Édouard Brézin

Édouard Brézin (58) physicien et humaniste

Dossier : TrajectoiresMagazine N°774 Avril 2022
Par Pierre LASZLO

Le tra­jet d’Édouard Brézin est exem­plaire des insignes ver­tus de la laïc­ité répub­li­caine et de son ascenseur social. Il le couron­nera par la prési­dence de l’Académie des sci­ences.

L’école laïque et républicaine

Né en décem­bre 1938. Ses par­ents sont élevés en Pologne, dans une ambiance d’antisémitisme vir­u­lent. Ils se sen­tent « vic­times d’une malé­dic­tion inéluctable et ont une haine inco­ercible de l’Allemagne ». Se réfugient à Paris, où son père, un tailleur, à la déc­la­ra­tion de guerre, devient engagé volon­taire étranger ; il est fait pris­on­nier mais s’évade. Passés en zone libre, ils sont réfugiés chez des paysans de la région de Brive, qui leur sauvent la vie. Il a une sœur, née en 1946. 

À l’école com­mu­nale du 12e, l’instituteur l’incite à présen­ter l’examen d’entrée en six­ième. C’est ensuite le sec­ondaire au lycée Charle­magne, puis les pré­pas à Con­dorcet. Il intè­gre l’X en 5/2.

La découverte de la physique théorique

Pour lui, l’École fut « du gâchis ». Mais il y lit le traité de mécanique quan­tique de Mes­si­ah, est fasciné par les math­é­ma­tiques sous-jacentes. Son ini­ti­a­tion sci­en­tifique lui vient de son recrute­ment au CEA de Saclay en 1963 juste­ment par Albert Mes­si­ah (40), grand résis­tant. La mécanique quan­tique n’était alors pas enseignée, l’influent Louis de Broglie (1892–1987) la ten­ant pour pure­ment philosophique. Au CEA, la divi­sion de physique était dirigée par Ana­tole Abragam (1914–2011), à l’autorité naturelle et à l’humour cor­rosif. Un groupe de théoriciens très remar­quable, dirigé par Claude Bloch (42), avec par­mi d’autres Ray­mond Sto­ra (51), Roger Balian (52), Mar­cel Frois­sart (53), Claude Itzyk­son (57). Les inter­ac­tions avec le groupe de théoriciens de l’université d’Orsay ani­mé par Philippe Mey­er et Claude Bouch­i­at (53) sont fréquentes.

“Ce n’était pas une bonne idée de ne pas enseigner.”

Un séjour à l’université de Prince­ton, en 1971, est déter­mi­nant. Édouard Brézin y assiste à une série de 15 sémi­naires de Ken­neth G. Wil­son (1936–2013) sur le groupe de renor­mal­i­sa­tion. Par­en­thèse : j’étais moi-même à Prince­ton, dans le départe­ment de chimie, à la même époque ; et j’ai con­nu E. Bright Wil­son (1908–1992), pro­fesseur à Har­vard et père de Ken­neth G. Wil­son. Édouard Brézin col­la­bore d’abord avec Ken, puis il utilise la théorie des champs et le groupe de renor­mal­i­sa­tion pour mieux com­pren­dre les phénomènes cri­tiques (équa­tion d’état, cor­rec­tions aux lois d’échelle, etc.). 

Une existence harmonieuse

À cette époque, il se donne une dou­ble con­vic­tion, celle lui venant de Richard P. Feyn­man (1918–1988), que « ce n’était pas une bonne idée de ne pas enseign­er ». Et, celle, rad­i­cale dans notre pays obsédé de hiérar­chies : « Ne pas per­dre sa spé­ci­ficité face à des respon­s­abil­ités admin­is­tra­tives. Garder sa lib­erté de pensée. »

À la sor­tie de l’X il épouse Colette, étu­di­ante en médecine, future chercheuse en immunolo­gie. Ils mili­tent pour l’indépendance de l’Algérie, mais Colette, très enceinte, laisse sa mère, Jacque­line Fortin, accom­pa­g­n­er Édouard à la man­i­fes­ta­tion anti­colo­nial­iste de Charonne en févri­er 62.

Il est pro­fesseur à l’X de 1974 à 2004. Il quitte le CEA pour devenir pro­fesseur et directeur du départe­ment de physique de l’École nor­male supérieure de 1986 à 1991, puis pré­side, à la demande d’Hubert Curien, min­istre de la Recherche, le CNRS de 1992 à 2000. Après sa retraite de l’X il a con­tin­ué à enseign­er à de nom­breuses repris­es à l’étranger (Can­ton, Tokyo, Rome…). C’est ensuite la prési­dence de l’Académie des sci­ences (2005–2006).

Homme attachant et chaleureux, il a soif de cul­ture human­iste : con­certs de musique de cham­bre les dimanch­es matin ; amoureux de lit­téra­ture depuis Les Trois Mous­que­taires, dévorés en fas­ci­cules ; avec aujourd’hui une prédilec­tion pour les romanciers sud-améri­cains comme Ale­jo Car­pen­tier (1904–1980), Mario Var­gas Llosa (né en 1936) ou l’Espagnol Anto­nio Muñoz Moli­na (né en 1956), auteur de ce chef‑d’œuvre Dans la grande nuit des temps (2009).

Est-il néces­saire d’ajouter que j’éprouve tant d’admiration que d’amitié pour lui ? 


Pour en savoir plus :

  • Demain, la physique, sous la direc­tion de Sébastien Bal­ibar et Édouard Brézin, Odile Jacob, 2009. 
  • L’accident majeur de Fukushi­ma : con­sid­éra­tions sis­miques, nucléaires et médi­cales, Académie des sci­ences, 2012.
  • De la dif­fi­culté à enseign­er au temps des « vérités alter­na­tives », Rai­son présente, 2019.
  • « Have I Real­ly Been a Con­densed Mat­ter The­o­rist ? I’m Not Sure, But Does It Mat­ter ? », Annu­al Review of Con­densed Mat­ter Physics, 2021.

Poster un commentaire