Agriculture et réchauffement climatique : quelques éléments de réflexion

Dossier : L'effet de serreMagazine N°555 Mai 2000
Par Richard DELÉCOLLE
Par Pierre-Alain JAYET
Par Jean-François SOUSSANA

Les impacts biologiques

Sché­ma­tique­ment, le réchauf­fe­ment cli­ma­tique peut engen­dr­er plusieurs types d’impacts :

  • sur les pro­duc­tions, en ter­mes de quan­tité et de qualité
  • sur les fil­ières amont via d’éventuelles mod­i­fi­ca­tions des con­som­ma­tions d’eau d’ir­ri­ga­tion, d’en­grais, d’her­bi­cides, de pro­duits phy­tosan­i­taires) et aval (si la qual­ité des pro­duits récoltés est modifiée)
  • sur l’en­vi­ron­nement (notam­ment si la fréquence et l’in­ten­sité du lessi­vage dans les sols de l’a­zote et des autres élé­ments minéraux sont modifiées)
  • sur l’e­space rur­al, selon que les change­ments cli­ma­tiques pousseraient à des mod­i­fi­ca­tions des spécu­la­tions, à la déprise des ter­res, au développe­ment d’amé­nage­ments hydrauliques.

Ces impacts sont de com­plex­ité diverse, et leur étude a été abor­dée de façon iné­gale. En ce qui con­cerne les pro­duc­tions agri­coles pro­pre­ment dites, les chercheurs dis­posent d’outils de mod­éli­sa­tion qu’ils ont sou­vent mis au point avec d’autres objec­tifs : les mod­èles de simulation.

Con­den­sant les con­nais­sances accu­mulées en matière d’in­flu­ence du cli­mat, du sol, des pra­tiques cul­tur­ales sur les pro­duc­tions, ces mod­èles peu­vent être, au moins dans le cas des pro­duc­tions végé­tales, nour­ris des con­di­tions cli­ma­tiques atten­dues dans le futur. Ils four­nissent ain­si des pré­dic­tions de pro­duc­tion par type de cul­ture, mais aus­si de quan­tités d’eau ou de fer­til­isants con­som­mées, et per­me­t­tent de tester des straté­gies d’adap­ta­tion aux mod­i­fi­ca­tions de l’environnement.

Schéma synthétique des impacts sur la production agricole
Sché­ma syn­thé­tique des impacts sur la pro­duc­tion agri­cole : à gauche. d’une évo­lu­tion de vari­ables du cli­mat (aug­men­ta­tion des tem­péra­tures de l’air, du ray­on­nement solaire. diminu­tion des pré­cip­i­ta­tions, ETP = demande en eau du cli­mat), à droite, de l’aug­men­ta­tion de CO2, Flèch­es claires : effets négat­ifs, flèch­es fon­cées : effets positifs.

Les résul­tats qui s’en déduisent peu­vent être en par­tie validés face aux résul­tats expéri­men­taux de plus en plus nom­breux qui sont pub­liés dans ce domaine.

Pour envis­ager les impacts atten­dus des mod­i­fi­ca­tions envi­ron­nemen­tales, il importe de dis­tinguer les effets directs des effets indi­rects de l’aug­men­ta­tion de la con­cen­tra­tion atmo­sphérique en CO2 sur la pro­duc­tion des cul­tures (sché­mas ci-dessus). Les pre­miers recou­vrent l’aug­men­ta­tion de l’ac­tiv­ité pho­to­syn­thé­tique des tis­sus chloro­phyl­liens, et donc de la pro­duc­tion pri­maire nette (‘fer­til­i­sa­tion car­bonée’), ain­si qu’un cer­tain nom­bre d’ef­fets con­nex­es, tels que l’amélio­ra­tion de l’ef­fi­cac­ité d’u­til­i­sa­tion de l’eau (pluies ou irrigation).

Les sec­onds sont dus aux mod­i­fi­ca­tions du cli­mat pro­pre­ment dites : l’aug­men­ta­tion de la tem­péra­ture de l’air, par exem­ple, se traduit par un rac­cour­cisse­ment des cycles de végé­ta­tion, soit, toutes choses égales par ailleurs, par une diminu­tion du temps disponible pour met­tre en place la pro­duc­tion et donc par une diminu­tion de celle-ci.

