Le réchauffement climatique et la santé

Dossier : L'effet de serreMagazine N°555 Mai 2000
Par Jean-Pierre BESANCENOT

Dans l’hy­pothèse d’un qua­si-dou­ble­ment de la teneur de l’at­mo­sphère en équiv­a­lents CO2, entraî­nant un ren­force­ment de l’ef­fet de serre, une élé­va­tion notable des tem­péra­tures pour­rait se pro­duire au XXIe siè­cle : c’est ain­si que l’on évoque couram­ment une hausse moyenne de 2°C sur la France, d’i­ci à l’an 2050.

La ten­ta­tion est donc grande d’établir un inven­taire des con­séquences san­i­taires les plus plau­si­bles d’une telle évo­lu­tion du cli­mat, à moyen ou long terme. Mais c’est là un sujet d’une red­outable com­plex­ité. D’abord, parce que l’évo­lu­tion des tem­péra­tures ne serait pas iden­tique partout à la sur­face du globe : les mod­èles font état d’un réchauf­fe­ment beau­coup plus mar­qué aux lat­i­tudes élevées qu’en zone intertropicale.

En deux­ième lieu, parce que l’on con­naît mal les réper­cus­sions pos­si­bles sur les autres élé­ments du cli­mat, surtout si l’on exclut les pré­cip­i­ta­tions. En troisième lieu, parce que le reten­tisse­ment sur la san­té serait éminem­ment vari­able selon le con­texte socio-économique et le niveau de développe­ment : on aura l’oc­ca­sion d’y revenir. Enfin, parce qu’il con­vient de dis­tinguer avec soin, par­mi les effets pos­si­bles d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique, ceux qui s’ex­erceraient directe­ment sur l’or­gan­isme humain et ceux qui se feraient sen­tir en façon­nant des con­di­tions écologiques plus ou moins favor­ables à la survie, à la mul­ti­pli­ca­tion et au développe­ment de tel ou tel germe pathogène, ou encore de tel ou tel insecte hématophage vecteur de ce germe.

Dans ce dernier cas, ce sont les mal­adies infec­tieuses et par­a­sitaires qui sont con­cernées. L’ex­em­ple-type est celui du palud­isme, dont cha­cun sait qu’il se con­cen­tre aujour­d’hui à l’in­térieur de la zone intertrop­i­cale et sur ses marges sub­trop­i­cales ; mais la ques­tion ne peut pas être éludée du risque de résur­gence de la mal­adie aux lat­i­tudes moyennes… Il n’en reste pas moins que, dans l’aire d’ex­ten­sion des cli­mats dits tem­pérés, c’est avant tout le stress ther­mique qui, par ses effets directs sur l’or­gan­isme humain, est sus­cep­ti­ble de modi-fier de façon notable les taux de mor­bid­ité et de mor­tal­ité, notam­ment mais pas exclu­sive-ment en ce qui con­cerne les mal­adies car­dio­vas­cu­laires et les affec­tions respiratoires.

Les effets indirects d’un réchauffement climatique sur la santé

Le palud­isme est à la fois l’une des mal­adies les plus répan­dues à tra­vers le monde et l’une des plus sen­si­bles aux con­di­tions ambiantes. Les sta­tis­tiques “offi­cielles” font état de 100 à 120 mil­lions d’in­di­vidus qui en présen­tent chaque année les symp­tômes. Mais la réa-lité est beau­coup plus inquié­tante encore, et l’on peut avancer le chiffre de 500 mil­lions de cas annuels, sur un total d’en­v­i­ron un mil­liard de per­son­nes infectées.

Avec 1,5 à 3 mil­lions de décès par an, en majorité des jeunes enfants sur le con­ti­nent africain, le palud­isme représente l’une des toutes pre­mières caus­es de mor­tal­ité à la sur­face du globe. On rap­pellera sim­ple­ment qu’il est dû à un par­a­site héma­to­zoaire du genre plas­mod­i­um, trans­porté dans la salive du mous­tique anophèle femelle.

