Camp de réfugiés en Haïti

Électriciens sans frontières, partageons nos lumières

Dossier : ExpressionsMagazine N°736 Juin 2018
Par Jean-Pierre CERDAN

Une ONG de sol­i­dar­ité inter­na­tionale recon­nue d’utilité publique, com­posée de bénév­oles sou­vent élec­triciens. Elle veut amélior­er les con­di­tions de vie des pop­u­la­tions les plus dému­nies à tra­vers des actions d’accès à l’électricité et à l’eau. L’ex­em­ple le plus frap­pant est l’ar­rivée de l’élec­tric­ité dans un camp de réfugiés qui change com­plète­ment les con­di­tions de vie nocturnes. 

« Élec­triciens sans fron­tières est née comme une start-up : elle s’est lancée sur une idée nova­trice, mais à force de per­sévérance et d’engagement, de cœur et de souf­fle, son action est dev­enue significative. 

Depuis trente ans, Élec­triciens sans fron­tières met les com­pé­tences et le pro­fes­sion­nal­isme de ses bénév­oles, au ser­vice des pop­u­la­tions privées d’accès à l’électricité et à l’eau.

Ressusciter la vie

« Quand on par­le d’accès à l’électricité, on touche directe­ment à de nom­breux aspects de la vie quo­ti­di­enne. Avec l’électricité peu­vent se dévelop­per l’accès à l’éducation, aux soins, à l’eau par l’installation de pom­pes, mais aus­si la vie sociale et l’économie locale. 

« Ressus­citer la vie », c’est dans ces ter­mes que le chef du vil­lage de Boukar­gou au Burk­i­na Faso a résumé un jour notre action et ses retombées. 

État des lieux

1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité 80 % en Asie et dans l’Afrique subsaharienne 80 % en zone rurale 800 millions de personnes n’ont pas accès à une eau de qualité

Impliquer les populations locales

« Tout l’enjeu est de répon­dre à un besoin exprimé locale­ment, d’utiliser les ressources naturelles locales et d’impliquer les béné­fi­ci­aires afin de leur trans­fér­er les com­pé­tences néces­saires au moyen de formations. 

Comme le dis­ait Nel­son Man­dela : « Ce que tu fais pour moi, sans moi, tu le fais con­tre moi. » Nos actions deman­dent beau­coup de réal­isme et une grande atten­tion aux attentes… et aux ressources des communautés. 

On a sou­vent ten­dance à penser par exem­ple que le pho­to­voltaïque est gra­tu­it. Élec­triciens sans fron­tières prend en charge l’installation, les ressources naturelles certes sont gra­tu­ites, mais il faut prévoir de pou­voir à terme rem­plac­er des équipements défail­lants. Les bat­ter­ies sont des matériels coû­teux, et leur durée de vie ne dépasse pas quelques années. 

Les acteurs locaux doivent aus­si en avoir con­science : la vie d’un pro­jet com­mence au pre­mier kilowattheure. 


Un camp en Haïti. © Élec­triciens sans frontières

fontaine d’eau potable au Kenya.
Instal­la­tion d’une fontaine d’eau potable en 2011 au Kenya. © Élec­triciens sans frontières

Pérenniser nos actions

« Nos pro­jets sont garan­tis dix ans, pen­dant lesquels nous appor­tons un suivi. Ce suivi s’effectue au moyen de tableaux de bord tenus à jour par nos parte­naires locaux en lien avec des équipes dédiées de bénév­oles envoyés sur place. Ils sont chargés d’identifier ce qui fonc­tionne et ce qui ne fonc­tionne pas. 

La démarche de suivi est assez lourde et pointilleuse, mais ne suf­fit pas en tant que telle. Chaque pro­jet doit com­porter des activ­ités généra­tri­ces de revenus pour per­me­t­tre aux acteurs locaux de pren­dre en charge la main­te­nance des instal­la­tions. Mais c’est par­fois une mécanique déli­cate à met­tre en place. 

Quand vous êtes dans des espaces d’extrême pau­vreté, l’entretien de la bat­terie d’une instal­la­tion solaire passe après des besoins ali­men­taires vitaux. Pour faire face à ces sit­u­a­tions, nous avons donc mis en place un fonds de péren­ni­sa­tion des­tiné à assur­er la dura­bil­ité de nos projets. 

Être complémentaire

« Vis-à-vis du tra­vail des com­pag­nies d’électricité locales, les actions que nous menons sont com­plé­men­taires. Là où nous allons, dans les vil­lages de brousse où il n’y a pas de réseau, il n’y a aucune per­spec­tive d’accès à l’électricité.

Ce sont des lieux très reculés et aucune com­pag­nie d’électricité n’étendra son réseau pour ali­menter ces vil­lages. Ou bien, les per­son­nes qui y vivent sont trop pau­vres pour pay­er le rac­corde­ment au réseau exis­tant. Nous allons là où les autres ne vont pas. 

Nous venons mod­este­ment assur­er ce qu’ils ne peu­vent pas faire. Et nous n’intervenons qu’avec l’accord formel des autorités locales. 

