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Effets de l’environnement sur la santé publique

Dossier : Environnement et santé publiqueMagazine N°546 Juin/Juillet 1999
Par Jean-Paul ESCANDE

Technique et environnement

Technique et environnement

Les tri­om­phes de la tech­nique tis­sent chaque jour les fils d’un bon­heur social réel. Nous sommes devenus, grâce à la tech­nique, sur­puis­sants de deux points de vue. Nous dis­posons, en matière d’én­ergie, de l’équiv­a­lent de plusieurs cen­taines d’esclaves du temps des Romains. Nous sommes tous des poten­tats. En dehors de cela, nous dis­posons d’une quan­tité d’événe­ments rap­portés à nous par les divers médias qui nous trans­for­ment soit en Pic de La Miran­dole, soit en directeur du Cab­i­net des Secrets de Louis XV. Nous pou­vons tout savoir sur tout.

Mais ce tri­om­phe a ses scories et l’on ne par­le finale­ment que d’elles.

Nous nous apercevons qu’à force d’être infor­més nous ne par­venons plus à digér­er nos infor­ma­tions. Et, au lieu de nous trou­ver en société de com­mu­ni­ca­tion, nous nous retrou­vons en société de con­som­ma­tion d’in­for­ma­tions… indigestes.

Mais les scories les plus impor­tantes sont celles dont le reten­tisse­ment s’ap­pré­cie sur l’environnement.

La chute du régime com­mu­niste dans les divers pays de l’Est a mis à nu des désas­tres écologiques qui témoignent de ce qu’en matière de tech­nolo­gie un retard pris dans l’évo­lu­tion peut se con­cré­tis­er, vieil­lisse­ment des machines aidant, par de véri­ta­bles désastres.

Les dif­fi­cultés que con­naît l’Alle­magne réu­nifiée tien­nent pour une part à l’é­tat lam­en­ta­ble dans lequel se trou­vaient les usines de l’Alle­magne de l’Est.

La décou­verte n’est pas récente. Lors de la Con­férence de Stock­holm, tenue en 1974, le titre Nous n’avons qu’une terre mon­trait le dan­ger qu’il y avait à ne pas se souci­er d’un point local de pol­lu­tion majeure. Mais s’il insis­tait aus­si sur le fait que le plus grand souci écologique pour les décen­nies à venir se situerait bien sûr dans les pays rich­es, ceux-là feraient mal­gré tout ce qu’il faudrait pour cor­riger leurs trou­bles ; mais, en revanche, surtout dans les pays pau­vres en voie d’in­dus­tri­al­i­sa­tion, le mal pour­rait vir­er au désas­tre. Nous en sommes là.

Ain­si trem­blons-nous devant nos pro­pres réus­sites et le monde en est boulever­sé. Autre­fois, nos ancêtres les Gaulois craig­naient que le ciel leur tombe sur la tête. Aujour­d’hui, le ciel “mod­erne” voit avec ter­reur les hommes lui dévers­er en son sein quan­tité de sub­stances tox­iques dont il se demande si elles ne vont pas boule­vers­er le frag­ile équili­bre de l’at­mo­sphère et, par con­tre­coup, met­tre fin sur terre à l’ex­is­tence humaine.

Se pose alors d’une manière très pré­cise le prob­lème des rap­ports de l’in­tel­li­gence et du progrès.

Si l’in­tel­li­gence c’est con­naître en péné­trant par l’e­sprit et si le pro­grès c’est seule­ment aller de l’a­vant, alors une société réduc­tion­niste fondée sur ces deux déf­i­ni­tions ne peut aller qu’à une cat­a­stro­phe écologique finale.

Si, en revanche, l’in­tel­li­gence c’est la volon­té de con­naître en péné­trant par l’e­sprit et en s’ou­vrant par l’âme, et si le pro­grès c’est la volon­té d’en­richir l’e­spèce humaine du point de vue indi­vidu­el et social par le biais des pro­grès sci­en­tifiques et tech­niques, alors, au con­traire, s’ou­vre une péri­ode qui ne con­naî­tra pas de fin, du moins de notre fait.

Com­ment human­is­er intel­li­gence et progrès ?