Poten­tiel​épidémique du palud­isme en fonc­tion de la tem­péra­ture (1 = maximum)
Potentiel épidémique du paludisme en fonction de la température

Les anophèles pro­lifèrent en ambiance chaude et humide. Ils se repro­duisent à prox­im­ité de l’eau, notam­ment dans les zones marécageuses et les mares. La durée de l’in­cu­ba­tion, autrement dit le temps néces­saire au développe­ment com­plet du par­a­site dans le vecteur, dépend de l’e­spèce et de la souche de l’hé­ma­to­zoaire ain­si que de l’e­spèce et de la souche du mous­tique, mais aus­si des con­di­tions ther­miques (à 28°C, le développe­ment se fait en 8 à 14 jours) et de l’hu­mid­ité ambiante (qui com­mande la longévité de l’anophèle, laque­lle doit être suff­isam­ment pro­longée pour qu’il devi­enne infec­tant). Dans ces con­di­tions, on conçoit sans peine que la répar­ti­tion géo­graphique de la mal­adie peut se trou­ver très affec­tée par un réchauf­fe­ment cli­ma­tique, fût-il d’am­pli­tude modérée.

Une élé­va­tion de la tem­péra­ture aurait pour effet de rac­cour­cir le temps de développe­ment du par­a­site chez son vecteur, ce qui accroî­trait la capac­ité vec­to­rielle de l’anophèle. Le réchauf­fe­ment pour­rait donc à la fois aug­menter le niveau de trans­mis­sion en un lieu don­né et per­me­t­tre la trans­mis­sion dans des régions où elle était aupar­a­vant ren­due impos­si­ble par des tem­péra­tures inférieures, selon l’e­spèce, à 16 ou 18°C.

Il pour­rait en résul­ter une exten­sion en lat­i­tude de la zone d’endémie palus­tre, sans que les con­di­tions devi­en­nent vrai­ment défa­vor­ables à l’in­térieur de cette zone. Des craintes sont ain­si per­mis­es pour le nord du Sahel, pour la majeure par­tie du Maghreb, pour la Turquie, pour le Proche et le Moyen-Ori­ent, ain­si que pour l’Afrique du Sud, pour les Tier­ras calientes du Yucatan et du cen­tre-est mex­i­cain, pour le Brésil mérid­ion­al ou pour le sud de la Chine.

Un autre risque d’en­ver­gure est celui d’une exten­sion de la mal­adie vers des alti­tudes plus élevées, alors qu’au­jour­d’hui, au-dessus de 1400–1500 m en Asie ou de 1600–1800 m en Éthiopie, les mon­tagnes trop­i­cales sont pour la plu­part indemnes.

Il s’en­suit que si, en 1990, 45% de l’hu­man­ité vivait dans des régions où sévit le palud­isme, le taux pour­rait attein­dre 60% dans un demi-siè­cle, du dou­ble fait de l’élar­gisse­ment de la zone impaludée et de sa forte crois­sance démographique.

Une ques­tion très débattue est de savoir si l’évo­lu­tion est déjà engagée. Beau­coup l’af­fir­ment, mais les exem­ples four­nis empor­tent rarement la con­vic­tion. Ain­si, au-dessus de 1000 m sur les hautes ter­res mal­gach­es, une épidémie meur­trière s’est dévelop­pée en 1987 dans un secteur où le palud­isme était éradiqué depuis 1962. Pour­tant, la tem­péra­ture n’a absol­u­ment pas var­ié durant ces vingt-cinq ans : l’ex­pli­ca­tion la plus plau­si­ble fait inter­venir la crise poli­tique qui, en per­tur­bant l’ap­pro­vi­sion­nement des cen­tres de san­té et des phar­ma­cies, a entraîné l’ar­rêt des traite­ments et de la prophylaxie.