Mais elle peut aus­si se traduire par une appari­tion plus fréquentes de tem­péra­tures très élevées, hand­i­ca­pantes pour la pro­duc­tion finale. Toutes ces influ­ences se com­bi­nent néga­tive­ment ou pos­i­tive­ment pour déter­min­er la pro­duc­tion finale

Le bilan de ces divers effets sera vraisem­blable­ment dif­férent suiv­ant que l’on con­sid­ère des cul­tures annuelles (plantes à grains ou à tuber­cules, gram­inées ou légu­mineuses), des cul­tures pérennes herbacées (plantes four­ragères et prairies per­ma­nentes) ou ligneuses (vigne, arbres fruitiers). On est actuelle­ment loin d’avoir exam­iné par sim­u­la­tion ou expéri­men­ta­tion les réac­tions de cha­cun de ces types de cul­ture aux mod­i­fi­ca­tions atten­dues du milieu.

La durée des cycles de culture

Le développe­ment phénologique des cul­tures, c’est-à-dire le déroule­ment de leurs phas­es végé­ta­tive et repro­duc­trice, est avant tout lié à la tem­péra­ture du végé­tal ou de l’air qui l’en­toure. Une aug­men­ta­tion glob­ale de la tem­péra­ture se traduira par des vitesses de développe­ment, des évo­lu­tions plus rapi­des que dans les con­di­tions actuelles.

Dans le cas de cul­tures annuelles à cycle déter­miné, la durée séparant le semis de la récolte s’en trou­vera donc dimin­uée, entraî­nant par le fait une diminu­tion de la durée de crois­sance des organes récolta­bles1.

Suiv­ant les cul­tures, on pour­rait assis­ter, en cas de réchauf­fe­ment dans des zones tem­pérées, et si les var­iétés cul­tivées restaient celles qui ont la faveur des agricul­teurs aujour­d’hui, à des diminu­tions des longueurs de cycle. Pour ce qui est des céréales d’hiv­er, par exem­ple, l’aug­men­ta­tion de la vitesse de développe­ment pour­rait être tem­pérée par une moin­dre sat­is­fac­tion des “besoins en froid” (ver­nal­i­sa­tion) pen­dant l’hiv­er, car cette sat­is­fac­tion se traduit par la réal­i­sa­tion d’une vitesse max­i­mum de développe­ment. En revanche, les cul­tures à cycle non déter­miné2 pour­raient poten­tielle­ment met­tre en place plus d’or­ganes récolta­bles, pour une durée de cycle com­pa­ra­ble aux durées actuelles.

Les cul­tures de print­emps à cycle déter­miné3 subi­raient évidem­ment les mêmes effets d’ac­céléra­tion, avec pour résul­tat un rac­cour­cisse­ment de leur cycle, dont l’in­flu­ence néga­tive sur la pro­duc­tion finale pour­rait dans cer­tains cas être tem­pérée par une meilleure syn­chro­ni­sa­tion du plein développe­ment de la végé­ta­tion au max­i­mum annuel du gise­ment solaire4 (opti­mi­sa­tion de la pho­to­syn­thèse potentielle).

Deux fac­teurs s’op­poseraient cepen­dant à un effet totale­ment béné­fique de l’aug­men­ta­tion de la tem­péra­ture dans le cas des cul­tures indéter­minées : d’une part, celle-ci aurait sans doute pour con­séquence une plus grande vitesse de vieil­lisse­ment (sénes­cence) et donc pré­cip­it­erait la fin du cycle par mort des tis­sus ; d’autre part, au moins dans le cas de la pomme de terre, des tem­péra­tures rel­a­tive­ment élevées en début de cycle nuiraient à la qual­ité de la tubérisation.

L’ac­céléra­tion des cycles jouera égale­ment sur les cul­tures pérennes5 qui présen­teront plutôt des stades plus avancés qu’actuelle­ment à la même date cal­endaire. Ceci n’est cepen­dant vrai que si l’on fait abstrac­tion des besoins de cer­tains arbres fruitiers en épisodes froids pour assur­er une bonne flo­rai­son : une aug­men­ta­tion des tem­péra­tures en hiv­er peut, de ce point de vue, détéri­or­er l’in­ten­sité de la flo­rai­son et, par­tant, l’ho­mogénéité de la qual­ité des fruits récoltés.

