Manuscrit du cours de philosophie positive d'Auguste Comte

Éloge d’Auguste Comte (2ème partie)

Dossier : ExpressionsMagazine N°541 Janvier 1999
Par Bruno GENTIL (55)

La loi des trois états, une véritable découverte

La loi des trois états, une véritable découverte

Auguste Comte con­sid­érait son Opus­cule fon­da­men­tal1, bien qu’il soit resté inachevé, comme une étape cap­i­tale dans son œuvre. En tout cas c’est là que la loi des trois états fut énon­cée pour la pre­mière fois. Cette fameuse loi, qui sera une référence con­stante dans toute son œuvre, Auguste Comte la revendi­qua tou­jours comme une véri­ta­ble décou­verte, qu’il datait de févri­er ou mars 1822. C’est ce que con­firme Pierre Laf­fitte2, le fidèle dis­ci­ple : J’ai enten­du dire à Auguste Comte que la loi des trois états avait été trou­vée un matin, après une longue nuit de médi­ta­tions con­tin­ues et que c’est presque immé­di­ate­ment qu’il avait trou­vé la loi de la hiérar­chie sci­en­tifique, qui est, au fond, absol­u­ment inséparable.

Dans l’Opus­cule fon­da­men­tal, il l’énonce ain­si : Par la nature même de l’e­sprit humain, chaque branche de nos con­nais­sances est néces­saire­ment assu­jet­tie dans sa marche à pass­er suc­ces­sive­ment par trois états théoriques dif­férents : l’é­tat théologique ou fic­tif, l’é­tat méta­physique ou abstrait, enfin l’é­tat sci­en­tifique ou posi­tif. Ain­si dans le pre­mier état, celui de toute sci­ence au berceau, ce sont les idées sur­na­turelles qui ser­vent à expli­quer les faits observés ; le deux­ième état, celui de l’ado­les­cence, est un état de tran­si­tion : on tente de sor­tir des idées sur­na­turelles par des énon­cés abstraits car­ac­térisant des séries de phénomènes (on pour­rait citer : la nature a hor­reur du vide). Le troisième état représente le mode défini­tif de toute sci­ence quel­conque, où les faits sont reliés à des lois générales con­fir­mées par les faits eux-mêmes. Il mon­tre ensuite com­ment la loi des trois états se véri­fie dans l’évo­lu­tion des sci­ences fon­da­men­tales : l’as­tronomie d’abord, puis la physique et la chimie, enfin la phys­i­olo­gie qui parvient tout juste à l’é­tat positif.

En con­sid­érant la poli­tique comme une sci­ence, il observe qu’elle a déjà passé par les deux pre­miers états : l’é­tat théologique basé sur l’idée sur­na­turelle de droit divin, puis l’é­tat méta­physique basé sur la doc­trine des peu­ples, comme par exem­ple la sup­po­si­tion abstraite d’un con­trat social prim­i­tif. Voici le moment, déclare-t-il, où on peut accéder à la doc­trine sci­en­tifique de la poli­tique, qui con­sid­ère l’é­tat social comme la con­séquence néces­saire de son organ­i­sa­tion. Mais celle-ci est intime­ment liée à l’é­tat de civil­i­sa­tion. Il est évi­dent, pour lui, que la civil­i­sa­tion pro­gresse suiv­ant une loi néces­saire, même si cette marche se man­i­feste en oscil­la­tion et non suiv­ant une ligne droite.

Et l’Opus­cule se ter­mine en ouvrant cette ques­tion fon­da­men­tale : quel est, d’après l’ob­ser­va­tion du passé, le sys­tème social des­tiné à s’établir aujour­d’hui par la marche de la civil­i­sa­tion ?  Et s’il n’y a pas de façon absolue de meilleur gou­verne­ment pos­si­ble, con­clut-il, tous les esprits com­pé­tents doivent finir par s’en­ten­dre sur les lois naturelles de la marche de la civil­i­sa­tion et sur le sys­tème qui en résulte3.

Pour Auguste Comte qui situe ses travaux dans la con­ti­nu­ité de ses prédécesseurs Mon­tesquieu et surtout Con­dorcet, cet opus­cule est à la fois un point d’ar­rivée et un point de départ : le point d’ar­rivée, c’est la con­ver­gence remar­quable entre ses deux ordres de travaux sci­en­tifiques et poli­tiques. Il trou­ve ici une har­monie entre ses ten­dances intel­lectuelles et ses ten­dances poli­tiques, une véri­ta­ble unité men­tale et même sociale, qui le con­duira à la sys­té­ma­ti­sa­tion finale de la philoso­phie pos­i­tive gradu­elle­ment pré­parée par mes prédécesseurs depuis Bacon et Descartes.

Mais l’Opus­cule est aus­si un point de départ car il ouvre toute une série de travaux, un pro­gramme gigan­tesque auquel il invite d’abord les savants. Il faut en effet dévelop­per cette nou­velle sci­ence, la physique sociale, établir solide­ment la philoso­phie pos­i­tive et opér­er la refonte ency­clopédique de toutes nos con­nais­sances pos­i­tives. Et tout cela, bien sûr, dans la per­spec­tive de la mise en œuvre d’un nou­veau sys­tème social. Il n’y a effec­tive­ment pas de temps à perdre !

En fait, Auguste Comte avait prévu une deux­ième par­tie à cet ouvrage qui devait per­me­t­tre d’a­vancer rapi­de­ment dans le développe­ment et la physique sociale, car c’est là l’ap­pli­ca­tion philosophique la plus urgente4. Elle devait décrire l’his­toire som­maire de la civil­i­sa­tion éclairée par les trois états et par suite, don­ner un pre­mier aperçu du sys­tème social que le développe­ment naturel de l’e­sprit humain doit ren­dre aujour­d’hui dominant.

Cette deux­ième par­tie ne sera jamais écrite. En effet Auguste Comte va ren­tr­er dans une péri­ode dif­fi­cile, où il oscillera entre rêves et désillusions.

Rêves et désillusions d’un professeur ambulant

Au début tout va bien. L’Opus­cule qu’il s’ef­force de dis­tribuer auprès des “som­mités” rem­porte un suc­cès cer­tain. Sa cor­re­spon­dance de cette époque fait état des félic­i­ta­tions qu’il reçoit. Il cite ain­si dans les hommes à haute posi­tion sociale le respectable Ter­maux, M. B. Delessert, M. de Labor­de, M. de Broglie5. Il est surtout ravi de l’ap­pro­ba­tion très flat­teuse de l’A­cadémie des sci­ences qui me l’a man­i­festée offi­cielle­ment, quoiqu’elle soit retenue par la crainte de se com­pro­met­tre avec le gou­verne­ment, avec un petit mot man­u­scrit de Cuvi­er, secré­taire per­pétuel de l’A­cadémie des sci­ences, à qui il avait envoyé son ouvrage. Il a des échos en Alle­magne où le pro­fesseur Bucholz, célèbre his­to­rien et philosophe à l’u­ni­ver­sité de Berlin, pub­lie des arti­cles élo­gieux dans la revue Her­mès. Hegel, lui-même, lui fait trans­met­tre son intérêt pour son ouvrage. Surtout il est reçu par Guizot qui a déclaré qu’il se rangeait sous ma ban­nière. Il sem­ble qu’à cette époque les deux hommes ont eu des entre­tiens suiv­is. J’ai été agréable­ment affec­té (je ne dis pas sur­pris) de l’ef­fet que ce tra­vail a pro­duit chez M. Guizot6. Il espère même par­venir à mod­i­fi­er son sys­tème intel­lectuel utile­ment pour le pub­lic, bien qu’il lui manque une édu­ca­tion sci­en­tifique, ce qui mal­heureuse­ment n’est pas répara­ble. Une de leurs dis­cus­sions a porté sur la divi­sion entre le pou­voir spir­ituel et le pou­voir tem­porel, que Guizot ne veut absol­u­ment pas admet­tre.

Tout cela a de quoi lui mon­ter à la tête. Il se voit bien­tôt dans une chaire du Col­lège de France, tout en pen­sant d’abord à un poste de pro­fesseur à l’É­cole poly­tech­nique : il serait con­seiller de Guizot, ou même du min­istre Vil­lèle, à qui il a fait envoy­er son ouvrage par son beau-frère. Il lui a même écrit une let­tre où il développe les points de con­tact entre sa poli­tique pra­tique et ma poli­tique théorique. Et il compte sur son appui pour avoir une place dans l’In­struc­tion publique : Je suis sûr du suc­cès, même avec l’op­po­si­tion des Jésuites ! (sic)

Auguste Comte reçoit tous ces témoignages comme des promess­es, mais pour l’in­stant la réal­ité est bien dure, et il se débat avec des prob­lèmes financiers, qui lui sont d’au­tant plus insup­port­a­bles qu’il est main­tenant mar­ié et qu’il se sent respon­s­able du ménage. C’est un con­traste effroy­able­ment humiliant que celui qui s’est for­mé entre la cer­ti­tude de son mérité intel­lectuel et les pitoy­ables prob­lèmes financiers dans lesquels il se débat, note Gouhi­er7. Ses amis et ses rela­tions lui con­seil­lent de s’oc­cu­per sérieuse­ment de sor­tir de “son mode pré­caire d’ex­is­ter”. Ne croyez pas, écrit-il à Émile Tabar­ié, que je sois dis­trait ou retardé par aucune illu­sion sur le suc­cès de mes travaux : j’en ai eu mais elles sont com­plète­ment dis­sipées. Il a bien le désir d’ar­riv­er à une exis­tence plus solide surtout dans les moments des tour­ments vifs et pro­fonds8.

