand offici­er de la Légion d’hon­neur, ancien con­seiller d’État.

Il était né à Ver­dun où son père (X 1895), offici­er du génie, était affec­té. Après des études à Paris, il est reçu à l’É­cole poly­tech­nique en 1930 et en sort 12ème, ce qui lui ouvrait l’ac­cès à la plu­part des grands corps : il choisit le génie. “Il serait trop facile de dire qu’il voulait faire la car­rière que son père, pré­maturé­ment dis­paru, aurait pu faire” a dit son gen­dre Dominique Cyrot (57) lors de ses obsèques. “Plus fon­da­men­tale­ment, il esti­mait que l’ar­mée est et doit être l’é­ma­na­tion de la Nation, au ser­vice de la Nation, et c’est dans cette voie qu’il choisit de servir.”

Emmanuel Hublot (30)En 1937, après une affec­ta­tion au 2e rég­i­ment du génie à Metz, il rejoint l’É­cole mil­i­taire et d’ap­pli­ca­tion du génie à Ver­sailles, qu’il a quit­tée trois ans plus tôt. Cette fois-ci, c’est pour être le chef et l’in­struc­teur d’une brigade com­prenant vingt poly­tech­ni­ciens, qu’il va beau­coup mar­quer. Il sera pour eux le chef et l’in­struc­teur qu’on ne dis­cute pas : son aisance et son autorité naturelle s’im­posent, et sans être fam­i­li­er, il est proche de ses sta­giaires. Son enseigne­ment, tou­jours con­fron­té au con­cret, témoigne d’une expéri­ence déjà éten­due et bien assim­ilée qu’il présente d’une façon d’au­tant plus vivante qu’il man­i­feste une grande lib­erté d’e­sprit, notam­ment par des remar­ques orig­i­nales ou inat­ten­dues qui inci­tent à la réflexion.

En 1939, il prend le com­man­de­ment d’une des com­pag­nies du génie organique du 21e corps d’ar­mée qui, après un hiv­er sur le front de Lor­raine, va com­bat­tre sans relâche jusqu’à l’armistice, des Ardennes au sud de la Lor­raine. À la veille de l’armistice, alors que les restes du corps d’ar­mée s’ef­for­cent une dernière fois d’échap­per à l’étreinte de l’en­ne­mi au sud de Vézelize, il est fait pris­on­nier au cours d’une embus­cade, alors qu’il effec­tu­ait une mis­sion en pleine nuit le 15 juin 1940.

On imag­ine ce qu’il put ressen­tir au cours d’une longue cap­tiv­ité, coupée de trois ten­ta­tives d’é­va­sion infructueuses. Quand il réus­sira enfin à s’échap­per au début de 1945 lorsque son camp est évac­ué en rai­son de l’ap­proche des Russ­es, ce sera pour tomber suc­ces­sive­ment sur les Alle­mands, puis des Russ­es qui met­tront sa vie en péril.

De retour en France, il est impa­tient d’a­gir et ne tarde pas à faire acte de volon­tari­at pour l’In­do­chine. Au début de 1947, on le retrou­ve directeur du ser­vice du génie à Tourane, effec­tu­ant des travaux routiers impor­tants sur la route qui relie le Cen­tre-Annam au Tonkin. C’est ain­si que “… le 24 jan­vi­er 1949, au cours d’une vio­lente attaque menée par les rebelles sur la route et la voie fer­rée au col des Nuages (Cen­tre-Annam), il a pris dès les pre­miers instants la direc­tion de la défense, le com­man­dant du secteur ayant été mis hors de com­bat” (extrait d’une cita­tion à l’or­dre de l’ar­mée). Il ter­mine son séjour comme com­man­dant du secteur de Quang-Nam, dans des con­di­tions qui lui valent une autre cita­tion pour son action “tant en poli­tique indigène que dans le com­man­de­ment de ses troupes à qui il laisse d’u­nanimes regrets.”

Au cours des trois années suiv­antes, on le trou­ve sta­giaire à l’É­cole supérieure de guerre, puis au 3e bureau opéra­tions de l’é­tat-major de l’ar­mée, mem­bre de la délé­ga­tion française au Groupe per­ma­nent du Pacte atlan­tique (NATO Stand­ing Group) à Wash­ing­ton, et com­man­dant en sec­ond de l’É­cole poly­tech­nique de 1957 à 1959. Les sou­venirs que con­ser­vent de lui les élèves des pro­mo­tions présentes à l’É­cole à cette époque rap­pel­lent beau­coup ceux des sta­giaires de l’É­cole du génie de 1937 à 1939.