Impact sur les rendements

Lorsqu’ils tien­nent compte de l’ef­fet posi­tif qu’au­ra l’aug­men­ta­tion de la con­cen­tra­tion atmo­sphérique en CO2, les mod­èles de sim­u­la­tion de cul­ture mon­trent que, mal­gré le rac­cour­cisse­ment du cycle, le ren­de­ment poten­tiel (terme qui sup­pose que l’al­i­men­ta­tion en eau et en engrais n’est pas lim­i­ta­tive) des cul­tures d’hiv­er aug­menterait glob­ale­ment. Si l’on tient compte des imi­ta­tions de l’al­i­men­ta­tion hydrique, la réponse dépendrait apparem­ment des scé­nar­ios d’évo­lu­tion du CO2 atmo­sphérique avec le temps.

Les mêmes con­clu­sions vaudraient vraisem­blable­ment pour toutes les cul­tures d’hiv­er. Pour les cul­tures de print­emps, les cul­tures à cycle déter­miné ver­raient, selon les résul­tats des mod­èles, l’ef­fet négatif du rac­cour­cisse­ment de leur cycle com­pen­sé par l’ef­fet posi­tif de l’aug­men­ta­tion de la con­cen­tra­tion atmo­sphérique en CO26. Les cul­tures à cycle indéter­miné ver­raient apparem­ment en bilan leur ren­de­ment poten­tiel aug­menter sen­si­ble­ment.. Une grande par­tie de la cohérence de ces pro­jec­tions tient cepen­dant à l’im­por­tance que pren­dra l’ef­fet de l’aug­men­ta­tion de la con­cen­tra­tion atmo­sphérique en CO2 sur l’é­conomie de l’eau de la culture.

Pour ce qui est des plantes pérennes, des études récentes mon­trent par exem­ple que la diminu­tion de la durée du cycle de la vigne se traduirait par une diminu­tion des quan­tités récoltées, la qual­ité étant peu mod­i­fiée, même si l’on tient compte de la fer­til­i­sa­tion carbonée.

Pour ce qui est des prairies, des tem­péra­tures print­anières plus élevées joueraient en faveur d’une meilleure pro­duc­tion pré­coce, mais l’aug­men­ta­tion esti­vale pour­rait avoir l’ef­fet con­traire en cas de déficit hydrique accru, celui-ci étant tem­péré par la plus grande con­cen­tra­tion atmo­sphérique en CO2.

La réac­tion des écosys­tèmes prairi­aux est cepen­dant dif­fi­cile à prévoir, compte tenu de la diver­sité de la flo­re d’une part et des inter­ac­tions avec le sol et l’an­i­mal au pâturage d’autre part. Des études com­plé­men­taires seront néces­saires dans ce domaine, afin de déter­min­er les con­séquences de change­ments cli­ma­tiques sur la com­po­si­tion botanique et la bio­di­ver­sité des prairies, ain­si que sur la valeur ali­men­taire des four­rages produits.

L’in­flu­ence sur des espèces ligneuses pérennes7 du change­ment cli­ma­tique atten­du dépen­dra d’une part de la péren­nité de l’ef­fet béné­fique du CO2 sur la pro­duc­tion (y aura-t-il une adap­ta­tion des espèces à l’aug­men­ta­tion de la con­cen­tra­tion et donc un amoin­drisse­ment de l’ef­fet posi­tif ? Ce point est très débat­tu pour les espèces ligneuses).

Mauvaises herbes, ravageurs des cultures, maladies

Les adven­tices (com­muné­ment appelées mau­vais­es herbes) subiront les mêmes accéléra­tions de cycle et béné­ficieront autant de la fer­til­i­sa­tion car­bonée que la végé­ta­tion cul­tivée. Sous nos lat­i­tudes, on peut même affirmer qu’elles seront des com­pétitri­ces plus sévères qu’à l’heure actuelle pour les cul­tures telles que le maïs ou le sorgho et néces­siteront dans ce cas un effort sup­plé­men­taire de contrôle.