Cet homme fait pitié, il n’est vis­i­ble­ment pas fait pour les ques­tions d’ar­gent, il n’en a même pas l’én­ergie et la volon­té. Je ne me sens pas la force d’en­tre­pren­dre pour cela une autre car­rière que celle de l’en­seigne­ment auquel je suis habitué. Il se promet de prof­iter des vacances de l’été 1824 pour obtenir une place dans l’In­struc­tion publique ou à l’É­cole poly­tech­nique, ou même dans des col­lèges roy­aux de Paris. Pau­vre Auguste Comte ! En sep­tem­bre il pense encore sans mod­estie et sans orgueil qu’il peut vis­er à entr­er le plus rapi­de­ment pos­si­ble à l’A­cadémie des sci­ences dès lors, ma car­rière sera assurée. Au moins, grâce à ses nom­breuses et impor­tantes rela­tions, il pour­ra aug­menter et assur­er son enseigne­ment privé9.

Mais rien ne vient. Guizot lui a fait une ” gas­con­nade “. Rien de nou­veau non plus du côté de Vil­lèle et le nom­bre de ses élèves est dra­ma­tique­ment faible. Plus nous avançons dans l’an­née sco­laire plus cette détresse devient inquié­tante : mon esprit en est presque absorbé. Il se reproche son car­ac­tère indo­lent et son insou­ciance pour ses affaires qui frise l’é­goïsme. Au début de 1825 il a reçu une somme d’ar­gent provenant de sa femme, ce qui lui per­met de respir­er un peu, et de faire un voy­age à Mont­pel­li­er pour présen­ter sa femme à sa famille, mais le retour est dra­ma­tique. Toutes ses démarch­es ont échoué et il n’a presque plus d’élèves pour la nou­velle année sco­laire à l’au­tomne 1825.

Avec tous ces tra­cas, ses travaux essen­tiels n’a­van­cent pas. Il remet de jour en jour la fameuse “2e par­tie” qu’il s’est promis d’écrire à la suite de son Opus­cule. Quand il trou­ve un peu de temps, il y tra­vaille au milieu de tous ses cha­grins mais à cause de ses inquié­tudes hor­ri­bles ses travaux ont con­sid­érable­ment lan­gui. Il éprou­ve des moments d’a­bat­te­ment et de véri­ta­ble dés­espoir… qui ferait renon­cer à tous ses travaux pour finir comme un sot. À Tabar­ié, le 17 juil­let 1824, il avoue qu’il n’a pas encore com­mencé la 2e par­tie qui a besoin d’être exces­sive­ment méditée pour val­oir quelque chose, surtout avec le peu d’éru­di­tion que j’ai. Avant deux mois, j’au­rai ter­miné, je retoucherai ensuite la pre­mière par­tie sur quelques points. Mais j’au­rai surtout une pré­face générale pour l’ensem­ble de l’ou­vrage qui aura, je crois, de l’im­por­tance. Un an après, en novem­bre 1825, quand il écrit à Bucholz, il en est tou­jours au même point.

On peut penser, et c’est l’avis de Gouhi­er, qu’Au­guste Comte n’a pas que des dif­fi­cultés matérielles ; il a du mal à pour­suiv­re son pro­jet intel­lectuel10.

Je serai professeur de philosophie positive

Une cir­con­stance va, en tout cas, mod­i­fi­er ses pro­jets. Pen­dant l’au­tomne 1825, alors qu’il est au fond du trou, s’of­fre à lui une ressource acci­den­telle que j’ai dû forte­ment saisir, bien qu’elle ne me con­vi­enne pas en tout point, écrit-il à G. d’E­ichthal le 24 novem­bre 1825. On lui offre d’écrire une série d’ar­ti­cles dans une nou­velle revue Le Pro­duc­teur, lancée par des saint-simoniens. Il fait la fine bouche, craint la médi­ocrité de la revue, mais il est ras­suré par le choix de son ami Cer­clet comme directeur de la revue. Il se décide à coopér­er comme ressource matérielle pro­vi­soire bien que ces travaux sec­ondaires le retar­dent. Il va ain­si don­ner au Pro­duc­teur deux séries d’ar­ti­cles qu’il réédit­era en 1854 par­mi ses œuvres de jeunesse sous les titres de Con­sid­éra­tions philosophiques sur les sci­ences et les savants et de Con­sid­éra­tions sur le pou­voir spir­ituel11.

En fait, ces arti­cles ali­men­taires, Auguste Comte va y tra­vailler d’ar­rache-pied, voulant faire con­scien­cieuse­ment des arti­cles aux­quels il donne son nom, et surtout parce qu’il ne veut pas nég­liger cette occa­sion de propager les principes exposés dans son ouvrage. Cela nous vaut des arti­cles d’un grand intérêt : la pre­mière série con­stitue un exa­m­en sci­en­tifique et abstrait de la néces­sité d’obtenir un nou­veau pou­voir spir­ituel, d’après une philoso­phie fondée sur la sci­ence. C’est là qu’il évoque les rôles respec­tifs, dans l’his­toire, du prêtre, du philosophe et du savant ; c’est là aus­si qu’il demande aux savants de résis­ter à les réduire, vu l’e­sprit trop pra­tique du siè­cle, à de sim­ples fonc­tions d’ingénieurs.

Dans la deux­ième série, il y a ce pas­sage célèbre sur l’ad­mirable divi­sion du pou­voir spir­ituel et du pou­voir tem­porel, où il écrit : avant cette époque il n’y avait pas d’al­ter­na­tive entre la soumis­sion la plus abjecte et la révolte directe, et telles sont encore les sociétés, comme toutes celles organ­isées sous l’as­cen­dant du mahométisme, où les deux pou­voirs sont dès l’o­rig­ine confondus.

Com­ment ne pas être frap­pé par ces réflex­ions, qui mon­trent tout l’in­térêt de ces œuvres de jeunesse datant de 1825 : pour lui, la déca­dence de la philoso­phie théologique et du pou­voir spir­ituel cor­re­spon­dant a lais­sé la société sans aucune dis­ci­pline morale ; seul reste l’in­térêt par­ti­c­uli­er au milieu de ce chaos moral, l’u­til­ité immé­di­ate devient le critère exclusif. Il voit aus­si d’autres con­séquences de la désor­gan­i­sa­tion morale : les pro­grès de la cen­tral­i­sa­tion et le despo­tisme admin­is­tratif appuyé sur la cor­rup­tion sys­té­ma­tisée. De là vient sa recherche éper­due tout au long de sa vie d’un pou­voir spir­ituel, dont la des­ti­na­tion pro­pre est le gou­verne­ment de l’opin­ion et la direc­tion suprême de l’é­d­u­ca­tion. Pen­sant aus­si à la dif­fi­culté des rap­ports soci­aux, il voit comme néces­saire : l’in­flu­ence con­tin­ue d’une doc­trine morale imposant aux chefs et aux ouvri­ers des devoirs mutuels.

C’est alors au début de l’an­née 1826, que lui vient une idée qui va ori­en­ter toute la pre­mière par­tie de sa car­rière et de sa vie : J’ai eu la pen­sée, écrit-il à Valat, d’un cours très impor­tant et qui, sous le rap­port matériel, me tir­erait peut-être d’af­faire, dont l’ob­jet est la philoso­phie pos­i­tive, c’est-à-dire l’ex­po­si­tion des général­ités et de l’en­chaîne­ment des divers­es branch­es, y com­pris la poli­tique pos­i­tive ou la physique sociale, qui ren­trent à mes yeux dans le sys­tème sci­en­tifique. Il lui suf­fi­rait alors de trou­ver un nom­bre suff­isant de souscrip­teurs qui lui per­me­t­trait de vivre cor­recte­ment, d’échap­per à son méti­er de pro­fesseur ambu­lant et de con­sacr­er du temps à ses travaux essen­tiels. Car, à ce moment, Auguste Comte est formel : le cours est avant tout un moyen de se tir­er d’af­faire ; il se donne le mois de févri­er pour pré­par­er ce cours qui devait se dérouler en 72 séances, deux fois par semaine, du 1er mars 1826 au 1er mars 1827.

Avant de com­mencer son Cours de philoso­phie pos­i­tive, Auguste Comte, qui mène de front la pré­pa­ra­tion de son cours et la rédac­tion du dernier arti­cle pour Le Pro­duc­teur, va con­naître le lun­di 27 févri­er 1826 une véri­ta­ble ” crise nerveuse “, qu’il racon­te à Blainville, le phys­i­ol­o­giste nou­velle­ment élu à l’A­cadémie des sci­ences : après un tra­vail con­tinu de qua­tre-vingts heures dans lequel le cerveau n’a pas cessé d’être dans le plus haut degré d’ex­ci­ta­tion nor­male, sauf quelques inter­valles extrême­ment courts. C’est au cours de cette crise qu’il a cette vision ” de l’ensem­ble de sa vie ” : ce qu’il voit, dans cette sen­sa­tion vrai­ment d’ensem­ble, c’est qu’il doit se charg­er lui-même à la fois d’établir la philoso­phie pos­i­tive et la physique sociale. Après avoir ter­miné son ouvrage sur la réor­gan­i­sa­tion de la société il fau­dra qu’il con­stru­ise ensuite le nou­veau sys­tème du savoir. Ain­si le cours oral devient l’ébauche d’un ouvrage. Sa valeur util­i­taire passe au sec­ond plan. Il le fera, même s’il n’a pas autant de souscrip­teurs. Ce qui l’in­téresse désor­mais, c’est la présence des savants, non celle des “payants“12.

Le cours débute finale­ment le dimanche 2 avril 1826 à midi, dans son salon par mesure d’é­conomie, car il a reçu peu de souscrip­tions. Dans une grande exci­ta­tion, mal­gré de vio­lents dérange­ments il a longue­ment médité, mais dit-il à Blainville, il n’a pas écrit une ligne. Gouhi­er nous racon­te : Il y a là Blainville et Poinsot, son col­lègue de l’A­cadémie des sci­ences ; Guizot s’est excusé, l’ab­bé de Lamen­nais a écrit une let­tre fort affectueuse. Alexan­dre de Hum­boldt, l’il­lus­tre nat­u­ral­iste, a tenu sa promesse ; il y a aus­si l’é­con­o­miste Dunoy­er, des cama­rades de l’É­cole, le duc Napoléon de Mon­te­bel­lo, Hip­poly­te, le fils du grand Carnot, etc. Comte prononça cette leçon avec assur­ance : il y indi­qua le but de son cours et définit l’e­sprit du pos­i­tivisme. Le mer­cre­di suiv­ant, il expli­qua la hiérar­chie des sci­ences et la sig­ni­fi­ca­tion philosophique de son plan. Le dimanche 9 avril, il abor­da l’é­tude des math­é­ma­tiques. Mais lorsque les audi­teurs se présen­tèrent le mer­cre­di suiv­ant 12 avril, ils trou­vèrent porte close… on leur répon­dit que M. Comte était malade.

