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Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°521 Janvier 1997Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Espagne

Espagne

La musique espag­nole est un soleil d’hiver, dur et glacé comme la Plaza May­or en jan­vi­er. La vraie musique d’Espagne est aus­si loin des espag­no­lades de Chabri­er et Lalo, et même des sub­til­ités ibériques de Debussy et Rav­el, que le Cante Jon­do du fla­men­co pour touristes du Cafe de Chini­tas. Et elle ne s’apprivoise pas facile­ment. Au piano, il lui faut un inter­prète qui s’y plonge corps et âme, au risque de se faire dévor­er et de ne plus rien pou­voir jouer d’autre. Mais alors ce peut être la grâce, comme ce fut le cas pour Ricar­do Vines, puis Ali­cia de Lar­rocha, et aujourd’hui pour Jean-François Heisser.

J.-F. Heiss­er joue en six dis­ques plus qu’une antholo­gie, une somme de la musique espag­nole de piano1. De Grana­dos, les Goyescas, bien sûr, les Dans­es espag­noles et les Scènes roman­tiques. D’Albeniz, Iberia. De Fal­la, l’œuvre pour piano (dont la rare Fan­taisie Bétique). De Mom­pou le secret, les Chan­sons et Dans­es, Sub­ur­bis, les Chants mag­iques. Et aus­si des œuvres pour piano et orchestre, dont les Nuits dans les Jardins d’Espagne de Fal­la et l’extraordinaire et peu con­nu Con­cer­to fan­tas­tique d’Albeniz.

Tout cela relève de l’art mag­ique, et, à la réflex­ion, aucune autre musique aus­si forte­ment “ nationale ”, comme celles de Bar­tok ou Vil­la Lobos, ne pos­sède ce pou­voir d’envoûtement qui fait paraître quelques instants, le temps de se res­saisir, Chopin fade et Schu­bert dérisoire. Un cof­fret com­posé avec soin, de très belles pho­tos (de Michel Dieuzaide), quelques textes remar­quables, notam­ment de Heiss­er lui-même, ajoutent au bon­heur de l’écoute un plaisir d’une qual­ité rare.

C’est une toute autre vision de la musique espag­nole, et même de la musique tout court, que celle de Mag­da Tagli­a­fer­ro, fab­uleuse vir­tu­ose des années 1910–1960, belle et Brésili­enne, à la tech­nique héroïque, lumineuse dans Vil­la Lobos, hal­lu­ci­nante dans la Sonate n°1 de Schu­mann, trop extraver­tie pour attein­dre, dans Fal­la, Grana­dos, Alb­eniz, Mom­pou, à la magie de J.-F. Heiss­er, mais écla­tante, col­orée, une Espagne plus chaleureuse et con­v­enue2. Une musi­ci­enne exces­sive et à la tech­nique tran­scen­dante, comme il n’en est plus, sauf, peut-être, Martha Argerich…

Français

Si nous sommes la nation de la juste mesure, Yves Nat a sûre­ment été, mieux que tout autre, l’archétype de l’interprète français, soli­taire, intérieur, soucieux de la musique plus que du pub­lic, un Richter de chez nous. Ses sonates de Beethoven sont restées, jusqu’à Polli­ni, la référence absolue. Une antholo­gie éclec­tique 1929–1955 révèle un Yves Nat moins con­nu, avec Chopin, Brahms (les inter­mezzi de l’Opus 117, les Vari­a­tions Haen­del – extra­or­di­naires), Liszt, Stravin­s­ki3 : un musi­cien rigoureux, un peu austère, à l’opposé du vir­tu­ose mondain.

Autres inter­prètes français plus jeunes, plus verts : Augustin Dumay et Jean-Philippe Col­lard, qui pour­raient renou­vel­er le duo de légende Fer­ras-Bar­bi­zet, et qui, avec l’incontournable Sonate de Franck, vien­nent d’enregistrer celle d’Albéric Mag­nard, raris­sime petit chef‑d’œuvre4. Mag­nard est un peu le Jean Vigo de la musique française, musi­cien inclass­able et presque con­fi­den­tiel, à la sen­si­bil­ité à fleur de peau, et qui mérite que l’on com­mence à le décou­vrir, au-delà de la 3e sym­phonie et de Guercœur.

Rey­nal­do Hahn, dandy de la musique, ami de Proust et com­pagnon de Mag­da Tagli­a­fer­ro, pré­cisé­ment, pour­rait être à lui seul le sym­bole des salons parisiens de l’entre-deux-guerres. Et jamais plus, sans doute, on n’écrira de musique aus­si raf­finée, aus­si peu pré­ten­tieuse, légère comme le cham­pagne est léger, faite entière­ment pour le plaisir. Ciboulette, la meilleure de ses opérettes, recèle, au-delà de quelques airs jolis et archicon­nus, quelques gemmes, comme la chan­son “ ce n’était pas la même chose ”, ou l’ineffable – ne le ratez pas – ada­gio pour cordes qui sous­tend le mono­logue de Dupar­quet-Rodolphe. Dis­tri­b­u­tion de rêve de 1983 : Mady Mes­plé, José Van Dam, Nico­laï Ged­da, le Phil­har­monique de Monte- Car­lo… 5.

Bruno Walter

Comme Mahler ou, aujourd’hui, Bern­stein, Bruno Wal­ter est de ces rares chefs au charisme flam­boy­ant, qui auront mar­qué leur époque. Sous le nom de la Bruno Wal­ter Édi­tion ont été rassem­blés quelques-uns des enreg­istrements les plus mar­quants avec le Phil­har­monique de New York et le Colum­bia Sym­pho­ny. Citons pêle-mêle le Con­cer­to de Schu­mann avec Eugen Istomin et le 5e de Beethoven avec Serkin6, la Sym­phonie le Mir­a­cle de Haydn, les Ouver­tures et la musique funèbre maçon­nique de Mozart7, la Sym­phonie Rhé­nane de Schu­mann (un mod­èle) avec les ouver­tures d’Egmont et de Leonore de Beethoven8, enfin, last but not least, la 9e de Bruck­n­er, qui per­son­ni­fie assez bien Wal­ter par sa reli­giosité et son exal­ta­tion un peu naïve9.

Au-delà des options philosophiques, sans doute le plus grand chef alle­mand du XXe siè­cle – qui en a pour­tant comp­té de très grands – par une exi­gence hors du com­mun et une intel­li­gence de la musique, tout par­ti­c­ulière­ment de la musique alle­mande, dont on ne trou­ve plus guère d’exemple aujourd’hui, où les grands chefs sont plus “ fins ”, plus attachés à la mise en évi­dence des sub­til­ités de l’orchestration, de la “ couleur ”. Bruno Wal­ter, lui, était plutôt un adepte du noir et blanc, mais avec d’infinies nuances de gris.

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1. 6 CD ERATO WE 827.
2. 2 CD EMI Clas­sics 5 69476 2.
3. 2 CD EMI Clas­sics 5 69461 2.
4. 1 CD EMI Clas­sics 4 83599 2.
5. 2 CD EMI Clas­sics 5 66159 2.
6. 1 CD SONY SMK 64489.
7. 1 CD SONY SMK 64486.
8. 1 CD SONY SMK 64488.
9. 1 CD SONY SMK 64483.

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