Devenez sorciers, devenez savants

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°576 Juin/Juillet 2002Par : Georges CHARPAK et Henri BROCHRédacteur : Jacques BOURDILLON (45)

Georges Charpak, prix Nobel de Physique, est l’auteur de nom­breux ouvrages, par­mi lesquels le très remar­quable Feux fol­lets et champignons nucléaires (Odile Jacob, 1997), qu’il présen­ta en févri­er 1997 face à Michèle Rivas­si et à Dominique Voynet dans l’émission “ Bouil­lon de Culture ”.

Hen­ri Broch est directeur du lab­o­ra­toire de zété­tique à l’université de Nice Sophia-Antipolis.

Leur livre est un pam­phlet con­tre ceux qui exploitent l’ignorance et les peurs de leurs sem­blables. Les radi­esthé­sistes, numéro­logues, fakirs, télék­iné­sistes, mag­né­tiseurs et astro­logues prodiguent con­seils, soins et con­so­la­tions à des mil­lions de Français en échange de l’argent qu’ils gag­nent. Après tout dira-t-on, ils font leur métier…

Mais il y en a d’autres, dont les moti­va­tions ne sont pas vénales mais idéologiques, et qui n’hésitent pas à utilis­er les mêmes moyens comme un levi­er poli­tique puissant !

On nous présente “un monde fécondé par la sci­ence et vérolé par les super­sti­tions ”, on nous pro­pose quelques élé­ments de cal­cul des prob­a­bil­ités pour mon­tr­er que les coïn­ci­dences sont beau­coup plus nom­breuses qu’on ne pour­rait le penser, en rai­son du très grand nom­bre d’événements extra­or­di­naires indépen­dants sus­cep­ti­bles de se pro­duire dans le monde.

Les voy­ants, nous dit-on, utilisent intel­ligem­ment l’art de pro­pos­er à leurs clients un dis­cours vague dans lequel tout le monde se recon­naî­tra… Per­son­ne n’ayant le priv­ilège de tou­jours se tromper, même un astro­logue fera quelque­fois des pré­dic­tions qui se révéleront justes… Les astro­logues d’ailleurs ne con­nais­sent que peu de choses sur ce qui se passe réelle­ment dans le ciel !

On nous présente beau­coup d’exemples de pré­dic­tions démen­ties par les faits, de radi­esthé­sistes inca­pables de détecter l’eau (ni avec un pen­d­ule ni avec une baguette), de sot­tis­es proférées avec aplomb sur la nociv­ité des faibles radi­a­tions (par des organ­ismes qui se pré­ten­dent indépen­dants et se voudraient respectables).

On nous fait rire et pleur­er avec l’histoire d’une thèse de soci­olo­gie obtenue par une voy­ante célèbre. On nous explique les meilleurs trucs des grands pres­tidig­i­ta­teurs pour nous aider à mieux com­pren­dre com­ment il est facile d’abuser l’opinion publique.

On stig­ma­tise la dés­in­for­ma­tion et la sot­tise, avec des pages féro­ces sur les organ­ismes dits indépen­dants qui pra­tiquent une “ dia­boli­sa­tion saugrenue de la radioac­tiv­ité ”, sur les astro­logues et les numéro­logues. La classe ter­mi­nale d’une grande ville a organ­isé une réu­nion van­tant le rôle gran­dis­sant des sci­ences par­al­lèles dans le recrute­ment en entre­prise !… L’on regrette que l’Éducation nationale prête son con­cours à ce qu’Albert Jacquard appelle des entre­pris­es de cré­tin­i­sa­tion de notre cul­ture : “ Trans­former les citoyens en mou­tons soumis, écrit-il, est le rêve de bien des pou­voirs, les intox­i­quer de para­sciences peut être fort effi­cace. ”

Seules la sci­ence et les tech­niques sont capa­bles de sat­is­faire les besoins de l’humanité, notam­ment d’améliorer l’environnement, la san­té, l’alimentation (les bien­faits des biotech­nolo­gies), notam­ment de fournir l’énergie abon­dante dont nous avons besoin (pour que les plus pau­vres puis­sent vivre digne­ment) : “ Non seule­ment les 3 mil­liards d’individus sup­plé­men­taires réclameront leur part d’énergie néces­saire à une vie décente, mais les change­ments cli­ma­tiques engen­drés par une exploita­tion irre­spon­s­able des ressources énergé­tiques peu­vent pro­duire des cat­a­stro­phes qui jet­teront des cen­taines de mil­lions d’êtres sur les rivages des pays épargnés.

“ Alors que les États-Unis, le Cana­da, la Chine, l’Inde et l’Argentine ont entre­pris de dévelop­per des mil­lions d’hectares d’organismes géné­tique­ment mod­i­fiés, nous assis­tons en France aux exploits de com­man­dos qui se croient autorisés à arracher des plants, fruit de dix années de recherche par des groupes de lab­o­ra­toires uni­ver­si­taires français. Le seul résul­tat cer­tain c’est qu’ils œuvrent pour la supré­matie des États-Unis. ”

Sachant franchir allè­gre­ment les fron­tières du domaine de la sci­ence et se réclamer de l’art, de la poésie, de la philoso­phie nos deux auteurs s’écrient : “ L’extraordinaire richesse spir­ituelle de l’homme ne s’exprime pas seule­ment dans ses démarch­es sci­en­tifiques.

Après avoir déclaré dans leur intro­duc­tion : “ Nous ne voulons en aucun cas impos­er une pen­sée unique, fût-elle sci­en­tifique, nous mili­tons pour le doute, le scep­ti­cisme et la curiosité ”, ils nous appor­tent leur con­clu­sion : “ Con­tre l’analphabétisme sci­en­tifique, le véri­ta­ble anti­dote est l’éducation.

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