De même, une ter­ri­ble épidémie a éclaté en 1994 au cœur du pays kiga, dans les mon­tagnes du sud-ouest de l’Ougan­da, autour de Kabale ; cette fois, il est indis­cutable que la tem­péra­ture a aug­men­té, mais si peu (de 0,4 à 0,6°C en trente ans) que les fac­teurs humains parais­sent là encore avoir joué un rôle décisif : les effec­tifs de la pop­u­la­tion ont plus que triplé en moins de quar­ante ans et les papyrus qui occu­paient jusque-là les fonds de val­lée ont été détru­its ; or, ils sécrè­tent une huile essen­tielle qui forme un film à la sur­face de l’eau, empêchant la présence de moustiques…

On saisit par là l’im­por­tance du nom­bre des gîtes lar­vaires, qui déter­mi­nent la taille des pop­u­la­tions d’anophèles adultes et, par suite, le nom­bre de piqûres que sera sus­cep­ti­ble de recevoir chaque habi­tant, donc le risque d’être affec­té par le paludisme.

Voilà qui mon­tre à quel point on com­met une grave erreur méthodologique chaque fois que l’on isole la tem­péra­ture des autres élé­ments, naturels ou anthropiques, sus­cep­ti­bles de con­di­tion­ner la trans­mis­sion d’une mal­adie… Encore l’élé­va­tion ther­mique peut-elle aller de pair avec une baisse de la plu­viosité, auquel cas les réper­cus­sions san­i­taires risquent d’être à l’op­posé du sché­ma attendu.

Tel est depuis 1970 le cas de la région des Niayes, au nord de Dakar, qui a con­nu les sécher­ess­es parox­ys­tiques de 1972, 1983 et 1991. En dépit d’une hausse ther­mique de l’or­dre de 0,5°C, le prin­ci­pal vecteur local du palud­isme (ici, Anophe­les Funes­tus) a dis­paru avec les roselières, et la pré­va­lence de cette par­a­sitose a chuté de 50 à moins de 10%, sans que le retour à des pré­cip­i­ta­tions “nor­males” en 1995 n’en­traîne une réim­plan­ta­tion des moustiques.

La preuve est ain­si faite que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique n’est pas — ou, à tout le moins, pas encore — suff­isant pour provo­quer une recrude­s­cence du palud­isme en zone intertrop­i­cale, mais que la vig­i­lance s’im­pose. Un fac­teur sup­plé­men­taire d’in­cer­ti­tude tient au fait qu’à plus ou moins long terme, des muta­tions géné­tiques pour­raient con­duire à l’ap­pari­tion de souch­es d’hé­ma­to­zoaires aux exi­gences écologiques dif­férentes, un peu comme le plas­mod­i­um est devenu en bien des endroits résis­tant aux médica­ments antipalu-diques les plus util­isés, à com­mencer par la chloro­quine. Mais les recherch­es débu­tent à peine sur une éventuelle muta­bil­ité des micro-organ­ismes pathogènes sous l’ef­fet d’un change­ment climatique.

Cela étant admis, et s’agis­sant du palud­isme, la ques­tion reste posée de savoir s’il men­ace les lat­i­tudes moyennes, et spé­ciale­ment la France. Il ne faut pas oubli­er que la mal­adie y a sévi à l’é­tat endémique jusqu’au début du XXe siè­cle et que, si elle a été éradiquée, ce n’est pas à la suite d’un refroidisse­ment, mais grâce à l’as­sainisse­ment des ter­res humides et des marais.

Ce n’est donc pas le cli­mat qui con­stitue un fac­teur lim­i­tant et l’on se trou­ve aujour­d’hui dans la sit­u­a­tion d’un anophélisme sans palud­isme, la présence de vecteurs poten­tiels n’en­traî­nant pas la trans­mis­sion de la mal­adie. On ajoutera que des cas clin­iques de palud­isme importé sont régulière­ment sig­nalés aux abor­ds des grands aéro­ports inter­na­tionaux, les mous­tiques n’é­tant pas trans­portés dans les car­lingues (désin­sec­tisées) mais plutôt dans des containers.

Il n’en est jusqu’à présent résulté aucune flam­bée épidémique. Seul un apport mas­sif de par­a­sites, d’une souche com­pat­i­ble avec les pop­u­la­tions anophéli­ennes locales, pour­rait occa­sion­ner une reprise de la trans­mis­sion. Mais dans cette éven­tu­al­ité, il est vraisem­blable que la réin­tro­duc­tion de la mal­adie serait aus­sitôt détec­tée, donc assez facile­ment cir­con­scrite et maîtrisée.