En 2017

1 300 bénévoles, 23 000 jours de bénévolat, 35 pays d’intervention, 81 missions de terrain, 300 000 nouveaux bénéficiaires, 2,8 millions d’euros de ressources financières, Travail des bénévoles estimé à 6 millions d’euros

Aider ceux qui aident

« Élec­triciens sans fron­tières, dans sa voca­tion ini­tiale, est une ONG human­i­taire et de développe­ment. Nous menons des pro­jets de développe­ment, mais nous appor­tons aus­si nos com­pé­tences à des ONG comme Médecins sans fron­tières, Médecins du monde, la Croix- Rouge, Sol­i­dar­ités internationales. 

“ Nous allons là où les autres ne vont pas ”

Nous nous occupons des prob­lèmes de four­ni­ture d’énergie et de sécuri­sa­tion de leurs instal­la­tions. Et dans les sit­u­a­tions d’urgence, nous sommes à leurs côtés. 

Par exem­ple, en Haïti en 2010, après le trem­ble­ment de terre, Médecins sans fron­tières, arrivée sur les lieux, ne pou­vait pas opér­er sans élec­tric­ité. En appor­tant l’électricité, ESF per­met aux autres ONG d’agir.

Ain­si les recherch­es pour retrou­ver des sur­vivants coincés sous les décom­bres ont pu con­tin­uer la nuit, Action con­tre la faim a pu pré­par­er les col­is pen­dant la nuit pour les dis­tribuer le lende­main. Notre action dans l’urgence est d’abord d’aider ceux qui aident, d’être en back office d’autres ONG. 

En 2017, nos inter­ven­tions à la Dominique et Saint-Mar­tin rav­agées par les cyclones ont représen­té 20 % de nos missions. 

Ce qu’apporte la lumière à des sinistrés

LES DOUZE CRITÈRES DU LABEL ESF

  1. Les projets répondent à des besoins analysés et partagés avec les populations et les autres parties prenantes
  2. Les projets sont efficaces et atteignent leurs objectifs
  3. Les impacts négatifs sont évités ou atténués
  4. Les projets visent à assurer la pérennité des installations et à générer de impacts positifs durables pour les populations
  5. Les projets sont cohérents avec les valeurs et orientations de l’association
  6. Les projets respectent les populations
  7. Les projets anticipent et gèrent les risques
  8. Les projets prennent en compte les autres acteurs
  9. L’association a les ressources et l’expertise pour mener à bien les projets
  10. L’association a les capacités de gestion adaptées à la conduite des projets
  11. L’association utilise les ressources de façon efficiente pour les projets
  12. L’association utilise les leçons tirées de l’expérience pour les projets

« Notre action n’est par­fois pas immé­di­ate­ment perçue comme indis­pens­able. Et pour beau­coup d’humanitaires, l’électricité n’est pas un pro­duit human­i­taire. À l’époque du trem­ble­ment de terre en Haïti, quand l’ambassadeur de France a vu arriv­er les bénév­oles d’ESF avec leurs groupes élec­trogènes, il leur a répon­du : « Écoutez, il y a trop d’ONG, l’électricité en Haïti, ça fait des années qu’on n’en a pas ou si peu, revenez dans dix ans, ça n’est pas l’urgence. »

Les bénév­oles nous ont appelés, un peu désem­parés. Nous leur avons immé­di­ate­ment con­seil­lé d’électrifier le camp de sin­istrés instal­lé en face de l’ambassade. L’ambassadeur leur a ren­du hom­mage, et nous a dit un peu après : « J’ai compris. » 

En effet, quand les gens ont tout per­du, quand ils sont en sit­u­a­tion de trau­ma­tisme et d’isolement total, pour eux, se retrou­ver dans le noir est une dou­ble peine. Et c’est aus­si une ques­tion de sécu­rité. Les vio­lences faites aux femmes dans les camps de sin­istrés sont en quan­tité effroyable. 

Dès qu’un camp est élec­tri­fié, les vio­ls et agres­sions envers les femmes tombent presque à zéro. Avec la lumière, c’est un peu de vie qui reprend, et quand on est coupé de sa famille, ne sachant pas ce que sont devenus ses proches, l’électricité per­met de rétablir les moyens de com­mu­ni­ca­tion et de pass­er un coup de téléphone. 

Les ressources financières et humaines

« Nos ressources finan­cières en 2017 s’élèvent à 2,8 mil­lions d’euros. Au-delà des con­tri­bu­tions d’acteurs majeurs (MAE, Fon­da­tion de France, AFD), nous sommes fiers du sou­tien des entre­pris­es du secteur élec­trique comme Legrand, Nex­ans, Prys­mi­an, Schnei­der, Philips, SDMO… Ces entre­pris­es nous aident aus­si en nous don­nant accès gra­tu­ite­ment à leur cat­a­logue – dans cer­taines limites. 

