L'augmentation atmosphérique de CO2 est indéniable

Climat : pourquoi les modèles n’ont pas tort.

Dossier : L'effet de serreMagazine N°555 Mai 2000
Par Hervé LE TREUT

Autour de la Terre, les mailles du filet numérique se resserrent.

Autour de la Terre, les mailles du filet numérique se resserrent.

L’aug­men­ta­tion anthropique de gaz à effet de serre dans l’at­mo­sphère, sus­cep­ti­ble de créer un réchauf­fe­ment de la planète de plusieurs degrés au siè­cle prochain, con­stitue désor­mais un risque que plus per­son­ne n’ig­nore. Pour­tant, la com­plex­ité du prob­lème sci­en­tifique posé, con­juguée sans doute à l’im­por­tance des mesures économiques ou poli­tiques qu’il serait ou sera néces­saire de pren­dre pour sta­bilis­er la com­po­si­tion chim­ique de notre atmo­sphère, con­duisent péri­odique­ment à remet­tre en ques­tion la réal­ité de ce problème.

Si l’aug­men­ta­tion atmo­sphérique des gaz à effet de serre est un fait avéré, indé­ni­able (fig­ure 1), dont tout donne à penser qu’il va se pour­suiv­re, c’est sur l’im­pact réel de cette aug­men­ta­tion que se focalisent cer­tains doutes.

En effet, mal­gré le con­sen­sus très large au sein de la com­mu­nauté sci­en­tifique et mal­gré l’ac­tion qui com­mence à être engagée au niveau poli­tique, des voix dis­cor­dantes se font enten­dre de manière récur­rente, allant de cer­tains sci­en­tifiques à des mil­i­tants écol­o­gistes sans doute plus sen­si­bles aux dan­gers de l’én­ergie nucléaire qu’à ceux du change­ment cli­ma­tique, en pas­sant par des indus­triels qui se sen­tent men­acés, tels ceux des mines ou du pét­role aux Etats-Unis.

Fig­ure 1. L’aug­men­ta­tion atmo­sphérique de C02 est indé­ni­able, comme le mon­tre son évo­lu­tion observée à Mau­na Loa, à Hawaï (lieu volon­taire­ment éloigné des prin­ci­pales sources d’émis­sion), en don­nées brutes. La courbe orange représente l’évo­lu­tion désaison­nal­isée de ces données 

Les mod­èles numériques, qui con­stituent les out­ils prin­ci­paux sur lesquels s’ap­puient les sci­en­tifiques dans l’é­val­u­a­tion de ces effets, sont alors la cible de cri­tiques visant à mon­tr­er que leurs résul­tats sont incer­tains, et doivent être con­sid­érés avec cir­con­spec­tion, sinon pure­ment ignorés.

La réponse des sci­en­tifiques à ces attaques — qui posent des ques­tions on ne peut plus légitimes — appa­raît par­fois mal­adroite ou malaisée. De fait, il serait vain de nier qu’il entre dans la réponse des mod­èles numériques une part d’in­cer­ti­tude qui inter­dit par exem­ple jusqu’à présent de pré­cis­er l’am­pleur ou la local­i­sa­tion des risques à venir.

En dépit de cette incer­ti­tude, par­faite­ment admise, les sci­en­tifiques ont pour­tant man­i­festé de manière presque unanime que le prob­lème de l’ef­fet de serre est réel et qu’il requiert l’at­ten­tion de tous. Pour expli­quer cette appar­ente con­tra­dic­tion, il est d’abord impor­tant de rap­pel­er ce que sont ces mod­èles cli­ma­tiques, qui con­juguent une grande sophis­ti­ca­tion et des faib­less­es persistantes.

La mise au point des mod­èles con­stitue en fait une ten­ta­tive de créer une petite planète numérique, aus­si proche que pos­si­ble de notre “vraie” planète, mais sur laque­lle il est plus facile ou plus rapi­de de con­duire des expéri­men­ta­tions variées.

