Efficacité des marchés

Dossier : Le SursautMagazine N°619 Novembre 2006
Par Hubert LÉVY-LAMBERT (53)
Par Jean-Marc DANIEL (74)

L’efficacité d’un marché

Un mar­ché est effi­cace quand les pro­duc­teurs et les consom­ma­teurs sont nom­breux et bien infor­més et quand aucun obs­tacle n’in­ter­vient pour empê­cher la confron­ta­tion de l’offre et de la demande, notam­ment par inter­ven­tion arbi­traire sur les quan­ti­tés ou sur les prix.

L’in­ter­ven­tion exté­rieure est jus­ti­fiée lorsque le mar­ché n’est pas effi­cace, notam­ment en cas de mono­pole ou d’ef­fet externe ou lorsque la puis­sance publique estime que les consom­ma­teurs ne sont pas bien infor­més. Dans les autres cas, notam­ment lorsque l’ob­jec­tif est une redis­tri­bu­tion des reve­nus, le mar­ché se venge et génère des pertes éco­no­miques qui peuvent être considérables.

La vio­la­tion du bon fonc­tion­ne­ment du mar­ché peut se faire par la fixa­tion arbi­traire de la quan­ti­té offerte. Tel est le cas des taxis pari­siens depuis des décen­nies. Il en résulte alors une pénu­rie au détri­ment des uti­li­sa­teurs qui n’en trouvent pas quand ils en ont besoin et une aug­men­ta­tion du prix des courses en taxis dont pro­fitent les heu­reux béné­fi­ciaires des licences qui sont déli­vrées gra­tui­te­ment et se revendent à prix d’or (cf. article de Cahuc et Kra­marz dans ce numéro).

À côté de ces cas fla­grants et somme toute excep­tion­nels de fixa­tion des quan­ti­tés, on trouve nombre de cas de fixa­tion arbi­traire des prix. Ces cas sont plus nom­breux et plus nocifs car sou­vent invi­sibles. Dans notre éco­no­mie, les choix des consom­ma­teurs de biens et ser­vices sont basés essen­tiel­le­ment sur le prix qu’ils ont à payer. Le prix a un double usage : assu­rer un trans­fert de reve­nus entre le pro­duc­teur et le consom­ma­teur ; déter­mi­ner l’offre et la demande. La fixa­tion arti­fi­cielle du prix d’un bien en des­sous de son prix de revient, via la régle­men­ta­tion ou la fis­ca­li­té ou tout autre moyen, a donc un double effet : aug­men­ter le pou­voir d’a­chat du consom­ma­teur ; aug­men­ter la demande de ce bien.

Dans cer­tains cas, l’aug­men­ta­tion de la demande peut résul­ter d’une volon­té déli­bé­rée des pou­voirs publics. Ces cas sont excep­tion­nels. Elle est en géné­ral un effet induit – et indé­si­rable – de la volon­té des pou­voirs publics d’o­pé­rer un trans­fert de reve­nus via les prix. Outre son impact sur les finances publiques (cf. article de M. Pébe­reau), ce trans­fert est inef­fi­cace car il touche de nom­breuses per­sonnes non concer­nées (effet d’au­baine) et géné­ra­teur de pertes éco­no­miques car il aug­mente arti­fi­ciel­le­ment la demande.

Il peut arri­ver au contraire qu’un prix soit arti­fi­ciel­le­ment aug­men­té. Il en résulte alors une dimi­nu­tion de la demande du bien. Cela peut être déli­bé­ré dans cer­tains cas comme le tabac, pro­duit dont les consom­ma­teurs n’ap­pré­cient géné­ra­le­ment pas com­plè­te­ment les effets nocifs à long terme sur leur san­té. Mais il s’a­git le plus sou­vent de déci­sions prises dans un but pure­ment fis­cal, sans aucune ana­lyse de leurs consé­quences économiques.