Devons-nous priv­ilégi­er la vision human­iste et rechercher tou­jours, à tra­vers la tech­nique, comme on l’a dit, les ori­en­ta­tions humaine­ment “pos­si­bil­isatri­ces” ? Alors nous pour­rons être fiers d’avoir hérité l’hon­neur de vivre.
Ou bien choisirons-nous l’in­tel­li­gence réduc­trice et le pro­grès étroit ? Alors le monde que nous céderons au XXIe siè­cle ne sera pas fait pour rassurer.

On dirait qu’au XVIIe siè­cle deux artistes glo­rieux, mais au génie bien dif­férent, ont voulu façon­ner pour nous, indi­vidus de l’ex­trême fin du XXe siè­cle, deux images symboliques.

La pre­mière est le por­trait de Descartes peint par Franz Hals. Descartes, et cela lui vaut d’in­justes cri­tiques, avait pour plus de com­mod­ité séparé dans ses écrits la méth­odes de la médi­ta­tion ; même si, dans sa tête, évidem­ment tout se réu­nis­sait. Franz Hals l’a peint en adepte de la Méthode, le regard ten­du vers un objec­tif pré­cis. On dirait qu’il entrevoit un monde où tout se résoudra bien­tôt à zéro et à un.

À l’op­posé, Rem­brandt a gravé le por­trait d’un médecin se ten­ant en bas de l’escalier chez un de ses patients. Sous son cha­peau à large bord, il laisse errer son regard et sem­ble vouloir com­pren­dre, lui, la total­ité de l’en­vi­ron­nement de son malade pour mieux le pren­dre en charge.

Le choix, apparem­ment, pour nous, est bien là : entre ces deux attitudes.

Évaluation et environnement

Les craintes et angoiss­es qui vien­nent de percer au tra­vers des lignes précé­dentes nous amè­nent à pos­er une ques­tion essen­tielle : com­ment peut-on éval­uer les effets néfastes d’un envi­ron­nement ? Existe-t-il vrai­ment une méthode réelle­ment fiable ? Ou bien les batailles d’ex­perts ne font-elles que traduire la volon­té de quelques per­vers aux­quels s’op­poseraient des cheva­liers blancs ?

Il importe tout d’abord de rap­pel­er que notre planète ne nous a pas été don­née une fois pour toutes. Au com­mence­ment, Adam et Ève, pour autant qu’ils aient vécu, ne res­pi­raient pas un air pur. L’at­mo­sphère orig­inelle était surtout com­posée d’oxyde de car­bone et c’est la vie même, dès son appari­tion, qui a trans­for­mé le milieu en faisant “naître” l’oxygène. Lequel milieu, par ses mod­i­fi­ca­tions pro­gres­sives, a reten­ti ensuite sur les êtres vivants et a imposé à ceux-là les mod­i­fi­ca­tions con­nues sous le terme d’évo­lu­tion darwinienne.

Beau­coup, con­statant cela, ont voulu con­sid­ér­er la terre comme une unité vivante, une sorte de véri­ta­ble organ­isme et cela a don­né lieu autour de Love­lock à de sérieuses empoignades sci­en­tifiques con­nues sous le nom de “Dis­cus­sions du syn­drome Gaïa”. Mais sans remon­ter jusqu’à avant le déluge, il faut con­venir aus­si que des fluc­tu­a­tions impor­tantes se sont pro­duites bien plus récemment.

La dis­cus­sion qui n’en finit pas autour de la dis­pari­tion des dinosaures nous laisse imag­in­er, en tout cas, ce que pour­rait être la dis­pari­tion, ou la qua­si-dis­pari­tion, de la vie sur terre en cas d’érup­tions vol­caniques multiples.

On peut cepen­dant voir plus sim­ple encore. Nous nous préoc­cupons beau­coup du réchauf­fe­ment de l’at­mo­sphère. Mais les glacia­tions suc­ces­sives de l’ère qua­ter­naire se sont faites sans que l’homme ait été respon­s­able de quoi que ce soit. Et même, près de nous, il y a quelques siè­cles à peine, les glac­i­ers avançaient beau­coup plus loin que nous ne pou­vons l’imag­in­er aujour­d’hui et c’est à juste titre que l’on par­le pour cette péri­ode de petite glaciation.