La com­posante atmo­sphérique de ces mod­èles, par exem­ple, cal­cule aux nuds d’un mail­lage encore lâche (quelques cen­taines de kilo­mètres) l’évo­lu­tion de paramètres tels que le vent, la tem­péra­ture, l’hu­mid­ité, les nuages, les pré­cip­i­ta­tions, l’eau du sol — pour ne citer que les vari­ables prin­ci­pales. La com­posante océanique opère des cal­culs sem­blables sur une grille sou­vent plus fine. La physique sur laque­lle s’ap­puie ces cal­culs est une physique clas­sique et éprouvée.

Elle per­met de décrire deux grandes caté­gories de proces­sus : les échanges d’én­ergie, en par­ti­c­uli­er sous forme de ray­on­nement élec­tro­mag­né­tique, entre la Terre, l’océan, l’at­mo­sphère et l’e­space ; et la dynamique des écoule­ments atmo­sphérique et océanique. Dans le pre­mier cas, il s’ag­it d’abord de décrire com­ment l’én­ergie reçue du Soleil est com­pen­sée par une énergie émise par le sys­tème Terre/océan/atmosphère.

La tem­péra­ture de sur­face du Soleil est de 6.000 °C env­i­ron et la longueur d’onde du ray­on­nement solaire s’é­tend de l’ul­tra­vi­o­let à l’in­frarouge proche, c’est à dire d’en­v­i­ron 0,3 à 5 micromètres. La valeur de l’in­so­la­tion au som­met de l’at­mo­sphère (aux alen­tours de 1.310 W/m2) a été estimée dès le siè­cle dernier à par­tir des obser­va­toires en alti­tude ; elle est désor­mais mesurée par satellite.

Cette énergie solaire n’est pas absorbée dans sa total­ité par la Terre :

  • 30% env­i­ron sont réfléchis vers l’espace,
  • 50% tra­versent l’at­mo­sphère et chauf­fent le sol ou les océans,
  • 20% chauf­fent directe­ment l’atmosphère.

Pour ren­dre à l’e­space l’én­ergie qu’elle reçoit du Soleil, la Terre émet elle aus­si un ray­on­nement élec­tro­mag­né­tique, dans le domaine infrarouge, c’est-à-dire dans une gamme spec­trale allant de 5 à 100 micromètres.

L’émis­sion provient de la sur­face de la planète, mais aus­si de cer­tain gaz minori­taires de l’at­mo­sphère — dits gaz ” à effet de serre ” — et des nuages.

L’é­tude du trans­fert radi­atif dans l’at­mo­sphère con­stitue un prob­lème physique assez bien com­pris, même s’il sub­siste des incer­ti­tudes — par exem­ple en présence de nuages aux géométries com­plex­es. Le cal­cul des équa­tions de trans­fert radi­atif se fait dans les mod­èles au moyen de sys­tèmes d’équa­tions sim­pli­fiés, qui s’ap­puient eux-mêmes sur des cal­culs détail­lés prenant en compte toutes les raies spec­trales des dif­férents com­posants de l’at­mo­sphère. Ces équa­tions jouent aus­si un rôle cen­tral dans l’ob­ser­va­tion satel­li­taire de la planète, et sont donc égale­ment véri­fiées dans ce cadre.

La deux­ième classe de proces­sus décrite explicite­ment par les mod­èles con­cerne la cir­cu­la­tion à grande échelle de l’at­mo­sphère et de l’océan, qui découle notam­ment de la rota­tion de la planète.

Elle s’ap­puie sur les équa­tions de la dynamique des flu­ides, et en par­ti­c­uli­er les équa­tions de Navier-Stokes, qui décrivent l’ac­céléra­tion d’un élé­ment de flu­ide soumis à des con­traintes divers­es, internes ou externes. Ces équa­tions sont dis­crétisées sur les nœuds du mail­lage qui cou­vre l’ensem­ble du Globe, c’est-à-dire qu’elles sont résolues sur cha­cun des mil­liers de points du maillage.

