Efficacité des marchés

Dossier : Le SursautMagazine N°619 Novembre 2006
Par Hubert LÉVY-LAMBERT (53)
Par Jean-Marc DANIEL (74)

L’efficacité d’un marché

Un marché est effi­cace quand les pro­duc­teurs et les con­som­ma­teurs sont nom­breux et bien infor­més et quand aucun obsta­cle n’in­ter­vient pour empêch­er la con­fronta­tion de l’of­fre et de la demande, notam­ment par inter­ven­tion arbi­traire sur les quan­tités ou sur les prix.

L’in­ter­ven­tion extérieure est jus­ti­fiée lorsque le marché n’est pas effi­cace, notam­ment en cas de mono­pole ou d’ef­fet externe ou lorsque la puis­sance publique estime que les con­som­ma­teurs ne sont pas bien infor­més. Dans les autres cas, notam­ment lorsque l’ob­jec­tif est une redis­tri­b­u­tion des revenus, le marché se venge et génère des pertes économiques qui peu­vent être considérables.

La vio­la­tion du bon fonc­tion­nement du marché peut se faire par la fix­a­tion arbi­traire de la quan­tité offerte. Tel est le cas des taxis parisiens depuis des décen­nies. Il en résulte alors une pénurie au détri­ment des util­isa­teurs qui n’en trou­vent pas quand ils en ont besoin et une aug­men­ta­tion du prix des cours­es en taxis dont prof­i­tent les heureux béné­fi­ci­aires des licences qui sont délivrées gra­tu­ite­ment et se reven­dent à prix d’or (cf. arti­cle de Cahuc et Kra­marz dans ce numéro).

À côté de ces cas fla­grants et somme toute excep­tion­nels de fix­a­tion des quan­tités, on trou­ve nom­bre de cas de fix­a­tion arbi­traire des prix. Ces cas sont plus nom­breux et plus nocifs car sou­vent invis­i­bles. Dans notre économie, les choix des con­som­ma­teurs de biens et ser­vices sont basés essen­tielle­ment sur le prix qu’ils ont à pay­er. Le prix a un dou­ble usage : assur­er un trans­fert de revenus entre le pro­duc­teur et le con­som­ma­teur ; déter­min­er l’of­fre et la demande. La fix­a­tion arti­fi­cielle du prix d’un bien en dessous de son prix de revient, via la régle­men­ta­tion ou la fis­cal­ité ou tout autre moyen, a donc un dou­ble effet : aug­menter le pou­voir d’achat du con­som­ma­teur ; aug­menter la demande de ce bien.

Dans cer­tains cas, l’aug­men­ta­tion de la demande peut résul­ter d’une volon­té délibérée des pou­voirs publics. Ces cas sont excep­tion­nels. Elle est en général un effet induit — et indésir­able — de la volon­té des pou­voirs publics d’opér­er un trans­fert de revenus via les prix. Out­re son impact sur les finances publiques (cf. arti­cle de M. Pébereau), ce trans­fert est inef­fi­cace car il touche de nom­breuses per­son­nes non con­cernées (effet d’aubaine) et généra­teur de pertes économiques car il aug­mente arti­fi­cielle­ment la demande.

Il peut arriv­er au con­traire qu’un prix soit arti­fi­cielle­ment aug­men­té. Il en résulte alors une diminu­tion de la demande du bien. Cela peut être délibéré dans cer­tains cas comme le tabac, pro­duit dont les con­som­ma­teurs n’ap­pré­cient générale­ment pas com­plète­ment les effets nocifs à long terme sur leur san­té. Mais il s’ag­it le plus sou­vent de déci­sions pris­es dans un but pure­ment fis­cal, sans aucune analyse de leurs con­séquences économiques.

Ce qui suit donne sous une forme volon­taire­ment sché­ma­tique quelques exem­ples de secteurs où les inter­ven­tions sur les marchés ne sont pas for­cé­ment opti­males, en met­tant volon­taire­ment l’ac­cent sur les mythes qui per­me­t­tent d’obtenir un con­sen­sus de l’opin­ion en se bas­ant sur des prémiss­es fausses.

