De gauche à droite : Dominique Rossin, Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État aux Armées, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Florence Parly, ministre des Armées, et Éric Labaye.

Des engagements et une feuille de route pour accroître la diversité sociale à l’X

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°751 Janvier 2020
Par Éric LABAYE (80)
Par Dominique ROSSIN (94)

Le 14 octo­bre 2019, nous avons remis aux min­istres des Armées et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation notre rap­port for­mu­lant dix propo­si­tions pour dou­bler le nom­bre de bour­siers admis à l’X d’ici à cinq ans. Fondées sur une analyse factuelle de la diver­sité sociale et des résul­tats du con­cours, et agis­sant de l’amont jusqu’au con­cours sur de nom­breux leviers d’action, ces propo­si­tions sont con­formes au principe d’égal accès à l’enseignement supérieur et aux exi­gences d’excellence et de qual­ité sci­en­tifique des can­di­dats. Leur mise en œuvre débutera dans les semaines à venir.

L’École poly­tech­nique s’engage pour amélior­er la diver­sité de son cycle ingénieur. Cet engage­ment fait suite à la mis­sion que nous avons reçue en juin dernier, et per­met d’accentuer les nom­breuses actions déjà en cours à l’École poly­tech­nique (voir en par­ti­c­uli­er le pro­gramme #Genius dans La J & R n° 748).

Nous présen­tons ici le diag­nos­tic réal­isé sur la diver­sité sociale au sein du cur­sus ingénieur et les dif­férents leviers qu’il per­met d’identifier pour la ren­forcer sans tran­siger sur les principes d’équité et de sélec­tiv­ité du con­cours. Nous détail­lons les dif­férentes mesures envis­agées et l’impact qui en est atten­du et soulignons la néces­sité d’une impli­ca­tion forte de toutes les par­ties prenantes pour assur­er la réus­site de cette mis­sion essen­tielle. L’objectif pour­suivi est sim­ple, aider les can­di­dats bour­siers à mieux réus­sir notre concours.

Fig­ure 1 — Répar­ti­tion par PCS (en %) des élèves du cycle ingénieur et de la pop­u­la­tion française, sur trois périodes.

Trois grands axes de diagnostic

Notre diag­nos­tic met en lumière trois con­stats : une diver­sité sociale per­fectible, une fil­ière uni­ver­si­taire encore sous-représen­tée et des bour­siers en dif­fi­culté à l’écrit. La répar­ti­tion par pro­fes­sions et caté­gories socio­pro­fes­sion­nelles (PCS) des par­ents de nos élèves se car­ac­térise par une sur­représen­ta­tion des cadres et pro­fes­sions intel­lectuelles supérieures, ain­si que le mon­tre la fig­ure 1. Les don­nées con­cer­nant la pop­u­la­tion française sont issues de l’Insee, et les don­nées de nos élèves sont issues d’une analyse menée par Pierre Bour­dieu et Monique de Saint Mar­tin sur la pro­mo­tion 66, et des don­nées du con­cours et de la direc­tion de l’enseignement sur les pro­mo­tions 95 et 2018. Le déséquili­bre de la représen­ta­tion sociale con­staté ici n’est pas récent et il n’a pas con­nu d’augmentation sig­ni­fica­tive ces dernières années, au cours desquelles l’X a déjà lancé une poli­tique active en faveur de l’égalité des chances. Par ailleurs, le « fil­tre social » démarre bien en amont dans la sco­lar­ité des étu­di­ants et le con­cours de l’École poly­tech­nique ne con­stitue qu’une ultime sélec­tion. Pour autant, cet état de fait n’occulte pas le besoin d’amplification de diver­sité à l’X.

Les élèves admis à l’École poly­tech­nique ont suivi leur lycée dans des ter­ri­toires très var­iés mais leur classe pré­para­toire aux grandes écoles (CPGE) est en très grande majorité en région parisi­enne. Cela s’explique par la con­cen­tra­tion forte des class­es étoilées autour de Paris, class­es qui sont les plus à même de pré­par­er à notre con­cours d’admission. La con­cen­tra­tion du recrute­ment sur les CPGE parisi­ennes est notam­ment accen­tuée par l’attraction plus forte qu’elles exer­cent sur les meilleurs étu­di­ants depuis la réforme APB, qui leur a per­mis d’y can­di­dater sans hésiter. Cela est illus­tré par la fig­ure 2, où la répar­ti­tion Île-de-France/province des CPGE de prove­nance de nos élèves a con­nu une marche deux ans après la mise en place de la réforme.

Fig­ure 2 — Évo­lu­tion de la prove­nance Île-de-France/province (en CPGE) des élèves du cycle ingénieur.

Cela ne serait pas dom­mage­able a pri­ori si la mobil­ité des bour­siers était la même que celle des non-bour­siers. Par­mi les X2018 qui ont passé le bac­calau­réat en province, 65 % des non-bour­siers ont pré­paré le con­cours dans une CPGE située en Île-de-France con­tre seule­ment 44 % des bour­siers. Les non-bour­siers sont donc presque
1,5 fois plus mobiles que les bour­siers. L’éloignement géo­graphique est une bar­rière à sur­mon­ter, elle atténue le nom­bre de can­di­da­tures de bour­siers et défa­vorise ces derniers.

