Terminal pétrolier du cap Lopez, Gabon.

Défis géopolitiques : États africains, puissances étrangères et organisations internationales

Dossier : Géopolitique de l'AfriqueMagazine N°794 Avril 2024
Par Elvis OSSINDJI
Par Alpha BACAR BARRY (E19)
Par Bertrand LÉPINOY (X78)

Voi­ci l’entretien croi­sé de deux ministres : Elvis Ossind­ji, ancien ministre des Mines du Gabon, et Alpha Bacar Bar­ry (E19), ministre de l’Enseignement tech­nique, de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle et de l’emploi de la Répu­blique de Gui­née. Les ques­tions posées explorent en pro­fon­deur les constats et les pers­pec­tives des deux ministres du Gabon et de la Gui­née sur les acteurs clés en Afrique, les ten­dances géo­po­li­tiques et les défis à moyen terme du conti­nent africain.

Messieurs les ministres, pourriez-vous vous présenter ainsi que votre rôle au sein de votre gouvernement et vos responsabilités en matière de relations internationales ?

Elvis Ossind­ji : En tant qu’ancien ministre des Mines et de la géo­lo­gie du Gabon, j’ai joué un rôle essen­tiel dans le déve­lop­pe­ment et la moder­ni­sa­tion du sec­teur minier de notre pays. Ma ges­tion s’est concen­trée sur une exploi­ta­tion durable et équi­table des res­sources miné­rales. J’ai super­vi­sé les opé­ra­tions minières et déve­lop­pé la connais­sance géo­lo­gique, en veillant par­ti­cu­liè­re­ment à la négo­cia­tion éthique et effi­cace de contrats avec des par­te­naires inter­na­tio­naux, tou­jours en gar­dant les inté­rêts du Gabon au pre­mier plan. Mon approche a tou­jours été gui­dée par le prin­cipe du « minier res­pon­sable », fon­dé sur la trans­pa­rence, l’équité dans la dis­tri­bu­tion des richesses, la valo­ri­sa­tion locale des res­sources et une gou­ver­nance renforcée.

Alpha Bacar Bar­ry : Je suis Alpha Bacar Bar­ry, ministre de l’Enseignement tech­nique, de la for­ma­tion profes­sionnelle et de l’emploi de la Répu­blique de Gui­née depuis octobre 2021. Ma pre­mière mis­sion dans le gou­ver­ne­ment auquel j’appartiens a été de recons­truire le sys­tème de l’enseignement tech­nique et de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle (ETFP) de la Gui­née. Ma res­pon­sa­bi­li­té dans le cadre des rela­tions inter­na­tio­nales a été essen­tiel­le­ment fon­dée sur le sui­vi des accords de coopé­ra­tion tech­nique ain­si que des accords de finan­ce­ments avec de nom­breux par­te­naires bi et multilatéraux.

Comment les États africains, y compris le Gabon et la Guinée, peuvent-ils collaborer pour résoudre les défis sécuritaires et les conflits qui affectent le continent ?

EO : L’Afrique, un conti­nent diver­si­fié, fait face à d’importants défis géo­po­li­tiques, notam­ment en matière de sécu­ri­té, avec des conflits internes et des menaces trans­na­tio­nales comme le ter­ro­risme et le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Cette situa­tion exige une col­la­bo­ra­tion accrue entre les États. La sécu­ri­té en Afrique dépend de poli­tiques de défense robustes et de déve­lop­pe­ment social et éco­no­mique. Les États afri­cains doivent pri­vi­lé­gier la réso­lu­tion paci­fique des conflits et encou­ra­ger la coopé­ra­tion régio­nale et inter­na­tio­nale. Inté­grer une approche anthro­po­lo­gique et eth­no­lo­gique peut appor­ter des solu­tions durables. Le déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social est éga­le­ment capi­tal pour la sta­bi­li­té à long terme. En résu­mé, l’Afrique se trouve à un car­re­four déci­sif, où la col­la­bo­ra­tion, l’indépendance poli­tique et l’adhésion aux valeurs afri­caines sont néces­saires pour sur­mon­ter les défis actuels et assu­rer un ave­nir pros­père et pacifique.

“La collaboration, l’indépendance politique et l’adhésion aux valeurs africaines.”