On peut estimer à 500 000 € l’aide en matériel qui s’ajoute aux aides finan­cières reçues. Le Groupe EDF nous appuie à hau­teur de 25 %, mais nous ne sommes pas EDF sans fron­tières. Certes, au départ en 1986, ESF s’est con­sti­tuée comme une start-up qu’EDF a beau­coup soutenue. 

Depuis d’autres acteurs du monde de l’énergie se sont investis. Puis les col­lec­tiv­ités locales, les agences de l’eau, les con­seils régionaux impliqués dans des pro­jets de coopéra­tion sont devenus nos partenaires. 

Mais le gros des ressources vient du tra­vail des bénév­oles. Val­orisé sur un barème de 265 € par jour et par per­son­ne, le tra­vail de nos bénév­oles est donc estimé à env­i­ron 6 mil­lions d’euros.

La particularité des bénévoles d’ESF

« Nos bénév­oles ne sont pas des ama­teurs, con­traire­ment à l’idée qu’on se fait générale­ment des bénévoles. 

Installation de panneaux photovoltaïques.
Instal­la­tion de pan­neaux pho­to­voltaïques. © Élec­triciens sans frontières

Tant que nos parte­naires ne nous ont pas vu tra­vailler, ils ne savent pas que bon nom­bre de nos bénév­oles sont en réal­ité des pro­fes­sion­nels de l’électricité. Ce sont pour beau­coup des tech­ni­ciens et 50 % des bénév­oles ont encore une activ­ité professionnelle. 

Chez EDF, la poli­tique de mécé­nat était de per­me­t­tre aux salariés, qui par­taient qua­tre semaines en mis­sion, de ne décompter que deux semaines de congé. 

Or, beau­coup des bénév­oles salariés refusent cette facil­ité car ils con­sid­èrent que c’est une démarche per­son­nelle qui n’a pas à être com­pen­sée par leur entreprise. 

Sur les 1 300 bénév­oles, 200 sont prêts à par­tir du jour au lende­main en mis­sion d’urgence. Et nous avons égale­ment des bénév­oles présents sur le ter­rain, avec, par exem­ple, une base per­ma­nente en Haïti. 

Les compétences pour monter un projet

« Toutes les com­pé­tences sont les bien­v­enues. Mon­ter un pro­jet demande du temps, des com­pé­tences en ingénierie, mais aus­si dans le domaine social ou économique. Mais le plus impor­tant pour la réus­site d’un pro­jet, c’est l’écoute des besoins locaux. 

Un jour, deux nou­velles bénév­oles de la direc­tion des études et recherche sont venues me trou­ver : « On voudrait vous aider mais on ne sait rien faire. – C’est par­fait, leur ai-je répon­du, vous allez mon­ter un pro­jet. » Au Togo, nous étions sol­lic­ités pour l’électrification d’un cen­tre de santé. 

Or, on ne peut déter­min­er le cœur d’un pro­jet que si l’on est capa­ble de répon­dre à des besoins de façon équili­brée. Les deux bénév­oles sont allées sur place ren­con­tr­er les habi­tants, dis­cuter avec les femmes du vil­lage et ont pu lis­ter les besoins à par­tir desquels elles ont mon­té un projet. 

Aux côtés des tech­ni­ciens, nous avons aus­si besoin de bénév­oles capa­bles de cern­er les besoins très con­crets et var­iés des pop­u­la­tions, de telle sorte que nous appor­tions plus que l’électricité à un lieu et des per­son­nes, mais aus­si du développe­ment et une amélio­ra­tion de toute la vie quotidienne. 

Pour men­er nos actions, nous avons aus­si besoin de com­pé­tences trans­vers­es : compt­abil­ité, ges­tion, com­mu­ni­ca­tion, appui aux chefs de pro­jets pour avoir le label ESF très rigoureux, com­posé de 12 critères. Une com­mis­sion se réu­nit qua­tre fois par an pour exam­in­er et valid­er ou non les dossiers pré­parés par nos équipes. 

Eclairage public
Per­me­t­tre la sécuri­sa­tion de lieux publics grâce à l’électricité.

Pompage solaire de l'eau
Pom­page solaire d’une eau claire pour réduire le risque de mal­adies hydriques et répon­dre aux besoins en eau des habitants.

élèves en classe
Per­me­t­tre aux élèves de pou­voir tra­vailler dans des con­di­tions opti­males et ain­si aug­menter le taux de réus­site scolaire.

Des perspectives

« Plus de trente ans après sa créa­tion, Élec­triciens sans fron­tières fait aujourd’hui référence. 2018 ver­ra la réal­i­sa­tion de plusieurs pro­jets emblé­ma­tiques par leur taille et leur ambition. 

Les sou­tiens que nous ont accordés l’AFD ou la Banque Mon­di­ale nous per­me­t­tent de nous engager désor­mais dans des pro­grammes de grande ampleur. 

Mais nous n’oublions pas notre engage­ment à faire vivre durable­ment la mul­ti­tude des pro­jets passés et à venir. C’est notre mar­que de fabrique. »

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