Effet de serre : Les marges de manœuvre

Dossier : L'effet de serreMagazine N°555 Mai 2000
Par Benjamin DESSUS

Tout d’abord, c’est bien sur cette péri­ode de temps d’une petite cen­taine d’an­nées que se con­cen­trent nos prob­lèmes puisque c’est dans ce laps de temps que les démo­graphes nous annon­cent la matu­rité démo­graphique de la planète vers 8 ou 9 mil­liards d’habi­tants pour les uns, vers 11 ou 12 pour les autres.

Dans tous les cas on va voir arriv­er à cette échéance 3 à 5 mil­liards d’être humains sup­plé­men­taires sur notre planète, prin­ci­pale­ment dans les pays actuelle­ment en développe­ment. Ils habiteront pour une grande part des villes qui ne sont pas encore con­stru­ites. C’est donc au cumul de qua­tre phénomènes qu’on se trou­ve con­fron­té dans les décen­nies qui viennent :

  • la crois­sance démo­graphique des pays du Sud
  • l’ac­cès des habi­tants de ces pays au développement
  • l’ur­ban­i­sa­tion crois­sante prob­a­ble du tiers monde avec les modes de con­som­ma­tion correspondants
  • la pour­suite du mode d’un développe­ment plus ou moins inten­sif en biens et ser­vices matériels des pays du Nord (avec en par­ti­c­uli­er le déra­page poten­tiel des transports)

On sait que les sys­tèmes énergé­tiques, qui sont indis­pens­ables au développe­ment, sont et res­teront sans doute pour le siè­cle prochain le pre­mier pour­voyeur d’émis­sions de gaz à effet de serre (GES). C’est le pre­mier secteur respon­s­able des émis­sions de CO2 qui sont con­sub­stantielles à la com­bus­tion du car­bone, alors que les autres gaz à effet de serre (CH4, N2O etc) ne présen­tent pas (ou en tous cas à des degrés bien moin­dres) ce car­ac­tère d’inéluctabilité.

C’est pour cette rai­son que nous nous intéres­sons unique­ment ici aux con­traintes et aux marges de manœu­vre dont nous pou­vons dis­pos­er dans la con­struc­tion ou l’ex­ten­sion des sys­tèmes énergé­tiques, en con­sid­érant que les enseigne­ments tirés de l’analyse pour­ront être large­ment extrapolés aux secteurs plus mar­gin­aux qui con­tribuent au réchauf­fe­ment climatique.

Le réseau des contraintes globales d’environnement

L’actuelle focal­i­sa­tion de l’opin­ion inter­na­tionale sur les prob­lèmes du cli­mat, même si elle appa­raît comme par­faite­ment légitime, ne doit pas faire oubli­er d’autres con­traintes envi­ron­nemen­tales majeures à car­ac­tère glob­al qui vien­nent très sérieuse­ment borner les marges de manœu­vre du domaine de l’énergie.

Les risques de raré­fac­tion et d’épuise­ment des ressources fos­siles, les risques asso­ciés au nucléaire civ­il (acci­dents, pro­liféra­tion, déchets haute­ment radioac­t­ifs à longue durée de vie), les risques de con­cur­rence d’usage des sols entre les besoins liés à la pro­duc­tion ali­men­taire et ceux liés à la pro­duc­tion d’én­ergie, vien­nent com­pléter le réseau de con­traintes aux­quels les sys­tèmes énergé­tiques sont et res­teront durable­ment soumis. Il faut en effet garder à l’e­sprit que ces risques ne sont pas indépen­dants et que la diminu­tion de l’un peut avoir pour con­séquence de ren­forcer l’un ou plusieurs des autres.

FIGURE 1 — Deux types de scé­nar­ios con­trastés en 2050 : “les scé­nar­ios d’abon­dance et de maîtrise de l’én­ergie pour le développement”
(en mil­liards de tep ou Gtep)4

C’est ain­si par exem­ple que pour lut­ter con­tre le réchauf­fe­ment du cli­mat, on peut envis­ager de réduire le recours aux éner­gies fos­siles. Ce faisant on repousse l’échéance de l’épuise­ment des ressources fos­siles en même temps qu’on ralen­tit les émis­sions de gaz à effet de serre respon­s­ables du réchauf­fe­ment. Mais si, pour faire face aux besoins, on aug­mente con­sid­érable­ment le recours à l’én­ergie nucléaire ou aux éner­gies renou­ve­lables, on aug­mente d’au­tant les risques qui leur sont associés.

Bien enten­du, s’a­joutent à ces con­traintes glob­ales des con­traintes d’en­vi­ron­nement local, mais qui ne présen­tent générale­ment pas le même car­ac­tère d’ir­réversibil­ité tem­porelle. On pense par exem­ple aux pol­lu­tions atmo­sphériques locales des trans­ports qui s’at­ténu­ent très vite avec l’ar­rêt du traf­ic et sur lesquelles le pro­grès tech­nique per­met de pro­gress­er par sauts d’un ordre de grandeur (par exem­ple avec le piège à par­tic­ule pour le diesel ou le pot cat­aly­tique pour l’essence).

C’est donc à l’aune de ces qua­tre grands risques de nature glob­ale qu’il me sem­ble per­ti­nent de jauger les marges de manœu­vre dont dis­pose l’hu­man­ité pour se dévelop­per sans obér­er grave­ment et irréversible­ment ce développe­ment par son activ­ité même.