ABB : L’Afrique de façon géné­rale connaît de nou­velles menaces sécu­ri­taires et de nou­veaux défis dans son déve­lop­pe­ment. Le chô­mage et la pau­vre­té en sont les prin­ci­paux fac­teurs. La menace ter­ro­riste, les insta­bi­li­tés ins­ti­tu­tion­nelles sont géné­ra­le­ment les résul­tats de poli­tiques de sécu­ri­té et de défense mal pen­sées. L’Afrique dans son élan d’intégration a pri­vi­lé­gié les approches sous-régio­nales de pré­ven­tion et de règle­ment des conflits. Les ques­tions de défense et de sécu­ri­té pour­raient être repen­sées à tra­vers un pro­jet unique de défense afri­caine asso­cié à un bud­get de défense unique.

La coopé­ra­tion dans le ren­sei­gne­ment, voire une agence afri­caine de ren­sei­gne­ment et de coopé­ra­tion poli­cière à l’image d’Interpol et autres orga­ni­sa­tions inter­nationales, seraient des exemples pra­tiques de coopé­ra­tion entre pays afri­cains. La force afri­caine en attente (FAA) de l’Union afri­caine et la récente idée d’une force anti-putsch de la Cédéao sont des solu­tions qui n’ont pas pros­pé­ré, du fait qu’elles n’ont pas reçu une atten­tion par­ti­cu­lière de la part des par­te­naires tech­niques et finan­ciers de ces institutions.

Quel rôle jouent les acteurs étrangers en Afrique et quelles sont les opportunités et les défis qu’ils présentent pour les États africains ?

EO : L’Afrique, un conti­nent riche, est aujourd’hui à un car­re­four géo­po­li­tique cru­cial, influen­cé par les actions des acteurs inter­na­tio­naux. Cette inter­ac­tion com­plexe touche des domaines variés tels que le déve­lop­pe­ment éco­no­mique, l’exploitation des res­sources natu­relles et la sécu­ri­té, néces­si­tant une ana­lyse appro­fon­die pour com­prendre ses mul­tiples facettes. 

Le déve­lop­pe­ment des infra­struc­tures en Afrique, sti­mu­lé par des investis­sements étran­gers, pro­met une moder­ni­sa­tion et un pro­grès éco­no­mique rapides. Cepen­dant ces investis­sements pro­voquent des inquié­tudes concer­nant l’impact sur la sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique des États afri­cains et peuvent entraî­ner une dépen­dance poli­tique et économique. 

L’exploitation des res­sources natu­relles, sou­vent par des entre­prises étran­gères, pose le défi d’une ges­tion équi­table et durable, évi­tant les excès de l’utilisation des res­sources au détri­ment de l’environ­nement et des com­mu­nau­tés locales. 

La sécu­ri­té en Afrique attire l’intervention de nom­breux acteurs étran­gers, par­fois sous cou­vert de lutte contre le ter­ro­risme, ce qui peut créer une dépen­dance à l’aide mili­taire et sécu­ri­taire étran­gère, limi­tant le déve­lop­pe­ment des capa­ci­tés de défense africaines. 

La redé­fi­ni­tion des rela­tions diplo­ma­tiques et éco­no­miques avec les acteurs inter­nationaux est essen­tielle pour les États afri­cains. Une approche pan­afri­caine, favo­ri­sant l’intégration régio­nale et une posi­tion plus unie et indé­pen­dante, est néces­saire pour contrer les influences néo­co­lo­niales et assu­rer une repré­sen­ta­tion adé­quate des inté­rêts afri­cains. La pré­sence et l’impact des acteurs étran­gers en Afrique sont mar­qués par une dua­li­té : ils offrent des occa­sions de déve­lop­pe­ment éco­no­mique, tech­no­lo­gique et de ren­for­ce­ment des capa­ci­tés, mais pré­sentent éga­le­ment des risques de dépen­dance éco­no­mique, de perte de sou­ve­rai­ne­té et d’ingérence politique.

“Avec 30 % des réserves mondiales en pétrole, gaz et minéraux, l’Afrique présente un intérêt important et ancien pour les puissances mondiales.”

ABB : Avec 30 % des réserves mon­diales en pétrole, gaz et miné­raux, l’Afrique est un conti­nent en pleine expan­sion et pré­sente un inté­rêt impor­tant et ancien pour les puis­sances mon­diales. Cepen­dant, l’exploitation de ces res­sources ne pro­fite pas aux pays afri­cains et entraîne des effets per­vers sur les plans humain et environnemental.

Une meilleure pres­sion finan­cière sur la com­mu­nau­té des indus­tries extrac­tives, par exemple, pour­rait accé­lé­rer le déve­lop­pe­ment des pays dotés de richesses natu­relles. Les par­te­naires étran­gers peuvent y jouer un rôle impor­tant en adop­tant des mesures légales, régle­men­taires et fis­cales concou­rant à amé­lio­rer les reve­nus des pays partenaires.