Agriculture

La poli­tique agri­cole européenne, comme celle des États-Unis, fixe des prix supérieurs aux prix d’équili­bre. Elle ori­ente mal les com­porte­ments des con­som­ma­teurs et des pro­duc­teurs et entre­tient arti­fi­cielle­ment une agri­cul­ture trop impor­tante et trop coû­teuse, au détri­ment des autres secteurs de l’é­conomie ain­si que des agricul­teurs des pays moins dévelop­pés. Une des jus­ti­fi­ca­tions sou­vent mise en avant est celle du main­tien d’une pop­u­la­tion rurale min­i­male présen­tée comme la meilleure garantie de la sauve­g­arde de l’environnement.

Cette idée de sauve­g­arde de l’en­vi­ron­nement est large­ment infondée car l’a­gri­cul­ture mod­erne se développe selon les tech­niques les plus pro­duc­tivistes. Les agri­cul­tures des pays dévelop­pés sont pol­lu­antes et épuisent les réserves naturelles en eau (cf. Eau ci-dessous). Out­re ses moti­va­tions élec­toral­istes sures­timées, notre poli­tique agri­cole sem­ble le reflet ves­ti­gial du sou­venir des famines du Moyen Âge. Pour­tant, dès le début du xixe siè­cle, les écon­o­mistes anglais avaient souligné que la volon­té de ren­dre un pays auto­suff­isant sur le plan agri­cole hand­i­ca­pait la crois­sance et que l’ap­pro­vi­sion­nement en blé et autres céréales à l’é­tranger per­mis par une sys­té­ma­ti­sa­tion du libre-échange favoris­erait le pou­voir d’achat et l’ex­pan­sion économique.

Air

La créa­tion d’un marché peut être un mécan­isme économique nova­teur pour le finance­ment d’un bien pub­lic mon­di­al. C’est le cas des marchés de per­mis d’émis­sion de gaz à effet de serre qui, dans le cadre du pro­to­cole de Kyoto de 1997, ont voca­tion à pro­duire un bien pub­lic mon­di­al, l’en­vi­ron­nement et la dépol­lu­tion atmo­sphérique, au coût le moins élevé.

En pré­fig­u­ra­tion de la mise en œuvre du Pro­to­cole en 2008, l’Eu­rope a ain­si mis en place en 2005 un marché de quo­tas de CO2.

Consommation

Beau­coup de déci­sions publiques visent à favoris­er le développe­ment de la con­som­ma­tion, par exem­ple via un taux de TVA mod­ulé, selon le mythe que la con­som­ma­tion crée des emplois. La con­som­ma­tion est sou­vent présen­tée non comme l’ob­jec­tif de la crois­sance économique mais comme un moyen de l’en­tretenir. Or, les poli­tiques récentes dites de relance par la con­som­ma­tion ont tou­jours con­duit à deux mécan­ismes : une hausse des prix de la part des entre­pris­es inca­pables de répon­dre instan­ta­né­ment à un sur­croît de demande ; une hausse du déficit extérieur.

La con­som­ma­tion ne peut être un vecteur de crois­sance en tant qu’élé­ment con­sti­tu­tif de la demande que quand les capac­ités pro­duc­tives des entre­pris­es sont large­ment sous-employées, ce qui était le cas dans les années 1930 quand Keynes a mis la demande au cen­tre du raison­nement économique mais con­stitue un phénomène his­torique rare. Ce n’est pas le cas dans la con­jonc­ture actuelle. Le déblocage anticipé de l’é­pargne salar­i­ale fin 2003 a per­mis le déblocage de 10 mil­liards d’eu­ros qui a eu comme con­séquence une aggra­va­tion du déficit du com­merce extérieur (prin­ci­pale­ment en faveur de la Chine). Pour con­som­mer plus, il faut d’abord pro­duire plus.

Eau

Avant même les quo­tas de CO2 (cf. Air ci-dessus), les agences de bassin, créées par une loi de 1964 extrême­ment nova­trice et sans équiv­a­lent dans le monde dévelop­pé, sont un bon exem­ple d’in­ter­nal­i­sa­tion d’ef­fets externes con­duisant à ori­en­ter les déci­sions indi­vidu­elles dans le bon sens. Chargées de veiller à l’équili­bre des ressources et des emplois de l’eau en quan­tité et en qual­ité sur le ter­ri­toire de la France tout entière, ces agences devaient faire pay­er les util­isa­teurs de la ressource, selon la loi de 1964, en fonc­tion de la manière dont cha­cun « rend néces­saire ou utile l’ac­tion de l’a­gence ou y trou­ve son intérêt ». Mal­heureuse­ment, ce principe que l’on appelle « pol­lueur-payeur » dans le lan­gage courant n’est pas totale­ment appliqué pour des raisons poli­tiques, notam­ment comme nous l’avons vu précédem­ment en ce qui con­cerne les agricul­teurs, gros con­som­ma­teurs d’eau et gros pol­lueurs. Au sur­plus, il est forte­ment ques­tion de fis­calis­er les rede­vances, avec le risque qu’elles soient doré­na­vant noyées dans la masse des recettes publiques et ne soient plus affec­tées à leur objet.