Il n’en reste pas moins qu’au­jour­d’hui l’homme peut reten­tir durable­ment sur son envi­ron­nement. Les mégapoles qu’il con­stru­it, la prise en charge nou­velle de l’a­gri­cul­ture, l’ex­ten­sion de la main­mise de l’homme sur la planète font qu’il n’ex­iste plus de zones blanch­es sur les cartes de géographie.

L’homme est partout. L’homme s’oc­cupe de tout.

Il ne faut pas voir cela d’un œil négatif : la terre a besoin des hommes et ce que nous appelons la nature est le plus sou­vent une nature totale­ment human­isée. La plu­part de nos paysages aimés ne seraient pas ce qu’ils sont si la main de l’homme ne les avait façon­nés par des siè­cles et des siè­cles de labeur. Comme l’écrivait Péguy à pro­pos de la Beauce : “Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre un réser­voir sans fin pour les âges nouveaux.”

C’est donc d’un œil neuf aus­si, par rap­port à celui de nos ancêtres d’il y a près de cent ans, que nous abor­dons la nature.

En fait, ce qu’ils ont réal­isé, nous avons peur de le voir détru­it par nous. Par qui ? Par ceux qui joueraient trop naïve­ment ou dan­gereuse­ment avec les qua­tre élé­ments fon­da­men­taux de la con­sti­tu­tion de l’u­nivers : la terre, l’eau, le ciel et le feu.

Nous avons joué avec eux. Nous avons maîtrisé leurs forces parce que nous les con­nais­sions et nous aboutis­sons à des défor­ma­tions de la nature qui, pour cer­tains, sont des mal­for­ma­tions qu’il faut cor­riger au plus vite.

Pour aller d’un extrême à l’autre, deux risques nous font vrai­ment peur : il y a d’abord ce que l’on a appelé l’hiv­er nucléaire : en cas de con­flit nucléaire, en dehors du péril de la radioac­tiv­ité et des destruc­tions elles-mêmes, il y aurait le dan­ger de voir un nuage de pous­sière faire le tour de la terre en empêchant les rayons du soleil de pénétr­er, jusqu’à inter­dire toute vie sur terre.

À l’autre bout, nous nous deman­dons si le fait de nour­rir du bétail avec des farines avar­iées con­tenant des pri­ons ne pour­raient pas, si l’on n’y prend garde, arriv­er à détru­ire l’e­spèce humaine.

Pour l’in­stant, les cas se comptent à l’u­nité. Mais…

Voilà donc le décor posé : entre le risque défini­tif et le tout petit risque, l’an­goisse s’in­stalle et l’opin­ion publique demande que l’on réfléchisse à cela.

En fait, la ques­tion posée est celle que soule­vait Vic­tor Hugo il y a plus d’un siè­cle, “Ô sci­ence ! Absolu qui pro­scrit l’i­nouï. L’ex­act pris pour le vrai” !
À aduler l’ex­act et à nous défi­er du vrai jugé trop incer­tain et même, pour quelques-uns, presque inutile parce que inac­ces­si­ble, nous courons des risques.

Les prob­lèmes posés se résu­ment à une expres­sion : “l’ac­cept­abil­ité du risque”. Faut-il dress­er l’or­eille, se met­tre en éveil et par­tir au com­bat dès qu’un risque patent est sig­nalé, fût-il infime ? Ou, au con­traire, faut-il répon­dre d’un hausse­ment d’é­paule. Et accepter.

On peut regarder aus­si d’un autre point de vue et se deman­der : faut-il laiss­er exploiter le risque à des fins com­mer­ciales évi­dentes, ven­dre de la peur, se con­stituer en lob­bies pour agir sur l’opinion ?

À ces ques­tions, nos sociétés, actuelle­ment, ne répon­dent que par un brouha­ha con­fus de sur­face et par des actions pro­fondes et souter­raines incon­nues du grand pub­lic. Le calme et la trans­parence appa­rais­sent en ce domaine essen­tiels à rétablir. Quand les obtien­drons-nous ? Ce ne sem­ble pas pour demain et, en atten­dant, cha­cun trem­ble pour sa santé.

