Delair, drones 100% français

DELAIR : des drones 100 % français à la pointe de la technologie

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°769 Novembre 2021
Par Bastien MANCINI (2000)

Les drones sont amenés à jouer un rôle de plus en plus impor­tant dans les usages pro­fes­sion­nels. Depuis 10 ans, DELAIR une entre­prise française créée par des poly­tech­ni­ciens se développe dans ce secteur très por­teur et haute­ment tech­nologique. Entre­tien avec Bastien Manci­ni (2000), CEO de DELAIR, qui nous en dit plus.

DELAIR est une véritable aventure entrepreneuriale. Quelles sont les étapes structurantes qui ont permis à la société de se positionner comme un des principaux concepteurs et fabricants de drones Fabriqués in France ? 

L’aventure a débuté en 2011, nous fêtons cette année notre 10e anniver­saire. Avec mes cama­rades de pro­mo, nous avons créé DELAIR en cap­i­tal­isant sur nos expéri­ences pro­fes­sion­nelles et nos exper­tis­es respec­tives, qui étaient com­plé­men­taires. Après un pas­sage au CNES sur les lanceurs Ari­ane et Soy­ouz, je dis­po­sais de con­nais­sances tech­niques applic­a­bles au monde des drones. Michaël de Lagarde avait tra­vail­lé une dizaine d’année dans l’industrie pétrolière, où il avait iden­ti­fié que les drones pou­vaient être un moyen alter­natif per­ti­nent aux héli­cop­tères pour inspecter les infra­struc­tures dans des zones reculées, et Ben­jamin Ben­har­rosh (corps des Ponts) avait été en cab­i­net min­istériel, puis avait par­ticipé au développe­ment d’une start-up dans le monde de l’énergie.

Nous sommes par­tis d’une feuille blanche et nous avons tout conçu, dévelop­pé, fab­riqué, expéri­men­té. En 2012, nous avons été les pre­miers à obtenir la cer­ti­fi­ca­tion « hors vue » de la DGAC pour notre pre­mier drone, le DT18, un drone de 2kg, capa­ble de vol­er 100 km et d’inspecter des pipelines et des lignes élec­triques. Nos pre­miers con­trats ont été avec GRTGaz, Enedis, Veo­lia, puis la SNCF, pour qui nous avons dévelop­pé le DT26, qui a béné­fi­cié d’un appui de la DGA (dis­posi­tif RAPID). Ce sys­tème a été dévelop­pé en suiv­ant les méthodolo­gies d’analyse de risques de l’aéronautique habitée (ARP-4761) avec du logi­ciel DO-178. Il est robuste, fiable, et vole un peu partout dans le monde depuis 6 ans, pour des forces armées et de police, afin de sécuris­er des fron­tières, des événe­ments sportifs, ou pour lut­ter con­tre le terrorisme…

Qu’en est-il de votre positionnement dans le secteur de la défense ? 

Avec l’industrie, la défense est notre cœur de méti­er. Nos pro­duits ont été conçus pour des usages liés à la sécu­rité et la défense, qu’il s’agisse de recon­nais­sance, d’inspection ou de ren­seigne­ment. Notre stratégie depuis de nom­breuses années est de tra­vailler à dévelop­per la fia­bil­ité et la robustesse de nos sys­tèmes, leur résis­tance aux con­di­tions envi­ron­nemen­tales les plus dures. Nos plus grands suc­cès sont les retours d’expérience très posi­tifs de nos clients qui, un peu partout dans le monde, emploient nos drones sur des théâtres d’opération com­plex­es, des zones de con­flit, et qui en font la promotion. 

Sur le marché de la défense, il existe de nom­breux freins à l’adoption opéra­tionnelle de tech­nolo­gies nou­velles comme les drones. Pour exis­ter, l’enjeu est de faire des pro­duits qui don­nent sat­is­fac­tion, pas seule­ment à ceux qui passent des con­trats, mais à ceux qui sont sur le ter­rain et ont nos sys­tèmes entre les mains. Cela prend du temps, mais nous sommes dans une logique de long terme, nous voulons être les lead­ers européens des moyens d’observation aéri­enne à l’horizon 2030.

Quelques mots sur vos drones.

Nous pro­posons deux drones : 

  • L’UX11 : un petit drone de 1.5 kg qu’on peut emporter dans un sac à dos, avec une capac­ité de vol d’une heure et qui peut recon­naître en détail et recon­stru­ire en 3D une zone située à 15 km, de jour comme de nuit ; 
  • Le DT26 : un drone de 15 kg qui peut vol­er 3 heures. Il emporte des boules optron­iques (ou d’autres charges utiles de ren­seigne­ment élec­tro­mag­né­tique, ou encore des Lidar), et tra­vaille dans un ray­on de 50 km. Il est indé­tectable à 200 m et voit dis­tincte­ment ce qu’il se passe à 5 km de lui, de jour et de nuit.