Effec­tive­ment, il l’é­tait, gravement !

Orage cérébral et crise de folie : une terrible épreuve

Dans le “roman extra­or­di­naire” que fut sa vie, la crise cérébrale d’avril 1826 représente un des épisodes les plus dra­ma­tiques. Émile Lit­tré, d’après les con­fi­dences des prin­ci­paux témoins, et notam­ment de son épouse, en a décrit toutes les cir­con­stances : sa dis­pari­tion subite après les trois pre­mières séances de son cours, son irrup­tion chez Lamen­nais pour “se con­fess­er”, sa fuite à Saint-Denis d’où il écrit cette let­tre déli­rante à Blainville13, son escapade à Mont­moren­cy où son épouse parvient à le retrou­ver, la crise vio­lente au lac d’Enghien dans lequel il veut entraîn­er sa femme, son enfer­me­ment toute la nuit dans une cabane, sur­veil­lé par deux gen­darmes, l’ar­rivée de Blainville qui, mal­gré sa résis­tance dés­espérée, parvient à l’emmener à la clin­ique du doc­teur Esquirol, où il va rester interné pen­dant dix mois !

Comme on peut l’imag­in­er, les expli­ca­tions et les com­men­taires sur la folie d’Au­guste Comte n’ont pas man­qué. Pour Émile Lit­tré14, trois cir­con­stances peu­vent l’ex­pli­quer : sa san­té frag­ile d’abord, et notam­ment ses maux d’estom­ac qui trou­blaient son som­meil au point d’in­spir­er des idées noires et mélan­col­iques. Puis l’ex­trême con­tention au moment de la pré­pa­ra­tion de son cours qui met­tait son avenir en jeu ; et enfin ses querelles avec les saint-simoniens qui le menaçaient d’un duel. En revanche, Lit­tré écarte toute cause due aux cha­grins domes­tiques qu’il con­sid­érait comme une allé­ga­tion inven­tée par ceux qui voulaient l’in­ter­dic­tion d’Au­guste Comte sans l’obtenir. Mais sur ce point, Lit­tré est sujet à cau­tion : s’é­tant fait le cheva­lier ser­vant de Car­o­line Comte, il a, pour une grande part, écrit son ouvrage pour pren­dre sa défense.

Il est en effet indis­cutable que les dif­fi­cultés con­ju­gales ont joué un rôle déter­mi­nant dans l’o­rig­ine de la crise. Auguste Comte lui-même fait allu­sion, dans la pré­face per­son­nelle15, au fatal con­cours de grandes peines morales avec de vio­lents excès de tra­vail. À cette époque, il est mar­ié depuis un peu plus d’un an avec une jeune femme de 22 ans, Car­o­line Massin ; les cir­con­stances exactes dans lesquelles il con­nut sa future femme restèrent pour Auguste Comte un lourd secret ; il ne fut con­nu qu’après sa mort, dans une “addi­tion secrète” qu’il con­fia à ses exé­cu­teurs tes­ta­men­taires. En fait, il a con­nu Car­o­line Massin quand elle fai­sait com­merce de ses charmes sous les galeries du Palais-Roy­al. Il la retrou­ve quelques mois plus tard ten­ant un cab­i­net de lec­ture. Ils sym­pa­thisent ; Auguste Comte lui donne même quelques leçons d’al­gèbre ; ils déci­dent de vivre ensem­ble ; elle lui par­le mariage mais il écarte d’abord cette idée, con­fi­ant à son ami Tabar­ié : Quoique sans aucun préjugé, je crois que dans cette cir­con­stance spé­ciale, la chose est peu convenable.

Mais l’idée fait son chemin et il fran­chit le Rubi­con con­fie-t-il à son cor­re­spon­dant : il a écrit à ses par­ents son inten­tion de l’épouser. Qu’est-ce qui l’a finale­ment décidé ? Il me faut une femme écrit-il, je le sens, je le crois, physique­ment et morale­ment, et une femme que je puisse avouer et tenir à la clarté du jour, mais il ne se croit pas capa­ble de plaire aux femmes, lui qui a si peu de ces moyens d’am­a­bil­ité indis­pens­ables auprès de presque toutes. Et puis Car­o­line a des qual­ités, de l’e­sprit, du cœur et du car­ac­tère. Il pense qu’il pour­ra faire son édu­ca­tion. La seule objec­tion sérieuse c’est : le défaut absolu de for­tune de ma Car­o­line mais elle lui en sera d’au­tant plus recon­nais­sante et attachée, croit-il. Et puis, finale­ment, il ne doit pas être mécon­tent de bafouer la morale bour­geoise. Sa morale à lui, c’est le motif d’hon­neur : notre union dure depuis six mois ouverte­ment, j’au­rais à me reprocher le mal­heur de sa vie. Bien sûr, il y a les par­ents : la seule chose qui m’af­flige réelle­ment dans cette affaire, c’est le tiraille­ment des par­ents qui ne se soucient pas que j’épouse zéro franc, zéro cen­time. Mais ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas. En faisant agir l’huissier, il se fait fort de se pass­er de leur consentement.

Finale­ment, ils se mari­ent civile­ment le 19 févri­er 1825. Mais, au bout de quelques mois, les let­tres d’Au­guste Comte à ses amis lais­sent paraître désil­lu­sion et amer­tume. Sa let­tre à Val­lat du 16 novem­bre 1825, quoique pudique, très dis­crète sur ce sujet, a un ton presque dés­espéré : Tu me crois heureux, je le suis en effet sous cer­tains rap­ports… mais sous d’autres je ne souhaite pas à mon plus cru­el enne­mi un pareil bon­heur. Le voy­age à Mont­pel­li­er en juil­let, pour présen­ter sa femme à ses par­ents, a tourné au désas­tre. Il laisse enten­dre que chez Car­o­line il manque l’essen­tiel, c’est-à-dire : l’at­tache­ment, le dévoue­ment de cœur et la douceur de car­ac­tère, avec le genre de soumis­sion que peut lui inspir­er le sen­ti­ment de la supéri­or­ité morale de son époux. En fait tout ce qui peut empêch­er : un vain désir de dom­i­na­tion. Bien­tôt ce sera l’indigne épouse, avec qui il vivra quand même dix-sept ans ! Le doc­teur Robi­net, dans son livre de 186316, fait état du triste mariage qui rem­plit de tour­ments et de regrets tout le reste de son exis­tence ; il par­le de cet égare­ment funeste qui fut la seule faute vrai­ment grave de toute sa vie.

Que s’est-il passé en avril 1826 ? A‑t-elle mal sup­porté la vie dif­fi­cile que lui offrait son mari et, surtout dans les derniers temps, ses accès de colère et ses crises nerveuses ? Lui a‑t-elle fait des reproches ou même des infidél­ités comme il l’as­sure dans son “addi­tion secrète” ? Tou­jours est-il qu’elle va man­i­fester, au moment de cette grave crise cérébrale, un dévoue­ment et un courage remar­quables. Et lui-même recon­naî­tra qu’elle lui a sauvé la vie par ses affectueux soins domes­tiques.

Auguste Comte, par­lant, dans sa pré­face biographique, de sa crise cérébrale évo­quera : la désas­treuse inter­ven­tion d’une médi­ca­tion empirique, dans l’étab­lisse­ment par­ti­c­uli­er du fameux Esquirol où le plus absurde traite­ment me con­duisit rapi­de­ment à une alié­na­tion très car­ac­térisée. Le doc­teur Esquirol a cepen­dant une très bonne répu­ta­tion. Nul n’é­galait, pour le traite­ment des mal­adies men­tales la répu­ta­tion d’Esquirol écrit Lit­tré dans son ouvrage. Dis­ci­ple de Pinel, celui qui a intro­duit un nou­veau regard sur la folie, le doc­teur Esquirol, médecin à la Salpêtrière depuis 1811, est devenu médecin chef de Char­en­ton et a fondé une clin­ique mod­èle rue Buf­fon à Paris. Il diag­nos­tique chez Auguste Comte le désor­dre men­tal qu’il a décrit dans son Mémoire sur la folie de 1818, où il mon­tre le mani­aque comme emporté par l’ex­al­ta­tion des idées qui nais­sent de ses sou­venirs qui l’amène à con­fon­dre le temps et les espaces : presque tous les mani­aques qui se por­tent à des actes furieux, y sont excités par de faux juge­ments qu’ils por­tent sur les per­son­nes et les choses. Il soumet donc son patient au traite­ment prévu : douch­es froides, saignées, sang­sues, deux bains par jour.

Il sem­ble qu’ait été prévu en même temps un accom­pa­g­ne­ment psy­chologique comme on dirait main­tenant, mais qui n’é­tait guère pos­si­ble dans l’é­tat de surex­ci­ta­tion où il était. Mal­gré les pro­pos ras­sur­ants du doc­teur Esquirol, son état ne s’améliore pas. C’est tou­jours la même diva­ga­tion, la même vol­u­bil­ité, la même pétu­lance ; il y a même moins de présence d’e­sprit, écrit Mme Comte à Blainville. D’après Lit­tré, Mme Comte esti­mait qu’au­cun traite­ment ne pou­vait réus­sir si, au préal­able, on ne con­nais­sait le car­ac­tère de M. Comte. Le doc­teur Esquirol essaya bien de gag­n­er la con­fi­ance de son malade et de domin­er son intel­li­gence, mais on ne sera pas éton­né de savoir qu’il n’y parvint pas ! Bref, entré le 18 avril 1826, il en sor­tit le 2 décem­bre sans aucune amélio­ra­tion ; c’est son épouse qui le recueil­lit “en dés­espoir de cause” et con­tre l’avis du doc­teur Esquirol.