Ce qui suit donne sous une forme volon­tai­re­ment sché­ma­tique quelques exemples de sec­teurs où les inter­ven­tions sur les mar­chés ne sont pas for­cé­ment opti­males, en met­tant volon­tai­re­ment l’ac­cent sur les mythes qui per­mettent d’ob­te­nir un consen­sus de l’o­pi­nion en se basant sur des pré­misses fausses.

Agriculture

La poli­tique agri­cole euro­péenne, comme celle des États-Unis, fixe des prix supé­rieurs aux prix d’é­qui­libre. Elle oriente mal les com­por­te­ments des consom­ma­teurs et des pro­duc­teurs et entre­tient arti­fi­ciel­le­ment une agri­cul­ture trop impor­tante et trop coû­teuse, au détri­ment des autres sec­teurs de l’é­co­no­mie ain­si que des agri­cul­teurs des pays moins déve­lop­pés. Une des jus­ti­fi­ca­tions sou­vent mise en avant est celle du main­tien d’une popu­la­tion rurale mini­male pré­sen­tée comme la meilleure garan­tie de la sau­ve­garde de l’environnement.

Cette idée de sau­ve­garde de l’en­vi­ron­ne­ment est lar­ge­ment infon­dée car l’a­gri­cul­ture moderne se déve­loppe selon les tech­niques les plus pro­duc­ti­vistes. Les agri­cul­tures des pays déve­lop­pés sont pol­luantes et épuisent les réserves natu­relles en eau (cf. Eau ci-des­sous). Outre ses moti­va­tions élec­to­ra­listes sur­es­ti­mées, notre poli­tique agri­cole semble le reflet ves­ti­gial du sou­ve­nir des famines du Moyen Âge. Pour­tant, dès le début du xixe siècle, les éco­no­mistes anglais avaient sou­li­gné que la volon­té de rendre un pays auto­suf­fi­sant sur le plan agri­cole han­di­ca­pait la crois­sance et que l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en blé et autres céréales à l’é­tran­ger per­mis par une sys­té­ma­ti­sa­tion du libre-échange favo­ri­se­rait le pou­voir d’a­chat et l’ex­pan­sion économique.

Air

La créa­tion d’un mar­ché peut être un méca­nisme éco­no­mique nova­teur pour le finan­ce­ment d’un bien public mon­dial. C’est le cas des mar­chés de per­mis d’é­mis­sion de gaz à effet de serre qui, dans le cadre du pro­to­cole de Kyo­to de 1997, ont voca­tion à pro­duire un bien public mon­dial, l’en­vi­ron­ne­ment et la dépol­lu­tion atmo­sphé­rique, au coût le moins élevé.

En pré­fi­gu­ra­tion de la mise en œuvre du Pro­to­cole en 2008, l’Eu­rope a ain­si mis en place en 2005 un mar­ché de quo­tas de CO2.

Consommation

Beau­coup de déci­sions publiques visent à favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment de la consom­ma­tion, par exemple via un taux de TVA modu­lé, selon le mythe que la consom­ma­tion crée des emplois. La consom­ma­tion est sou­vent pré­sen­tée non comme l’ob­jec­tif de la crois­sance éco­no­mique mais comme un moyen de l’en­tre­te­nir. Or, les poli­tiques récentes dites de relance par la consom­ma­tion ont tou­jours conduit à deux méca­nismes : une hausse des prix de la part des entre­prises inca­pables de répondre ins­tan­ta­né­ment à un sur­croît de demande ; une hausse du défi­cit extérieur.

La consom­ma­tion ne peut être un vec­teur de crois­sance en tant qu’­élé­ment consti­tu­tif de la demande que quand les capa­ci­tés pro­duc­tives des entre­prises sont lar­ge­ment sous-employées, ce qui était le cas dans les années 1930 quand Keynes a mis la demande au centre du rai­son­ne­ment éco­no­mique mais consti­tue un phé­no­mène his­to­rique rare. Ce n’est pas le cas dans la conjonc­ture actuelle. Le déblo­cage anti­ci­pé de l’é­pargne sala­riale fin 2003 a per­mis le déblo­cage de 10 mil­liards d’eu­ros qui a eu comme consé­quence une aggra­va­tion du défi­cit du com­merce exté­rieur (prin­ci­pa­le­ment en faveur de la Chine). Pour consom­mer plus, il faut d’a­bord pro­duire plus.