Énergie

Lors du dernier choc pétroli­er, alors qu’il aurait fal­lu pouss­er aux économies d’én­ergie, les pou­voirs publics n’ont eu de cesse de faire l’in­verse par des mesures var­iées auprès des agricul­teurs, marins pêcheurs, arti­sans taxis, voire con­som­ma­teurs, via une extra­or­di­naire « prime à la cuve », sans se souci­er du coût de ces mesures ni de leur effet antiéconomique.

De même, pri­vati­sa­tion ou pas, le prix du gaz reste fixé par l’É­tat en dessous du prix de revient, ce qui n’ori­ente pas les déci­sions des con­som­ma­teurs vers les économies néces­saires ; même obser­va­tion avec le retour au tarif régulé des con­som­ma­teurs d’élec­tric­ité par­tis à la con­cur­rence, inté­gré à la va-vite dans la loi, qui créera non seule­ment des pertes injus­ti­fiées pour EDF mais aus­si des inci­ta­tions à une sur­con­som­ma­tion d’électricité.

Enfin, l’in­dus­trie française de la voiture diesel est par­mi les plus dévelop­pées au monde parce que le car­bu­rant diesel est moins taxé que l’essence, alors que le moteur diesel coûte plus cher à l’achat et pol­lue générale­ment plus. Il en résulte des pertes économiques et sociales impor­tantes, accrues par le fait que les raf­finer­ies français­es sont déséquili­brées, ce qui oblige à importer du gas-oil à grands frais.

Épargne

Le livret A a été créé pour favoris­er l’é­pargne pop­u­laire. À force d’élever son pla­fond, le livret A est aujour­d’hui prin­ci­pale­ment détenu par des ménages aisés. Les ban­ques protes­tent con­tre cette dis­tor­sion de con­cur­rence cri­tiquée par Brux­elles mais elles deman­dent non de sup­primer la dis­tor­sion mais de l’é­ten­dre, comme cela a été fait naguère avec le livret Bleu du Crédit Mutuel alsa­cien, éten­du il y a quelques années aux autres Crédits Mutuels. Une dis­tor­sion min­ime au départ a ain­si été général­isée avec comme con­séquence une inef­fi­cac­ité gran­dis­sante du marché de l’épargne.

L’é­pargne n’a de sens que comme moyen de pré­par­er l’avenir. Dans une économie équili­brée, cette épargne est égale à l’in­vestisse­ment. Or, de nom­breux canaux ten­dent à détourn­er l’é­pargne du finance­ment des entre­pris­es. C’est en par­ti­c­uli­er le cas du main­tien d’un impor­tant déficit pub­lic qui, par ce que l’on appelle l’ef­fet d’évic­tion, absorbe l’équiv­a­lent de 2,5 % du PIB qui pour­rait s’in­ve­stir ailleurs. L’É­tat, qui craint de ne pou­voir trou­ver les moyens de se financer, favorise les place­ments qui se con­ver­tis­sent en dette publique comme l’assurance-vie.

Enseignement

Tout le monde s’ac­corde à dire que l’en­seigne­ment pub­lic coûte cher et est pour­tant inef­fi­cace. Par­mi les mesures à pren­dre pour redress­er la sit­u­a­tion, il faut non seule­ment aug­menter l’au­tonomie des étab­lisse­ments mais aus­si revoir leur finance­ment. L’en­seigne­ment gra­tu­it ne fonc­tionne plus, d’au­tant plus qu’il n’y a pas de sélec­tion à l’en­trée, ce qui fait que de nom­breux jeunes se four­voient dans des impass­es coû­teuses pour la col­lec­tiv­ité, dont per­son­ne ne profite.