Le fait qu’en une décen­nie les pré­dic­tions météorologiques, qui s’ap­puient sur des mod­èles très sem­blables, aient pu dou­bler la durée des prévi­sions utiles, pas­sant de deux à qua­tre jours env­i­ron, con­stitue la meilleure preuve de la per­ti­nence de ces équa­tions pour décrire l’é­coule­ment atmo­sphérique ou océanique de grande échelle.

La modélisation a plus progressé du fait de l’augmentation de la puissance informatique que de nouvelles connaissances physiques

Ces équa­tions sont con­nues depuis longtemps mais, comme elles ne sont pas linéaires, elles mélan­gent les échelles de temps et d’e­space et ne peu­vent se résoudre de manière ana­ly­tique. Le recours à l’or­di­na­teur est donc indis­pens­able, et n’a pu être envis­agé qu’assez récem­ment. A cet égard, les pro­grès con­sid­érables de la mod­éli­sa­tion du cli­mat au cours des deux dernières décen­nies sont moins le reflet de con­nais­sances physiques nou­velles que d’une aug­men­ta­tion extra­or­di­naire de la puis­sance de calcul.

Petite his­toire de la mod­éli­sa­tion du climat

L’idée d’u­tilis­er les équa­tions de la mécanique des flu­ides pour prédire l’évo­lu­tion de l’at­mo­sphère est vieille de plusieurs décen­nies : en 1920–1922 un chercheur anglais, L. F. Richard­son, s’y essayait en vain, et tirait de ses échecs la leçon qu’un tel exer­ci­ce ne pou­vait être réal­isé que par des mil­liers de cal­cu­la­teurs (humains) tra­vail­lant en par­al­lèle sous la con­duite d’un chef d’orchestre !

Et, de fait, dès qu’ap­parut l’un des pre­miers ordi­na­teurs, l’EN IAC, mis au point par le Mass­a­chu­setts Insti­tute ofTech­nol­o­gy en 1946, des météoro­logues, Julius Chamey et ses col­lègues, en furent en 1948 par­mi les pre­miers utilisateurs.

Durant les années 1960, deux équipes com­mencèrent à abor­der réelle­ment l’é­tude de l’é­coule­ment atmo­sphérique dans sa dimen­sion cli­ma­tique : celle de Joseph Smagorin­s­ki et Syukuro Man­abe au GFDL (Geo­phys­i­cal Flu­id Dynam­ics Lab­o­ra­to­ry) sur la côte est des États-Unis, et celle de Yale Mintz et Akio Arakawa à UCLA (Uni­ver­si­ty of Cal­i­fo­mia at Los Angeles).

Mais ce n’est qu’au cours de la dernière décen­nie que la puis­sance des ordi­na­teurs a per­mis de réalis­er plus couram­ment des simu lations de plusieurs décen­nies — lim­itées à l’é­coule­ment atmo­sphérique d’abord, puis asso­ciant atmo­sphère et océan.

Ain­si, notre lab­o­ra­toire util­i­sait encore en 1982 une machine CDC (Con­trol Data) du Cen­tre nation­al d’é­tudes spa­tiales avec laque­lle une sim­u­la­tion d’un mois d’évo­lu­tion de la cir­cu­la­tion atmo­sphérique récla­mait plus de trente heures de cal­culs. A réso­lu­tion égale, la même sim­u­la­tion réclame aujour­d’hui env­i­ron quinze min­utes de temps de cal­cul sur un Cray 90.

Au bout du compte, nous dis­posons de mod­èles qui ont une base physique forte.

Ces mod­èles con­cen­trent une exper­tise con­sid­érable, qu’il faut cepen­dant savoir utilis­er et inter­préter, en gar­dant à l’e­sprit les lim­i­ta­tions et incer­ti­tudes que nous allons main­tenant détailler. On peut dis­tinguer trois familles de problèmes.

La pre­mière est intrin­sèque au sys­tème cli­ma­tique lui-même : il n’est tout sim­ple­ment pas un sys­tème entière­ment prévis­i­ble. Ceci est vrai de la com­posante atmo­sphérique elle-même : à échéance de dix jours env­i­ron, l’évo­lu­tion météorologique ne peut plus être prédite, parce que le car­ac­tère insta­ble de l’é­coule­ment a réper­cuté à l’ensem­ble du Globe une toute petite erreur initiale.