Eau

Avant même les quo­tas de CO2 (cf. Air ci-des­sus), les agences de bas­sin, créées par une loi de 1964 extrê­me­ment nova­trice et sans équi­valent dans le monde déve­lop­pé, sont un bon exemple d’in­ter­na­li­sa­tion d’ef­fets externes condui­sant à orien­ter les déci­sions indi­vi­duelles dans le bon sens. Char­gées de veiller à l’é­qui­libre des res­sources et des emplois de l’eau en quan­ti­té et en qua­li­té sur le ter­ri­toire de la France tout entière, ces agences devaient faire payer les uti­li­sa­teurs de la res­source, selon la loi de 1964, en fonc­tion de la manière dont cha­cun « rend néces­saire ou utile l’ac­tion de l’a­gence ou y trouve son inté­rêt ». Mal­heu­reu­se­ment, ce prin­cipe que l’on appelle « pol­lueur-payeur » dans le lan­gage cou­rant n’est pas tota­le­ment appli­qué pour des rai­sons poli­tiques, notam­ment comme nous l’a­vons vu pré­cé­dem­ment en ce qui concerne les agri­cul­teurs, gros consom­ma­teurs d’eau et gros pol­lueurs. Au sur­plus, il est for­te­ment ques­tion de fis­ca­li­ser les rede­vances, avec le risque qu’elles soient doré­na­vant noyées dans la masse des recettes publiques et ne soient plus affec­tées à leur objet.

Énergie

Lors du der­nier choc pétro­lier, alors qu’il aurait fal­lu pous­ser aux éco­no­mies d’éner­gie, les pou­voirs publics n’ont eu de cesse de faire l’in­verse par des mesures variées auprès des agri­cul­teurs, marins pêcheurs, arti­sans taxis, voire consom­ma­teurs, via une extra­or­di­naire « prime à la cuve », sans se sou­cier du coût de ces mesures ni de leur effet antiéconomique.

De même, pri­va­ti­sa­tion ou pas, le prix du gaz reste fixé par l’É­tat en des­sous du prix de revient, ce qui n’o­riente pas les déci­sions des consom­ma­teurs vers les éco­no­mies néces­saires ; même obser­va­tion avec le retour au tarif régu­lé des consom­ma­teurs d’élec­tri­ci­té par­tis à la concur­rence, inté­gré à la va-vite dans la loi, qui crée­ra non seule­ment des pertes injus­ti­fiées pour EDF mais aus­si des inci­ta­tions à une sur­con­som­ma­tion d’électricité.

Enfin, l’in­dus­trie fran­çaise de la voi­ture die­sel est par­mi les plus déve­lop­pées au monde parce que le car­bu­rant die­sel est moins taxé que l’es­sence, alors que le moteur die­sel coûte plus cher à l’a­chat et pol­lue géné­ra­le­ment plus. Il en résulte des pertes éco­no­miques et sociales impor­tantes, accrues par le fait que les raf­fi­ne­ries fran­çaises sont dés­équi­li­brées, ce qui oblige à impor­ter du gas-oil à grands frais.

Épargne

Le livret A a été créé pour favo­ri­ser l’é­pargne popu­laire. À force d’é­le­ver son pla­fond, le livret A est aujourd’­hui prin­ci­pa­le­ment déte­nu par des ménages aisés. Les banques pro­testent contre cette dis­tor­sion de concur­rence cri­ti­quée par Bruxelles mais elles demandent non de sup­pri­mer la dis­tor­sion mais de l’é­tendre, comme cela a été fait naguère avec le livret Bleu du Cré­dit Mutuel alsa­cien, éten­du il y a quelques années aux autres Cré­dits Mutuels. Une dis­tor­sion minime au départ a ain­si été géné­ra­li­sée avec comme consé­quence une inef­fi­ca­ci­té gran­dis­sante du mar­ché de l’épargne.