Il s’en­suit que, sans être nul, le risque paraît en défini­tive assez faible, et la plu­part des pays européens appel­lent un con­stat sim­i­laire. A l’in­verse, les plus vives inquié­tudes sont per­mis­es pour le ter­ri­toire de l’ex-URSS, où l’on ne dénom­brait pas moins de 30 mil­lions de cas annuels de palud­isme avant la sec­onde guerre mon­di­ale et où le sys­tème de san­té souf­fre aujour­d’hui d’une telle désor­gan­i­sa­tion que ni la sur­veil­lance épidémi­ologique ni le con­trôle des pop­u­la­tions de vecteurs ne sont cor­recte­ment assurés.

On saisit par là com­bi­en l’im­pact du palud­isme et l’ef­fi­cac­ité des moyens de lutte restent liés au niveau socio-économique des populations.

Mais, pour en revenir au cas de la France, il est d’autres vecteurs de mal­adies qui, dans l’hy­pothèse d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique, sus­ci­tent davan­tage d’in­quié­tudes. La liste étant longue, on se lim­it­era ici à deux exem­ples. Le pre­mier est celui d’Aedes albopic­tus, qui colonise depuis 1990 la moitié septen­tri­onale de l’I­tal­ie ; ce mous­tique d’o­rig­ine asi­a­tique, bon vecteur de la dengue mais aus­si de la fièvre de la val­lée du Rift et du virus West Nile (à l’o­rig­ine d’af­fec­tions fébriles habituelle­ment bénignes, mais dégénérant par­fois en red­outa­bles méningo-encéphalites) pour­rait dès à présent gag­n­er le Midi méditer­ranéen, où ses exi­gences écologiques seraient sat­is­faites, puis envahir tout ou par­tie du pays si le réchauf­fe­ment annon­cé se réalise.

Le sec­ond exem­ple con­cerne une espèce voi­sine, très anthro­pophile, en l’oc­cur­rence Aedes aegyp­ti, dont on peut crain­dre qu’à la faveur d’un relève­ment des tem­péra­tures, elle ne ré-envahisse la France : si une sur­veil­lance stricte n’est pas mise en place, elle pour­rait don­ner nais­sance à des épidémies de fièvre jaune et de dengue, par­ti­c­ulière­ment red­outa­bles dans une pop­u­la­tion non immune.

Il n’empêche que, dans les pays dévelop­pés des lat­i­tudes moyennes, le risque infec­tieux et par­a­sitaire reste très large­ment devancé par les méfaits directs du stress thermique.

Les effets directs d’un réchauffement climatique sur la santé

De nom­breuses sim­u­la­tions ont porté sur le nom­bre des décès. On sait que le rythme annuel de la mor­tal­ité, hors des tropiques, est le plus sou­vent car­ac­térisé aujour­d’hui par une cul­mi­na­tion prin­ci­pale de sai­son froide (ren­for­cée en présence d’un hiv­er rigoureux) et par un max­i­mum sec­ondaire de sai­son chaude (par­ti­c­ulière­ment sail­lant durant les péri­odes caniculaires).

Évo­lu­tion atten­due du rythme s​aisonnier de la mor­tal­ité à New York en cas de réchauffement
Évolution attendue du rythme saisonnier de la mortalité à New York en cas de réchauffement

Dans l’hy­pothèse d’une inten­si­fi­ca­tion de l’ef­fet de serre, il faudrait s’at­ten­dre pour le siè­cle prochain à une diminu­tion rel­a­tive de la sur­mor­tal­ité hiver­nale, les mal­adies de l’ap­pareil res­pi­ra­toire (bron­chites, pneu­monies) et les car­diopathies con­tribuant le plus à cette amélio­ra­tion. A l’in­verse, les nou­velles dis­po­si­tions ther­miques déter­min­eraient une assez franche sur­mor­tal­ité esti­vale, beau­coup moins du fait de la mise en échec absolue des mécan­ismes ther­morégu­la­teurs (hyper­ther­mie, coup de chaleur, déshy­drata­tion aiguë) que par suite de la recrude­s­cence de toutes sortes de mal­adies car­dio­vas­cu­laires, cérébrovas­cu-laires, res­pi­ra­toires, métaboliques ou psychiques.