Encore faudrait-il évo­quer, si l’on ne veut pas allonger le réc­it, les nom­breux épisodes dra­ma­tiques de cette péri­ode : l’ar­rivée de sa mère Ros­alie Comte, per­suadée qu’il était puni par le ciel de son “con­cu­bi­nage”, sa ten­ta­tive pour plac­er son fils dans un étab­lisse­ment d’une con­gré­ga­tion religieuse, ses manœu­vres pour faire inter­dire son fils et le plac­er sous tutelle de son père, l’in­ter­ven­tion de Car­o­line qui parvient à annuler la procé­dure et finale­ment “la vic­toire” de Ros­alie pour impos­er une céré­monie de mariage religieux, avant que Car­o­line ne puisse emmen­er son mari ; célébra­tion lugubre où le pau­vre malade cou­vrait la voix du prêtre par des dis­cours antire­ligieux, racon­te Littré.

Finale­ment Auguste Comte et son épouse se retrou­vent dans leur nou­v­el apparte­ment rue du faubourg Saint-Denis, et le tête-à-tête com­mence, racon­te-t-elle, plein d’an­goisse pour le suc­cès, plein d’ap­préhen­sion pour les vio­lences. Avec adresse et dévoue­ment, les soins de son épouse obti­en­nent rapi­de­ment des résul­tats. Dès le 22 décem­bre 1826, trois semaines après sa sor­tie, elle peut écrire à G. d’E­ichthal : le change­ment qui s’est opéré depuis que mon mari est revenu au milieu de ses habi­tudes est presque mirac­uleux. Il sort et voit quelques amis…

Auguste Comte était sauvé. Mais après la ter­ri­ble exci­ta­tion cérébrale pen­dant plusieurs mois, survint un col­lap­sus pro­fond. Lui-même évo­quera plus tard, dans une let­tre de 1837 à sa femme, l’é­tat de qua­si-végé­ta­tion où j’é­tais à la suite de ma grande mal­adie. À mesure qu’il recou­vre la san­té, racon­te Lit­tré, il ressent de plus en plus forte­ment l’im­puis­sance de vivre comme jadis par l’in­tel­li­gence. C’est dans cette péri­ode de forte dépres­sion qu’il fit une ten­ta­tive de sui­cide, en se jetant dans la Seine du haut du pont des Arts. Sauvé par un garde roy­al qui pas­sait sur le pont “il témoigna un grand regret de ce qu’il venait de faire et du cha­grin qu’il avait causé à sa femme”.

D’ailleurs, s’il évo­qua plus tard sans gêne sa crise cérébrale, il ne par­la jamais de sa ten­ta­tive de sui­cide, sauf à Clotilde de Vaux. La let­tre adressée à G. d’E­ichthal le 9 décem­bre 1928 mon­tre qu’il est com­plète­ment sor­ti de sa mal­adie : il affirme sa san­té excel­lente bien meilleure et beau­coup plus ferme qu’elle n’a jamais été avant sa mal­adie. Il s’est remis au tra­vail et, ajoute-t-il, je me retrou­ve par­faite­ment de cette expérience.

En août 1828 il donne une preuve écla­tante de sa guéri­son, en écrivant deux arti­cles dans Le Nou­veau Jour­nal de Paris au sujet du livre de Brous­sais : L’ir­ri­ta­tion et la folie17. En célébrant Brous­sais comme un des fon­da­teurs de la phys­i­olo­gie pos­i­tiviste, il engage son fameux com­bat con­tre la psy­cholo­gie, une pré­ten­du­ment sci­ence entière­ment indépen­dante de la phys­i­olo­gie, supérieure à elle, et à laque­lle appar­tiendrait exclu­sive­ment l’é­tude des phénomènes spé­ciale­ment appelés moraux. Pour lui, l’ou­vrage de Brous­sais fait sen­tir le vide et la nul­lité de cette sci­ence illu­soire d’ab­strac­tions per­son­nifiées que M. Cuvi­er a si bien car­ac­térisée : elle emploie ses métaphores pour des raison­nements. Brous­sais le remer­cie pour ses deux arti­cles de compte ren­du, se dis­ant enchan­té de voir un ath­lète aus­si vigoureux pren­dre par­ti dans la cause de la véri­ta­ble observation.

Cette crise de folie aura pro­fondé­ment mar­qué Auguste Comte. Paul Arbousse-Bastide18 l’évoque en ces ter­mes : Cette présence de la folie, courageuse­ment assumée, tou­jours con­tenue et main­tenue à dis­tance, comme par l’ef­fet d’une ascèse per­son­nelle, est con­sti­tu­tive de l’ex­péri­ence de Comte. La folie est famil­ière à Comte. Il la con­naît parce qu’il a su s’en libér­er. En plus, ajoute-t-il, il a vu com­ment on soignait les fous. C’est ce qui lui per­met cette cri­tique à pro­pos du traité de Brous­sais : M. Brous­sais insiste juste­ment sur l’im­por­tance du traite­ment moral ; il ne sig­nale pas l’ex­trême indi­gence avec laque­lle est con­duite, dans ces insti­tu­tions, cette par­tie essen­tielle de la médi­ca­tion et il renchérit en évo­quant l’ac­tion arbi­traire d’a­gents sub­al­ternes et grossiers dont la con­duite aggrave presque tou­jours la mal­adie qu’ils devraient con­tribuer à guérir.

C’est encore en se référant à son expéri­ence qu’il affirme qu’une crise cérébrale sage­ment livrée à son cours spon­tané peut se résor­ber dans un retour à l’é­tat nor­mal, mais que l’in­ter­ven­tion d’une médi­ca­tion empirique est désas­treuse et con­duit à l’al­ié­na­tion car­ac­térisée, et enfin que les affectueux soins domes­tiques sont le fac­teur le plus favor­able à la guéri­son. Plus éton­nante encore est l’analyse qu’il fait de sa péri­ode de trou­ble dans le tome III du Sys­tème de poli­tique pos­i­tive. Il par­le d’une oscil­la­tion excep­tion­nelle qui lui per­mit de véri­fi­er sa récente décou­verte de la loi des trois états. Il affirme qu’au cours de sa mal­adie il par­cou­rut les phas­es essen­tielles de l’his­toire de l’hu­man­ité, d’abord en sens inverse (du pos­i­tivisme au fétichisme en pas­sant par le monothéisme et le poly­théisme) puis qu’il remon­ta ensuite lente­ment jusqu’à la pos­i­tiv­ité : une sim­ple oscil­la­tion donc, de même nature que les rêves et les pas­sions seule l’am­pli­tude diffère.

Il en déduit que la folie est car­ac­térisée par un excès de sub­jec­tiv­ité : les sou­venirs devi­en­nent plus vifs et plus nets que les sen­sa­tions par suite de la surex­ci­ta­tion interne. Dès lors, le “dehors” ne peut régler le “dedans” quoiqu’il con­tin­ue de l’al­i­menter et même de le stim­uler. Finale­ment pour lui la vie men­tale n’est pos­si­ble que par un équili­bre entre les apports du “dedans” et le con­trôle du “dehors”.

C’est ce qu’il véri­fiera plusieurs fois dans sa vie, notam­ment en 1838 et en 1846, où il a con­nu à la fois de “durs chocs affec­tifs et une extra­or­di­naire effer­ves­cence d’idées et de con­cepts”. Chaque fois, il est par­venu à éviter la crise par un effort remar­quable et très con­scient de dis­ci­pline et de volonté.

Pour l’heure, à la fin de 1828, l’épisode cérébral est ter­miné ; il tient son remède : ce sera le Cours de philoso­phie pos­i­tive qui va régn­er sur sa vie de 1829 à 1842.

Réouverture du cours : de l’appartement rue Saint-Jacques à l’Athénée royal

Je suis sur le point de repren­dre mon grand cours de philoso­phie pos­i­tive écrit-il à d’E­ichthal le 9 décem­bre 1828. Quelle remon­tée des enfers ! Quelle énergie et quelle volon­té, quelle con­fi­ance dans sa mis­sion pour tout recom­mencer, un an après sa sor­tie de la clin­ique Esquirol, et men­er à terme l’ex­posé oral de ses doc­trines ! Il espère un min­i­mum de dix souscrip­teurs, mais surtout il attend ses audi­teurs bénév­oles ; notam­ment tous les savants qu’il con­naît et qu’il appré­cie. Mais il a dû recom­pos­er son audi­toire, les “anciens” du pre­mier cours sont plusieurs à être en voyage.

Il a annon­cé son cours en ces ter­mes : la Philoso­phie pos­i­tive est l’é­tat défini­tif de l’in­tel­li­gence humaine et doit con­stituer désor­mais le véri­ta­ble esprit général de la société mod­erne, mais pour se con­stituer défini­tive­ment, elle doit d’abord se com­pléter, se résumer. Ain­si sera assurée la grande régénéra­tion intel­lectuelle com­mencée par Bacon, par Descartes et par Galilée.

Discours d'ouverture du cours de philosophie positive d'Auguste ComteLe 4 jan­vi­er 1829, Auguste Comte ouvre son cours devant un parterre de célébrités. Il n’est pas déçu. Il y a qua­tre académi­ciens des sci­ences : Blainville, bien sûr, Poinsot qui a suc­cédé à Lagrange à l’A­cadémie, Navier, le spé­cial­iste des ponts sus­pendus et le baron Joseph Fouri­er, secré­taire per­pétuel de l’A­cadémie des sci­ences, qui vient de pub­li­er sa fameuse Théorie ana­ly­tique de la chaleur. Il y a aus­si Jean Binet, pro­fesseur au Col­lège de France, et Brous­sais. Il y a même le doc­teur Esquirol ! Il n’est pas sûr que tous ces grands savants aient été assidus tout au long des quelque 72 séances, mais leur présence à ce pre­mier cours man­i­feste de façon écla­tante l’in­térêt que sus­ci­tent Auguste Comte et ses travaux.