Cela serait évité si l’en­seigne­ment supérieur deve­nait réelle­ment payant et était accom­pa­g­né d’une poli­tique généreuse de bours­es. L’ex­em­ple des USA et de nom­breux autres pays occi­den­taux mon­tre que faire pay­er les uni­ver­sités n’est pas anti­so­cial, au con­traire. De nom­breuses études sur les sys­tèmes uni­ver­si­taires occi­den­taux mon­trent que leur finance­ment exclu­sive­ment pub­lic est antire­dis­trib­u­tif. L’u­ni­ver­sité accueille essen­tielle­ment des jeunes issus des milieux aisés et elle est financée par les impôts de familles dont les enfants n’ac­céderont jamais au niveau de l’en­seigne­ment supérieur. En out­re, les étu­di­ants respectent mieux ce qu’ils payent, il y a moins de déchets en cours de route et les bours­es assurent qu’au­cun can­di­dat méri­tant n’est exclu du système.

Euro

On nous dit que les 25 mil­liards d’eu­ros de déficit sont imputa­bles à la fac­ture pétrolière : c’est faux ! Sans l’eu­ro, le franc aurait été déval­ué depuis longtemps et nous seri­ons entre les mains du FMI. En effet, pour pay­er nos impor­ta­tions, dans un monde où le com­merce inter­na­tion­al se fait en dol­lars, nous devons sans cesse nous pro­cur­er des dol­lars en expor­tant. Le déficit com­mer­cial français est struc­turel, ce qui péren­nise notre besoin de dol­lars. Sans l’eu­ro, nous auri­ons dû emprunter les dol­lars qui nous man­quent jusqu’au moment où plus per­son­ne ne nous aurait prêté, à l’ex­cep­tion du FMI qui nous l’au­rait fait pay­er cher. Aujour­d’hui, l’eu­ro nous per­met de béné­fici­er des excé­dents extérieurs alle­mands. Mais cette facil­ité ne doit pas nous faire ignor­er la réal­ité. Et cette réal­ité doit être par­faite­ment com­prise. Les équa­tions qui décrivent les enchaîne­ments compt­a­bles de l’é­conomie mon­trent qu’un déficit extérieur sig­ni­fie un manque d’é­pargne nationale.

Manque d’é­pargne publique d’une part, c’est-à-dire exis­tence d’un déficit budgé­taire. Tout déficit budgé­taire con­duit à une détéri­o­ra­tion de la bal­ance com­mer­ciale. C’est ce que les com­men­ta­teurs décrivent en appelant déficits jumeaux les déficits budgé­taire et extérieur. Si on les mon­tre régulière­ment du doigt pour les États-Unis, il faut savoir qu’ils con­cer­nent égale­ment la France.

Manque d’é­pargne privée d’autre part. Un pays en déficit extérieur doit épargn­er si bien que soutenir la con­som­ma­tion aggrave la situation.

Logement

Sous une forme ou sous une autre, le blocage des loy­ers remonte à la Pre­mière Guerre mon­di­ale et se pour­suit de nos jours. Tous les textes depuis la loi de 1919 des­tinée à pro­téger les vic­times de la guerre, jusqu’à la loi Auril­lac qui a créé une pro­tec­tion sup­plé­men­taire en faveur des locataires pour répon­dre aux protes­ta­tions de quelques VIP du 17e arrondisse­ment, en pas­sant par la loi de 48 qui va bien­tôt fêter son 60e anniver­saire, sont du même esprit : pro­téger le locataire vis-à-vis du pro­prié­taire en igno­rant les effets induits de dés­in­vestisse­ments, voire de délabre­ment sur les loge­ments exis­tants que cela entraîne. Pour­tant, dès 1920, l’é­con­o­miste Charles Gide, alors pro­fesseur au Col­lège de France, avait pris comme exem­ple de la bonne inten­tion qui se retourne con­tre elle-même la poli­tique du loge­ment. Chaque min­istre du Loge­ment crée son dis­posi­tif fis­cal, sans pour autant revenir sur celui de son prédécesseur. Il suf­fit pour s’en con­va­in­cre de regarder la feuille bleue sur laque­lle le con­tribuable déclare ses revenus fonciers. On y voit se suc­céder les régimes Mal­raux, Quilès, Méhaigner­ie, Quilès-Méhaigner­ie, Péris­sol, Besson, Liene­mann, Robi­en, Bor­loo, Bor­loo pop­u­laire, etc.