Les images mondiales dont nous disposons pour 2050

Quand on observe les scé­nar­ios prospec­tifs que nous pro­posent les énergéti­ciens, on s’aperçoit très vite qu’on peut les class­er en deux grandes catégories :

  • Les pre­miers pro­posent une vision de l’avenir con­stru­ite sur un mod­èle pro­duc­tiviste de ” développe­ment par l’abon­dance énergé­tique ” avec des options con­trastées de par­tic­i­pa­tion des dif­férentes sources pri­maires au bilan mondial.
    Ces scé­nar­ios admet­tent les risques comme inélucta­bles (“on ne fait pas d’omelette sans cass­er d’œufs”), les cumu­lent à des niveaux élevés et se dif­féren­cient par la diminu­tion ou l’aug­men­ta­tion d’un des risques par rap­port aux trois autres. Pour ne pas ris­quer d’avoir trop chaud (effet de serre) dit l’un accep­tons le risque nucléaire ! Non, répond un autre, je préfère avoir trop chaud et ne pas laiss­er le prob­lème des déchets nucléaires à mes petits enfants.
    FIGURE 2 — Cumul des dif­férentes con­tri­bu­tions à l’ap­pro­vi­sion­nement énergé­tique mon­di­al des dif­férents scé­nar­ios et des émis­sions de car­bone de 1990 à 2050
    1990 ‑2050 A1 A2 A3 C1 C2 NOÉ
    Cumul énergie Gtep​ 970 972 966 692 692 608
    Cumul nucléaire Gtep 78 42 79,5 36 58,5 25,5
    Cumuls renou­ve­lables Gtep 182 188 233 180 168 183
    Cumul charbon124 Gtep 201 279 153 125 125 124
    Cumul pét­role Gtep 306 254 240 177 176 124
    Cumul gaz Gtep 204 210 258 177 176 153
    Cumul fos­sile Gtep 711 743 651 479 477 401
    Cumul car­bone Giga­tonnes 568 608 500 373 371 315
    On a indiqué en rouge gras les valeurs max­i­males des cumuls pour chaque ressource et en bleu gras les valeurs minimales
  • Les sec­onds pro­posent un “développe­ment par la sobriété énergé­tique” qui tente de rééquili­br­er les poli­tiques énergé­tiques en accor­dant une pri­or­ité forte à la maîtrise de l’évo­lu­tion de la demande d’én­ergie. Par­tant d’une analyse détail­lée des besoins fin­aux d’én­ergie du développe­ment, ils affichent la volon­té de repouss­er simul­tané­ment les prin­ci­paux risques dans le temps et de favoris­er un développe­ment des pays du Sud en comp­tant sur la moin­dre absorp­tion de cap­i­taux pour le développe­ment des sys­tèmes énergétiques.
    Ils sup­posent une pro­fonde révo­lu­tion cul­turelle puisqu’ils ambi­tion­nent une forte décon­nex­ion du lien crois­sance économique / con­som­ma­tion énergé­tique. Ils impliquent en par­ti­c­uli­er un élar­gisse­ment de la sphère d’in­ter­ven­tion de la poli­tique énergé­tique à l’ensem­ble des secteurs d’ac­tiv­ité struc­turant la demande (trans­ports, con­struc­tion, urban­isme, biens d’équipements, etc.). En effet, les déter­mi­nants prin­ci­paux de la demande énergé­tique sont sou­vent étroite­ment et durable­ment liés aux grandes infra­struc­tures d’ur­ban­isme, de trans­port, et des dif­férents réseaux de dis­tri­b­u­tion de flu­ides (énergie, eau, etc.). C’est un sujet sur lequel on revien­dra plus loin.

Pour illus­tr­er ces pro­pos on peut com­par­er 7 des scé­nar­ios énergé­tiques mon­di­aux à long terme pro­duits depuis le début des années 90, d’une part par l’I­IASA1 pour le compte du Con­seil mon­di­al de l’én­ergie et par le CNRS d’autre part (scé­nario NOE)2.

Ces scé­nar­ios explorent l’avenir énergé­tique du monde en découpant le monde en 11 régions géo­graphiques et en adop­tant des per­spec­tives démo­graphiques com­munes ( 8 mil­liards d’habi­tants en 2020, 10 mil­liards en 2050).

Par con­tre ils affichent des taux de crois­sance légère­ment dif­férents, mais surtout décrivent des modes de développe­ment très dif­férents du point de vue de l’in­ten­sité énergé­tique3 de leur crois­sance économique.

La fig­ure 1 en donne les résul­tats prin­ci­paux en 2050.

Il appa­raît très claire­ment que c’est bien plus par le vol­ume d’én­ergie que par l’ap­pel plus ou moins grand à tel ou tel type de ressources énergé­tiques que se dif­féren­cient les scé­nar­ios. Alors que les scé­nar­ios abon­dants sup­posent la mobil­i­sa­tion annuelle de l’or­dre de 25 Gtep dès 2050 (3 fois plus qu’en 2000), les scé­nar­ios sobres se con­tentent de 12 à 15 Gtep à la même date. Cinquante ans plus tard, en 2100, la diver­gence entre les scé­nar­ios dépasse un fac­teur 5.

FIGURE 3 — Cumul 1990 — 2050
GTEP​ MAX​ MIN​
Besoi​n cumulé d’énergie 972 (​A2) 608 (NOÉ)
Fos­siles
% du scénario
743 (A2)
76 %
401 (NOÉ)
58 %
ENP
% du scénario
233 (A3)
24 %
168 (C2)
26 %
Nucléaire
% du scénario
80 (A3)
8 %
25 (NOÉ)
3,7 %
Cumul car­bone 608 (A2) 315 (NOÉ)

Pour appréci­er les con­séquences de ces deux types de scé­nar­ios sur les risques cités plus haut, et en par­ti­c­uli­er sur la con­cen­tra­tion des gaz à effet de serre, le cumul des déchets nucléaires et la raré­fac­tion des sources fos­siles, il est indis­pens­able de raison­ner en stock et non plus seule­ment en flux en inté­grant sur la péri­ode les divers flux de déchets, d’émis­sions de GES (gaz à effet de serre), de con­som­ma­tions fos­siles (fig­ure 2).

Une part minori­taire des écarts est due à des hypothès­es de crois­sance économique dif­férente entre les scé­nar­ios les plus con­som­ma­teurs et les moins con­som­ma­teurs. C’est ain­si que par exem­ple, sur les 364 Gtep d’é­cart entre le scé­nario A2 et le scé­nario Noé, 128 sont attribuables aux dif­férences de taux de crois­sance de l’é­conomie et 236 sont imputa­bles aux dif­férences d’in­ten­sité énergétique.

Mais ce tableau apporte d’autres enseigne­ments utiles comme le mon­tre la fig­ure 3 suivante.