On se plaît à rêver : s’il n’avait été si sus­cep­ti­ble dans ses rela­tions, si intran­sigeant dans ses opin­ions, si mal­adroit dans ses démarch­es, Auguste Comte aurait pu être le pôle, le point de ren­con­tre des grands débats sci­en­tifiques de son époque. Il n’au­rait pas fal­lu qu’il décourage toutes les bonnes volon­tés, comme on le ver­ra plus tard, au point de se met­tre à dos, pro­gres­sive­ment, la plu­part de ces savants, même ceux qui lui étaient le plus favorables.

Pour l’heure, ils sont tous là, dans son petit apparte­ment de la rue Saint-Jacques et ils écoutent son exposé d’ou­ver­ture : J’emploie le mot philoso­phie dans l’ac­cep­tion que lui don­naient les anciens et par­ti­c­ulière­ment Aris­tote, comme désig­nant le sys­tème général des con­cep­tions humaines ; et en ajoutant le mot “pos­i­tive”, j’an­nonce que je con­sid­ère cette manière de philoso­pher, qui con­siste à envis­ager les théories dans quelque ordre d’idées que ce soit, comme ayant pour objet la coor­di­na­tion des faits observés, ce qui con­stitue le troisième et dernier état de la philoso­phie générale, prim­i­tive­ment théologique et ensuite métaphysique.

Ain­si, avant de revenir à l’or­gan­i­sa­tion du nou­veau pou­voir spir­ituel et à son ouvrage sur le Sys­tème de poli­tique pos­i­tive, Auguste Comte ouvre avec son cours un chantier qui va dur­er douze ans, et qui va con­sis­ter à définir la philoso­phie pos­i­tive, en “suiv­ant la lente mon­tée de l’e­sprit posi­tif à tra­vers les math­é­ma­tiques, l’as­tronomie, la physique, la chimie et la biolo­gie, jusqu’à fonder la dernière sci­ence : la physique sociale”.

Son cours s’é­ten­dit du 4 jan­vi­er au 9 sep­tem­bre 1829 qu’il pro­fes­sa tou­jours sans aucune note. Il sem­ble bien cepen­dant qu’il ait dû l’achev­er avant la fin du pro­gramme, faute d’au­di­teurs, et au milieu de dif­fi­cultés finan­cières per­sis­tantes. Il a dû renon­cer à ses espoirs d’obtenir un poste d’in­specteur du com­merce pour lequel il avait obtenu des recom­man­da­tions de toutes ses rela­tions haut placées. Le con­cours d’a­gré­ga­tion lui est même inter­dit faute d’avoir fait trois ans d’en­seigne­ment dans les col­lèges roy­aux ! À cela se rajoutent ses prob­lèmes de san­té dus à son estom­ac, qui lui vaut des diges­tions dif­fi­ciles : mal­gré un régime sévère, écrit-il à son père, je suis cinq, six, et quelque­fois sept heures à digér­er, ce qui lui inter­dit tout tra­vail sérieux.

C’est à ce moment décisif, en fin d’an­née 1829 qu’on lui pro­pose de refaire son cours, mais cette fois dans le cadre d’une insti­tu­tion pres­tigieuse : l’Athénée roy­al. Créé par Pilâtre de Rozi­er en 1781, sous le nom de Musée, devenu quelques années plus tard le Lycée de Paris, cet étab­lisse­ment instal­lé au coin de la rue de Val­ois et de la rue Saint-Hon­oré offrait un enseigne­ment sci­en­tifique de haut niveau. Con­dorcet y prononça deux dis­cours impor­tants en 1785 et 1786, où il prô­na notam­ment l’en­seigne­ment des math­é­ma­tiques. Jean-Bap­tiste Say et Ben­jamin Con­stant y firent égale­ment des cours.

Porté par le mou­ve­ment sci­en­tifique du XVIIIe siè­cle, cet étab­lisse­ment com­por­tait une bib­lio­thèque, des salles avec tous les jour­naux de France et de l’é­tranger, ain­si que des salons de con­ver­sa­tion pour les hommes et pour les femmes. Pierre Laf­fitte, le fidèle dis­ci­ple d’Au­guste Comte qui a recon­sti­tué l’his­toire de cette insti­tu­tion, l’a décrit comme voulant être le mod­èle d’une uni­ver­sité mod­erne19 : Il fut une ten­ta­tive d’en­seigne­ment supérieur, due à l’ini­tia­tive privée, indépen­dante d’at­tach­es offi­cielles. Cet enseigne­ment eut pour base essen­tielle la sci­ence pro­pre­ment dite et ses appli­ca­tions aux grandes ques­tions d’in­térêt pub­lic : l’a­gri­cul­ture, le com­merce, l’in­dus­trie, la poli­tique. Devenu l’Athénée en 1803, en liber­té sur­veil­lée sous l’Em­pire, il prit un nou­v­el essor à la Restau­ra­tion et con­nut un véri­ta­ble ray­on­nement. Un Athénée fut créé à Madrid en 1820, puis à Copen­h­ague, à Ams­ter­dam, à Brux­elles, à Bres­cia en Ital­ie, même à New York.

Cet enseigne­ment, racon­te Pierre Laf­fitte19, accep­ta les nou­veaux et grands pro­grès sci­en­tifiques pro­pres à la moitié du xixe siè­cle et qui devaient fournir les dernières assis­es de la con­struc­tion pos­i­tiviste. Gall et Blainville exposèrent les con­cep­tions nou­velles de la biolo­gie pos­i­tiviste, Dunoy­er y exposa les vues qui con­sti­tu­aient la lim­ite extrême de l’é­conomie poli­tique et sa tran­si­tion vers la véri­ta­ble sci­ence sociale. Le cours d’Au­guste Comte en exposant la philoso­phie pos­i­tive devait con­stituer le couron­nement de l’éd­i­fice. Ce fut aus­si son apogée, car cette insti­tu­tion allait ensuite déclin­er avant de dis­paraître à la fin du règne de Louis-Philippe.

Donc, Auguste Comte ouvre son cours le 9 décem­bre 1829 devant un pub­lic choisi d’abon­nés faisant par­tie des class­es éclairées de la société. Évidem­ment ce n’est pas le Col­lège de France mais c’est quand même une tri­bune qu’on lui offre. Écrivant à son ami Roméo Pouzin le jour de sa cinquième leçon, il lui man­i­feste sa sat­is­fac­tion : l’au­di­toire se sou­tient jusqu’i­ci à plus de deux cents per­son­nes, qui parais­sent pren­dre à ce cours un vif intérêt. Son cours fut bien suivi, con­firme P. Laf­fitte, quoique les leçons parurent quelque­fois un peu longues, “vu les habi­tudes du pub­lic à ce sujet”.

C’est ce cours pub­lic à l’Athénée qui va être à l’o­rig­ine de la pub­li­ca­tion de son grand ouvrage de philoso­phie pos­i­tive. Le dis­cours d’ou­ver­ture fut en effet inséré dans un cahi­er de la Revue ency­clopédique en fin d’an­née 1829. Auguste Comte en dis­tribua de nom­breux exem­plaires à ses amis et con­nais­sances, ce qui nous vaut une émou­vante cor­re­spon­dance avec sa mère, à la fois pleine d’ad­mi­ra­tion et ter­ri­ble­ment inquiète à pro­pos des idées qu’il pro­fesse sur la reli­gion. Et puis, surtout, la pub­li­ca­tion inté­grale de son Cours est décidée : les 72 leçons devront paraître au cours de l’an­née 1830, d’abord en fas­ci­cule chez Rouen Frères, puis réu­nies en qua­tre vol­umes : ce qui, comme tu le pens­es, écrit-il à Roméo Pouzin, va me don­ner pen­dant tout ce temps une rude besogne pour écrire qua­tre vol­umes pour lesquels je n’ai même aucune note. Il se fait fort de rem­plir cet engage­ment : en piochant fort, bien enten­du… ce cours déjà fait en total­ité une pre­mière fois, que je n’ai plus qu’à rédiger.

Grosse erreur d’appréciation !

Agran­di, il est vrai, au fur et à mesure du tra­vail, il se com­posera finale­ment de six vol­umes et exig­era… douze ans de travail !

Rédaction et publication du Cours : douze années d’un infini labeur

C’est en effet un tra­vail immense qu’en­tre­prend Auguste Comte, et qui n’a pas d’é­gal dans l’his­toire de la philoso­phie des sci­ences. Comme l’écrit Émile Lit­tré dans son ouvrage de 1863, Il est fort dif­fi­cile de faire la philoso­phie d’une sci­ence, il est prodigieux d’avoir fait celle de toutes les sci­ences. Pour cinq du moins, les matéri­aux exis­taient. Rien de pareil n’ex­is­tait pour l’His­toire ; il fal­lut créer la sci­ence qui n’ex­is­tait pas, et en tir­er au fur et à mesure, la philoso­phie, pen­dant et corol­laire des cinq sci­ences qui avaient préex­isté. Si Lit­tré admire beau­coup ce livre, il n’en admire pas moins l’homme que le livre : Un labeur infi­ni l’at­tendait ; il se soumit sans réserve à cet infi­ni labeur. Douze ans se passèrent pen­dant lesquels il fer­ma courageuse­ment sa vie à tout ce qui aurait pu le dis­traire. Sévère, per­sévérant, sourd aux bruits du dehors, il con­cen­tra sur son œuvre tout ce qu’il avait de médi­ta­tion. Dans l’his­toire des hommes voués aux grandes pen­sées, je ne con­nais rien de plus beau que ces douze années.

