Discographie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°635 Mai 2008Rédacteur : Jean Salmona (56)

Tran­scen­dance

Il y a des gens qui dansent sans entr­er en transe et

il y en a d’autres qui entrent en transe sans danser.

Ce phénomène s’appelle la Transcendance 

et dans nos régions il est fort apprécié.
Jacques Prévert, Spec­ta­cle.

Croy­ant ou agnos­tique, nous avons dés­espéré­ment besoin de moments qui dépassent, comme dis­ait de Gaulle, « cha­cune de nos pau­vres vies ». La musique nous donne, par­fois, au moins l’illusion d’y parvenir…

Piano

… Et tout par­ti­c­ulière­ment celle de Bach. L’Art de la fugue, par son car­ac­tère qua­si abstrait – il peut se jouer au clavecin, au piano, à l’orgue, en quatuor à cordes, à l’orchestre (mer­veilleuse orches­tra­tion d’Hermann Scherchen), et même se lire – est idéal à cet égard. Pierre-Lau­rent Aymard, con­nu pour ses inter­pré­ta­tions de musique con­tem­po­raine, s’est attaqué à ce mon­u­ment1 ; son jeu est dom­iné par un souci de ne pas inter­préter mais de s’en tenir à la let­tre de la par­ti­tion, à l’opposé d’un Glenn Gould. Il joue Bach comme il joue Ligeti, et l’auditeur qui souhaite n’être pol­lué par aucun roman­tisme y trou­ve son compte : de la math­é­ma­tique pure.

C’est dans le même esprit que Nima Sarkechik a enreg­istré les Études de l’opus 10 et les qua­tre Bal­lades de Chopin2, servi par une tech­nique irréprochable. Si l’on aime la mesure et si l’on craint les trans­ports, même dans Chopin, on appréciera. (Sur le même disque, un Hom­mage à Chopin de Dufourt.)
Aux antipodes de cela, notre cama­rade Jean-Pierre Fer­ey a enreg­istré avec Lau­rent Boukobza qua­tre œuvres à qua­tre mains de l’âge d’or de la musique française : Ma mère l’Oye de Rav­el, Dol­ly de Fau­ré, et aus­si Âmes d’enfant, de Cras, et Rhap­sodie gaélique de Lad­mi­rault3. Il faut beau­coup de pré­ci­sion et surtout de sen­si­bil­ité pour jouer ces pièces oniriques dédiées à l’enfance : Fer­ey et Boukobza sig­nent là un disque admirable, une petite mer­veille de bon­heur ten­dre, avec, notam­ment, un Ma mère l’Oye d’une absolue per­fec­tion, très supérieur à la ver­sion anci­enne Sam­son François-Pierre Bar­bi­zet, et un Dol­ly d’anthologie.

La Musique pour piano de John Cage relève d’une démarche en rup­ture totale avec le proces­sus même de com­po­si­tion : il s’est agi d’éliminer tout élé­ment sub­jec­tif, toute inten­tion expres­sive, et de faire appel au seul hasard, le com­pos­i­teur choi­sis­sant sim­ple­ment la loi de pas­sage des élé­ments aléa­toires à la par­ti­tion. Sabine Lieb­n­er a enreg­istré les 84 pièces de ce recueil pour le très inno­vant édi­teur alle­mand Neos4. Ceux qui pra­tiquent la médi­ta­tion tran­scen­dan­tale ou le zen trou­veront dans cette musique un sup­port idéal. Le même édi­teur pro­pose deux œuvres phares de la musique con­tem­po­raine, les Folk Songs de Luciano Berio et le Pier­rot lunaire de Schoen­berg5, avec Stel­la Doufex­is mez­zo-sopra­no, Maria Bap­tist au piano et l’Ensemble Opus21musikplus. Les Folk Songs sont des belles mélodies de divers folk­lores, rigoureuse­ment tonales, avec un arrange­ment très sub­til de Berio pour ensem­ble de cham­bre. Le Pier­rot lunaire (1912), pour voix par­lée et petit ensem­ble, est une pièce majeure de Schoen­berg, antérieure à sa manière sérielle, qui établit une atmo­sphère très proche de la pein­ture expres­sion­niste allemande.

Con­cer­tos par Hilary Hahn

Le Con­cer­to pour vio­lon de Schoen­berg est réputé injouable et très rarement joué. Hilary Hahn, une des cinq ou six très grandes vio­lonistes d’aujourd’hui, a domes­tiqué la bête et révèle ain­si l’existence d’une œuvre forte, avec une archi­tec­ture et une âme, assez voi­sine du Con­cer­to d’Alban Berg. Mais c’est dans le superbe Con­cer­to de Sibelius, enreg­istré lui aus­si, sur le même disque6, avec l’Orchestre sym­phonique de la Radio sué­doise dirigé par Esa-Pekka Salo­nen, que l’on retrou­ve l’interprète des con­cer­tos de Prokofiev, Bach, Brahms, et son jeu inou­bli­able, servi par une prise de son excep­tion­nelle, qui dis­tingue non seule­ment cha­cun des plans sonores d’une orches­tra­tion com­plexe mais aus­si, dans le tim­bre du vio­lon, le bois, les cordes, l’archet.

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1. 1 CD Deutsche Grammophon.
2. 1 CD ZIG ZAG.
3. 1 CD SKARBO.
4. 2 CD NEOS.
5. 1 CD NEOS.
6. 1 CD Deutsche Grammophon.

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