Marcel Fétizon (47)

Marcel FETIZON (47), un chimiste extraordinaire

Dossier : TrajectoiresMagazine N°712 Février 2016Par : Nguyen Trong Anh (57), ancien professeur de chimie à l’École polytechnique

Mar­cel Féti­zon (47) est une des grandes fig­ures de la chimie organique de l’après-guerre en France, matière qu’il a con­tribué à renou­vel­er en pro­fondeur. Il a lais­sé des sou­venirs extra­or­di­naires à tous ceux qui l’ont côtoyé à l’École polytechnique.

Trois dis­tin­gués chimistes ont récem­ment dis­paru : Emmanuel Gri­son (37), un fin his­to­rien de la chimie dont le cours de l’X était absol­u­ment remar­quable ; Georges Guio­chon (51), mon­di­ale­ment con­nu pour ses travaux en chro­matogra­phie, et Mar­cel Féti­zon (1926–2015), l’un des pro­fesseurs qui avaient, dans les années 1950- 1960, mod­ernisé la chimie organique française.

“ Il aimait citer Montaigne et Hérodote ”

Cette dernière avait alors si mau­vaise répu­ta­tion qu’un jeune Alle­mand, Heinz G. Viehe, avait fail­li se voir refuser un stage à Har­vard parce qu’il avait passé un an en France après sa thèse.

Trois aviateurs américains

Sous l’Occupation, Féti­zon avait une nuit ramené trois avi­a­teurs améri­cains chez son père résis­tant. Après le cer­ti­fi­cat d’études pri­maires, il étu­dia à la mai­son avec un prêtre. De retour dans le cir­cuit nor­mal, il fit sa six­ième, sa cinquième et sa qua­trième en un an.

Il entra à l’X en 1947 et y revint comme maître de con­férences (1956) puis comme pro­fesseur (1970).

Il enseigna aus­si à Orsay (maître de con­férences en 1963, pro­fesseur en 1967) où son cours sur la déter­mi­na­tion de struc­tures par spec­tro­scopies avait aidé beau­coup d’organiciens.

Le réactif de Fétizon

Ses travaux sont assez var­iés. Men­tion­nons-en seule­ment deux dans des domaines très différents.

UN SOUVENIR MARQUANT

En 1966, alors que je peinais à finir ma thèse et risquais des ennuis avec le CNRS, Marcel Fétizon m’a permis de prendre un long congé pour étudier une série d’articles que Robert Burns Woodward et Roald Hoffmann venaient de publier (« Il est bien plus important de comprendre ces articles que de finir votre thèse »).
Je n’ai pas eu d’ennuis avec le CNRS, mon patron m’ayant bien défendu, et les règles de Woodward-Hoffmann m’ont valu d’être élu maître de conférences à Orsay peu après.
Je dois ma carrière à la hauteur de vue de mon mentor.

Le réac­t­if de Féti­zon (car­bon­ate d’argent sur terre de diatomées) est un oxy­dant en milieu neu­tre, doux et sélec­tif, trois qual­ités bien utiles en synthèse.

Il oxyde un alcool pri­maire en aldéhyde sans le con­ver­tir en acide. Sur des com­posés poly­fonc­tion­nels, il per­met des trans­for­ma­tions mesurées (un pro­duit ayant deux fonc­tions alcools équiv­a­lents peut être au choix oxy­dé sur l’un des sites ou sur les deux) ou com­pliquées à réalis­er autrement (syn­thèse des lac­tones à 7 chaînons).

Étant fixé sur un sup­port solide, il est élim­iné à la fin par sim­ple filtration.

Spectrométrie de masse

Dans les années 1960, la spec­trométrie de masse com­mença à être util­isée pour la déter­mi­na­tion des structures.

Bom­bardée par des élec­trons de forte énergie, une molécule se casse et le prob­lème con­siste à recon­stituer le puz­zle à par­tir des morceaux. Cepen­dant, aucune théorie rigoureuse ne per­me­t­tait – et ne per­met – de prévoir les frag­men­ta­tions et il fal­lait trou­ver des cor­réla­tions semi-empiriques.

En col­lab­o­ra­tion avec Hen­ri Audi­er, Féti­zon déter­mi­na les règles de frag­men­ta­tion pour plusieurs familles de com­posés. Il eut aus­si l’idée de trans­former cer­tains com­posés (par exem­ple des alcènes) dont les spec­tres sont par­fois com­plex­es en des dérivés (alcools, amines) aux spec­tres plus sim­ples à interpréter.