L’é­pargne n’a de sens que comme moyen de pré­pa­rer l’a­ve­nir. Dans une éco­no­mie équi­li­brée, cette épargne est égale à l’in­ves­tis­se­ment. Or, de nom­breux canaux tendent à détour­ner l’é­pargne du finan­ce­ment des entre­prises. C’est en par­ti­cu­lier le cas du main­tien d’un impor­tant défi­cit public qui, par ce que l’on appelle l’ef­fet d’é­vic­tion, absorbe l’é­qui­valent de 2,5 % du PIB qui pour­rait s’in­ves­tir ailleurs. L’É­tat, qui craint de ne pou­voir trou­ver les moyens de se finan­cer, favo­rise les pla­ce­ments qui se conver­tissent en dette publique comme l’assurance-vie.

Enseignement

Tout le monde s’ac­corde à dire que l’en­sei­gne­ment public coûte cher et est pour­tant inef­fi­cace. Par­mi les mesures à prendre pour redres­ser la situa­tion, il faut non seule­ment aug­men­ter l’au­to­no­mie des éta­blis­se­ments mais aus­si revoir leur finan­ce­ment. L’en­sei­gne­ment gra­tuit ne fonc­tionne plus, d’au­tant plus qu’il n’y a pas de sélec­tion à l’en­trée, ce qui fait que de nom­breux jeunes se four­voient dans des impasses coû­teuses pour la col­lec­ti­vi­té, dont per­sonne ne profite.

Cela serait évi­té si l’en­sei­gne­ment supé­rieur deve­nait réel­le­ment payant et était accom­pa­gné d’une poli­tique géné­reuse de bourses. L’exemple des USA et de nom­breux autres pays occi­den­taux montre que faire payer les uni­ver­si­tés n’est pas anti­so­cial, au contraire. De nom­breuses études sur les sys­tèmes uni­ver­si­taires occi­den­taux montrent que leur finan­ce­ment exclu­si­ve­ment public est anti­re­dis­tri­bu­tif. L’u­ni­ver­si­té accueille essen­tiel­le­ment des jeunes issus des milieux aisés et elle est finan­cée par les impôts de familles dont les enfants n’ac­cé­de­ront jamais au niveau de l’en­sei­gne­ment supé­rieur. En outre, les étu­diants res­pectent mieux ce qu’ils payent, il y a moins de déchets en cours de route et les bourses assurent qu’au­cun can­di­dat méri­tant n’est exclu du système.

Euro

On nous dit que les 25 mil­liards d’eu­ros de défi­cit sont impu­tables à la fac­ture pétro­lière : c’est faux ! Sans l’eu­ro, le franc aurait été déva­lué depuis long­temps et nous serions entre les mains du FMI. En effet, pour payer nos impor­ta­tions, dans un monde où le com­merce inter­na­tio­nal se fait en dol­lars, nous devons sans cesse nous pro­cu­rer des dol­lars en expor­tant. Le défi­cit com­mer­cial fran­çais est struc­tu­rel, ce qui péren­nise notre besoin de dol­lars. Sans l’eu­ro, nous aurions dû emprun­ter les dol­lars qui nous manquent jus­qu’au moment où plus per­sonne ne nous aurait prê­té, à l’ex­cep­tion du FMI qui nous l’au­rait fait payer cher. Aujourd’­hui, l’eu­ro nous per­met de béné­fi­cier des excé­dents exté­rieurs alle­mands. Mais cette faci­li­té ne doit pas nous faire igno­rer la réa­li­té. Et cette réa­li­té doit être par­fai­te­ment com­prise. Les équa­tions qui décrivent les enchaî­ne­ments comp­tables de l’é­co­no­mie montrent qu’un défi­cit exté­rieur signi­fie un manque d’é­pargne nationale.