On peut don­ner une idée de ce tra­vail imposant : l’édi­tion inté­grale de 1975 chez Her­mann (pré­facée par Michel Ser­res) compte 1 600 pages d’un texte ser­ré : 250 pages pour les Math­é­ma­tiques, 120 pour l’As­tronomie, 120 pour la Physique, 70 pour la Chimie, mais 220 pour la Biolo­gie et 800 pour la Physique sociale ! Quand on sait que pen­dant une bonne par­tie de toutes ces années, Auguste Comte avait ses journées entière­ment con­sacrées à l’en­seigne­ment, on mesure la per­for­mance d’un homme de san­té fragile.

Non moins éton­nante est la façon dont Auguste Comte com­posa cha­cun des vol­umes, comme en témoigne Lit­tré : Il en médi­tait le sujet de tête et sans jamais rien écrire ; de l’ensem­ble il pas­sait aux mass­es sec­ondaires, et des mass­es sec­ondaires au détail… quand cette élab­o­ra­tion d’abord totale puis par­tielle était accom­plie, il dis­ait que son vol­ume était fait, ce qui était vrai ; car lorsqu’il se met­tait à écrire, il retrou­vait, sans jamais rien en per­dre, toutes les idées qui for­maient la trame de son œuvre ; et il les retrou­vait dans leur enchaîne­ment et dans leur ordre. Sa mémoire avait suf­fi à tout ; pas un mot n’avait été jeté sur le papier.

Écrivant d’un seul jet, don­nant à imprimer au fur et à mesure, sans opér­er aucun change­ment sur les épreuves, on com­prend mieux les défauts de sa rédac­tion : pro­lix­ité, longueur de phras­es, pesan­teur du style, répéti­tions, épithètes surabon­dantes. Tout cela est vrai, mais Comte était pressé, nous dit Lit­tré, il avait la han­tise de la men­er à terme. Il y avait aus­si sûre­ment chez Comte un cer­tain dédain de la forme lit­téraire20 : ce qui compte chez lui c’est la pré­ci­sion, la clarté dans l’en­chaîne­ment des idées, la justesse des expres­sions, la force de cer­taines for­mules. Cela ne suf­fi­ra pas à lui épargn­er des reproches sévères même de la part de Renan et de Taine, pour­tant adeptes du pos­i­tivisme. C’est un lourd et inélé­gant écrivain jugera Renan. Quant à Taine qui pour­tant recom­mande la lec­ture de Comte à tout homme ama­teur de sci­ence et de philoso­phie, il lui reproche sa grossièreté prosaïque !

Le pre­mier vol­ume paraît dans les pre­miers jours de juil­let 1830, ce qui s’ap­pelle jouer de malchance ! Fin juil­let son édi­teur Rouen Frères fait fail­lite. Du coup la pub­li­ca­tion inté­grale du Cours prévue pour 1830 va être retardée. Le vol­ume con­sacré à l’As­tronomie et à la Physique ne paraî­tra qu’en 1833. Et il fal­lut atten­dre 1842 pour arriv­er à l’achève­ment de la “grande fresque”. Quelles que soient les cir­con­stances qui ont retardé la pub­li­ca­tion, il est évi­dent que ce long délai per­mit à la Soci­olo­gie de Comte de mûrir et de devenir la par­tie la moins con­testable et la plus originale.

Le pre­mier vol­ume, celui qui paraît en 1830, est entière­ment con­sacré à la sci­ence math­é­ma­tique. Comme l’ex­plique très bien Sernin21, ce n’est pas la par­tie la plus neuve : il s’in­spire sans cesse de Laplace, de Poinsot, de Mon­ge et surtout de Lagrange. C’est un livre de sec­onde main, ce n’est qu’un exposé bien fait de la sci­ence math­é­ma­tique de son temps : Il n’é­tait en apparence qu’un excel­lent péd­a­gogue et non un créa­teur. Le mal­heur c’est que les derniers vol­umes les plus orig­in­aux ne paraîtront que dix à douze ans plus tard.

Quand ils paraîtront enfin, explique Sernin, leur auteur ne sera plus qu’un mar­gin­al aigri, et rejeté par ceux qu’il con­sid­érait comme ses pairs et qui ne voy­aient en lui qu’un sol­lici­teur sans enver­gure et dénué de politesse. De là, notam­ment, vien­dront ses dif­fi­cultés et son amer­tume quand sa can­di­da­ture aux dif­férentes chaires de l’É­cole poly­tech­nique sera refusée, comme nous le ver­rons par la suite.

De ce pre­mier vol­ume, il restera cepen­dant les deux pre­mières leçons, juste­ment célèbres. Il s’ag­it des pages, nous dit le philosophe Dominique Lecourt22, que tout bache­li­er de la IIIe République con­nais­sait par cœur. Dans la pre­mière leçon la loi des trois états est large­ment exposée. La deux­ième leçon établit la nou­velle clas­si­fi­ca­tion des sci­ences qu’il pro­pose, avec le grand principe de la divi­sion entre les con­nais­sances théoriques et les con­nais­sances pra­tiques. Par la spécu­la­tion nous décou­vrons les lois des phénomènes, ce qui a pour résul­tat de nous les faire prévoir. Dans l’or­dre pra­tique, pour les besoins de l’ac­tion, nous cher­chons des avan­tages. Et c’est la célèbre for­mule : Sci­ence d’où prévoy­ance, prévoy­ance d’où action.

Mais pour lui la pri­mauté revient aux sci­ences qui ont une des­ti­na­tion plus directe et plus élevée, celle de sat­is­faire au besoin fon­da­men­tal qu’éprou­ve notre intel­li­gence de con­naître les lois des phénomènes. Et surtout pas de mélange ! L’e­sprit humain doit procéder aux recherch­es théoriques, en faisant com­plète­ment abstrac­tion de toute con­sid­éra­tion pra­tique. Il faut cul­tiv­er séparé­ment l’ensem­ble de nos con­nais­sances sur la nature, et celui des procédés que nous en déduisons pour la mod­i­fi­er à notre avantage.

Mais il pressent qu’en­tre les sci­ences et les arts l’ap­pli­ca­tion n’est pas immé­di­ate, et il con­state l’émer­gence d’une classe inter­mé­di­aire entre les savants et les pro­duc­teurs : cette classe c’est celle des ingénieurs dont la des­ti­na­tion spé­ciale est d’or­gan­is­er les rela­tions de la théorie et de la pra­tique. Ces doc­trines inter­mé­di­aires ne sont pas encore for­mées ; il en note cepen­dant un exem­ple impor­tant, c’est la belle con­cep­tion de Mon­ge rel­a­tive­ment à la géométrie descrip­tive, qui n’est réelle­ment autre chose qu’une théorie générale des arts de la con­struc­tion.

Quant au Cours, il ne s’in­téressera qu’aux sci­ences fon­da­men­tales qui vont être étudiées dans l’or­dre de leur enchaîne­ment naturel, en suiv­ant leur dépen­dance mutuelle. En préal­able la sci­ence math­é­ma­tique sera présen­tée comme étant la base fon­da­men­tale de toute philoso­phie naturelle.

C’est alors qu’Au­guste Comte plongé dans ses travaux est rat­trapé par l’his­toire. La révo­lu­tion de Juil­let ne pou­vait le laiss­er indifférent.

Un républicain en 1830 : plutôt les cours du soir que le grand soir !

Auguste Comte était répub­li­cain, il n’en fai­sait pas mys­tère. On a donc pen­sé qu’il ait pu jouer un rôle act­if dans les journées de Juil­let. La petite his­toire, du moins celle racon­tée par Alexan­dre Dumas, lui attribue un rôle de mes­sager de La Fayette au moment où les man­i­fes­tants voulaient faire un mau­vais sort au duc de Chartres arrêté à Mon­trouge. Ce n’est pas invraisem­blable de la part d’Au­guste Comte ; le mes­sage ordonne : Dans un pays libre, lais­sez cir­culer cha­cun libre­ment ; que Mon­sieur le duc de Chartres s’en retourne à Joigny, et, à la tête de ses hus­sards, attende les ordres du gou­verne­ment. Signé : La Fayette, Hôtel de Ville, le 30 juil­let 1830.

Adresse au Roi par Auguste ComteCe qui est sûr, c’est que pour Auguste Comte, la chute de Charles X, dernière résur­gence de l’é­tat théologique et féo­dal, était inscrite dans le sens de l’his­toire. Mais très vite, les événe­ments le con­fir­ment dans l’idée que la République n’est pas mûre. En homme d’or­dre, il n’at­tend rien des bar­ri­cades et des émeutes, ni des meneurs bour­geois qui ont “ramassé la couronne” : ils sont inca­pables de gou­vern­er, ils n’ont rien com­pris à la force du mou­ve­ment social. Pour lui, le nou­v­el ordre social vien­dra des pro­lé­taires quand ils seront suff­isam­ment éduqués et instru­its. Quant à la République elle vivra lorsque les cer­ti­tudes pos­i­tives seront la foi des pro­lé­taires. Gouhi­er résume sa posi­tion par cette for­mule : Pour Auguste Comte, la véri­ta­ble révo­lu­tion n’est pas celle du grand soir, mais celle des cours du soir. Il va effec­tive­ment con­cré­tis­er ses con­vic­tions en par­tic­i­pant active­ment à la créa­tion, dès l’été 1830, de “l’As­so­ci­a­tion poly­tech­nique”, con­nue pour avoir joué un rôle émi­nent dans l’É­d­u­ca­tion pop­u­laire au XIXe siè­cle et jusqu’à une époque récente. Nou­veau ren­dez-vous d’Au­guste Comte avec l’His­toire de l’É­cole poly­tech­nique23 !