FIGURE 4 — Impact des dif​férents scé­nar­ios sur les risques étudiés
HORIZON 2050​
Répons­es​aux risques A1 A2 A3 C1 C2 NOÉ
Cumul des émis­sions de car­bone (Gtonnes) 545 610 470 356 350 320
Aug­men­ta­tion de la con­cen­tra­tion de CO2 40 % 50 % 33 % 23 % 23 % 20 %
Ponc­tion des ressources de pét­role connues 104 % 85 % 81 % 60 % 60 % 50 %
Déchets nucléaires à stock­er (ind. 100 1990) 1 700 900 1 800 800 1 300 550
Nota : pour cal­culer la con­cen­tra­tIon du car­bone dans l’at­mo­sphère, on a tenu compte d’une absorp­tion de 3 Gtannes par an de car­bone par l’océan.

Sur la péri­ode et dans tous les scé­nar­ios envis­agés les éner­gies fos­siles restent large­ment dom­i­nantes (de 58 à 76% des bilans cumulés), les ENR appor­tent une con­tri­bu­tion cumulée de l’or­dre de 19 à 26% des bilans selon les scé­nar­ios, le nucléaire reste mar­gin­al avec 4 à 9% du bilan cumulé sur la période.

La fig­ure 4 per­met d’ap­préci­er les con­séquences de ces scé­nar­ios en terme de risques.

Dans tous les scé­nar­ios la con­cen­tra­tion de GES aug­mente, de +20% en 2050 dans le plus sobre à 50% dans le plus abon­dant. En 2100 la con­cen­tra­tion de CO2 a plus que dou­blé dans les scé­nar­ios A et s’est sta­bil­isée autour de +25% par rap­port à 1990 dans les scé­nar­ios C et Noé. Les déchets nucléaires de haute activ­ité et à longue durée de vie (à tech­nolo­gie inchangée) sont mul­ti­pliés par un fac­teur 5,5 par rap­port à 1990 dans le scé­nario le plus sobre en énergie nucléaire et par 18 dans le scé­nario le plus élevé en nucléaire.

Voilà donc un tableau général des images que les énergéti­ciens nous pro­posent pour l’avenir énergé­tique du monde à hori­zon de 50 ans.

Les enjeux et les marges de manœuvre

La toile de fond que nous dressent les scé­nar­ios mon­di­aux per­met de mieux cern­er les enjeux et les risques globaux des 50 prochaines années. Bien enten­du , pour aller plus loin, il faut entr­er plus avant dans le détail, dans la mesure où les sit­u­a­tions sont très dif­férentes pour les pays indus­tri­al­isés, les pays en tran­si­tion et les pays les moins avancés .

Il n’en reste pas moins qu’un cer­tain nom­bre points se déga­gent à l’ex­a­m­en de ces scénarios.

Les tableaux précé­dents mon­trent en effet claire­ment qu’il existe une hiérar­chie assez claire des enjeux et des marges de manœuvre :

I — L’efficacité énergétique :

C’est la marge prin­ci­pale de manœu­vre, et cela pour deux raisons :

  • d’abord parce qu’en ter­mes quan­ti­tat­ifs c’est elle dont on peut atten­dre les effets les plus impor­tants (plus de 230 Gtep sur la péri­ode) et les plus homogènes dans toutes les régions du monde dévelop­pé et en développe­ment, comme le mon­tre les scénarios,
  • ensuite parce qu’en ter­mes de risques, c’est la seule série de mesures qui per­me­tte de repouss­er dans le temps l’ensem­ble des risques globaux cités, sans en priv­ilégi­er un par rap­port aux autres, comme le mon­tre bien la fig­ure 4.

- Les énergies renouvelables

FIGURE 5 — Sur­faces occupées par la bio­masse énergie dans les dif­férents scé­nar­ios en 2050 (rap­pel : la sur­face de la France est de 550 000 km2)
A1 A2 A3 C1 C2 NOÉ
Mil­liers de km2 occupés 8 000 8 000 13 000 8 000 7 000 8 000

C’est la sec­onde marge de manœu­vre dont on dis­pose. Elle se situe à un niveau un peu plus faible que la pre­mière mais reste très sig­ni­fica­tive (de 170 à 230 Gtep selon les scé­nar­ios) avec cepen­dant un prob­lème de con­cur­rence d’usage des sols qui se pro­file net­te­ment pour les scé­nar­ios qui affichent les con­tri­bu­tions les plus élevées d’én­er­gies renou­ve­lables en 2050 comme le mon­tre la fig­ure 5.

Par con­tre cette solu­tion a l’a­van­tage de repouss­er à la fois les risques nucléaires, les risques d’épuise­ment des fos­siles et les risques de réchauf­fe­ment du climat.

III — L’énergie nucléaire

Avec 25 à 80 Gtep cumulées d’i­ci 2050, l’én­ergie nucléaire appa­raît comme rel­a­tive­ment mar­ginale dans le bilan énergé­tique cumulé à l’éch­e­lon mon­di­al. Cepen­dant son développe­ment dans les scé­nar­ios qui y font le plus appel (un fac­teur 6 d’aug­men­ta­tion par rap­port à 1990) ne va pas sans un ren­force­ment impor­tant du cumul des déchets et des risques de pro­liféra­tion comme le mon­tre la fig 5 qui donne une indi­ca­tion de la dis­sémi­na­tion des cen­trales nucléaires en 1990, 2020 et 2050 dans le scé­nario IIASA A1.

En terme de lutte con­tre l’ef­fet de serre, la con­tri­bu­tion du nucléaire à la diminu­tion des émis­sions dans le même scé­nario A1 est de l’or­dre de 12 à 13% (en faisant l’hy­pothèse favor­able que le nucléaire se sub­stitue unique­ment à du char­bon) ce qui n’est pas nég­lige­able mais mon­tre bien que ce n’est pas une solu­tion à la mesure du prob­lème de réchauf­fe­ment du climat.

Ces quelques ordres de grandeur rap­pelés, on peut main­tenant apporter quelques pré­ci­sions quan­ti­ta­tives et qual­i­ta­tives sur ces 3 domaines d’action.

Efficacité énergétique du développement

L’ef­fi­cac­ité énergé­tique du développe­ment d’une société dépend de son état ini­tial, de sa struc­ture démo­graphique, de sa géo­gra­phie et du cli­mat de son ter­ri­toire, du pro­grès tech­nique, etc.