C’est l’ef­fet bien con­nu, décou­vert par Edward Lorenz en 1963, pop­u­lar­isé sous le nom d’ ”effet des ailes de papil­lon” : il exprime que toute per­tur­ba­tion, aus­si min­ime soit, elle, mod­i­fie irréversible­ment l’his­toire de l’at­mo­sphère. Mais cela ne sig­ni­fie pas qu’au­cune infor­ma­tion ne puisse être obtenue sur l’évo­lu­tion du climat.

Plusieurs proces­sus guident ain­si les mou­ve­ments de l’at­mo­sphère, et organ­isent son com­porte­ment. Le plus con­nu est le rythme des saisons. Mais il en existe d’autres. L’océan, en effet, organ­ise l’évo­lu­tion lente du cli­mat car son iner­tie est plus grande que celle de l’at­mo­sphère, et son com­porte­ment reste prévis­i­ble sur des durées plus longues.

Malgré les incertitudes propres au système climatique, la capacité d’expertise de ce système a considérablement augmenté

L’aug­men­ta­tion des gaz à effet de serre pour­rait égale­ment con­stituer un exem­ple de proces­sus guidant et mod­i­fi­ant les fluc­tu­a­tions de notre environnement.

Cette vari­abil­ité intrin­sèque du com­porte­ment de l’at­mo­sphère affecte la manière dont sont con­duites les expéri­men­ta­tions numériques : moins qu’une ten­ta­tive de pré­dic­tion, il s’ag­it de faire subir à notre petite planète numérique la même aug­men­ta­tion de gaz à effet de serre que com­mence à subir la planète réelle, et pour­suiv­ant ou en répé­tant l’ex­péri­ence suff­isam­ment longtemps, de par­venir à établir une sta­tis­tique des effets induits.

Cette même vari­abil­ité doit aus­si ren­dre pru­dent dans l’in­ter­pré­ta­tion des change­ments cli­ma­tiques récents, que l’on cherche à utilis­er comme un sup­port au con­traire comme un désaveu du rôle des gaz à effet de serre. Il reste ain­si dif­fi­cile de prou­ver que ceux-ci ont entraîné le réchauf­fe­ment d’une frac­tion de degré observé au cours des dernières décennies.

La pos­si­bil­ité que ce réchauf­fe­ment observé soit le résul­tat d’une fluc­tu­a­tion naturelle plutôt que d’une action humaine ne peut sta­tis­tique­ment pas être écartée, tant nous con­nais­sons mal les fluc­tu­a­tions naturelles à l’échelle de quelques décen­nies. Mais récipro­que­ment il pour­rait se révéler désas­treux de traduire cette inca­pac­ité à prou­ver les choses par l’af­fir­ma­tion qu’ ” il ne se passe rien “.

La vari­abil­ité interne de notre sys­tème cli­ma­tique a une ampli­tude telle que le jour où nous serons en mesure de don­ner une preuve sta­tis­tique de la réal­ité du change­ment cli­ma­tique, l’am­pleur de celui-ci sera déjà considérable.

Une deux­ième source d’in­cer­ti­tudes cor­re­spond aux sim­pli­fi­ca­tions inévita­bles apportées dans la con­struc­tion des mod­èles. La dif­fi­culté de la représen­ta­tion des nuages en est un exemple :

  • les nuages sont générés par des mou­ve­ments de l’air de petite échelle, allant de quelques cen­taines de mètres à quelques kilo­mètres, mou­ve­ments qu’il est hors de ques­tion de représen­ter de manière explicite dans les modèles ;
  • ils sont le lieu d’un dégage­ment de chaleur latente intense, qui résulte de la con­den­sa­tion de l’eau,
  • et ils per­turbent le ray­on­nement solaire et le ray­on­nement infrarouge d’une manière qui dépend forte­ment de la taille des gouttes d’eau ou des cristaux de glace.