La nais­sance de l’As­so­ci­a­tion poly­tech­nique est en effet qua­si mythique, dans l’am­biance roman­tique des journées de juil­let 1830, où un cer­tain nom­bre de poly­tech­ni­ciens se retrou­vèrent sur les bar­ri­cades. Truf­fau24 a magis­trale­ment racon­té les journées les plus glo­rieuses de l’his­toire de Poly­tech­nique, qui ont con­sacré le mariage de l’É­cole avec le peu­ple de Paris. On sait que le 27 juil­let, au lende­main des fameuses ordon­nances, l’É­cole poly­tech­nique est de nou­veau licen­ciée suite à l’ef­fer­ves­cence qui y rég­nait ; les deux pro­mo­tions en grande tenue tra­versent Paris pour y rejoin­dre les bar­ri­cades. Une soix­an­taine d’élèves se mêlent aux com­bat­tants et “ceux-là suf­firent à cou­vrir l’É­cole d’une gloire nou­velle”. C’est à la caserne Baby­lone que se livre un des com­bats les plus meur­tri­ers. Les assail­lants, presque tous ouvri­ers, racon­te Louis Blanc, soute­naient le feu avec l’in­tré­pid­ité la plus éton­nante. À leur tête com­bat­taient trois élèves de Poly­tech­nique : Vaneau, Lacroix et d’Ou­vri­er. Le pre­mier reçut une balle dans le front qui l’é­ten­dit raide mort. Les deux autres furent griève­ment blessés. On sait qu’après la vic­toire les élèves se réu­nis­sent à l’Hô­tel de Ville où ils ser­vent d’aides de camp au gou­verne­ment. “Leur pop­u­lar­ité fut immense !”

Au lende­main des journées de 1830, des anciens élèves se ren­dent aux ambu­lances du palais de Saint-Cloud pour y vis­iter les blessés et faire à ceux qui en expri­maient le désir quelques cours d’in­struc­tion générale. Dans l’en­t­hou­si­asme, on pense don­ner “à cette œuvre” un car­ac­tère durable.

Et puis c’est, quelques jours plus tard, le fameux ban­quet offert à l’Orangerie des Tui­leries par cinq cents anciens élèves de l’École à leurs jeunes cama­rades com­bat­tants de Juil­let. C’est au cours de ce ban­quet présidé par le général Bertrand, auquel avait été admis le duc d’Orléans “comme ayant suivi en ama­teur quelques cours de l’École ”, que fut décidée la fon­da­tion d’une Asso­ci­a­tion. À ce moment, il n’est ques­tion que de main­tenir le lien noué entre les anciens élèves de l’École poly­tech­nique à l’occasion de ces journées excep­tion­nelles. Il s’agit “ d’établir entre tous les anciens élèves une sol­i­dar­ité puis­sante ”. Pour ceux, comme Auguste Comte, qui ont con­nu les années 1814–1815 et le pre­mier licen­ciement de 1816 et se sou­vi­en­nent de l’échec du pro­jet d’Association à cette époque pour soutenir les élèves en dif­fi­culté c’est le moment ou jamais de faire se réalis­er un tel pro­jet. Aus­si n’est-il pas éton­nant de retrou­ver Auguste Comte dans le Bureau pro­vi­soire en août 1830.

Prise de la caserne de Babylone le 29 juillet 1930.
Prise de la caserne de Baby­lone le 29 juil­let 1930.
© MUSÉE ÉCOLE POLYTECHNIQUE

Mais cette fois-ci l’Association se donne un pro­gramme plus généreux et plus ambitieux. Les anciens qui ont don­né des cours aux blessés de Saint- Cloud font partager leur pro­jet. Il s’agit pour l’Association “de répan­dre dans les class­es laborieuses l’instruction qui forme la base de notre société moderne ”.

Cette idée d’éducation pop­u­laire n’est pas nou­velle. Depuis la Restau­ra­tion, des cours gra­tu­its pour les ouvri­ers nais­sent partout en France. Comme le rap­pelle le livre du Cinquan­te­naire de l’Association en 1880 : Au moment où il se pro­duisit en France un mou­ve­ment décisif par l’avènement du régime indus­triel, la presque total­ité des directeurs et ingénieurs placés à la tête des entre­pris­es indus­trielles font d’énergiques efforts pour attein­dre une supéri­or­ité qui seule pou­vait leur per­me­t­tre de fig­ur­er avan­tageuse­ment sur le marché européen.

C’est le cas à Metz où des anciens poly­tech­ni­ciens comme Pon­celet et Berg­er créent une “ Asso­ci­a­tion académique” et reçoivent dans leurs cours des cen­taines d’auditeurs. L’initiative la plus con­nue est celle du baron Charles Dupin, major de l’École poly­tech­nique en 1801, et tit­u­laire de la chaire de géométrie et de mécanique appliquée, au con­ser­va­toire des Arts et Métiers. Il a entre­pris une véri­ta­ble “ croisade con­tre l’ignorance” et fonde à Paris, en 1824, l’enseignement des ouvri­ers dans les sci­ences de cal­cul, de géométrie et de mécanique. “ Ses dis­ci­ples propa­gent dans 300 villes ! ”

Auguste Comte n’est pas indif­férent à tout ce mou­ve­ment. Dans une let­tre de 1825, il engage son ami Valat, pro­fesseur à Rodez, à créer en dehors de l’Université des cours en faveur des ouvri­ers. Partout, écrit-il, les anciens élèves de l’École poly­tech­nique suiv­ent cette direc­tion. Je me glo­ri­fie de penser que c’est à cette noble École que la France devra les ger­mes d’une édu­ca­tion régénérée.

Très vite “ l’Association poly­tech­nique” s’organise. Elle se donne un Prési­dent en la per­son­ne du duc de Choiseul-Praslin, pair de France et ancien ingénieur géo­graphe. Auguste Comte est l’un des qua­tre vice-prési­dents, ain­si que Vic­tor de Tra­cy, député et futur min­istre de la Marine. Les cours s’ouvrent à l’Hôtel de Ville, puis à la mairie du 3e arrondisse­ment et au cloître Saint- Mer­ry. On y donne des cours d’arithmétique élé­men­taire, de géométrie appliquée, de dessin linéaire et de fig­u­ra­tion, de chimie appliquée, de physique appliquée. Dès le début l’affluence est impor­tante, “ ce qui sem­ble démon­tr­er un besoin réel de for­ma­tion et de culture ”.

Quant à Auguste Comte, il s’est porté volon­taire pour des cours d’astronomie ; un choix qui a dû laiss­er per­plex­es ses col­lègues de l’Association ! Dans une let­tre au Prési­dent, il explique que ce cours aura pour prin­ci­pal objet l’exposition raison­née des phénomènes essen­tiels du sys­tème du monde, accom­pa­g­née de l’indication des plus impor­tantes appli­ca­tions. Il est con­scient que ce cours ne sera pas d’un usage immé­di­at pour les ouvri­ers, mais qu’il leur évit­era les idées fauss­es qu’ils peu­vent avoir sur ce sujet. Quant à l’aptitude des ouvri­ers pour un enseigne­ment de cette nature, je suis per­suadé, que si l’on se dégage des préven­tions dérivées de nos habi­tudes sociales, on les trou­verait réelle­ment mieux dis­posés à con­cevoir net­te­ment une telle expo­si­tion que les gens du monde qui n’ont pas fait les études prélim­i­naires con­ven­ables, aux­quels j’adresse tous les jours des cours ayant le même objet. À défaut d’un pro­gramme réguli­er d’études sci­en­tifiques, il répan­dra des notions pos­i­tives et il espère éveiller en eux un juste sen­ti­ment de leur dig­nité par l’attrait que leur offrira un nou­v­el enseigne­ment essen­tielle­ment théorique, exclu­sive­ment des­tiné jusqu’ici à l’usage des messieurs.

Moreau de Tours, La mort du polytechnicien Vaneau, 29 juillet 1930.
More­au de Tours, La mort du poly­tech­ni­cien Vaneau, 29 juil­let 1930. © MUSÉE ÉCOLE POLYTECHNIQUE

Ce cours d’Astronomie, Auguste Comte va le tenir tous les dimanch­es, de une à trois heures de l’après-midi pen­dant dix-huit ans, dans la salle de la mairie du 3e arrondisse­ment, rue des Petits-Pères (entre la Bourse et Notre-Dame-des-Vic­toires). Il y était très attaché, n’hésitant pas à le con­tin­uer en son nom pro­pre pour se libér­er des con­traintes de l’Association, “ désireux d’aller au peu­ple et peut-être aus­si de sat­is­faire sa pas­sion de péd­a­gogue ”. Le cours d’astronomie pop­u­laire, réu­ni en vol­ume, sera pub­lié en 1844, avec une pré­face impor­tante con­nue sous le nom de Dis­cours sur l’esprit positif.

Il y mar­que son intérêt pour les pro­lé­taires, dont il attend un sou­tien et un accueil plus larges pour la philoso­phie pos­i­tive que des let­trés et des bour­geois. En tout cas, c’est au long de ces cours d’astronomie qu’il nouera d’intéressantes rela­tions avec ses audi­teurs, par­mi lesquels se recruteront les pre­miers pro­lé­taires positivistes.

Cepen­dant l’Association poly­tech­nique ne se dés­in­téresse pas de la sit­u­a­tion poli­tique. En cette fin d’année 1830, la colère de Juil­let n’est pas apaisée ; la sit­u­a­tion reste révolutionnaire.

À la suite du procès des min­istres de Charles X, qui échap­pent à la con­damna­tion cap­i­tale, la sit­u­a­tion est très ten­due. Le 22 décem­bre, tan­dis que les poly­tech­ni­ciens et les étu­di­ants par­courent la ville pour calmer la foule, à trois heures de l’après-midi, Auguste Comte rédi­ge une Adresse au Roi des Français qu’il fait sign­er par ses col­lègues du Comité per­ma­nent de l’Association polytechnique.