Tra­di­tion­nelle­ment, la prospec­tive énergé­tique, axée essen­tielle­ment sur la pro­duc­tion d’én­ergie, con­fère un poids très net­te­ment prépondérant à l’évo­lu­tion tech­nologique des out­ils par­mi les élé­ments sus­cep­ti­bles de faire évoluer rapi­de­ment le ren­de­ment des sys­tèmes énergétiques.

Cette ten­dance se retrou­ve assez sys­té­ma­tique­ment dans la prospec­tive des usages de l’én­ergie où l’on pense naturelle­ment d’abord au pro­grès tech­nique à tra­vers l’amélio­ra­tion des ren­de­ments d’usage des out­ils four­nissant des ser­vices finaux.

C’est ain­si que dans le domaine des trans­ports, le pro­grès d’ef­fi­cac­ité énergé­tique et la réduc­tion des émis­sions de GES sont très large­ment assim­ilés à celui que l’on peut envis­ager grâce aux pro­grès de la motori­sa­tion ou de l’aéro­dy­namique des voitures, des camions ou des loco­mo­tives, voire à des sub­sti­tu­tions de carburants.

La rapid­ité et l’am­pli­tude de ce pro­grès au cours des trente dernières années expliquent large­ment cette vision.

Le rôle dominant des infrastructures et de l’organisation

Cette vision est pour­tant très réduc­trice car elle fait implicite­ment l’im­passe sur les con­di­tions dans lesquelles les objets en ques­tion sont util­isés pour rem­plir un ser­vice don­né, ici le trans­port d’un point à un autre d’un pas­sager ou d’un charge­ment de marchandises.

FIGURE 6 — Disséminatio​n régionale des cen­trales nucléaires dans le scé­nario IIASA A1
Dissémination régionale des centrales nucléaires dans le. scénario IIASA A1

On sait en effet que la con­som­ma­tion spé­ci­fique du trans­port routi­er de marchan­dis­es est de l’or­dre de 100g/tonne x km alors que celle du trans­port par rail est de l’or­dre de 25g /tonne x km. De même celle des voitures est de l’or­dre de 50 à 60g/V x km5 alors que celle du rail est de l’or­dre de 20g/V x km.

A tech­nolo­gie con­stante, le trans­fert d’une tonne de marchan­dis­es de la route au rail est donc équiv­a­lent à un gain d’un fac­teur de l’or­dre de qua­tre sur l’ef­fi­cac­ité énergé­tique du camion et le trans­fert d’un pas­sager de la route vers le rail à un fac­teur 2,5 de gain d’ef­fi­cac­ité énergé­tique de la voiture.

On voit sur cet exem­ple l’im­por­tance qu’il faut accorder au choix des infra­struc­tures puisqu’elles vont avoir une influ­ence majeure (sou­vent net­te­ment supérieure au pro­grès tech­nique sur les out­ils) sur l’ef­fi­cac­ité énergé­tique du ser­vice final ren­du et cela pour de très longues péri­odes, sou­vent supérieures à une cinquan­taine d’années.

Ce raison­nement s’ap­plique à toutes les infra­struc­tures lour­des, qu’il s’agisse du mode d’ur­ban­isme, de l’in­dus­trie lourde, des loge­ments ou des infra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion. La fig­ure 7 en est une illus­tra­tion désor­mais classique.

Elle mon­tre que la con­som­ma­tion énergé­tique néces­saire à un Lon­donien un Parisien ou un Vien­nois pour effectuer ses trans­ports quo­ti­di­ens est 5 à 6 fois moins impor­tante que celle d’un habi­tant de Phoenix ou de Detroit.

Mais une autre illus­tra­tion à car­ac­tère rétro­spec­tif nous vient de l’habitat.

On sait que le pro­grès tech­nique et la régle­men­ta­tion ther­mique qui s’en est suiv­ie ont per­mis de faire chuter la con­som­ma­tion de chauffage des loge­ments d’un fac­teur supérieur à 2 depuis une ving­taine d’an­nées, de plus de deux tep à moins d’une tep par an en 2000. Si l’on se pro­jette jusqu’en 2050, l’ap­port de ces nou­velles tech­nolo­gies (pour un rythme de con­struc­tion de 200.000 loge­ments par an, soit 14 mil­lions de loge­ments entre 1980 et 2050) restera encore mod­este en ter­mes de con­som­ma­tion d’én­ergie sur le bilan glob­al de l’habitat.

Si la moitié d’en­tre eux vien­nent rem­plac­er des loge­ments exis­tants et l’autre moitié s’y ajouter, la con­som­ma­tion totale du parc sera de 40 Mtep en 2050, dont 26 mil­lions de tep encore attribuables aux loge­ments con­stru­its avant 1980 et 14 mil­lions de tep attribuables aux loge­ments postérieurs à 1980. C’est dire l’in­er­tie du système.

Une poli­tique d’é­conomie d’én­ergie dans le bâti­ment rési­den­tiel ne pour­ra donc pas éviter, pour être véri­ta­ble­ment effi­cace, d’ac­corder une place majeure à la réha­bil­i­ta­tion des loge­ments anciens qui représen­teront sinon encore 65% de la con­som­ma­tion de chauffage en 2050.

Ces quelques exem­ples mon­trent qu’au delà du pro­grès tech­nique, les choix d’in­fra­struc­ture dans lesquelles ce pro­grès tech­nique s’ap­plique ont des con­séquences majeures et à long terme sur notre capac­ité à maîtris­er la con­som­ma­tion d’én­ergie et donc les émis­sions de gaz à effet de serre.

C’est évidem­ment vrai pour les pays dévelop­pés où des déci­sions de renou­velle­ment et plus mod­este­ment de développe­ment de nou­velles infra­struc­tures se présen­tent tous les jours. C’est encore beau­coup plus vrai pour les pays en développe­ment qui con­stru­isent leurs infra­struc­tures de base, qu’il s’agisse de l’ur­ban­i­sa­tion des mégapoles ou des réseaux de com­mu­ni­ca­tion et de voiries diverses.

