D’étranges lieux de théatre.

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°527 Septembre 1997Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

On décou­vre à Paris d’étranges lieux de théâtre. En jan­vi­er et févri­er derniers, le Nou­veau Théâtre Mouf­fe­tard don­nait Arle­quin poli par l’amour. Imag­inez une toute petite salle, bien pim­pante au fond d’une cour, à portée de voix de la place de la Con­trescarpe, jadis ter­mi­nus de l’autobus S, cher à Ray­mond Que­neau. À présent l’S, devenu 84, lim­ite sa course au Pan­théon. À la Con­trescarpe, une fontaine gra­cieuse et lus­trale comme on en voit à Rome rem­place le kiosque à tick­ets de la RATP. C’est mieux ainsi.

De jeunes comé­di­ens inter­pré­taient cette oeu­vre de jeunesse de Mari­vaux. Si jeunes qu’ils igno­raient encore presque tout de leur méti­er. Faute d’avoir appris à pos­er leurs voix, ils réc­i­taient leur texte, bien embar­rassés par la néces­sité de laiss­er leurs mains au bout de leurs bras. Les élèves de troisième du CES de Saint-Pan­taléon-lès-Romoran­tin n’eussent pas fait pire.

De la part d’adultes de méti­er, le directeur du théâtre, les met­teurs en scène – ils s’y étaient mis à deux – il y a de la mal­hon­nêteté intel­lectuelle à laiss­er croire à des jeunes gens con­fi­ants qu’ils sont aptes à se pro­duire en pub­lic. Sans par­ler de la mal­hon­nêteté tout court à l’égard de ce pub­lic, qui payait.

L’incompétence se dou­blait de pré­ten­tion : le pro­gramme annonçait des décors conçus et réal­isés en ate­lier de scéno­gra­phie, après une dif­fi­cile sélec­tion. S’agissant d’une féerie, avec magi­ci­enne et lutins, on s’attendait à un feu d’artifice d’ingénieuses trou­vailles. Elles se rédui­saient à trois ou qua­tre bouts de bois sur­mon­tés d’une forme en car­ton, verte d’un côté, pour les extérieurs, blanche de l’autre, pour les intérieurs. Le moment venu, les lutins procé­daient au tournement.

Autre salle, autre moeurs. On a pu voir La Machine infer­nale de Cocteau, au Guichet Mont­par­nasse, tout près cette fois du square Gas­ton Baty que domine la stat­ue du pein­tre Sou­tine, maître ès cha­toiements lui aussi.

Je ne vous par­lerai pas longue­ment de La Machine infer­nale, puisqu’elle racon­te l’histoire d’Œdipe, que vous connaissez.

Le texte de Cocteau s’y ébroue dans l’implacabilité du des­tin, tan­tôt généreux et ten­dre comme la jeunesse – la ren­con­tre d’Œdipe et de la jeune fille sphinx – tan­tôt réal­iste et cru­el comme la vie – l’entrée en nuit de noces d’Œdipe et Jocaste – tan­tôt dérisoire et vul­gaire comme la réal­ité – la con­ver­sa­tion après cou­vre-feu entre le sphinx et une Thébaine flan­quée de ses mar­mots, qui déballe tout à trac devant la divinité com­patis­sante et amusée les ennuis de Thèbes, ses ragots de famille quant aux mys­tères de l’au-delà et ses dif­fi­cultés à élever ses enfants.

Ces dia­logues, ruis­se­lants d’intelligence, étaient servis par une excel­lente troupe de comé­di­ens très jeunes aus­si. Mais eux savaient leur métier.

La salle du Guichet Mont­par­nasse est établie dans une anci­enne bou­tique, pas bien grande. Cer­taines entrées des comé­di­ens se font par la trappe de la cave. Elle ne con­tient qu’une cinquan­taine de places et on attend le début du spec­ta­cle dans la rue, sur le trot­toir. Point de sépa­ra­tion entre salle et scène, point de rampe. On se place où l’on veut, sur des bancs. Au pre­mier rang, on se trou­ve qua­si au milieu des comé­di­ens, comme au temps de l’hôtel de Bourgogne.

Ce bon lieu de théâtre donne deux spec­ta­cles par jour. Le pre­mier, en fin d’après-midi, d’un auteur con­nu. Le sec­ond, plus tard, est plutôt con­sacré à des créa­tions de pièces d’auteurs neufs. Le pro­gramme change sou­vent mais l’expérience vaut le coup.
Tentez-la.

En fait d’expérience, j’ai été l’autre soir écouter du Mar­guerite Duras : Savan­nah Bay, cette fois dans une salle du meilleur genre, à La Baule.

Pub­lic fort clairsemé, con­sti­tué surtout de paires de dames intel­lectuelles. Savan­nah Bay c’est, sur scène, deux femmes – en l’occurrence Gisèle Casadesus et la gra­cieuse et juvénile Mar­tine Pas­cal – susurrant des choses qu’on n’entendait pas tou­jours très bien mais qu’aux mines acca­blées des deux femmes on dev­inait très ennuyeuses. De beaux change­ments d’éclairage aidaient à pass­er le temps mais cela ne suff­i­sait pas.

Au bout d’une heure, la plus jeune quit­ta soudain la scène, comme si elle en avait marre. C’était con­cev­able. L’autre y res­ta assise, mais sans plus bouger ni rien dire.

Plusieurs des dames intel­lectuelles, plus dotées de promp­ti­tude d’esprit que la moyenne des spec­ta­teurs, se doutèrent que la pièce était ter­minée. Elles applaudirent.

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