Développement durable : Pourquoi ? Comment ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°579 Novembre 2002Par : Pierre CHASSANDE (56)Rédacteur : Jacques BOURDILLON (45)

Pierre Chas­sande retrace l’évolution des idées sur la crois­sance mon­di­ale et les iné­gal­ités Nord-Sud, il le fait sur trois décen­nies, en France et dans le monde, il évoque la plu­part des grandes ques­tions qui se posent aujourd’hui sur le développe­ment durable, il pro­pose un flo­rilège de cita­tions de per­son­nal­ités émi­nentes telles que Luc Fer­ry, Philippe Kouril­sky, Axel Kahn, Mar­cel Boi­teux, Chris­t­ian Brossier, Pierre Massé. Ce livre con­tient en out­re une bib­li­ogra­phie par­ti­c­ulière­ment précieuse.

Je cite dans le désor­dre un cer­tain nom­bre des prin­ci­paux thèmes qui sont évo­qués : le principe de pré­cau­tion (avec de nom­breuses références aux deux ouvrages de Philippe Kouril­sky), la place des sci­ences et des tech­niques, la mon­di­al­i­sa­tion, le cli­mat, l’éthique des entre­pris­es, le com­merce équitable, les trans­ports, le phénomène de péri­ur­ban­i­sa­tion (avec référence à l’étude de P. New­man et J. Ken­wor­thy)… J’ai appré­cié notam­ment les rap­pels his­toriques qu’il présente depuis la fon­da­tion d’un Club de Rome malthusien (halte à la crois­sance de la pop­u­la­tion et de la con­som­ma­tion !), à tra­vers le rap­port Brundt­land, la con­férence de Stock­holm, le Som­met de Rio, l’appel d’Heidelberg, Kyoto, Doha… jusqu’à une con­férence de Johan­nes­burg ouverte sur le pro­grès (le développe­ment durable, pour le Sud comme pour le Nord, pour la généra­tion actuelle comme pour les généra­tions futures).

Je me suis per­mis de choisir à mon gré quelques développe­ments qui m’ont par­ti­c­ulière­ment plu, dans l’espoir qu’ils plairont aus­si aux lecteurs de La Jaune et la Rouge :

  • À pro­pos du principe de respon­s­abil­ité : “ Le niveau d’exigence de Hans Jonas a de quoi effray­er et peut même fournir une jus­ti­fi­ca­tion à des posi­tions extrêmes et stéril­isantes comme celles de l’écologisme rad­i­cal et de la con­tes­ta­tion sys­té­ma­tique du pro­grès sci­en­tifique et technique. ”
  • À pro­pos du développe­ment : est évo­qué Edgar Morin (pour qui le développe­ment con­stitue un mythe typ­ique du socio­cen­trisme occi­den­tal, un moteur d’occidentalisation forcenée, un instru­ment de coloni­sa­tion des sous­dévelop­pés – le Sud – par le Nord), sont évo­qués Nicholas Georges­cu-Roe­gen, Bruno Clé­mentin et Vin­cent Cheynet (pour qui l’arrêt du développe­ment ne paraît pas suff­isant et qui prô­nent la décrois­sance, une réduc­tion dras­tique de notre con­som­ma­tion énergé­tique, la dis­pari­tion du trans­port aérien, du moteur à explo­sion et du réfrigéra­teur !). L’auteur s’écrie : “ Qui acceptera un tel retour en arrière ? Quelques intel­lectuels dans leur tour d’ivoire ? Quelques nos­tal­giques de Mai 68 ? C’est le grand bond en arrière ! Ces propo­si­tions sem­blent venir d’une autre planète. Elles sont pour­tant représen­ta­tives d’un courant de pen­sée qui existe. ”
  • À pro­pos de la pré­cau­tion : l’auteur cite abon­dam­ment les deux ouvrages de Philippe Kouril­sky. Il évoque notam­ment les risques (générale­ment passés sous silence) du principe de pré­cau­tion. Il s’efforce alors de don­ner son point de vue : “ En référence au mythe de l’apprenti sor­ci­er, le principe de pré­cau­tion s’est tail­lé un franc suc­cès médi­a­tique et pop­u­laire en une dizaine d’années seule­ment, mais ce suc­cès a pour revers la banal­i­sa­tion du con­cept et son invo­ca­tion à tout pro­pos et sou­vent hors de pro­pos. Ces excès sont dom­mage­ables parce qu’ils peu­vent con­duire à appli­quer le principe à des sit­u­a­tions qui ne le jus­ti­fient pas avec de graves con­séquences économiques ou humaines et parce qu’ils risquent de jeter le dis­crédit aux yeux des décideurs sur une approche très pré­cieuse dans son champ de per­ti­nence… La pré­cau­tion a un coût qu’il faut pay­er tout de suite, l’absence de pré­cau­tion a un coût qu’il fau­dra pay­er plus tard. Com­ment arbi­tr­er si les experts sont en désac­cord sur le pre­mier et ne savent à peu près rien du second ? ”

On me per­me­t­tra de regret­ter quelques omis­sions (au demeu­rant faciles à répar­er pour une édi­tion ultérieure).

Il me sem­ble que l’auteur aurait eu intérêt à évo­quer et appro­fondir quelques thèmes impor­tants qu’il n’a fait qu’effleurer :

  • la rel­a­tive inef­fi­cac­ité des propo­si­tions de Kyoto : 5% de réduc­tion des émis­sions mon­di­ales de gaz car­bonique. Est-ce bien à la hau­teur du prob­lème du cli­mat, alors que Gérard Mégie envis­age plutôt une réduc­tion de 60%!
  • l’efficacité évi­dente du sys­tème nucléaire français com­paré aux sys­tèmes de nos voisins et amis danois et alle­mands (hélas sou­vent don­nés en exem­ple parce qu’ils ont des éoli­ennes) eu égard à l’émission de gaz car­bonique par habi­tant ou par kWh produit ;
  • les dégâts poten­tiels d’une com­mu­ni­ca­tion alarmiste peu­vent être beau­coup plus graves que ceux provo­qués par une com­mu­ni­ca­tion exces­sive­ment ras­sur­ante (cf. les avorte­ments inutiles dus à l’inutile panique provo­quée à l’occasion de Seveso ou du nuage de Tchernobyl).

Sa bib­li­ogra­phie aurait gag­né à être plus copieuse : je pense notam­ment à l’ouvrage déjà ancien mais fon­da­men­tal de Luc Fer­ry Le nou­v­el ordre écologique (Gras­set), au livre de Guy Sor­man Le pro­grès et ses enne­mis, à ceux de Chris­t­ian Geron­deau Les trans­ports en France, Les trans­ports en Europe, à ceux de Chris­t­ian Juli­enne Le rap­port inter­dit et Le rail et la route.

Je recom­mande vive­ment la lec­ture de l’ouvrage de Pierre Chas­sande à tous ceux qui s’intéressent au développe­ment durable et à la sat­is­fac­tion des besoins élé­men­taires de l’humanité actuelle et future, y com­pris l’alimentation, la san­té, la mobil­ité, la vie quo­ti­di­enne, l’énergie, le cli­mat et, bien évidem­ment, l’environnement de l’homme.

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