Santé et environnement

Il existe au cœur des pays rich­es un para­doxe évi­dent. Plus nous trem­blons pour notre san­té plus la durée de vie aug­mente, mais aus­si, il est vrai, la morbidité.

L’air, l’eau, la terre et le feu nous sont rap­portés chaque jour comme sources de désagré­ments poten­tiels ou de désas­tres en gestation.

Mais il est vrai que l’on vit de plus en plus vieux et ceux qui sont en charge du prob­lème des retraites haussent les épaules à leur tour lorsqu’on leur par­le de dan­gers pour l’en­vi­ron­nement. Mais deux incon­nues subsistent.

“L’homme, dis­ait Albert Camus, est la seule créa­ture qui refuse d’être ce qu’elle est.”

Il y a fort à pari­er que c’est un risque qui aura été tenu pour nég­lige­able qui se révélera un jour le plus préoc­cu­pant pour l’hu­man­ité et l’on pour­ra alors prier pour qu’il ne soit pas trop tard. C’est le “Syn­drome de Pier­rot le Fou”.

Un sec­ond aspect est aus­si à con­sid­ér­er et, pen­dant que l’on fer­raille dur pour com­bat­tre de “petits risques”, sans savoir très bien com­ment leur intri­ca­tion peut con­duire ou ne pas con­duire à un grand risque, il y a de réels grands risques, et con­nus comme tels, que l’on laisse s’é­panouir au milieu de dis­cus­sions écologiques et tox­i­cologiques enfiévrées.

Les dis­cus­sions sur les drogues sont de ce type. “Drogues dures et drogues douces”. “Drogues légal­isées et drogues inter­dites…” On s’empoigne ferme autour de ce dan­ger envi­ron­nemen­tal en apparence impos­si­ble à abor­der sereinement.

C’est au nom de cela que l’homme s’au­torise le pro­grès tech­nique, c’est au nom de ce pro­grès tech­nique qu’il s’oc­troie sou­vent de coupables lib­ertés. Nul ne sait où nous pou­vons aller.

Conclusion

En con­clu­sion de cette intro­duc­tion, plusieurs cita­tions peu­vent être proposées.

D’abord, celle de Schweitzer qui écrivait : “Je suis vie qui veut vivre au sein de la vie qui veut vivre.” C’é­tait une pro­fes­sion de foi écologique, pro­tégeant même le moucheron. Si elle est irréal­iste, elle a le mérite de pos­er le prob­lème d’une éthique de la vie.

Et puis il y a la propo­si­tion que fai­sait le com­man­dant Cousteau de con­sid­ér­er : “le droit des généra­tions futures”. Il y a là un thème majeur et ceux qui sont le plus sérieux se préoc­cu­pent avant tout de cet aspect du problème.

Il y a ensuite la propo­si­tion que fai­sait René Dubos juste avant de mourir, au cours d’une con­férence inter­na­tionale : con­sid­ér­er que tout prob­lème d’en­vi­ron­nement pose cinq sous-prob­lèmes qu’il avait appelé l’ensem­ble des cinq E. Des prob­lèmes Économiques, Énergé­tiques, Écologiques, Esthé­tiques et Éthiques.

Sa vision des choses était sim­ple : le recours à des esprits spé­cial­isés mis côte à côte ne pour­ra pas résoudre le prob­lème tant que ne les cha­peauteront pas des sortes d’e­sprits uni­versels capa­bles dans leur tête de pass­er du por­trait de Descartes au por­trait du médecin de Rem­brandt, et de l’un à l’autre des cinq E, en se sen­tant aus­si bien à l’aise dans un domaine que dans un autre.

Voici la recette : elle est dans “Les esprits qui bal­an­cent” et à volon­té uni­verselle, mêlant les prob­lèmes éthiques et humanistes.

Pour cela, la voie est tracée depuis longtemps par les sages et par les reli­gions. Les trois ver­tus théolo­gales ; foi, espérance et char­ité ; et qua­tre ver­tus car­di­nales : force, pru­dence, tem­pérance et jus­tice doivent être par­cou­rues par des esprits uni­versels, en tous sens et sans cesse, pour pro­mou­voir le tri­om­phe d’une union qui ne peut pas ne pas se réalis­er un jour : celui de la tech­nique tri­om­phante et l’hu­man­isme irradiant.

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