En 2018, sur les quelque 33 000 men­tions très bien du bac­calau­réat sci­en­tifique, 40 % sont entrées en CPGE, 22 % en Paces et 10 % en licence à l’université. Le recrute­ment par notre fil­ière uni­ver­si­taire présente une diver­sité sociale plus grande que celle des CPGE. Si 7 % des poly­tech­ni­ciens recrutés par con­cours sont enfants d’ouvrier, employé ou pro­fes­sion inter­mé­di­aire, la pro­por­tion est dou­ble pour ceux recrutés à l’université et 18 % des enfants d’ouvrier ayant inté­gré l’X l’ont fait par la voie uni­ver­si­taire. En appli­quant le même taux de sélec­tion que celui de la pop­u­la­tion issue des CPGE (proche de 4 %), le vol­ume d’étudiants à recruter par la fil­ière uni­ver­si­taire serait de 50, con­tre 28 cette année.

Pour finir, les don­nées de notre con­cours sont claires, les bour­siers échouent essen­tielle­ment à l’écrit : sur le con­cours 2018, le taux de bour­siers dans les can­di­dats est de 24 %, alors que pour les admis­si­bles il est de 12 % et reste sta­ble après l’oral. En out­re, comme le mon­tre la fig­ure 3, la dif­férence se fait essen­tielle­ment à l’écrit sur des épreuves écrites anonymisées, sur toutes les matières et notam­ment sur les matières sci­en­tifiques. Il en ressort donc un besoin de pré­pa­ra­tion accru pour nos can­di­dats boursiers.

“Les lycées dont les boursiers réussissent
très bien notre concours ont des internats ouverts toute l’année, en particulier pendant
les week-ends et les vacances.

Trois leviers, dix propositions

Forts de ces con­stats, nous avons iden­ti­fié trois grands leviers et for­mulé dix propo­si­tions qui doivent per­me­t­tre de dou­bler le nom­bre de bour­siers admis à l’X d’ici 2024, pour le faire pass­er d’une cinquan­taine à une cen­taine et ain­si refléter plus fidèle­ment la diver­sité de nos candidats.

Les filières d’accès et le concours

Ce pre­mier levi­er et les mesures asso­ciées con­cer­nent prin­ci­pale­ment l’École poly­tech­nique et son con­cours. La pre­mière mesure prévoit d’élargir pro­gres­sive­ment, tout en main­tenant la qual­ité du recrute­ment, le vol­ume de la fil­ière uni­ver­si­taire en lui réser­vant 50 places d’ici 2024 avec un impact atten­du de cinq bour­siers sup­plé­men­taires. Pour assur­er la réus­site de cette mesure, il con­vien­dra de ren­forcer le recrute­ment au sein des uni­ver­sités de la France entière et pas seule­ment du bassin parisien où se con­cen­trent actuelle­ment nos viviers de recrute­ment. La deux­ième propo­si­tion est la sup­pres­sion du malus des can­di­dats 5/2 bour­siers, autrement dit la con­ser­va­tion des points de boni­fi­ca­tion de 3/2 pour les bour­siers 5/2 afin de leur don­ner un peu plus de temps pour attein­dre le niveau d’excellence req­uis pour notre con­cours. Cette propo­si­tion doit per­me­t­tre l’intégration de six bour­siers sup­plé­men­taires. Enfin, la sim­pli­fi­ca­tion de l’accès aux rap­ports et aux annales du con­cours grâce à un por­tail dédié, acces­si­ble à tous les can­di­dats et aux pro­fesseurs de CPGE, fourni­ra une aide pré­cieuse pour la pré­pa­ra­tion du concours.

Fig­ure 3 – Notes moyennes aux épreuves écrites et orales des can­di­dats et admis­si­bles au con­cours 2018.

La préparation et le mentorat des boursiers

Afin de par­ticiper à l’effort de pré­pa­ra­tion des can­di­dats bour­siers nous avons for­mulé qua­tre propo­si­tions. La pre­mière est de met­tre en place un accom­pa­g­ne­ment des élèves bour­siers de CPGE grâce à du sou­tien et du tutorat à dis­tance réal­isés par des élèves ingénieurs ain­si que par du men­torat assuré par des anciens élèves. Cette propo­si­tion devrait per­me­t­tre le recrute­ment d’une douzaine de bour­siers sup­plé­men­taires. La sec­onde propo­si­tion est de rééquili­br­er la carte des meilleures CPGE (et donc des class­es étoilées) sur le ter­ri­toire. Une con­di­tion fon­da­men­tale de réus­site de cette mesure est la général­i­sa­tion et l’optimisation des inter­nats avec une ouver­ture toute l’année et un suivi de prox­im­ité de tous les élèves, y com­pris pen­dant les vacances et les week-ends, cri­tique pour franchir l’obstacle de l’éloignement géo­graphique. L’impact atten­du de ce rééquili­brage ter­ri­to­r­i­al est de six bour­siers sup­plé­men­taires. La troisième propo­si­tion con­siste à aug­menter le taux des bour­siers dans les meilleures CPGE, afin de les amen­er à présen­ter 24 % de bour­siers à notre con­cours, et doit se traduire par l’intégration d’une ving­taine de bour­siers sup­plé­men­taires. Enfin, nous pro­posons de créer de nou­velles for­ma­tions en amont pour accom­pa­g­n­er les futurs élèves de CPGE. Cet accom­pa­g­ne­ment des bour­siers au niveau du lycée pour­rait pren­dre la forme de nou­velles for­ma­tions de type sum­mer schools entre les class­es de pre­mière et de ter­mi­nale ou bien encore d’une année propédeu­tique avant la CPGE.