Tous ces dis­posi­tifs ont pour objet, à grands frais pour les finances publiques, d’en­cour­ager l’in­vestisse­ment locatif pour pal­li­er sa faible rentabil­ité et son faible attrait pour les investis­seurs. Ce faible attrait provient pré­cisé­ment des fortes régle­men­ta­tions qui découra­gent l’achat de loge­ment comme place­ment locatif. On est dans la sit­u­a­tion du con­duc­teur qui appuie simul­tané­ment sur l’ac­céléra­teur et sur le frein et s’é­tonne de ne pas avancer et de con­som­mer beau­coup d’essence.

Pourquoi la rentabil­ité du loge­ment locatif est-elle deux fois plus faible que celle du bureau ? Pourquoi le prix d’un loge­ment occupé est-il inférieur à celui d’un loge­ment libre alors qu’à l’in­verse des bureaux occupés valent beau­coup plus cher que des bureaux vides ?

La réponse à ces ques­tions qui ne sont val­ables qu’en France per­me­t­trait aux pou­voirs publics de faire des économies con­sid­érables en sup­p­ri­mant une rib­am­belle d’aides sans pour autant sac­ri­fi­er à leurs objec­tifs en matière de logement.

Santé

Le déficit de la Sécu­rité sociale a été pour la pre­mière fois en cinquante ans con­forme aux prévi­sions (8 mil­liards d’eu­ros) ! Une vraie réforme est à faire, qui doit élim­in­er le déficit. Aujour­d’hui, avec la général­i­sa­tion du tiers payant, le vrai prix d’un médica­ment est impos­si­ble à mesur­er : occul­ter le prix est un sig­nal économique désas­treux. Les Français con­som­ment des porta­bles, des baladeurs et des voitures avec l’ar­gent qu’ils ne con­sacrent pas à leurs dépens­es de san­té. Toute­fois, les médica­ments ne représen­tent que 15 % des dépens­es de san­té. En revanche, 55 % sont imputa­bles aux hôpi­taux (deux tiers publics pour un tiers privé). Une énorme bataille est engagée en France entre clin­iques privées (40 % moins chères) et hôpi­taux publics. Le marché de la san­té doit pou­voir fonc­tion­ner ; les con­som­ma­teurs doivent pou­voir choisir ; les pop­u­la­tions aisées doivent pay­er le vrai prix ; seule la frange la plus mod­este doit être aidée.

Le prob­lème des dépens­es de san­té réside dans ce que par rap­port à un marché tra­di­tion­nel, l’of­freur — le médecin — et le deman­deur — le malade — ne dis­posent pas de la même quan­tité d’in­for­ma­tions et ne sont pas en sit­u­a­tion d’é­gal­ité. Pour rétablir cette sit­u­a­tion d’é­gal­ité, il faut qu’un tiers inter­vi­enne en dis­posant du même savoir que le médecin. La Sécu­rité sociale devait entre autres jouer ce rôle en met­tant en place tout un dis­posi­tif de con­trôle et de négo­ci­a­tion avec les pro­fes­sions médi­cales. Son échec dans le partage du savoir avec les pro­fes­sions médi­cales et dans le con­trôle de leur activ­ité se mesure très exacte­ment par le déficit. Comme l’ex­is­tence de ce déficit ne remet pas en cause la sit­u­a­tion de ceux qui la gèrent, la Sécu­rité sociale s’en­dette. Pour s’en sor­tir, il faut soit pri­va­tis­er la Sécu­rité sociale de façon à ce que le déficit pré­cip­ite les ges­tion­naires dans la fail­lite, soit ren­dre leur respon­s­abil­ité pleine et entière aux coti­sants en inter­dis­ant toute forme de déficit et en faisant des ges­tion­naires leurs authen­tiques représen­tants comme c’é­tait le cas à l’origine.

Transports

Une fac­tura­tion logique des infra­struc­tures de trans­ports serait basée sur le coût mar­gin­al de con­tri­bu­tion à la con­ges­tion. Le péage urbain instau­ré à Lon­dres en 2002 et qui vient d’être expéri­men­té avec suc­cès à Stock­holm en est un bon exem­ple qui fonc­tionne mieux que la solu­tion parisi­enne qui partage la chaussée entre auto­bus et taxis trop rares et voitures qui s’ag­glu­ti­nent sans espoir sur le reste de la chaussée. De même, les autoroutes français­es devraient être payantes à prox­im­ité des cen­tres urbains et gra­tu­ites sur les tronçons de liai­son (à l’ex­cep­tion des péri­odes de con­ges­tion liées aux départs et retours de vacances). On s’éloigne de la bonne solu­tion en cédant des con­ces­sions d’au­toroutes car on fige une sit­u­a­tion économique­ment néfaste. La vente des autoroutes empêchera de sup­primer à terme les péages anti-économiques et n’a même pas pour effet de réduire le déficit pub­lic !1