FIGURE 7 — Urban​isme et con­som­ma­tion d’én­ergie des transports
Urbanisme et consommation d'énergie des transports selon différentes villes dans le monde
S​ource : New­man and Ken­wor­thy, Cities and auto­mo­bile depen­donce. Gow­er, 1989.

La per­ti­nence des choix ini­ti­aux est dans ce cas fon­da­men­tale. Il suf­fit d’imag­in­er la Chine se dévelop­pant unique­ment avec un réseau de trans­port routi­er pour imag­in­er les con­séquences énergé­tiques à moyen terme d’un tel choix ini­tial à car­ac­tère très irréversible.

Dans un pays comme la France, il faut égale­ment pren­dre con­science que l’in­dus­trie con­somme moins de 30% de l’én­ergie dépen­sée et de plus avec une forte pro­por­tion d’élec­tric­ité (près de 50%) d’o­rig­ine non fos­sile. Les 70% de con­som­ma­tion restants (habi­tat ter­ti­aire et trans­ports) sont très large­ment trib­u­taires des modes d’amé­nage­ment du ter­ri­toire et de la nature des infra­struc­tures de base (urban­isme, réseaux de trans­port, qual­ité des logements).

Le sec­ond point sur lequel il me sem­ble néces­saire d’in­sis­ter, quand on réflé­chit aux marges poten­tielles d’ef­fi­cac­ité énergé­tique con­cerne l’or­gan­i­sa­tion du sys­tème énergé­tique.

L’ex­em­ple le plus frap­pant est celui de la cogénéra­tion. La four­ni­ture simul­tanée de chaleur et d’élec­tric­ité per­met en effet de faire pass­er de 40 ou 45% à 85 ou 90% le ren­de­ment d’usage d’un com­bustible fos­sile, à la con­di­tion bien enten­du de trou­ver pre­neur simul­tané­ment de la chaleur et de l’élec­tric­ité. Là encore, le pro­grès tech­nique n’est pas spec­tac­u­laire dans les deux domaines de la pro­duc­tion d’élec­tric­ité et de chaleur.

Le véri­ta­ble gain provient de la co-four­ni­ture des deux vecteurs énergé­tiques, avec les con­traintes d’or­gan­i­sa­tion que cela induit. Dans un tel cas, le pro­grès tech­nique se traduira non pas telle­ment par une aug­men­ta­tion de ren­de­ment de pro­duc­tion de l’élec­tric­ité et de la chaleur que dans l’adapt­abil­ité du sys­tème énergé­tique au besoin du con­som­ma­teur final (taille, sou­p­lesse d’u­til­i­sa­tion, etc).

On voit bien qu’il existe là un poten­tiel con­sid­érable de pro­grès d’ef­fi­cac­ité dont la lim­ite est cer­taine­ment plus organ­i­sa­tion­nelle que tech­nique. Le gain de ren­de­ment s’ef­fectue en effet au détri­ment de l’indépen­dance des acteurs dont la coor­di­na­tion avec les pro­duc­teurs des dif­férents vecteurs énergé­tiques doit se renforcer.

On pour­rait faire la même analyse pour la pro­duc­tion d’un vecteur énergé­tique à par­tir de co-com­bustibles (par exem­ple des déchets, du bois et du char­bon) où les gains poten­tiels en terme d’ef­fi­cac­ité vis à vis des émis­sions par exem­ple (intro­duc­tion de renou­ve­lables fatales dans le sys­tème) dépen­dent au pre­mier chef de l’or­gan­i­sa­tion d’un appro­vi­sion­nement stable.

A tra­vers ces deux exem­ples de co-généra­tion et de co-com­bus­tion se pro­fi­lent les enjeux mais aus­si les lim­ites du con­cept d’é­colo­gie indus­trielle qui s’ap­puie sur une analo­gie avec les écosys­tèmes vivants où l’ensem­ble de la matière organique est recy­clé par une organ­i­sa­tion poussée d’un grand nom­bre d’ac­teurs diversifiés.

FIGURE 8 — Ren­de­ment glob­al de dif­férentes motori­sa­tions de véhicules automobiles
Filières​ Ren­de­ment groupe propulseur Ren­de­ment fil­ière carburant Ren­de­ment total
Essence 2005 In​j. directe 25 % 81 % 20 %
Diesel 2005 inj com­mon rail 33 % 84 % 28 %
Véhicule élec­trique (CCG) 85 % 50 % 43 %
Pac H (gaz nat) 55 % 60 % 33 %
Pac H (reformeur méthanol) 44 % 60 % 26 %
Hybride essence 2005 40 % 81 % 32 %
Pac H (élec­trol­yse) 55 % 19 % 10 %
Source : auto­mo­bile et développe­ment durable, Stéphane His , les Cahiers du CLIP n° 9

Bien évidem­ment ces deux points sur lesquels nous venons d’in­sis­ter n’en­lèvent rien à la valid­ité d’une action volon­tariste de pro­grès d’ef­fi­cac­ité énergé­tique des out­ils de trans­for­ma­tion et d’usage de l’én­ergie. Pour les out­ils de pro­duc­tion et de trans­for­ma­tion, des gains sig­ni­fi­cat­ifs de ren­de­ment sont encore pos­si­bles. C’est le cas pour les cen­trales ther­miques avec l’émer­gence des tur­bines à cycle com­biné, pour le nucléaire avec les réac­teurs à haut ren­de­ment (HTR par exem­ple dont on attend un ren­de­ment de 48% au lieu des 33% actuels des REP), mais aus­si pour les fil­ières plus nou­velles comme l’éolien ou le photovoltaïque.

Mais les gains poten­tiels les plus spec­tac­u­laires sont à atten­dre des tech­nolo­gies “end of pipe” pour la four­ni­ture de ser­vices domes­tiques ou indus­triels au client final, éclairage, froid, séchage, audio­vi­suel, com­mu­ni­ca­tions, etc.. Le passé récent mon­tre que, dans ce domaine, les rup­tures tech­nologiques sont fréquentes et per­me­t­tent sou­vent de gag­n­er des fac­teurs très impor­tants ( de 5 à 10) sur l’ef­fi­cac­ité énergé­tique de four­ni­ture d’un ser­vice. C’est le cas par exem­ple pour l’é­clairage, la télévi­sion, les ordi­na­teurs etc.