Toute la dif­fi­culté est de savoir quelle serait alors la résul­tante des évo­lu­tions opposées car­ac­térisant les saisons extrêmes. En France, si l’on extra­pole les sit­u­a­tions réal­isées au cours des hivers les plus froids et des étés les plus chauds des cinquante dernières années, le nom­bre des décès pour­rait reculer d’en­tre 5 et 7% au cours du trimestre décem­bre-févri­er, alors qu’il aug­menterait d’en­tre 12 et 18% au cours des trois mois de juin à août.

Toutes choses égales par ailleurs, l’évo­lu­tion cli­ma­tique se traduirait donc, dans une classe d’âge don­née, par un ren­force­ment inex­orable de la mor­tal­ité et par une diminu­tion de l’e­spérance de vie. Seraient alors spé­ciale­ment touchées les caté­gories sociales les moins favorisées (dépourvues de toute instal­la­tion de con­di­tion­nement d’air et souf­frant sou­vent de poly­patholo­gies intriquées), ain­si que les femmes (lesquelles, au-delà de la soix­an­taine, règ­lent moins effi­cace­ment que les hommes leur tem­péra­ture interne).

Évo­lu­tion atten­due de la mor­tal­ité estivale
en cas de réchauf­fe­ment, selon le degré d’acclimatation
Évolution attendue de la mortalité estivale en cas de réchauffement.

Aux États-Unis, où les con­trastes ther­miques sont plus accusés, les cal­culs font état de réper­cus­sions encore plus préoc­cu­pantes, avec une sur­mor­tal­ité esti­vale au moins trois fois plus forte que la sous-mor­tal­ité hiver­nale — ce qui se traduirait finale­ment par une inver­sion du rythme annuel au milieu du siè­cle prochain.

Mais il ne faut pas dis­simuler que d’autres études, apparem­ment con­duites avec la même rigueur sci­en­tifique, sont arrivées à une con­clu­sion opposée, aux Pays-Bas ou en Aus­tralie. De telles con­tra­dic­tions tien­nent, pour une part, à l’in­cer­ti­tude des mod­èles. Mais il est égale­ment vraisem­blable que les réper­cus­sions d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique cli­ma­tique vari­eraient d’une région à l’autre.

C’est ain­si qu’en France, tout porte à penser que l’évo­lu­tion de la mor­tal­ité se ferait dans le sens d’un dou­ble accroisse­ment des gra­di­ents Nord-Sud et Ouest-Est, ain­si que d’un ren­force­ment du nom­bre des décès au plus fort de l’été dans les grandes villes de l’in­térieur, qui paient déjà aujour­d’hui le plus lourd trib­ut aux prin­ci­pales vagues de chaleur.

En fait, tout dépend de la bru­tal­ité avec laque­lle s’opér­erait le réchauf­fe­ment. Une évo­lu­tion rel­a­tive­ment lente, per­me­t­tant une accli­mata­tion pro­gres­sive, n’au­rait sans doute que peu de con­séquences san­i­taires néfastes, avec un min­i­mum de per­tur­ba­tions soma­tiques et psy­chiques. Mais si l’évo­lu­tion se fait par à‑coups rel­a­tive­ment vio­lents (et les sim­u­la­tions du cli­mat au XXIe siè­cle ne l’ex­clu­ent pas), les con­séquences risquent d’être beau­coup plus inquié­tantes, quitte à ce que se réalise ensuite peu à peu le retour à un nou­v­el équilibre.

Par­mi les patholo­gies les plus sus­cep­ti­bles de voir leur pré­va­lence aug­menter à l’oc­ca­sion d’un réchauf­fe­ment d’ensem­ble du cli­mat, on a déjà cité les mal­adies car­dio­vas­cu­laires et cérébrovas­cu­laires. Mais la liste ne s’ar­rête évidem­ment pas là.