De plus grands reve­nus tirés de l’exploitation des res­sources pour­raient per­mettre aux États d’être moins dépen­dants de l’aide et d’orienter les inves­tis­se­ments vers des sec­teurs por­teurs comme l’éducation, les infra­struc­tures et l’agriculture. Les acteurs étran­gers évo­luant en Afrique peuvent jouer un rôle impor­tant dans l’approche de trans­pa­rence et de meilleure ges­tion des res­sources issues de cette exploitation.

Comment les organisations régionales et internationales, telles l’UA, la CEEAC, la Cédéao et l’ONU, contribuent-elles à la promotion de la paix et de la sécurité en Afrique ?

EO : L’UA, en tant qu’organisation pan­afri­caine, est ins­pi­rée par la vision de Kwame Nkru­mah, pro­mou­vant l’unité afri­caine et la soli­da­ri­té entre les nations. La CEEAC (Com­mu­nau­té éco­no­mique des États de l’Afrique cen­trale) et la Cédéao, concen­trées sur leurs régions res­pec­tives, jouent un rôle signi­fi­ca­tif dans la média­tion et le main­tien de la paix, sur­tout en situa­tion de crise. Leur impli­ca­tion dans la faci­li­ta­tion du dia­logue entre par­ties en conflit reste miti­gée. L’ONU, à tra­vers ses mis­sions de main­tien de la paix et ini­tia­tives diplo­matiques, apporte une aide vitale à la sta­bi­li­sa­tion des régions en conflit et ren­force les ins­ti­tu­tions locales, tout en pro­mou­vant les droits de l’homme. Enfin, il faut amé­lio­rer l’autonomie, la coor­di­na­tion et la capa­ci­té de réponse de ces orga­ni­sa­tions régio­nales et inter­na­tio­nales, ren­for­cer la par­ti­ci­pa­tion et la gou­ver­nance au niveau local et inclure acti­ve­ment les com­mu­nau­tés eth­niques dans les efforts de paix.

ABB : Les orga­ni­sa­tions régio­nales afri­caines ont été créées pour assu­rer une cer­taine inté­gra­tion aux pays afri­cains, qui ont pris conscience de leurs fai­blesses dues à leurs tailles et aux tra­cés de fron­tière sans fon­de­ment, héri­tées de la colo­ni­sa­tion. Bien qu’il y ait plu­sieurs défis à rele­ver pour réa­li­ser une inté­gra­tion des peuples, les États afri­cains ont réus­si à mettre en place des ins­ti­tu­tions qui avec le temps ont joué un rôle impor­tant dans la réso­lu­tion des conflits émer­gents. En 1996, l’Organisation pan­afri­caine a ins­tal­lé à son siège d’Addis Abe­ba un centre de ges­tion des conflits, com­pre­nant une sec­tion d’alerte pré­coce qui a pour mis­sion de détec­ter les signes qui laissent pré­sa­ger l’éruption d’une crise dans une région afri­caine donnée.

“Les organisations sous-régionales comme la Cédéao, la Cemac, etc., ou régionales comme l’Union africaine jouent déjà des rôles politiques et opérationnels importants dans la prévention et la résolution des conflits.”

Les orga­ni­sa­tions sous-régio­nales comme la Cédéao, la Cemac (Com­mu­nau­té éco­no­mique et moné­taire de l’Afrique cen­trale), etc., ou régio­nales comme l’Union afri­caine jouent déjà des rôles poli­tiques et opé­ra­tion­nels impor­tants dans la pré­ven­tion et la réso­lu­tion des conflits. Ain­si, pour ce qui est de la Cédéao, un méca­nisme pré­voit un sys­tème d’alerte sous-régio­nal qui a pour fonc­tion d’analyser les fac­teurs pou­vant affec­ter la paix et la sécu­ri­té en Afrique de l’Ouest, en four­nis­sant des infor­ma­tions quo­ti­diennes. Et, pour faci­li­ter la col­lecte des infor­ma­tions, la région ouest-afri­caine a été divi­sée en quatre zones d’observation et de sui­vi, dont les quar­tiers géné­raux seront basés à Ban­jul (Gam­bie), Oua­ga­dou­gou (Bur­ki­na Faso), Mon­ro­via (Libé­ria) et Coto­nou (Bénin). Ces bureaux d’observation et de super­vi­sion doivent sou­mettre leurs rap­ports au centre d’observation et de sui­vi du Secré­ta­riat exé­cu­tif qui ana­ly­se­ra les infor­ma­tions collectées.