C’est mal­heureuse­ment moins vrai pour la voiture où les pro­grès tech­niques actuels sur les véhicules hybrides ou les piles à com­bustibles per­me­t­tent d’imag­in­er des gains de ren­de­ment encore sig­ni­fi­cat­ifs, mais lim­ités à 30 ou 40 % par rap­port à l’ex­is­tant, si l’on tient compte de l’ensem­ble de la chaîne des ren­de­ments de la mine à l’échappe­ment de la voiture, comme le mon­tre la fig­ure 8.

Quand on applique ce pro­grès tech­nique au parc auto­mo­bile français avec une hypothèse de crois­sance de ce parc de 25 à 35 mil­lions de véhicules en 50 ans on obtient dans le meilleur des cas une réduc­tion de l’or­dre de 20% des émis­sions de CO2. Pour aller plus loin il faut jouer soit sur la réduc­tion du traf­ic soit sur le rééquili­brage modal. Dans ce dernier cas les chiffres indiqués plus haut mon­trent qu’il faut faire bas­culer en faveur des trans­ports guidés 4% du traf­ic voiture pour obtenir 10% d’é­conomie d’én­ergie sup­plé­men­taire et au moins autant d’é­conomie de CO2.

On voit à l’is­sue de ce chapitre que l’ef­fi­cac­ité énergé­tique, enjeu majeur de la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et de la pro­tec­tion con­tre d’autres risques globaux, sup­pose la mise en œuvre de moyens d’ac­tion très diver­si­fiés, à la fois :

  • dans le domaine des infrastructures
  • dans le domaine de l’or­gan­i­sa­tion sociale et productive
  • et dans le domaine technique.

Le cas Français

Pour la France on peut raison­ner en exam­i­nant les dif­férents postes qui con­tribuent à la con­som­ma­tion et aux émis­sions de CO2.

FIGURE 9 — Con­som­ma­tion d’én­ergie finale et émis­sions en France en 1995
France 1995​ Mtep % Kep/hab. Kg C/hab. %
• Habi­tat (dont) 50 26 % 845 305 17 %
Confo​rt thermique 44 22 % 740 305 305
Élec­tromé­nag­er blanc 5 3 % 35
brun + éclairage 1 1 % 70
• Ter­ti­aire (dont) 30 15 % 505 195 11 %
Chauffage et clim. 25 13 % 415 185
Usages spé­ci­fiques 5 2 % 90 10
• Ali­men­ta­tion 22 11 % 360 190 10 %
• Indus­trie (dont) 47 24 % 775 355 20 %
Pro­duc­tion intermédiaire 38 19 % 625 265
Pro­duits finis 9 5 % 150 90
• Trans­ports 49 25 % 805 755 42 %
Per­son­nes 30 15 % 490 460
Marchan­dis­es 19 10 % 315 295
TOTAL 198 100% 3 290 1 800 100%
Kep/hab. : kilo équiv­a­lent pét­role par habitant.
Kg C/hab. : il s’ag­it de la quan­tité de car­bone con­tenue dans le CO2.
NB. : les chiffres des trans­ports inclu­ent la dépense énergé­tique et les émis­sions de CO2 des raf­finer­ies
.

La fig­ure 9 résume la sit­u­a­tion en 1995 . On y trou­ve le bilan glob­al, la con­som­ma­tion par habi­tant et les émis­sions par habi­tant des dif­férents secteurs d’activité.

Habi­tat, indus­trie et trans­ports représen­tent cha­cun un quart de la con­som­ma­tion, ter­ti­aire et ali­men­ta­tion (y com­pris froid et cuis­son) le reste. Par con­tre les trans­ports con­tribuent à eux seuls à plus de 40% des émis­sions de CO2. Sur les 3,3 tep con­som­mées par habi­tant 1,3 sont con­som­més sous forme d’élec­tric­ité (5.800 KWh/hab/an)

Pour avoir une idée des pos­si­bil­ités de réduc­tion des émis­sions on peut dress­er le même tableau (fig­ure 10) en faisant l’hy­pothèse de parcs neufs (y com­pris dans l’habi­tat) dis­posant des meilleures tech­nolo­gies disponibles en 1995 sur le marché.

Dans une telle hypothèse la con­som­ma­tion finale d’élec­tric­ité par habi­tant tomberait à 0,8 tep/an, soit 3.600KWh.

Ce tableau, bien qu’évidem­ment très grossier, mon­tre cepen­dant les enjeux et les dif­fi­cultés de réduc­tion des émissions.

En effet si la réduc­tion des émis­sions pro­posée pour l’in­dus­trie a de bonnes chances de se pro­duire assez naturelle­ment avec la dématéri­al­i­sa­tion de l’ac­tiv­ité indus­trielle, l’ef­fort à faire dans l’habi­tat est con­sid­érable puisqu’il revient à met­tre l’ensem­ble du parc de loge­ments aux normes des habi­ta­tions neuves.

FIGURE 10 — Une France équipée sys­té­ma­tique­ment des meilleures tech­nolo­gies de 1995 (y com­pris pour les parcs de logement)
France 1995​ Conso/hab. Meilleure tech­no 95 Com­men­taires Kg C
• Habi­tat (dont) 845 360 170
Confo​rt thermique 740 300 Normes tech­niques bâti­ments neufs 170
Élec­tromé­nag­er blanc 35 25 Meilleurs équipements actuels
brun + éclairage 70 35 Opti­mi­sa­tion des syst. de veille
• Ter­ti­aire (dont) 505 250 100
Chauffage et clim. 415 200 Mêmes normes que l’habitat 100
Usages spé­ci­fiques 90 50 Opti­mi­sa­tion veille
• Ali­men­ta­tion 360 250 50 % de gain sur froid et cuisson 130
• Indus­trie (dont) 775 580 270
Pro­duc­tion intermédiaire 625 450 Éco­procédés et recyclage 190
Pro­duits finis 150 130 80
• Trans­ports 805 450 400
Per­son­nes 490 250 Véhicule 4 l./100 et 13 000 km/an 230
Marchan­dis­es 315 200 Réduc. puiss. camion trans­port combiné 295
TOTAL 3 290 1 890 1070
Source : les défis du long terme, Com­mis­sion énergie 2010–2020, Com­mis­sari­at général du Plan..