D’un autre côté, le réchauf­fe­ment du cli­mat pour­rait favoris­er les phénomènes d’in­va­sion par les adven­tices en C4, ces dernières étant fréquentes en cli­mat méditer­ranéen ou sub-trop­i­cal. Plus générale­ment, les adven­tices seront en com­péti­tion pour l’eau avec les cul­tures d’hiv­er durant la phase autom­nale de mise en place. Cer­tains résul­tats per­me­t­tent égale­ment de penser que les her­bi­cides pour­raient gag­n­er en effi­cac­ité avec l’aug­men­ta­tion de la température.

L’aug­men­ta­tion glob­ale des pré­cip­i­ta­tions, prévue par les mod­èles, con­duira vraisem­blable­ment à une aug­men­ta­tion de l’hu­mid­ité de l’air (et peut-être des durées d’humec­ta­tion). Con­jugué à l’aug­men­ta­tion de la tem­péra­ture en cas de réchauf­fe­ment, ce fait amèn­erait des sit­u­a­tions plus favor­ables au développe­ment de mal­adies cryptogamiques.

On peut égale­ment s ‘atten­dre, à cause de tem­péra­tures plus élevées, à une pres­sion plus grande des insectes, tant ravageurs des cul­tures que vecteurs de mal­adies, d’où là aus­si un effort accru de lutte.

Sols, érosion, jours disponibles

La fer­til­ité des sols sera vraisem­blable­ment mod­i­fiée. En effet, on observe expéri­men­tale­ment une diminu­tion appar­ente de la fer­til­ité azotée8 , qui tiendrait à un “empris­on­nement” accru de l’a­zote par la matière organique du sol, dont le rap­port Carbone/Azote aug­mente cor­réla­tive­ment au CO2 atmo­sphérique. Les coef­fi­cients d’u­til­i­sa­tion des engrais azotés dimin­ueront vraisem­blable­ment, ce qui posera la ques­tion d’une révi­sion des straté­gies de fertilisation.

L’aug­men­ta­tion des pré­cip­i­ta­tions se traduira vraisem­blable­ment par de plus grands risques d’éro­sion des sols, selon l’in­ten­sité des épisodes plu­vieux, mais cette dernière infor­ma­tion n’est pas disponible sous forme de pro­jec­tion à l’heure actuelle.

L’évo­lu­tion pos­si­ble de la matière organique des sols est aus­si très débattue. Elle con­di­tionne en effet le com­porte­ment des sols face aux risques de tasse­ment par la pluie ou les engins, etc.

L’aug­men­ta­tion de la tem­péra­ture joue dans le sens d’une plus grande minéral­i­sa­tion et donc d’un abaisse­ment de la teneur en matière organique, alors que l’aug­men­ta­tion de la con­cen­tra­tion en CO2 atmo­sphérique sem­ble jouer en sens con­traire : il s’ag­it donc ici d’un équili­bre ténu sur lequel une grande vig­i­lance sera nécessaire.

L’aug­men­ta­tion glob­ale des pré­cip­i­ta­tions favoris­erait sans doute un plus grand entraîne­ment en pro­fondeur des élé­ments minéraux par l’eau sur les régions d’a­gri­cul­ture inten­sive si ce phénomène n’est pas com­pen­sé par une plus grande activ­ité racinaire.

Les jours disponibles pour les travaux agri­coles seront apparem­ment plus nom­breux à l’au­tomne, pour l’im­plan­ta­tion des cul­tures d’hiv­er, mais moins nom­breux au printemps.

Stratégies d’adaptation

Le monde agri­cole n’est cepen­dant pas sans réponse vis-à-vis des sol­lic­i­ta­tions cli­ma­tiques atten­dues. On peut dis­tinguer, avec Rosen­zweig et Par­ry, 1994, deux types d’adap­ta­tion pos­si­ble : celles que l’a­gricul­teur peut met­tre en œuvre lui-même (niveau 1) et celles qui néces­si­tent des investisse­ments dans les infra­struc­tures de recherche, de développe­ment, d’amé­nage­ment (niveau 2), qui ne seraient facile­ment acces­si­bles qu’aux pays développés.

Par­mi les adap­ta­tions pos­si­bles au niveau 1, l’a­gricul­teur peut mod­i­fi­er les dates de semis pour les cul­tures annuelles. Des semis plus pré­co­ces peu­vent en effet per­me­t­tre à des cul­tures d’hiv­er d’échap­per à des péri­odes esti­vales dan­gereuses et à des cul­tures de print­emps d’al­longer leur cycle végétatif.