Le cli­mat peut aus­si avoir des impacts var­iés sur l’ap­pareil res­pi­ra­toire avec, en par­ti­c­uli­er, une recrude­s­cence print­anière et/ou esti­vale des rhinites et des crises d’asthme, d’au­tant que la hausse des tem­péra­tures amèn­erait inévitable­ment le déplace­ment de l’aire de répar­ti­tion de nom­breuses espèces végé­tales, dont cer­taines forte­ment aller­gisantes, tan­dis que la fréquence accrue du “beau temps” chaud, ensoleil­lé et exempt de fortes pré­cip­i­ta­tions aug­menterait les quan­tités de pollen libérées dans l’air.

L’ac­croisse­ment dif­fi­cile­ment évitable de la pol­lu­tion des bass­es couch­es de l’at­mo­sphère, avec des teneurs majorées en oxy­des d’a­zote, en ozone et en autres pol­lu­ants pho­tochim­iques, jouerait dans le même sens, en con­tribuant à mul­ti­pli­er les crises d’asthme.

On sig­nalera encore, sans pré­ten­dre à l’ex­haus­tiv­ité, les pré­somp­tions qui pèsent sur une pos­si­ble aug­men­ta­tion de la pré­va­lence des lithi­as­es uri­naires, sur une élé­va­tion sen­si­ble du taux de pré­ma­tu­rité avec un ren­force­ment cor­rélatif du taux de mor­tal­ité péri­na­tale, une recrude­s­cence des admis­sions en urgence dans les ser­vices de psy­chi­a­trie, une mul­ti­pli­ca­tion des intox­i­ca­tions (du fait de la mau­vaise con­ser­va­tion des ali­ments), ou encore un risque accru de con­t­a­m­i­na­tion des sys­tèmes de cli­ma­ti­sa­tion et/ou d’hu­mid­i­fi­ca­tion par des micro-organ­ismes var­iés, notam­ment la red­outable mal­adie des légionnaires.

Réchauf­fe­ment cli­ma­tique et san­té : essai de synthèse
Réchauffement climatique et santé: essai de synthèse

En guise de conclusion provisoire

On ne saurait dis­simuler l’im­men­sité de notre igno­rance, et rien ne per­met d’af­firmer que l’évo­lu­tion se fera bien dans le sens annon­cé, tant sont encore nom­breuses les incertitudes.

Pour pren­dre un exem­ple presque car­i­cat­ur­al, la sit­u­a­tion du palud­isme pour­rait se trou­ver rad­i­cale­ment trans­for­mée par la mise au point d’un vac­cin à la fois bon marché et durable­ment effi­cace. Plus large­ment, les pro­grès réal­isés dans la préven­tion et/ou le traite­ment des mal­adies ont des chances d’an­ni­hiler les effets nocifs que l’on a signalés.

Dans l’hy­pothèse, que les spé­cial­istes n’ex­clu­ent pas totale­ment même s’ils ne la con­sid­èrent pas comme la plus plau­si­ble, d’une baisse d’in­ten­sité de la dérive nord-atlan­tique, courant océanique chaud issu du Gulf Stream, c’est à un refroidisse­ment de quelque 5°C, et non à un réchauf­fe­ment de 2°C, que le Nord-Ouest de l’Eu­rope, France incluse, serait con­fron­té au siè­cle prochain — tout ce qui a été dit ci-dessus étant alors à invers­er puisque, par exem­ple, la mor­bid­ité et la mor­tal­ité se trou­veraient prob­a­ble­ment ren­for­cées en hiv­er, et atténuées en été !

L’essen­tiel reste donc de tou­jours rel­a­tivis­er nos con­clu­sions, sans céder ni au cat­a­strophisme à la mode ni au con­fort appar­ent des théories dominantes.

Les incer­ti­tudes qui pèsent
sur la “prévi­sion ” des réper­cus­sions sanitaires
d’un réchauf­fe­ment climatique
Les incertitudes qui pèsent sur la "prévision " des répercussions sanitaires d'un réchauffement climatique

Par ailleurs, ce serait une erreur que de con­sid­ér­er isolé­ment les effets poten­tiels de l’évo­lu­tion du cli­mat, hors de tout con­texte : les vari­ables météorologiques ne suff­isent pas à cern­er les risques météoropathologiques et une même agres­sion cli­ma­tique n’est pas ressen­tie de la même façon dans dif­férents milieux économiques ou culturels.

