Du bon usage des bicentenaires

Dossier : Le Bicentenaire des MinesMagazine N°661 Janvier 2011
Par Christian MARBACH (56)

Les Français ont avec leurs com­mé­mora­tions des rela­tions par­fois ambiguës. Certes, ils en raf­fo­lent. Ils en prof­i­tent pour échang­er des points de vue sur le présent ou le futur. Mais par­fois ils adorent dis­cuter de l’op­por­tu­nité de cet anniver­saire, de l’ex­ac­ti­tude des com­men­taires, de la méth­ode de célébra­tion employée et de son instru­men­tal­i­sa­tion pos­si­ble : bref faire de l’an­niver­saire une occa­sion de dis­pute, au sens con­flictuel du terme.

Des anniversaires exceptionnels


Chris­tine Lagarde et Chris­t­ian Marbach

Notre com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne, qui se prête facile­ment à des com­mé­mora­tions, pour­rait tomber dans les mêmes tra­vers. Avec son his­toire pas­sion­nante enchevêtrée dans l’his­toire des sci­ences, de l’in­dus­trie et de la France. Avec ses nom­breux hommes excep­tion­nels et donc pourvus de lau­da­teurs comme de chi­ca­neurs. Avec les innom­brables mon­u­ments, livres, entre­pris­es, décou­vertes dont ils sont les auteurs, que de choses à célébr­er et éval­uer si le cœur nous en dit !

Chaque année, l’É­tat dresse la liste d’an­niver­saires qu’il juge plus excep­tion­nels que d’autres : nais­sance ou décès de per­son­nal­ités, créa­tion d’in­sti­tu­tions, vic­toires sur des champs de bataille, sig­na­tures de traités, etc. La cuvée 2011 don­nera de nou­veau l’oc­ca­sion de par­ler d’an­ciens. Ain­si Louis Vicat (1804), mort il y a cent cinquante ans. Con­struc­teur de ponts. Ini­ti­a­teur de la fab­ri­ca­tion arti­fi­cielle de la chaux hydraulique, inven­teur du ciment arti­fi­ciel. Créa­teur de la société Vicat, tou­jours active, tou­jours basée à Grenoble.

Urbain Le Ver­ri­er, né il y a deux cents ans, est une autre fig­ure que les X peu­vent approcher de plusieurs manières. Pour saluer le savant excep­tion­nel, le chimiste ou l’as­tronome ” inven­teur ” d’une planète. Pour se sou­venir de l’en­seignant atten­tif à l’évo­lu­tion de leur École. Ou pour étudi­er l’évo­lu­tion d’un savant vers les respon­s­abil­ités élec­tives et politiques.

Et n’ou­blions pas, plus près de nous, égale­ment hon­oré par la République en 2011, notre cama­rade Hen­ri Vic­ar­i­ot (1930). C’est en effet l’ar­chi­tecte prin­ci­pal de l’aérog­a­re d’Orly.

Un corps de fonctionnaires

Mais revenons à 2010. Quand Napoléon signe le texte du 18 novem­bre 1810 qui fonde le corps des Mines, il reprend des élé­ments préex­is­tants, mais il leur donne une forme nou­velle, et il en pré­cise les fonc­tions avec des atten­dus qui font hon­neur aux pré­para­teurs qui les ont inspirés, et à Napoléon. Savait-il qu’il insti­tu­ait ain­si un corps de fonc­tion­naires qui par son action col­lec­tive comme par les réus­sites de cer­tains de ses mem­bres mar­querait l’his­toire des sci­ences et de l’in­dus­trie française ?

La com­mé­mora­tion de ce bicen­te­naire eut un goût par­ti­c­uli­er car il coïn­cidait, à quelques mois près, avec un élar­gisse­ment du corps : 2009 vit la fusion du corps des Mines et de celui des Télé­com­mu­ni­ca­tions. C’est dire que les séances de réflex­ion inhérentes à toute com­mé­mora­tion, comme les instants de fête, ont aus­si per­mis de faire pro­gress­er cette fusion et rap­procher encore davan­tage des cul­tures qui avaient déjà bien des points communs. 

Une question existentielle

Mais aus­si de se con­fron­ter à une ques­tion exis­ten­tielle : ces cul­tures, ce corps ont-ils encore un sens dans notre monde d’au­jour­d’hui ? Avec des tech­nolo­gies qui ont con­nu des évo­lu­tions extra­or­di­naires en deux cents ans. Avec des entre­pris­es dont les marchés, les pro­duits, les procédés de fab­ri­ca­tion changent sans cesse d’hori­zon géo­graphique. Dont les action­naires peu­vent venir du monde entier. Dans un envi­ron­nement dont les préoc­cu­pa­tions se sont mod­i­fiées. Et dans un con­texte économique qui voit se mod­i­fi­er en per­ma­nence les rela­tions entre les volon­tés entre­pre­neuri­ales et les ori­en­ta­tions ou régle­men­ta­tions de la puis­sance publique qui pré­tend les encadr­er. Quelle peut donc être aujour­d’hui la place d’un corps d’ingénieurs au ser­vice de l’É­tat et de son industrie ?