La plus grande incon­nue reste cepen­dant la con­tri­bu­tion des trans­ports. La réduc­tion envis­agée sup­pose en effet à la fois une adop­tion rapi­de des meilleures tech­nolo­gies actuelles pour les trans­ports routiers (marchan­dis­es et pas­sagers) mais aus­si un début de trans­fert de la route vers le rail, c’est à dire une inver­sion de la ten­dance actuelle. Mais la plus forte incon­nue réside dans le con­trôle de la crois­sance des trafics, aus­si bien de pas­sagers que de marchan­dis­es. C’est là que les poli­tiques d’ur­ban­isme, d’emploi, d’or­gan­i­sa­tion indus­trielle pren­nent une impor­tance majeure.

Mal­gré toutes ces incer­ti­tudes le tableau mon­tre néan­moins à quoi pour­rait ressem­bler la con­som­ma­tion d’én­ergie et les émis­sions de CO2 d’un indi­vidu dis­posant des mêmes ser­vices qu’en 1995 et n’émet­tant qu’en­v­i­ron 1 tonne de car­bone par an s’il dis­po­sait des meilleures tech­nolo­gies aujour­d’hui disponibles.

Rap­portée à la France la con­som­ma­tion finale serait de l’or­dre de 115 Mtep dont 225 TWh d’élec­tric­ité (à grande majorité hors fos­sile comme en 1995) avec la struc­ture détail­lée de la fig­ure 11.

Les énergies renouvelables

On a vu ci-dessus que le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables représente la sec­onde marge de manœu­vre impor­tante vis à vis des prob­lèmes de réchauf­fe­ment, d’épuise­ment des fos­siles et des risques nucléaires. Quand on exam­ine de plus près les scé­nar­ios pro­posés plus haut on con­state que les prin­ci­pales con­tri­bu­tions atten­dues sont d’une part la bio­masse et d’autre part l’hydraulique .

Mais le développe­ment actuel de l’éolien dans les pays du Nord (qui reste très sous estimé en France) pour­rait bien con­duire dès 2020 ou 2030 à une con­tri­bu­tion au moins égale à celle des bar­rages hydrauliques en Europe, surtout si le con­cept d’éolien off-shore, encore à l’é­tat de démon­stra­tion aujour­d’hui, tient ses promesses.

Le pho­to­voltaïque reste a pri­ori quan­ti­ta­tive­ment plus lim­ité en Europe dans les trente ans qui vien­nent même s’il a un rôle majeur à jouer dans le décol­lage du développe­ment des pays les moins avancés, en par­ti­c­uli­er en zone rurale.

FIGURE 11​
Mtep
meille​ure technologie
Gain / sit­u­a­tion de 1995 Mt de car­bone meilleure technologie Gain / sit­u­a­tion de 1995
H​abitat 22​ 56 % 10,2 43 %
Ter­ti­aire 15 50 % 6,2 46 %
Ali­men­ta­tion 15 32 % 7,8 33 %
Indus­trie 35 26 % 16,4 24 %
Trans­ports 27 45 % 2,4 48 %
TOTAL 114 42 % 64,6 40 %

En France les études prospec­tives récentes mon­trent que le bois énergie pour­rait con­tribuer dès 2015 ou 2020 à une quin­zaine de Mtep dont les 2/3 en énergie ther­mique et 3 Mtep à 5 Mtep (15 à 25TWh)6 sous forme d’élec­tric­ité (cogénéra­tion et élec­tric­ité seule), sans créer de con­cur­rence d’usage avec la pâte à papi­er ou l’in­dus­trie du bois.

L’éolien quant à lui pour­rait attein­dre au delà de 2020–2030 30 à 50 TWh (100 GW instal­lés en Europe et 200 TWh en 2020)7 et le pho­to­voltaïque quelques TWh.

Au total on peut raisonnable­ment tabler dans les 30 ans qui vien­nent sur la mobil­i­sa­tion de 15 Mtep à 20 Mtep d’én­ergie ther­mique renou­ve­lable (10 de bois, 10 de déchets, de géother­mie et de solaire ther­mique direct (eau chaude et chauffage) et de 125 à 165 TWh d’élec­tric­ité renou­ve­lable (75 d’hy­draulique, 15 à 25 d’élec­tric­ité bois ou déchets, 30 à 50 d’éolien, 5 de pho­to­voltaïque, et de 0 à 10 TWh de géother­mie des roches fracturées).

Compte tenu des pertes du réseau (de l’or­dre de 15%) il faudrait pour pro­duire l’élec­tric­ité néces­saire (255 TWh) pro­duire de 90 à un peu moins de 130 TWh sup­plé­men­taires, soit avec du nucléaire soit avec des éner­gies fos­siles. Si cette élec­tric­ité est pro­duite par des tur­bines à gaz à cycle com­biné (CCG, hypothèse de ren­de­ment 60%) cela con­duirait dans l’hy­pothèse basse à une émis­sion sup­plé­men­taire de 8 Mt de car­bone8 et dans l’hy­pothèse haute à 12 Mt de carbone.

Le nucléaire

On a vu ci dessus que la con­tri­bu­tion de nucléaire au bilan car­bone d’i­ci à 2050 pro­posée par les scé­nar­ios prospec­tifs reste rel­a­tive­ment mod­este même pour les plus opti­mistes d’en­tre eux. Néan­moins en flux le nucléaire atteint dans les scé­nar­ios les plus opti­mistes près de 3 Gtep/an en 2050.

Cette dernière hypothèse, qui cor­re­spond à une relance impor­tante du nucléaire à par­tir de 2020 ou 2030, n’est guère vraisem­blable si les deux prob­lèmes majeurs que sont les risques de pro­liféra­tion et la lim­i­ta­tion du stock de déchets à haute activ­ité et très longue durée de vie n’ont pas trou­vé de solu­tions plus sat­is­faisantes qu’aujourd’hui.