Cepen­dant, on l’a vu, le jeu du cli­mat sur la phénolo­gie est com­plexe, et pour­rait se traduire par d’autres risques (gelées tar­dives, par exem­ple). De la même façon, l’a­gricul­teur pour­ra raison­ner le rythme et les quan­tités des apports d’in­trants9 en fonc­tion des nou­velles con­di­tions. Cela implique cepen­dant une agri­cul­ture pré­cise et tech­nique, telle qu’elle aura été pré­parée, on peut l’e­spér­er, par les préoc­cu­pa­tions ‘envi­ron­nemen­tales’ actuelles.

Quant aux adap­ta­tions de niveau 2, elles com­pren­nent entre autres la sélec­tion var­ié­tale, (de géno­types adap­tés en ter­mes de longueur de cycle ou d’ef­fi­cac­ité pho­to­syn­thé­tique : il est cepen­dant prob­a­ble qu’il sera néces­saire de créer ces var­iétés en ten­ant compte d’hivers plus chauds, et donc moins favor­ables à la ver­nal­i­sa­tion), la redéf­i­ni­tion des sys­tèmes de cul­ture et des itinéraires tech­niques, celle des amé­nage­ments hydrauliques : là encore, peu d’élé­ments globaux objec­tifs sont disponibles et seront donc néces­saires à ce niveau des travaux à base prospec­tive, ain­si que des sim­u­la­tions complexe.

Besoins en eau

La pré­dic­tion de l’évo­lu­tion des besoins en eau de l’a­gri­cul­ture face à une mod­i­fi­ca­tion pro­gres­sive du milieu est un prob­lème déli­cat. Devant un pré­sup­posé sem­ble-t-il large­ment répan­du d’un accroisse­ment impor­tant de la demande dans les décen­nies à venir, il importe de rap­pel­er que la con­som­ma­tion en eau d’une cul­ture est une grandeur placée sous la dépen­dance de mul­ti­ples facteurs.

L’of­fre en eau dépend des apports plu­viométriques et de leur stock­age dans le sol, de l’ex­is­tence de sources d’eau d’ir­ri­ga­tion ain­si que de l’en­racin­e­ment de la cul­ture. La demande en eau instan­ta­née est fonc­tion de la demande cli­ma­tique (évapo­tran­spi­ra­tion de référence, elle-même fonc­tion du ray­on­nement, du vent et de l’hu­mid­ité de l’air) et du stade d’évo­lu­tion de la culture.

De l’équili­bre entre ces deux ter­mes dépen­dent la quan­tité de matière fab­riquée par la cul­ture au tra­vers de sa fonc­tion de pho­to­syn­thèse, et, à terme, sa pro­duc­tion finale. Mais l’ef­fi­cience de l’eau con­som­mée par la cul­ture (masse de matière pro­duite par vol­ume d’eau tran­spirée) est elle-même fonc­tion crois­sante de la con­cen­tra­tion atmo­sphérique en CO2.

Si l’on ajoute à cela que la con­som­ma­tion totale dépend de la longueur du cycle de cul­ture, elle-même mod­i­fiée par le change­ment de cli­mat, on peut con­cevoir qu’une prospec­tive sur les futurs besoins en eau de l’a­gri­cul­ture ne peut être établie qu’au prix d’une hiérar­chie très stricte des ordres de grandeur des dif­férents fac­teurs, avec l’aide de mod­èles de sim­u­la­tion, notam­ment en vue d’une spa­tial­i­sa­tion géo­graphique des résultats.

Il paraît d’ores et déjà évi­dent qu’il ne fau­dra pas y raison­ner en quan­tité brute néces­saire, mais en effi­cience face à des objec­tifs de pro­duc­tion, en ressource face à des sys­tèmes de cul­ture, en bilans pluri­an­nuels pour opti­miser ces systèmes.

L’inconnue de la variabilité temporelle du climat

On s’in­ter­roge de plus en plus sur les con­séquences que pour­rait avoir une aug­men­ta­tion de la vari­abil­ité tem­porelle du cli­mat qui serait cor­réla­tive à la mod­i­fi­ca­tion moyenne des vari­ables cli­ma­tiques : des événe­ments jusqu’i­ci rares ver­raient ain­si leur prob­a­bil­ité augmenter.