Après plusieurs col­lo­ques étalés sur l’an­née, deux séances finales furent con­sacrées à l’ap­pro­pri­a­tion et à la maîtrise des tech­nolo­gies, puis à la poli­tique indus­trielle. Leur date coïn­cidait avec la date anniver­saire pré­cise du décret con­tenant organ­i­sa­tion du Corps impér­i­al des ingénieurs des Mines, signé au Palais des Tui­leries par Napoléon, empereur des Français, roi d’I­tal­ie, pro­tecteur de la Con­fédéra­tion du Rhin, médi­a­teur de la Con­fédéra­tion suisse.

Mais aus­si, à trois jours près, avec le remaniement min­istériel de novem­bre 2010 et à la renom­i­na­tion de Chris­tine Lagarde à Bercy : c’est dire que son dis­cours de clô­ture eut une saveur toute particulière ! 

Des conclusions convergentes

Il est cer­taine­ment pré­maturé de devin­er quelles seront les suites que les min­istres, le corps dans son ensem­ble, et ses ingénieurs tireront de ces échanges, ouverts mais sou­vent con­ver­gents dans leurs conclusions.

De ce point de vue, cette com­mé­mora­tion don­na lieu à moins de dis­cus­sions dif­fi­ciles que d’autres, du même type. Peut-être cela vient-il d’une tra­di­tion très anci­enne du corps des Mines, accep­tant ou favorisant des tra­jec­toires indi­vidu­elles très divers­es mais recueil­lant pour l’ensem­ble de ses mem­bres l’ef­fet de leurs convergences.

Une capacité d’adaptation

C’est sans doute l’his­to­rien Bruno Bel­hoste, un des meilleurs spé­cial­istes de l’his­toire des sci­ences et de l’en­seigne­ment au XVIIIe et au XIXe siè­cle qui en a le mieux résumé la sin­gu­lar­ité et la permanence.

“Le corps des Mines a su con­serv­er ce pou­voir d’in­flu­ence jusqu’à aujour­d’hui. Il a fait preuve pour cela d’une grande capac­ité d’adap­ta­tion, sans éviter par­fois, il faut le recon­naître, quelques com­plai­sances, voire des com­pro­mis­sions, y com­pris dans les heures les plus som­bres pour cer­tains de ses mem­bres, mais tou­jours en main­tenant ce qui a fait sa force et son car­ac­tère : l’e­sprit de corps, fondé sur une cer­taine con­cep­tion de l’ex­cel­lence, le souci de l’in­térêt général en tant que résul­tante des intérêts par­ti­c­uliers, le sens de l’É­tat, com­pris comme l’ar­bi­tre entre ces mêmes intérêts, et, enfin, la con­vic­tion qu’une poli­tique doit tou­jours être fondée en rai­son. Il n’ap­par­tient pas à l’his­to­rien de dire si ces traits qual­i­fient le corps des ingénieurs des Mines pour le futur. Au moins font-ils de cette élite intel­lectuelle et admin­is­tra­tive une spé­ci­ficité remar­quable de notre pays. Peut-être aus­si un atout pour l’avenir de notre indus­trie, si un tel atout existe encore, comme il faut l’espérer. ” 


L’af­fiche du bicen­te­naire des Mines.

De gauche à droite et de haut en bas :

1er rang : (1) Hen­ri Poin­caré (1854–1912) •(2) Georges Friedel (1865–1933) •(3) Mau­rice Allais (1911–2010) •(4) Georges Painvin (1886–1980) •(5) Édouard Estau­nié (1862–1942).

2e rang : (6) Pierre Scha­ef­fer (1910–1995) •(7) Frédéric Le Play (1806–1882) •(8) Pierre Marzin (1905–1994) •(9) Hen­ry Le Chate­lier (1850–1936).

3e rang : (10) Mau­rice Lau­ré (1917–2001) •(11) Charles de Freycinet (1828–1923) •(12) Louis-Joseph Libois (1921–2009) •(13) Michel Cheva­lier (1806–1879) •(14) Mar­cel Pel­lenc (1897–1972) •(15) Pierre Guil­lau­mat (1909–1991).

4e rang : (16) Louis Armand (1905–1971) •(17) Georges Besse (1927–1986) •(18) André Giraud (1925–1997) •(19) Louis Lep­rince-Ringuet (1901–2000) •(20) Con­rad Schlum­berg­er (1878–1936).

Crédits pho­tographiques :

Coll. muséo­graphique CAEF : (4), (7), (9), (13) •Coll. École poly­tech­nique : (2), (17) •Col­lec­tion Schlum­berg­er : (20) •ECPAD : (18) •Sénat : (8), (14) •Société générale : (10) •Total : (15) •DR : (1), (3), (5), (6), (11), (12), (16), (19).

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