A l’in­verse, il faut tou­jours garder présent à l’e­sprit que l’élé­va­tion de la tem­péra­ture peut exac­er­ber les effets asso­ciés de la pol­lu­tion de l’air et, par suite, inten­si­fi­er les prob­lèmes san­i­taires des groupes humains les plus vulnérables.

Il con­vient en out­re de rester très atten­tif au fait que, si nous devons effec­tive­ment con­naître un change­ment cli­ma­tique, celui-ci aura une forte prob­a­bil­ité de s’ac­com­pa­g­n­er d’une mul­ti­pli­ca­tion d’événe­ments extrêmes, à l’im­age de ceux que le monde a vécus fin 1999 (cyclone Floyd classé comme l’un des plus puis­sants du siè­cle, coulées de boue meur­trières au Venezuela, tem­pêtes de décem­bre en Europe occidentale).

Or, ces grands parox­ysmes météorologiques, tan­tôt très local­isés et tan­tôt extrême­ment éten­dus, peu­vent avoir de mul­ti­ples réper­cus­sions sur la san­té, bien enten­du par leurs effets trau­ma­tiques immé­di­ats, mais égale­ment par les épidémies sus­cep­ti­bles de se déclencher à leur suite et par la patholo­gie psy­cho­so­ma­tique (patholo­gie de stress) qui, presque à chaque fois, s’in­scrit durable­ment dans leur sillage.

En somme, on n’ou­bliera jamais qu’une dégra­da­tion de l’é­tat de san­té résulte tou­jours de la con­ver­gence d’un risque exogène et d’une par­ti­c­ulière vul­néra­bil­ité de la pop­u­la­tion exposée.

Là encore, le con­texte aura son impor­tance : pour ne pren­dre qu’un exem­ple, les épidémies seraient rapi­de­ment jugulées dans les pays rich­es, si tant est qu’elles s’y déclenchent, mais leur bilan pour­rait être cat­a­strophique dans les pays les plus démunis.

Ain­si, la pru­dence reste bien le maître-mot. Mais pru­dence ne doit pas être syn­onyme de pas­siv­ité car, si l’avenir ne se prévoit pas, il se pré­pare. En par­ti­c­uli­er, un ren­force­ment de la sur­veil­lance épidémi­ologique s’im­pose si l’on veut avoir un max­i­mum de chances de pou­voir réa­gir avant qu’il ne soit trop tard.

Pour en savoir plus
  • Besan­cenot J.P., 1998 : “Inci­dences pos­si­bles du réchauf­fe­ment cli­ma­tique sur la san­té en France mét­ro­pol­i­taine et dans les DOM-TOM au XXIe siè­cle”. In : Impacts poten­tiels du change­ment cli­ma­tique en France au XXIe siè­cle. Paris : Pre­mier Min­istre, Mis­sion Inter­min­istérielle de l’Ef­fet de Serre, pp. 111–121.
  • Cas­tel-Tal­let M.A., Besan­cenot J.P., 1997 : “Réchauf­fe­ment plané­taire et san­té : la France au XXIe siè­cle”. Presse therm. cli­mat., vol. CXXXIV, n° 4, pp. 275–283.
  • Haines A., 1990 : “Les effets du réchauf­fe­ment sur la san­té”. In : Le réchauf­fe­ment de la terre. Paris : Edi­tions du Rocher, pp. 186–201.
  • Kalk­stein L.S., 1993 : “The impact of a glob­al cli­mate change on human health”. Expe­ri­en­tia, vol. XL, n° 1, pp. 1–11.
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  • Martens W.J.M. (1998) : “Cli­mate change, ther­mal stress and mor­tal­i­ty changes”. Soc. Sc. Med., vol. XLVI, n° 3, pp. 331–344.
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Bessonrépondre
26 octobre 2022 à 17 h 07 min

Aujour­d’hui 26 octo­bre 2022 à Lyon 26°C
Encore des mous­tiques. Cet été 4 péri­odes de canicule.… Sécheresses.…
On pen­sait qu’il ne fal­lait pas être alarmiste !
Et bien si !

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