Variabilitê climatiqueDeux effets sont con­cernés par cela : le déplace­ment des moyennes, et l’aug­men­ta­tion de l’é­cart type.

Pour une dis­tri­b­u­tion — sup­posée gaussi­enne — d’un paramètre don­né, un végé­tal don­né ne peut sup­port­er plus qu’une cer­taine valeur, et les dégâts sont représen­tés par la zone hachurée.

Si, à moyenne con­stante, l’é­cart type (σ) aug­mente, cela con­duit à une aug­men­ta­tion de la zone hachurée, donc des dégâts.

De même, un déplace­ment de la valeur moyenne vers la droite engen­dr­era un effet sim­i­laire, et une addi­tion des deux pour­rait représen­ter des dégâts très importants

Or l’a­gri­cul­ture mod­erne des pays dévelop­pés est très adap­tée, au sens où elle est très per­for­mante à l’in­térieur d’une gamme tem­porelle restreinte de con­di­tions cli­ma­tiques (pour une région déter­minée), et elle pour­rait souf­frir d’une suc­ces­sion pluri­an­nuelle rap­prochée de tels événe­ments aujour­d’hui rares. On dit et répète que la sélec­tion géné­tique per­me­t­tra quoi qu’il arrive de pal­li­er les mod­i­fi­ca­tions du cli­mat, mais il serait intéres­sant de tester sur mod­èle les effets de plusieurs années frap­pant suc­ces­sive­ment telle ou telle pro­duc­tion agri­cole “adap­tée” d’événe­ments extrêmes dans dif­férentes gammes de valeurs (hautes et bass­es à la suite).

L’agriculture, agent de l’effet de serre

Nous venons d’évo­quer quelques unes des rela­tions qui affectent agri­cul­ture et effet de serre dans le sens de l’ef­fet de serre vers l’a­gri­cul­ture. Il con­vient d’évo­quer les rela­tions invers­es. Même si le secteur de l’a­gri­cul­ture et de l’él­e­vage n’est que l’une des sources d’émis­sions de gaz à effet de serre (GES), on ne peut l’ig­nor­er10. Mais là encore, une analyse plus fine des phénomènes, bien qu’en­core som­maire, mon­tre que le “signe” de cer­tains effets reste ambigu.

Trois fac­teurs nous parais­sent devoir être pris en compte. En pre­mier lieu, ain­si qu’on le fait habituelle­ment, il nous faut men­tion­ner la source impor­tante de méthane que représen­tent les pro­duc­tions ani­males en général, et l’él­e­vage des rumi­nants en particulier.

Nous men­tion­nons là très claire­ment une exter­nal­ité néga­tive que toute analyse en terme d’é­conomie publique devrait intégrer.

En sec­ond lieu, les pro­duc­tions végé­tales elles-mêmes sont source d’ex­ter­nal­ité néga­tive, via l’émis­sion de pro­toxyde d’a­zote qui est elle-même con­séc­u­tive au proces­sus de dégra­da­tion des engrais azotés dans le sol.

Par con­tre, par le stock­age de car­bone dans le sys­tème raci­naire et dans la par­tie aéri­enne des plantes, la pro­duc­tion végé­tale est un mode poten­tiel de réduc­tion des émis­sions de GES. Il faut tem­pér­er ce résul­tat par le choix des espèces plan­tées (ou lais­sées en occu­pa­tion du sol, sur les jachères par exem­ple), par la durée de cou­vert végé­tal, et par l’u­til­i­sa­tion finale du produit.

Il est clair qu’une pro­duc­tion de bois d’œu­vre par­ticipe plus à la réduc­tion des émis­sions de car­bone à effet de serre qu’une pro­duc­tion ali­men­taire dont les co-pro­duits, tels que les pailles, et les pro­duits eux-mêmes sont annuelle­ment détru­its, recy­clés, ou réem­ployés dans la pro­duc­tion ani­male (via l’al­i­men­ta­tion des animaux).