C’est main­tenant l’Al­gérie qui l’at­tend. De 1959 à 1961, il com­mande le secteur de Duper­ré. Lorsqu’il le quitte, il est crédité d’avoir notam­ment “redonné con­fi­ance à quelque cent mille habi­tants dont il avait la charge” (extrait d’une cita­tion à l’or­dre de l’ar­mée). Pro­mu général de brigade, il est bien­tôt nom­mé chef d’é­tat-major du com­man­dant en chef en Algérie, mais c’est au lende­main du “putsch” des généraux, et donc dans des con­di­tions par­ti­c­ulière­ment dif­fi­ciles qu’il occupe ce nou­veau poste.

De sur­croît, la relève du com­man­dant en chef est en cours, ce qui n’arrange rien. Le nou­veau com­man­dant en chef, le général Ailleret, évoque longue­ment cette phase de la guerre en Algérie dans son livre inti­t­ulé Général du con­tin­gent, et c’est pour ren­dre un hom­mage chaleureux à celui qui fut pour lui, écrit-il, “un col­lab­o­ra­teur ines­timable et que j’ai depuis con­sid­éré comme l’un des meilleurs lead­ers de sa généra­tion mil­i­taire.” Lorsque, dans la suite de son réc­it, il par­le à nou­veau de son chef d’é­tat-major, c’est pour le qual­i­fi­er de “col­lab­o­ra­teur sûr, émi­nent et appré­cié” ou “d’homme aus­si avisé que calme, pondéré et courageux”.

Sa réus­site à Alger ne pou­vait que le met­tre en vedette, et les postes de choix se suc­cè­dent : sous-chef d’é­tat-major des armées, com­man­dant la 3e divi­sion (Fri­bourg), com­man­dant le 1er corps d’ar­mée (Nan­cy), et enfin com­man­dant la 1re armée qui vient d’être créée à Stras­bourg et qui regroupe l’essen­tiel de nos “forces de manœu­vre” de l’époque.

Il atteint la lim­ite d’âge le 13 févri­er 1972. Il va être nom­mé peu après con­seiller d’É­tat en ser­vice extra­or­di­naire, fonc­tion à laque­lle il se con­sacr­era avec sa con­science habituelle.

Il sera aus­si prési­dent de l’AR­CO, une asso­ci­a­tion créée pour aider au reclasse­ment des mil­i­taires de car­rière. Il se livre en out­re à divers­es études d’his­toire, qui don­neront lieu à des notices his­toriques, et surtout à un ouvrage qu’il a longue­ment médité sur la bataille de Valmy1. Ce livre recevra le prix Vauban.

Si la guerre 1939–1945 avait com­mencé pour lui par une péri­ode où il avait pu man­i­fester sa valeur au point de mérit­er deux cita­tions en quelques semaines, le sort de la guerre l’avait main­tenu, quoiqu’il fasse, absent des com­bats de la Libéra­tion au cours desquels nom­bre d’autres se sont illus­trés. Mal­gré ce hand­i­cap, les faits l’ont mis en évi­dence d’une façon qui ne devait à rien d’autre que ses qual­ités de sol­dat et de chef.

C’é­tait un homme aux goûts sim­ples, plutôt réservé, mais cour­tois et de com­pag­nie agréable, ne par­lant jamais de lui-même et ne jugeant pas les autres. Entière­ment dévoué à la fois à sa mis­sion et aux siens, il était étranger à tout ce qui est intrigues ou cabales, et était par­faite­ment loy­al en toutes circonstances.

Sur la fin de sa vie, il a lais­sé à sa famille un écrit dont quelques pas­sages ont été lus à ses obsèques. Par­lant de ceux qu’il a aimés, il men­tionne, à la suite de ses plus proches “… le plus grand nom­bre de ceux dont j’ai partagé la vie de sol­dats et de ceux dont j’ai eu la respon­s­abil­ité.” Ses com­pagnons et ses sub­or­don­nés l’avaient, sem­ble-t-il, bien compris.

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1.
Valmy, ou la défense de la Nation par les armes.

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