Une culture encyclopédique

Il avait une vaste cul­ture, prê­ta un jour à Samir Zard un livre sur le code de Ham­moura­bi, lui fit décou­vrir les livres d’archéolo­gie de C. W. Cer­am comme il m’a fait décou­vrir les travaux du philo­logue alle­mand Georg Friedrich Grote­fend et de l’assyri­o­logue Hen­ry C. Rawlinson.

Pierre Las­z­lo, qui admire fort son cours sur la théorie des groupes, se sou­vient qu’il aimait citer Mon­taigne et Hérodote. Gilles More­au (58) est par­ti­c­ulière­ment impres­sion­né par ses con­nais­sances en ther­mo­dy­namique, un domaine où pour­tant Mar­cel Féti­zon ne fai­sait pas de recherche.

LA PAROLE DE FÉTIZON

Pierre Laszlo rappelle un aphorisme de Fétizon qui l’a suivi tout au long de son existence : « La meilleure manière d’être à cheval sur les conventions, c’est de s’asseoir dessus. »

À Roger Balian (52), qui désir­ait par­ler dans son cours de François Massieu (1851), inven­teur en 1869 des poten­tiels ther­mo­dy­namiques, il fit décou­vrir un doc­u­ment rare, la biogra­phie de ce savant mécon­nu con­servée aux archives de la Bib­lio­thèque de l’X.

Son lan­gage écrit était soutenu, par­fois un peu recher­ché (“ diri­mant ” n’est pas un mot courant dans les arti­cles de chimie), mais il se plai­sait à par­ler un français fam­i­li­er. S’il pou­vait écrire : “ cela coûte une for­tune ”, il prononçait plutôt : “ ça coûte la peau des fesses ”.

Il avait un humour déca­pant. Après un dîn­er en Nou­velle-Zélande où tout était cuit à la graisse de mou­ton, Mar­cel Féti­zon écriv­it sur le livre d’or : “The only cook to set foot on New Zealand was the Cap­tain !

4 Commentaires

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More­au Gilles 58répondre
14 février 2016 à 10 h 49 min

Mar­cel Féti­zon 47, un chimiste extra­or­di­naire
Par­mi les habi­tudes dont se sou­vi­en­nent ses élèves il faut citer cette affir­ma­tion pleine de bon sens ” un mec qui sait c’est un mec qui a appris “, c’est ce qu’il nous répondait quand on dis­ait ne pas savoir quelque chose.

KONE MAMADOUrépondre
7 mai 2017 à 16 h 53 min

Recon­nais­sance posthume au pro­fesseur Féti­zon
Je venais de ter­min­er la maîtrise de chimie à la fac­ulté d’Or­say, Uni­ver­sité Paris XI. Je m’in­téres­sais à la chimie organique et désir­ais pour­suiv­re mes études de troisième cycle dans cette dis­ci­pline. Au regard du DEA de Chimie Organique Physique dans lequel je m’in­scrivais on me con­seil­la d’aller prospecter dans le lab­o­ra­toire du Pro­fesseur Fétizon.
Il m’ac­cep­ta, à con­di­tion de quit­ter le labo après le doc­tor­at de 3ème cycle, soucieux de don­ner un coup de pouce à un étu­di­ant Africain, dis­ait-il. Il se trou­vait que les travaux qui m’é­taient con­fiés con­tin­u­aient ceux du Pr Nguyen Trong Anh ! Avec les résul­tats heureux obtenus Féti­zon me pro­posa un poste de chercheur à l’École Poly­tech­nique. Pour le doc­tor­at d’État. Toute ma grat­i­tude aux Pro­fesseurs Féti­zon et Nguyen, grâce à eux j’ai pu men­er une car­rière de pro­fesseur de chimie organique à l’U­ni­ver­sité de Dakar.

Féti­zonrépondre
7 septembre 2020 à 16 h 57 min
– En réponse à: KONE MAMADOU

Quelle belle sur­prise ! Papa me par­lait sou­vent de ses anciens thésards, dont vous Mamadou. Mer­ci pour votre témoignage d’empathie qui me touche.

KONE MAMADOUrépondre
8 mai 2017 à 16 h 45 min

Une petite pré­ci­sion
Je suis entré au lab­o­ra­toire de Syn­thèse Organique du Pro­fesseur Féti­zon en 1971 et ai quit­té en 1977 pour retourn­er au Sénégal.

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