L’orientation et l’accompagnement des talents vers les sciences

Con­scients de la néces­sité de mieux ori­en­ter et d’accompagner les tal­ents issus des milieux moins favorisés vers les sci­ences à tra­vers toute la France au béné­fice de l’ensemble du sys­tème d’enseignement supérieur sci­en­tifique français, et en par­ti­c­uli­er de l’École poly­tech­nique, nous avons for­mulé trois propo­si­tions com­plé­men­taires. En pre­mier lieu, nous souhaitons ren­forcer notre poli­tique active de sen­si­bil­i­sa­tion sur tout le ter­ri­toire nation­al (for­ma­tion humaine, tutorat, cordées…), en pas­sant à l’échelle pour touch­er plus de 20 000 jeunes à l’horizon 2022 con­tre un peu plus de 5 000 actuelle­ment. Le périmètre d’application de cette mesure est d’ailleurs exten­si­ble à l’Institut Poly­tech­nique de Paris. Deux­ième­ment, nous souhaitons créer un nou­veau pro­gramme X Aca­d­e­m­ic Fel­low per­me­t­tant de fédér­er une com­mu­nauté de jeunes tal­ents de 6 à 20 ans sur l’ensemble du ter­ri­toire nation­al. Cette ini­tia­tive doit per­me­t­tre de regrouper nos actions et favoris­er l’émergence d’une masse cri­tique pour décu­pler l’impact.

Enfin, nous souhaitons égale­ment inter­venir au béné­fice des pro­fesseurs avec l’aide de cours en ligne par exem­ple. Égale­ment nous pro­posons d’instaurer, à l’image des Entre­tiens Enseignants Entre­pris­es qui se tien­nent chaque année à l’X, la créa­tion d’une uni­ver­sité d’été en direc­tion des pro­fesseurs sci­en­tifiques de lycées et col­lèges, qui favoris­erait le partage de bonnes pra­tiques d’ensei­gnement, de con­nais­sance de l’enseignement supérieur, de détec­tion des tal­ents et d’ambition de can­di­da­tures en amont.

Une mission collective

Le champ d’action de l’ensemble de ces propo­si­tions est suff­isam­ment large pour garan­tir un véri­ta­ble change­ment et la mise en place d’un cycle vertueux pérenne. La fig­ure 4 rap­pelle la syn­thèse de l’impact atten­du de toutes ces propo­si­tions. Leur mise en œuvre devrait inter­venir dans les semaines à venir, en con­cer­ta­tion avec toutes les par­ties prenantes, avec le soin de tou­jours con­serv­er le niveau d’excellence de l’École et de garan­tir l’impact de notre action.

Cette analyse et les propo­si­tions qui en découlent sont le fruit d’un tra­vail col­lec­tif mené en con­cer­ta­tion avec de nom­breux acteurs en interne : élèves, pro­fesseurs, direc­tions, con­seil d’administration, et anciens élèves et jeunes diplômés réu­nis avec le sou­tien de l’AX. Nous tenons à remerci­er en par­ti­c­uli­er Raphaël Bouganne (2010) et Muriel Escartin pour leur con­tri­bu­tion majeure à cette mission.

Les propo­si­tions ont égale­ment été dis­cutées en externe : min­istères des Armées, de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, inspecteurs généraux de l’Éducation nationale, Insti­tut Poly­tech­nique de Paris, Con­férence des grandes écoles, pro­viseurs de CPGE et dirigeants d’entreprise, ain­si qu’avec les autres écoles man­datées par la mission.

Notre rap­port inté­gral est disponible sur le site inter­net de l’École et nous vous invi­tons à le con­sul­ter pour plus de pré­ci­sions. Nous sommes tous con­cernés par cette mis­sion essen­tielle, et l’implication de toute la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne est donc la bienvenue.

Fig­ure 4 – Syn­thèse de l’impact des propositions.


Pôle Diversité et Réussite

L’implication de l’École poly­tech­nique sur le sujet de la diver­sité est d’ores et déjà très impor­tante. Le Pôle Diver­sité et Réus­site mené par Alice Car­pen­tier sensibilise
et accom­pa­gne près de 5 000 jeunes par an et mobilise plus de 200 élèves poly­tech­ni­ciens sur des actions à large spec­tre (sci­ence camps, tutorat, men­torat, cordées de la réus­site, for­ma­tion humaine…).


Poster un commentaire