Travail

L’aug­men­ta­tion du SMIC à 1 500 € répond à de bonnes inten­tions. Mais il en résul­terait un tasse­ment de la pyra­mide des salaires et une évic­tion des per­son­nes les moins qual­i­fiées. Un coût trop élevé du tra­vail con­duit à du chô­mage. On peut se deman­der en out­re si nous ne pré­parons pas la guerre précé­dente en prô­nant la sta­bil­ité de l’emploi : au risque de pass­er pour un icon­o­claste, ne faut-il pas désor­mais se pré­par­er à primer les entre­pris­es qui licencient ?

À par­tir de 2006, une société qui libère une per­son­ne rend ser­vice à l’é­conomie car la pop­u­la­tion active a com­mencé à dimin­uer. La société rurale était fondée sur la trans­mis­sion des con­di­tions sociales de généra­tion en généra­tion. Il n’y avait ni ascenseur social ni mécan­isme de régres­sion. La société indus­trielle repo­sait sur des muta­tions accom­plies à chaque généra­tion. Le dis­cours répub­li­cain iden­ti­fié à l’é­cole de Jules Fer­ry se glo­ri­fi­ait d’une évo­lu­tion où le grand-père était paysan, le père ouvri­er, le fils ingénieur, cha­cun exerçant son activ­ité toute sa vie. C’é­tait cela qui con­sti­tu­ait le mythique ascenseur social.

Aujour­d’hui, nul ne peut pré­ten­dre dans une société qui change en per­ma­nence se com­par­er à ses ancêtres ni sim­ple­ment exercer pen­dant toute sa car­rière la même activ­ité. De nos jours, les entre­pris­es pro­duisent de plus en plus d’im­matériel si bien que le stock­age devient impos­si­ble, y com­pris celui de la capac­ité de tra­vail. Il faut donc une révo­lu­tion coper­ni­ci­enne du marché de l’emploi, fondée sur la mobil­ité et l’adapt­abil­ité per­ma­nente (cf. arti­cle de Cahuc et Kra­marz ci-avant).

Vérité des prix

En matière d’in­ter­ven­tion sur les prix, directe­ment ou par la fis­cal­ité ou la régle­men­ta­tion, l’É­tat doit se fix­er des règles d’in­ter­ven­tion strictes, avec une déon­tolo­gie des dis­tor­sions. L’analyse de l’im­pact des mesures envis­agées doit être préal­able­ment effec­tuée en opérant un bouclage macroé­conomique com­plet de leurs con­séquences, ten­ant compte des réac­tions prévis­i­bles des agents économiques.

À défaut, on s’ex­pose à des dépens­es inutiles au prof­it de per­son­nes non con­cernées et à des effets per­vers sur les marchés, allant sou­vent à l’in­verse du but pro­posé. La con­cur­rence est une néces­sité non seule­ment parce qu’elle est au cœur de la démarche de con­struc­tion d’une économie européenne inté­grée, mais encore parce qu’elle est économique­ment par­lant le moyen le plus sûr d’as­sur­er la crois­sance et la répar­ti­tion opti­male des revenus. Vouloir assur­er une répar­ti­tion des revenus perçue comme sociale­ment plus juste est un objec­tif en soi. L’im­pôt sur le revenu et son avatar la prime pour l’emploi, con­ven­able­ment ajustée pour éviter les abus actuels, devraient y pour­voir plus effi­cace­ment pour l’é­conomie nationale et à moin­dre coût pour les finances publiques que toute forme de refus de la con­cur­rence et de la vérité des prix.

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1. Lorsque l’É­tat cède des par­tic­i­pa­tions dans des entre­pris­es qui lui rap­por­taient plus que le coût des OAT (Oblig­a­tions assim­i­l­ables du Tré­sor), c’est une aggra­va­tion des dépens­es publiques qui s’en­suit ! Idem lorsque l’É­tat cède des immeubles pour les louer ensuite à 6 %… Le poids de la dette ne se réduira qu’en réduisant la dépense publique.

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