Manque d’é­pargne publique d’une part, c’est-à-dire exis­tence d’un défi­cit bud­gé­taire. Tout défi­cit bud­gé­taire conduit à une dété­rio­ra­tion de la balance com­mer­ciale. C’est ce que les com­men­ta­teurs décrivent en appe­lant défi­cits jumeaux les défi­cits bud­gé­taire et exté­rieur. Si on les montre régu­liè­re­ment du doigt pour les États-Unis, il faut savoir qu’ils concernent éga­le­ment la France.

Manque d’é­pargne pri­vée d’autre part. Un pays en défi­cit exté­rieur doit épar­gner si bien que sou­te­nir la consom­ma­tion aggrave la situation.

Logement

Sous une forme ou sous une autre, le blo­cage des loyers remonte à la Pre­mière Guerre mon­diale et se pour­suit de nos jours. Tous les textes depuis la loi de 1919 des­ti­née à pro­té­ger les vic­times de la guerre, jus­qu’à la loi Aurillac qui a créé une pro­tec­tion sup­plé­men­taire en faveur des loca­taires pour répondre aux pro­tes­ta­tions de quelques VIP du 17e arron­dis­se­ment, en pas­sant par la loi de 48 qui va bien­tôt fêter son 60e anni­ver­saire, sont du même esprit : pro­té­ger le loca­taire vis-à-vis du pro­prié­taire en igno­rant les effets induits de dés­in­ves­tis­se­ments, voire de déla­bre­ment sur les loge­ments exis­tants que cela entraîne. Pour­tant, dès 1920, l’é­co­no­miste Charles Gide, alors pro­fes­seur au Col­lège de France, avait pris comme exemple de la bonne inten­tion qui se retourne contre elle-même la poli­tique du loge­ment. Chaque ministre du Loge­ment crée son dis­po­si­tif fis­cal, sans pour autant reve­nir sur celui de son pré­dé­ces­seur. Il suf­fit pour s’en convaincre de regar­der la feuille bleue sur laquelle le contri­buable déclare ses reve­nus fon­ciers. On y voit se suc­cé­der les régimes Mal­raux, Qui­lès, Méhai­gne­rie, Qui­lès-Méhai­gne­rie, Péris­sol, Bes­son, Lie­ne­mann, Robien, Bor­loo, Bor­loo popu­laire, etc.

Tous ces dis­po­si­tifs ont pour objet, à grands frais pour les finances publiques, d’en­cou­ra­ger l’in­ves­tis­se­ment loca­tif pour pal­lier sa faible ren­ta­bi­li­té et son faible attrait pour les inves­tis­seurs. Ce faible attrait pro­vient pré­ci­sé­ment des fortes régle­men­ta­tions qui décou­ragent l’a­chat de loge­ment comme pla­ce­ment loca­tif. On est dans la situa­tion du conduc­teur qui appuie simul­ta­né­ment sur l’ac­cé­lé­ra­teur et sur le frein et s’é­tonne de ne pas avan­cer et de consom­mer beau­coup d’essence.

Pour­quoi la ren­ta­bi­li­té du loge­ment loca­tif est-elle deux fois plus faible que celle du bureau ? Pour­quoi le prix d’un loge­ment occu­pé est-il infé­rieur à celui d’un loge­ment libre alors qu’à l’in­verse des bureaux occu­pés valent beau­coup plus cher que des bureaux vides ?

La réponse à ces ques­tions qui ne sont valables qu’en France per­met­trait aux pou­voirs publics de faire des éco­no­mies consi­dé­rables en sup­pri­mant une ribam­belle d’aides sans pour autant sacri­fier à leurs objec­tifs en matière de logement.