Devant tant de com­plex­ité — et l’on pour­rait don­ner d’autres exem­ples, relat­ifs aux glaces de mer, à la végé­ta­tion ou à l’hy­drolo­gie con­ti­nen­tale — la mod­éli­sa­tion est néces­saire­ment simplificatrice.

Les con­cep­teurs de mod­èles assu­ment cette sim­pli­fi­ca­tion, mais il en résulte une incer­ti­tude dont on peut estimer l’im­por­tance en com­para­nt la per­for­mance de ; mod­èles qui ont été mis au point de manière indépen­dante dans dif­férents insti­tuts du monde entier. Les résul­tats de ces mod­èles en réponse à un dou­ble­ment du CO2 atmo­sphérique, par exem­ple, se situent dans une fourchette allant de 1,5 à 5 °C de réchauf­fe­ment glob­al, pour des raisons qui tien­nent exclu­sive­ment à la con­struc­tion des modèles.

De même, en dépit de grandes ten­dances bien établies, tel le fait que le réchauf­fe­ment de sur­face soit plus intense aux hautes lat­i­tudes et en hiv­er, ou que les vari­a­tions du cycle hydrologique sont plus intens­es dans les régions trop­i­cales, les mod­èles ne parvi­en­nent pas à fournir une infor­ma­tion locale cohérente.

Les difficultés rencontrées dans les modèles traduisent seulement l’incroyable complexité du milieu naturel

Un troisième fac­teur vient lim­iter la portée pra­tique des mod­èles : en dépit des pro­grès affichés dans ce domaine, ils ne représen­tent tou­jours qu’une par­tie du sys­tème cli­ma­tique com­plet. Les fluc­tu­a­tions pos­si­bles de la cir­cu­la­tion océanique pro­fonde, par exem­ple, com­men­cent seule­ment à être étudiées et leur étude est aus­si ren­due très dif­fi­cile par le petit nom­bre de don­nées observées à ces profondeurs.

Par ailleurs les mod­èles sont encore le plus sou­vent des mod­èles physiques, qui nég­li­gent les com­posantes biologiques ou chim­iques du sys­tème, dont le rôle essen­tiel appa­raît pour­tant de plus en plus claire­ment. Au cours des dernières années, par exem­ple, les aérosols soufrés ont été recon­nus comme l’un des fac­teurs impor­tants sus­cep­ti­bles de mas­quer, dans l’hémis­phère nord tout au moins, les man­i­fes­ta­tions ini­tiales de l’ef­fet de serre.

Cette décou­verte a per­mis de pro­pos­er une expli­ca­tion à la dis­symétrie de l’évo­lu­tion cli­ma­tique dans les deux hémis­phères au cours des dernières décen­nies. L’hémis­phère sud s’est réchauf­fé de manière plus con­tin­ue, alors que l’hémis­phère nord a d’abord subi un épisode de refroidisse­ment. De fait, si l’on com­bine l’aug­men­ta­tion des gaz à effet de serre, la diminu­tion de l’o­zone stratosphérique et l’ef­fet des aérosols soufrés, on peut repro­duire de manière assez plau­si­ble l’évo­lu­tion en cours des tem­péra­tures aux dif­férents niveaux de l’atmosphère.

Mais de nom­breux autres proces­sus sont encore néces­saires à une bonne com­préhen­sion de l’en­vi­ron­nement glob­al : puits et sources du car­bone océanique et con­ti­nen­tal, cycle du méthane, aug­men­ta­tion de l’o­zone tro­posphérique, rôle des aérosols organiques ou minéraux, etc.

L’ac­cu­mu­la­tion de ces fac­teurs d’in­cer­ti­tude rend sans doute illu­soire, pour le moment, la pré­dic­tion détail­lée d’une évo­lu­tion du cli­mat futur. On pour­rait même dire, en forçant le trait, que plus la recherche pro­gresse, plus se révèle l’énorme com­plex­ité des proces­sus qui par­ticipent à l’évo­lu­tion de notre envi­ron­nement, et plus s’éloigne la pos­si­bil­ité de prévoir en détail l’évo­lu­tion future du climat.