FIGURE 12 — Plu­to­ni­um con­tenu dans Ir : com­bustible irradié (UOX et MOX)
Plutonium contenu dans le combustible irradié du parc actuel jusqu'à son obsolescense (40 ans) dans diverses configurations de retraitement.
Plu­to­ni­um con­tenu dans le com­bustible irradié du parc actuel jusqu’à son obso­lescense (40 ans) dans divers­es con­fig­u­ra­tions de retraitement.

Si en effet le nucléaire doit, dans la sec­onde moitié du siè­cle, apporter une con­tri­bu­tion sig­ni­fica­tive au bilan énergé­tique mon­di­al, il lui faut, du fait de la dis­sémi­na­tion con­sid­érable à laque­lle il sera con­fron­té, résoudre de façon sat­is­faisante ces deux prob­lèmes qui entra­vent fon­da­men­tale­ment son développe­ment aujour­d’hui (fig­ure 12).

On peut pren­dre con­science de l’am­pleur du prob­lème en exam­i­nant l’évo­lu­tion des stocks de plu­to­ni­um con­tenu dans les déchets du parc français, dans l’hy­pothèse d’un sim­ple main­tien du parc actuel (sans nou­velle con­struc­tion), avec une durée de vie moyenne de 40 ans des cen­trales con­stru­ites, et dif­férentes solu­tions pour l’aval du cycle. On voit en effet que quelle que soit la solu­tion adop­tée pour l’aval du cycle (avec mox­age max­i­mal ou arrêt du retraite­ment), dans l’é­tat actuel des tech­niques, le stock de Pu sera mul­ti­plié par un fac­teur de 4,7 à 5,7 en France. En cas de relance, on se trou­vera donc devant des stocks très rapi­de­ment crois­sants de déchets à longue durée de vie.

Au delà des recherch­es indis­pens­ables à un bouclage sat­is­faisant de l’aval du cycle, dont per­son­ne ne peut aujour­d’hui affirmer qu’elles con­duiront au suc­cès ni surtout quand elles y aboutiront, il paraî­trait judi­cieux d’ap­pli­quer aux déchets la même stratégie de pré­cau­tion qu’au CO2 en pro­posant un “Kyoto des déchets” per­me­t­tant de lim­iter au niveau mon­di­al la quan­tité de déchets, tant qu’on n’a pas de solu­tion accept­able et accep­tée pour le stock­age ou l’élim­i­na­tion de ces déchets.

Cette propo­si­tion prag­ma­tique9 , par oppo­si­tion au “tout ou rien” d’au­jour­d’hui lais­serait un espace impor­tant à la mise au point de fil­ières net­te­ment plus économes en com­bustibles fis­siles (meilleur ren­de­ment ther­mo­dy­namique, taux de com­bus­tion plus élevés, etc.) qui per­me­t­traient dans un pre­mier temps de dimin­uer la quan­tité de déchets dan­gereux par kWh produit.

A l’is­sue de cette rapi­de analyse, on voit que la vraie ques­tion d’au­jour­d’hui est bien de savoir quelles straté­gies adopter, pour se diriger dans la direc­tion sug­gérée par les scé­nar­ios de développe­ment sobre plutôt que de con­sacr­er l’essen­tiel de ses forces à la spi­rale qui con­siste à dévelop­per tou­jours plus vite et sans lim­ite des fil­ières énergé­tiques en même temps que les tech­nolo­gies sus­cep­ti­bles d’en lim­iter les dégâts potentiels.

L’avenir dépen­dra certes très large­ment des modes de développe­ment que vont priv­ilégi­er les pays en voie de développe­ment, mais aus­si de la capac­ité des pays rich­es à recon­naître et appuy­er la diver­sité des démarch­es plutôt que de ten­ter d’im­pos­er un mod­èle unique dont les effets per­vers à moyen et long terme appa­rais­sent de plus en plus clairs.

Dans nos pays les marges de manœu­vre sont impor­tantes comme nous l’avons vu. Mais sans l’ex­em­ple de nos sociétés rich­es, les efforts des pou­voirs publics, des com­pag­nies énergé­tiques, des indus­triels pro­duc­teurs de biens et de ser­vice, com­ment imag­in­er que des con­ti­nents en développe­ment comme l’Asie, l’Amérique Latine ou l’Afrique adopteront au vingt et unième siè­cle des modes de développe­ment qui ne remet­tent pas en cause grave­ment l’avenir de l’homme sur la planète ?

Le défi auquel nous sommes con­fron­tés n’est donc pas d’abord tech­nique, il est cul­turel, il est poli­tique. Si l’hor­reur écologique n’est pas inéluctable, à nous, citoyens du monde, de réa­gir, et de dévelop­per les out­ils d’une sol­i­dar­ité plané­taire au ser­vice d’un développe­ment équili­bré et durable de l’ensem­ble des sociétés humaines.

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1. IIASA : Inter­na­tion­al Insti­tute for Applied Sys­tems Analysis.
2. NOÉ : Nou­velles Options Énergétiques.
3. Inten­sité énergé­tique : : c’est la quan­tité d’én­ergie néces­saire à l’ob­ten­tion d’une unité moné­taire de valeur ajoutée : par exem­ple des tep par dollar.
4. Tep : la tonne équiv­a­lente pét­role et ses mul­ti­ples sont les unites des énergéti­ciens pour mesur­er avec une seule unité des éner­gies d’o­rig­ines dif­férentes en les ramenant à l’én­ergie équiv­a­lente à celle de la com­bus­tion d’une tonne de pét­role. Une tep vaut à 44,8 giga­joules ou encore 11,6 MWh.
5. V x km : voyageur x km.
6. Le bois énergie en France, Les Cahiers du CLIP, n° 3.
7. les éner­gies renou­ve­lables, Com­mis­sari­at au Plan, Club Energie prospec­tive et débats 1989.
8. Les émis­sions de car­bone d’une telle tur­bine sont de l’or­dre de 90 g par kWh (340 g de CO2).
9. Effet de serre et nucléaire, l’équili­bre des pré­cau­tions, Ben­jamin Dessus et Yves Mari­gnac, Les Cahiers de Glob­al Chance n° 12. nov. 1999.

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