Dans le plus pur style com­tien, il dénonce la friv­o­le jac­tance des lég­is­la­teurs, qui ont voulu s’attribuer la gloire et le prof­it d’une régénéra­tion à laque­lle ils ont été générale­ment étrangers ; l’extrême incurie des Cham­bres et du Min­istère pour tout ce qui con­cerne l’instruction du peu­ple ; leur dédain pour sa par­tic­i­pa­tion aux avan­tages soci­aux en pro­por­tion de l’importance de ses travaux… Telles sont les caus­es rad­i­cales explicites ou implicites des mécon­tente­ments pop­u­laires. Aus­si le Comité de l’Association poly­tech­nique s’est cru autorisé par la pureté de ses inten­tions, et par les garanties que présente la com­po­si­tion de la société dont il émane, à s’adresser directe­ment à Votre Majesté pour lui promet­tre sa par­tic­i­pa­tion con­tre toute ten­ta­tive anar­chique, et la sup­plie en même temps d’imprimer à la marche générale du gou­verne­ment, la haute direc­tion pro­gres­sive, seule con­forme au véri­ta­ble esprit de la société actuelle.

Le Comité fut reçu par le Roi, la déc­la­ra­tion lui fut lue, mais le Roi accueil­lit froide­ment l’adresse de ses anciens com­men­saux du ban­quet. En tout cas, cette ini­tia­tive provo­qua des remous à l’intérieur de l’Association. Son influ­ence poli­tique fut défini­tive­ment anéantie, écrivent les rédac­teurs du livre du cinquan­te­naire en 1880, la société se trou­va réduite à son comité d’enseignement.

Les mêmes rédac­teurs s’interrogent sur les caus­es d’échec des pro­jets poli­tiques des fon­da­teurs : une telle asso­ci­a­tion d’un mil­li­er d’hommes occu­pant des sit­u­a­tions impor­tantes, for­més à la même école, ayant des aspi­ra­tions com­munes, aurait pu avoir une influ­ence con­sid­érable, par ses cours, dans les class­es ouvrières et peser sur les des­tinées du pays. Mais, comme le fai­sait remar­quer avec rai­son Auguste Comte : elle était dès son orig­ine con­damnée à l’impuissance par le manque d’une doc­trine com­mune. C’est cette doc­trine qu’il eût fal­lu d’abord for­mer et qui, accep­tée par tous les adhérents de l’Association, eût seule per­mis de les ral­li­er et de leur imprimer une direc­tion efficace.

D’ailleurs il ne tarde pas à se pro­duire une grave scis­sion, dès le mois d’avril 1831, due aux adeptes de Saint- Simon qui voulaient se servir de leurs cours pour propager leurs idées, con­traire­ment à Auguste Comte qui a tenu à se tenir rigoureuse­ment ren­fer­mé dans son enseigne­ment sci­en­tifique de l’astronomie, fer­me­ment con­va­in­cu que toute ques­tion étrangère à la sci­ence, doit être inter­dite dans les leçons, sous peine de com­pro­met­tre l’œuvre phil­an­thropique de la nou­velle insti­tu­tion. Il fal­lut exclure les pro­fesseurs con­va­in­cus de dévi­a­tion, mais qui s’empressent de créer une nou­velle Association.

Ce n’est qu’un des nom­breux épisodes dans la vie et l’histoire de l’Association poly­tech­nique. Elle sur­vivra, con­naî­tra une nou­velle crise en 1848 et sera offi­cielle­ment recon­nue par l’État d’utilité publique. (Décret du 30 juin 1869.)

Quant à Auguste Comte, il lui arrivera de regret­ter le règne de Louis XVIII. Il l’écrira du moins, bien des années plus tard, à Georges Aud­diffrent : Je dois digne­ment témoign­er les regrets que m’inspira la chute du régime le plus hon­nête, le plus noble et le plus vrai­ment libéral de tous ceux sous lesquels j’ai vécu. En tout cas les Bour­bons lui sem­blaient à tous égards préférables aux Orléans. Cette monar­chie bour­geoise, cette “ roy­auté impro­visée ” sen­tait trop l’esprit méta­physique. Et comme l’écrit Longchampt, il red­outait la per­ni­cieuse influ­ence des libéraux et leurs manœu­vres de parti.

Pour l’heure il lui faut bien sup­port­er le régime de Louis-Philippe, mais lorsqu’on lui demande de revêtir l’uniforme de garde nation­al, son sang ne fait qu’un tour et il refuse tout net. Il est traduit devant le con­seil de dis­ci­pline et il déclare fière­ment : Étant répub­li­cain de cœur et d’esprit, je ne puis prêter le ser­ment de défendre, au péril de ma vie et de celle des autres, un gou­verne­ment que je com­bat­trais si j’étais homme d’action.

Il est con­damné à trois jours de prison pour son refus ; mais il n’est pas à l’abri d’un procès devant la cour royale ; il fait des pro­vi­sions de papi­er, d’encre et cire à cacheter ; il démé­nage une par­tie de sa bib­lio­thèque et con­voque ses élèves à la prison. La vérité, dira Car­o­line, est que M. Comte trou­va qu’on le dérangeait lorsqu’on le mit à la porte au bout de trois jours.

Dans ces années-là il est vrai­ment répub­li­cain, mais il n’approuve les répub­li­cains que s’ils sont paci­fiques. Pour­tant, il va accepter d’assister les “ accusés d’avril ” arrêtés en 1834 à Paris à la suite des émeutes qui écla­tent dans une douzaine de villes (celle de Paris se ter­mine par le mas­sacre de la rue Transnon­ain). Les accusés de Paris con­fient leur défense à un comité d’avocats et de con­seils. Armand Mar­rast, rédac­teur en chef de La Tri­bune, fait appel à Auguste Comte, qui se retrou­ve dans le comité avec des per­son­nal­ités comme Éti­enne Ara­go, Bar­bès, Hip­poly­te Carnot, Pierre Ler­oux, Blan­qui, Ras­pail, etc. Il y avait 164 accusés et 4 000 témoins.

Le procès com­mence en 1835, mais en se mêlant à la “cohue d’avril”, il voit à l’œuvre le par­ti répub­li­cain et con­state son “ incur­able anar­chie ”. À l’occasion d’un grave inci­dent provo­qué par un défenseur qui injurie la Haute Cour, Auguste Comte fait une scène vio­lente au Comité.

Ce fut sa dernière man­i­fes­ta­tion publique en politique.

Son com­bat à lui est dans l’ordre des idées. Et son champ de bataille, ce sera d’abord l’École poly­tech­nique, où il est enfin entré, en 1832, par la petite porte, comme répéti­teur d’analyse et de mécanique. Mais pour lui, ce n’est qu’une “ pre­mière et pro­vi­soire recon­nais­sance de ses mérites ”.

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1. Pub­lié sous le titre Plan des travaux sci­en­tifiques néces­saires pour réor­gan­is­er la société dans l’ouvrage Philoso­phie des Sci­ences d’Auguste Comte (Gal­li­mard, Col­lec­tion Tel, 1996).
2. Revue Occi­den­tale, 1895, tome I, pages 4 et 5.
3. Pré­face per­son­nelle, tome II du Cours de Philoso­phie positive.
4. Let­tre à G. D’Eichthal, 5 août 1824.
5. Let­tre à Valat du 21 mai 1824.
6. Let­tre à G. D’Eichthal, 1er mai 1824.
7. La vie d’Auguste Comte, par Hen­ri Gouhi­er, Librairie Vrin, 1965.
8. Impor­tante let­tre à E. Tabar­ié, 22 août 1824.
9. Son “mode pré­caire d’exister” con­siste essen­tielle­ment à cette époque à don­ner des leçons de math­é­ma­tiques à des élèves qu’on veut bien lui envoy­er. Les témoignages con­cor­dent pour assur­er qu’il était un excel­lent professeur.
10. La jeunesse d’Auguste Comte et la for­ma­tion du pos­i­tivisme de H. Gouhi­er, tome III, page 300 et suite, Librairie Vrin, 1970.
11. “ Écrits de jeunesse ”, 1816–1828, “ Archives pos­i­tivistes ”, 1970.
12. Voir à la note 7, référence de l’ouvrage de Gouhier.
13. Dans cette let­tre déli­rante où il se flat­te d’être médecin, il ajoute en post-scrip­tum : “Mon sobri­quet à l’École poly­tech­nique était Sganarelle. Mes cama­rades auraient-ils été alors prophètes comme j’étais hier médecin. ”
14. Auguste Comte et la philoso­phie pos­i­tive, Émile Lit­tré, 1863.
15. Voir note 3.
16. Notice sur l’œuvre et la vie d’Auguste Comte, Robi­net, 1864.

17. Arti­cles pub­liés dans “ Écrits de Jeunesse ”. Voir note 11.
18. Paul Arbousse-Bastide. Con­tri­bu­tion sur “Auguste Comte et la folie“. Bul­letin de la Société française de philoso­phie, 1958.
19. Revue Occi­den­tale, tome 22, 1889.
20. Au sujet des remar­ques que lui fait Valat sur son style : “ Je crois avoir le style pro­pre au sujet c’est-à-dire, le style sci­en­tifique, et non celui recom­mandé par les faiseurs de rhé­torique. J’écris sous l’inspiration de ma pen­sée et sans aucune espèce d’art… il me serait impos­si­ble d’écrire d’une autre manière que celle que le moment me dicte.” Let­tre à Valat, 8 sep­tem­bre 1824.
21. Auguste Comte, prophète du XIXe siè­cle, Sernin. Édi­tions Alba­tros, 1993, page 133.
22. Déclar­er la philoso­phie, Dominique Lecourt, PUF, 1997. Plusieurs chapitres sur Comte. À lire absol­u­ment. Les deux pre­mières leçons du Cours sont pub­liées dans l’ouvrage cité en note 1.
23. Sur l’Association poly­tech­nique, on se référ­era à l’article de Gérard Bodé dans l’ouvrage : Paris des poly­tech­ni­ciens, 1994.
24. L’étude de M. Truf­fau est citée dans His­toire de l’École poly­tech­nique de Jean-Pierre Cal­lot, Stock, 1975.

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