Santé

Le défi­cit de la Sécu­ri­té sociale a été pour la pre­mière fois en cin­quante ans conforme aux pré­vi­sions (8 mil­liards d’eu­ros) ! Une vraie réforme est à faire, qui doit éli­mi­ner le défi­cit. Aujourd’­hui, avec la géné­ra­li­sa­tion du tiers payant, le vrai prix d’un médi­ca­ment est impos­sible à mesu­rer : occul­ter le prix est un signal éco­no­mique désas­treux. Les Fran­çais consomment des por­tables, des bala­deurs et des voi­tures avec l’argent qu’ils ne consacrent pas à leurs dépenses de san­té. Tou­te­fois, les médi­ca­ments ne repré­sentent que 15 % des dépenses de san­té. En revanche, 55 % sont impu­tables aux hôpi­taux (deux tiers publics pour un tiers pri­vé). Une énorme bataille est enga­gée en France entre cli­niques pri­vées (40 % moins chères) et hôpi­taux publics. Le mar­ché de la san­té doit pou­voir fonc­tion­ner ; les consom­ma­teurs doivent pou­voir choi­sir ; les popu­la­tions aisées doivent payer le vrai prix ; seule la frange la plus modeste doit être aidée.

Le pro­blème des dépenses de san­té réside dans ce que par rap­port à un mar­ché tra­di­tion­nel, l’of­freur – le méde­cin – et le deman­deur – le malade – ne dis­posent pas de la même quan­ti­té d’in­for­ma­tions et ne sont pas en situa­tion d’é­ga­li­té. Pour réta­blir cette situa­tion d’é­ga­li­té, il faut qu’un tiers inter­vienne en dis­po­sant du même savoir que le méde­cin. La Sécu­ri­té sociale devait entre autres jouer ce rôle en met­tant en place tout un dis­po­si­tif de contrôle et de négo­cia­tion avec les pro­fes­sions médi­cales. Son échec dans le par­tage du savoir avec les pro­fes­sions médi­cales et dans le contrôle de leur acti­vi­té se mesure très exac­te­ment par le défi­cit. Comme l’exis­tence de ce défi­cit ne remet pas en cause la situa­tion de ceux qui la gèrent, la Sécu­ri­té sociale s’en­dette. Pour s’en sor­tir, il faut soit pri­va­ti­ser la Sécu­ri­té sociale de façon à ce que le défi­cit pré­ci­pite les ges­tion­naires dans la faillite, soit rendre leur res­pon­sa­bi­li­té pleine et entière aux coti­sants en inter­di­sant toute forme de défi­cit et en fai­sant des ges­tion­naires leurs authen­tiques repré­sen­tants comme c’é­tait le cas à l’origine.

Transports

Une fac­tu­ra­tion logique des infra­struc­tures de trans­ports serait basée sur le coût mar­gi­nal de contri­bu­tion à la conges­tion. Le péage urbain ins­tau­ré à Londres en 2002 et qui vient d’être expé­ri­men­té avec suc­cès à Stock­holm en est un bon exemple qui fonc­tionne mieux que la solu­tion pari­sienne qui par­tage la chaus­sée entre auto­bus et taxis trop rares et voi­tures qui s’ag­glu­tinent sans espoir sur le reste de la chaus­sée. De même, les auto­routes fran­çaises devraient être payantes à proxi­mi­té des centres urbains et gra­tuites sur les tron­çons de liai­son (à l’ex­cep­tion des périodes de conges­tion liées aux départs et retours de vacances). On s’é­loigne de la bonne solu­tion en cédant des conces­sions d’au­to­routes car on fige une situa­tion éco­no­mi­que­ment néfaste. La vente des auto­routes empê­che­ra de sup­pri­mer à terme les péages anti-éco­no­miques et n’a même pas pour effet de réduire le défi­cit public !1

Travail

L’aug­men­ta­tion du SMIC à 1 500 € répond à de bonnes inten­tions. Mais il en résul­te­rait un tas­se­ment de la pyra­mide des salaires et une évic­tion des per­sonnes les moins qua­li­fiées. Un coût trop éle­vé du tra­vail conduit à du chô­mage. On peut se deman­der en outre si nous ne pré­pa­rons pas la guerre pré­cé­dente en prô­nant la sta­bi­li­té de l’emploi : au risque de pas­ser pour un ico­no­claste, ne faut-il pas désor­mais se pré­pa­rer à pri­mer les entre­prises qui licencient ?