DELAIR a fait le choix de miser sur une fabrication et une conception 100 % française pour ces drones. Qu’en est-il ? 

Notre bureau d’études est situé à Toulouse, bassin très prop­ice au développe­ment dans le secteur aéro­nau­tique. Nous y avons aus­si implan­té notre usine de fab­ri­ca­tion d’une super­fi­cie de 1 500 m2 qui pro­duit chaque année des cen­taines de drones.

Cette cul­ture aéro­nau­tique régionale est très impor­tante, car nous con­cevons des aéronefs qui doivent s’insérer dans le traf­ic aérien. Je pense qu’à terme les sys­tèmes d’observation aéri­enne n’auront plus de pilote. Aujourd’hui, les opéra­teurs privés et publics utilisent essen­tielle­ment des héli­cop­tères d’une tonne, pour porter des pilotes de 100 kg et des caméras de 3 kg. Cela ne fait pas sens : ces héli­cop­tères sont bruyants, dan­gereux (il y a des morts tous les ans), pol­lu­ent…. Notre enjeu est de pou­voir insér­er des véhicules sans pilote dans l’espace aérien, et qu’ils aient les mêmes per­for­mances qu’un héli­cop­tère. Pour cela nous dévelop­pons selon deux axes : vol­er loin et longtemps.

Pour voler longtemps et loin, vous misez sur l’innovation… 

En une décen­nie, DELAIR a investi des dizaines de mil­lions d’euros de fonds, essen­tielle­ment privés, prin­ci­pale­ment en R&D. Aujourd’hui, nos efforts se con­cen­trent sur deux axes :

Vol­er loin grâce à la cer­ti­fi­ca­tion aéro­nau­tique pour pou­voir s’insérer de manière sécurisée dans le traf­ic aérien et vol­er au-dessus des villes ;

Vol­er longtemps grâce à l’hydrogène, qui per­met d’améliorer l’endurance de nos sys­tèmes. Avec l’hydrogène, nos drones sont silen­cieux, ont une autonomie 3 fois plus impor­tante que les drones qui fonc­tion­nent avec des bat­ter­ies, et ils ne pol­lu­ent pas. À per­for­mances opéra­tionnelles qua­si équiv­a­lentes, là où un héli­cop­tère a besoin de 100 kg de kérosène par heure, notre pro­to­type Hydrone con­somme 25 gr d’hydrogène par heure.

Vous militez pour la création d’une filière française. En quoi est-ce stratégique ? 

Aujourd’hui, les lead­ers mon­di­aux des drones d’observation font des chiffres d’affaires d’au moins 200 à 300 mil­lions d’euros. Ce sont prin­ci­pale­ment des Améri­cains, des Israéliens, des Chi­nois et depuis peu des Turcs. Pour la plu­part il s’agit de sociétés créées après les années 1970 et qui sont dev­enues des ETI. Les lead­ers européens, quant à eux, ont un CA de 30 et 50 mil­lions d’euros, et la fil­ière française est atom­isée : Par­rot a un CA de 20 mil­lions sur les drones, quelques entre­pris­es dont DELAIR font un CA entre 1 et 10 mil­lions d’euros, et une quin­zaine ont un CA inférieur à 1 mil­lions d’euros.

Or les véhicules aériens autonomes vont arriv­er, qu’on le veuille ou non, c’est une réal­ité. Est-ce qu’on con­sid­ère en France qu’il est stratégique d’en avoir la maîtrise tech­nologique ? Si oui, alors il faut inve­stir mas­sive­ment, main­tenant et pen­dant plusieurs années, et struc­tur­er la filière.

Aujourd’hui, les drones sont con­sid­érés comme une sous-caté­gorie de l’aéronautique et non pas comme une fil­ière en soi. Ils sont traités selon les codes de lec­ture de l’aéronautique, qui n’est pas une indus­trie cul­turelle­ment ori­en­tée vers le risque et l’innovation.

C’est pour­tant ce qu’il faut aujourd’hui si on veut réus­sir ! J’ai tra­vail­lé il y a quinze ans au CNES. À l’époque j’admirais SpaceX, et tout le monde me regar­dait de tra­vers en m’expliquant qu’Elon Musk n’avait rien com­pris, que le spa­tial ce n’était pas ça… Regardez où nous en sommes aujourd’hui. Tâchons de ne pas repro­duire cela sur les drones !

Avec la majorité des entre­pris­es de drones français­es, nous avons donc décidé de nous pren­dre en main et de pro­pos­er une stratégie pour notre fil­ière à Hori­zon 2030.

Nous avons créé l’ADIF (Asso­ci­a­tion des drones de l’industrie française) que j’ai l’honneur de présider. Elle regroupe déjà une ving­taine de mem­bres et représente 300 à 400 emplois pour 30 à 40 mil­lions d’euros de revenus. Nous sommes con­va­in­cus que notre fil­ière peut représen­ter 10 000 emplois et plus d’1 mil­liard d’euros d’ici 2030 en France. 

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