Mais il ne faudrait pas s’ar­rêter à cette con­clu­sion néga­tive, et en déduire que les mod­èles sont inutiles. Car en même temps, et de manière apparem­ment con­tra­dic­toire, la capac­ité d’ex­per­tise face à ce sys­tème a con­sid­érable­ment aug­men­té, et le niveau de cer­ti­tude quant à la réal­ité du réchauf­fe­ment futur est cer­taine­ment devenu plus grand.

Ceci tient d’abord à ce que la var­iété des proces­sus dont le rôle a été étudié qual­i­ta­tive­ment est désor­mais beau­coup plus grande. Mais aus­si au fait que des mod­èles tou­jours plus nom­breux et sophis­tiqués indiquent sans excep­tion un accroisse­ment de tem­péra­ture non nég­lige­able dans le futur.

En effet, en dépit de la com­plex­ité du sys­tème étudié, de la diver­sité des pays et insti­tuts engagés dans la recherche sur le cli­mat, de la diver­sité des mod­èles, de l’ef­fet de pub­lic­ité énorme qui serait attaché à un tel tra­vail, per­son­ne n’est par­venu à met­tre au point une expéri­ence numérique crédi­ble con­duisant le sys­tème cli­ma­tique à ne pas se réchauf­fer en réponse à l’aug­men­ta­tion des gaz à effet de serre.

Ceci n’a pas valeur de preuve, mais con­stitue mal­gré tout une indi­ca­tion extrême­ment forte qui ne peut être ignorée. Et, dans l’é­tat actuel de nos con­nais­sances, c’est désor­mais à ceux qui pré­tendraient que les mod­i­fi­ca­tions de la com­po­si­tion chim­ique de la planète seront sans effet d’en apporter la preuve.

Dans le futur, la mod­éli­sa­tion du sys­tème cli­ma­tique devrait voir évoluer son rôle. D’abord, dans l’éven­tu­al­ité où le cli­mat com­mencerait à chang­er de manière sig­ni­fica­tive, il deviendrait pos­si­ble d’u­tilis­er ce début de mod­i­fi­ca­tion pour aug­menter la capac­ité des mod­èles à prédire les évo­lu­tions postérieures.

Dans ces cir­con­stances aus­si, les ques­tions qui seront posées — et qui com­men­cent à l’être — pren­dront une nature dif­férente : quels sont les ” coupables ” ? Com­ment peut-on peser, par exem­ple, le rôle des émis­sions d’oxy­des nitreux par les avions ou par les voitures ? L’im­pact cli­ma­tique est-il le même lorsque les gaz pol­lu­ants sont déposés dans des cen­tres urbains, ou dans la stratosphère ? Ces prob­lèmes sont et seront posés en dépit des incer­ti­tudes qui affectent encore, indé­ni­able­ment, la mod­éli­sa­tion de notre envi­ron­nement glob­al, et qui sub­sis­teront encore longtemps, voire indéfiniment.

Il sera très impor­tant dans ce con­texte de préserv­er une diver­sité suff­isante de mod­èles con­stru­its et gérés de manière indépen­dante, car la dis­per­sion des résul­tats obtenus con­stituera l’une des seules mesures de l’in­cer­ti­tude des résultats.

En con­clu­sion, l’u­na­nim­ité des résul­tats obtenus par les mod­èles rel­a­tive­ment au réchauf­fe­ment futur s’ac­com­pa­gne de dif­fi­cultés à dress­er un tableau pré­cis des change­ments à venir. Mais ces dif­fi­cultés ne doivent pas con­duire à en écarter les résul­tats de manière trop rapide.

Les mod­èles numériques con­stituent l’un des seuls out­ils de réflex­ion sur le futur qui soit disponible. Les dif­fi­cultés ren­con­trées traduisent seule­ment l’in­croy­able com­plex­ité du milieu naturel.

Et on peut en retir­er une cer­ti­tude forte : laiss­er se mod­i­fi­er libre­ment la com­po­si­tion chim­ique de la planète, avec l’idée que l’on pour­rait s’adapter ensuite aux change­ments à venir, con­stitue un scé­nario incontrôlable.

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