À par­tir de 2006, une socié­té qui libère une per­sonne rend ser­vice à l’é­co­no­mie car la popu­la­tion active a com­men­cé à dimi­nuer. La socié­té rurale était fon­dée sur la trans­mis­sion des condi­tions sociales de géné­ra­tion en géné­ra­tion. Il n’y avait ni ascen­seur social ni méca­nisme de régres­sion. La socié­té indus­trielle repo­sait sur des muta­tions accom­plies à chaque géné­ra­tion. Le dis­cours répu­bli­cain iden­ti­fié à l’é­cole de Jules Fer­ry se glo­ri­fiait d’une évo­lu­tion où le grand-père était pay­san, le père ouvrier, le fils ingé­nieur, cha­cun exer­çant son acti­vi­té toute sa vie. C’é­tait cela qui consti­tuait le mythique ascen­seur social.

Aujourd’­hui, nul ne peut pré­tendre dans une socié­té qui change en per­ma­nence se com­pa­rer à ses ancêtres ni sim­ple­ment exer­cer pen­dant toute sa car­rière la même acti­vi­té. De nos jours, les entre­prises pro­duisent de plus en plus d’im­ma­té­riel si bien que le sto­ckage devient impos­sible, y com­pris celui de la capa­ci­té de tra­vail. Il faut donc une révo­lu­tion coper­ni­cienne du mar­ché de l’emploi, fon­dée sur la mobi­li­té et l’a­dap­ta­bi­li­té per­ma­nente (cf. article de Cahuc et Kra­marz ci-avant).

Vérité des prix

En matière d’in­ter­ven­tion sur les prix, direc­te­ment ou par la fis­ca­li­té ou la régle­men­ta­tion, l’É­tat doit se fixer des règles d’in­ter­ven­tion strictes, avec une déon­to­lo­gie des dis­tor­sions. L’a­na­lyse de l’im­pact des mesures envi­sa­gées doit être préa­la­ble­ment effec­tuée en opé­rant un bou­clage macroé­co­no­mique com­plet de leurs consé­quences, tenant compte des réac­tions pré­vi­sibles des agents économiques.

À défaut, on s’ex­pose à des dépenses inutiles au pro­fit de per­sonnes non concer­nées et à des effets per­vers sur les mar­chés, allant sou­vent à l’in­verse du but pro­po­sé. La concur­rence est une néces­si­té non seule­ment parce qu’elle est au cœur de la démarche de construc­tion d’une éco­no­mie euro­péenne inté­grée, mais encore parce qu’elle est éco­no­mi­que­ment par­lant le moyen le plus sûr d’as­su­rer la crois­sance et la répar­ti­tion opti­male des reve­nus. Vou­loir assu­rer une répar­ti­tion des reve­nus per­çue comme socia­le­ment plus juste est un objec­tif en soi. L’im­pôt sur le reve­nu et son ava­tar la prime pour l’emploi, conve­na­ble­ment ajus­tée pour évi­ter les abus actuels, devraient y pour­voir plus effi­ca­ce­ment pour l’é­co­no­mie natio­nale et à moindre coût pour les finances publiques que toute forme de refus de la concur­rence et de la véri­té des prix.

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1. Lorsque l’É­tat cède des par­ti­ci­pa­tions dans des entre­prises qui lui rap­por­taient plus que le coût des OAT (Obli­ga­tions assi­mi­lables du Tré­sor), c’est une aggra­va­tion des dépenses publiques qui s’en­suit ! Idem lorsque l’É­tat cède des immeubles pour les louer ensuite à 6 %… Le poids de la dette ne se rédui­ra qu’en rédui­sant la dépense publique.

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