Un stock­age souter­rain de car­bone dans la matière organique des sols con­tribuerait égale­ment à réduire les émis­sions de GES. L’évo­lu­tion des stocks souter­rains de car­bone a été étudiée pour des écosys­tèmes forestiers et prairi­aux, et l’on a mon­tré que les sols des prairies accu­mu­laient plus de car­bone sous de con­cen­tra­tion atmo­sphérique en CO2 dou­blée. L’é­val­u­a­tion de ces stocks et de leur durée de vie demeure cepen­dant incertaine.

Les proces­sus sont com­plex­es, les effets sont nom­breux et ambi­gus. La recherche du mode de régu­la­tion le plus effi­cace de ces exter­nal­ités, par­mi les instru­ments stan­dards en théorie économique que sont les tax­es ou sub­ven­tion des pro­duits ou fac­teurs de pro­duc­tion, ou encore l’in­stau­ra­tion de marchés de droits à pro­duire ou à pol­luer, ne pour­ra qu’être délicate.

Les droits à pol­luer seraient dif­fi­ciles à instau­r­er, compte tenu du car­ac­tère dif­fus de la pol­lu­tion en jeu. Quant aux droits de pro­duc­tion attachés à l’ef­fet de serre, ils ne sem­blent pas per­ti­nents, compte tenu de la dif­fi­culté d’as­soci­er un choix de pro­duc­tion à l’ef­fet de serre induit. Dans le cas des tax­es ou sub­ven­tions, il fau­dra tenir compte du car­ac­tère dif­fus de la pol­lu­tion imputable à l’ef­fet de serre via de nom­breux “pol­lueurs” dont on ne peut déter­min­er quelle est la con­tri­bu­tion indi­vidu­elle à l’ef­fet glob­al observé.

Il fau­dra évidem­ment tenir compte des effets posi­tifs ou négat­ifs nom­breux que l’on peut associ­er à de nom­breux fac­teurs dans la con­duite d’une exploita­tion agri­cole (choix des pro­duc­tions végé­tales, choix de l’al­i­men­ta­tion ani­male, choix des pro­duc­tions ani­males, ces “choix” pou­vant aller jusqu’à la com­po­si­tion mêmes des ali­ments pour ani­maux, choix que le régu­la­teur ne sera pas en mesure d’observer).

Conclusion

La mod­éli­sa­tion prospec­tive de l’évo­lu­tion de la bio­masse sous l’ef­fet d’un change­ment cli­ma­tique est un prob­lème ardu, éminem­ment com­plexe, et dont nous sommes loin d’avoir cerné les contours.

Par exem­ple, les sim­u­la­tions réal­isées sur la France ne mon­trent pas d’évo­lu­tion dras­tique de ses cul­tures en cas de réper­cus­sion homogène d’aug­men­ta­tions de tem­péra­ture de quelques degrés (les vari­a­tions des mod­èles sont de l’or­dre de 10% en plus ou en moins), mais par con­tre il est qua­si­ment impos­si­ble de prédire ce qui se passerait en cas d’aug­men­ta­tion forte de la vari­abil­ité cli­ma­tique (ther­mique ou hydrologique), et c’est prob­a­ble­ment là que réside le risque majeur, pour la France comme pour la majorité des autres pays de la planète.

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1. Graines (blé), fruits (tomate), organes char­nus souter­rains (pomme de terre), tiges (canne à sucre), feuilles (salade), pollen (safran).
2. Pois (hiv­er et print­emps), pomme de terre, bet­ter­ave {print­emps) …
3. Céréales de print­emps, maïs…
4. On entend par là l’én­ergie solaire disponible.
5. Prairies, luzerne, arbres …
6. Cette con­clu­sion doit à son tour être tem­pérée suiv­ant le type métabolique de la cul­ture, le maïs, plante en C4, tirant moins prof­it de cette aug­men­ta­tion que, par exem­ple. le tour­nesol et d’autres plantes en C3.
7. Arbres fruitiers et forestiers …
8. La fer­til­ité azotée est la capac­ité qu’a le sol il fournir de lui-même de l’a­zote, en libérant ses réserves en cet élément.
9. Engrais, pes­ti­cides, etc.
10. En France. cela représente un peu moins de 20% des émis­sions brutes, par con­tre la sylvi­cul­ture est un puits de car­bone très sig­ni­fi­catif (env­i­ron 30% des émis­sions brutes en France).

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