Dans le cadre de son mora­toire, la Cédéao envi­sage éga­le­ment de lut­ter effi­ca­ce­ment contre la pro­li­fé­ra­tion et le tra­fic illi­cite des armes légères. Dans le cadre de la mise en œuvre de ce mora­toire, il est pré­vu une har­mo­ni­sa­tion par les États membres de leurs légis­la­tions sur les armes. Chaque État membre doit éga­le­ment mettre en place une com­mis­sion de lutte contre la pro­li­fé­ra­tion et le tra­fic des armes légères. L’ONU quant à elle se déploie avec toutes ses agences pour accom­pa­gner les gou­ver­ne­ments dans dif­fé­rents sec­teurs. Ain­si, la Com­mis­sion de conso­li­da­tion de la paix déploie un méca­nisme de finan­ce­ment visant à éli­mi­ner les causes pro­fondes des conflits. Cepen­dant, ces orga­ni­sa­tions ont un point en com­mun : la bureau­cra­tie et leur manque d’agilité, sur­tout la rigi­di­té dans la prise en compte des réa­li­tés socio­culturelles des pays.

Wagons transportant du minerai de bauxite, Guinée.
Wagons trans­por­tant du mine­rai de bauxite, Gui­née. © Igor Gro­shev / Adobe Stock

Quels sont les principaux domaines de coopération bilatérale et multilatérale sur le continent africain, notamment entre le Gabon et la Guinée, et comment ces initiatives peuvent-elles renforcer la position de l’Afrique sur la scène internationale ?

EO : L’Afrique, un conti­nent en pleine trans­for­ma­tion, voit dans la coopé­ra­tion bila­té­rale et mul­ti­la­té­rale une voie vers une plus grande influence inter­na­tio­nale. Le Gabon et la Gui­née, exemples par­mi d’autres, illus­trent com­ment ces ini­tia­tives peuvent ren­for­cer la posi­tion afri­caine mon­diale en par­tant des deux plus grands gise­ments de fer connus sur le conti­nent. Le Gabon (riche en pétrole et miné­raux) et la Gui­née (notable pour sa pro­duc­tion de bauxite et d’autres miné­raux) jus­ti­fie­raient la mise en place d’une diplo­ma­tie minière visant à exer­cer une influence sur le cours de ces matières premières.

La sécu­ri­té régio­nale est un autre domaine clé. La col­la­bo­ra­tion dans la lutte contre le ter­ro­risme, la pira­te­rie et les conflits internes ren­force la sta­bi­li­té et montre une capa­ci­té afri­caine à pilo­ter ses propres affaires sécu­ri­taires. En matière d’environnement, la coopé­ra­tion pour la ges­tion durable des res­sources natu­relles est essen­tielle. À titre d’exemple le Gabon a déve­lop­pé le concept de « minier res­pon­sable » et pour­rait par­ta­ger ses bonnes pra­tiques avec la Gui­née tout en s’imprégnant de celles de ce pays frère.

“Le Gabon a développé le concept de « minier responsable ».”

Au Gabon, une approche holis­tique et res­pon­sable de l’exploitation minière a été mise en place, gui­dée par un cadre régle­men­taire rigou­reux et axée sur le déve­lop­pe­ment durable. Le code minier sti­pule clai­re­ment la néces­si­té d’obtenir un qui­tus envi­ron­ne­men­tal, conforme aux dis­po­si­tions du code rela­tif à la pro­tec­tion de l’environnement, avant de pro­cé­der à toute acti­vi­té d’exploitation minière. En outre, un décret sur la res­pon­sa­bi­li­té sociale des entre­prises (RSE) spé­ci­fique au sec­teur minier a été adop­té. Ce décret est appuyé par une note d’orientation qui fixe six axes prio­ri­taires : l’autonomisation des femmes et des jeunes, l’éducation, la san­té, l’accès à l’eau et à l’électricité, ain­si que les infra­struc­tures. Le décret sur la bri­gade minière garan­tit quant à lui que les acti­vi­tés minières sont conduites de manière éthique et éco­lo­gi­que­ment responsable. 

Ces mesures régle­men­taires ont été ren­for­cées par des cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion des­ti­nées aux par­ties pre­nantes : les élus locaux et natio­naux, les popu­la­tions impac­tées, les entre­prises minières, ain­si que les ONG et asso­cia­tions. Ces cam­pagnes visaient à pro­mou­voir une culture de la bonne conduite et de la res­pon­sa­bi­li­té par­ta­gée, ce que j’ai appe­lé « le minier res­pon­sable ». Par ailleurs, une col­la­bo­ra­tion étroite entre les dif­fé­rents dépar­te­ments minis­té­riels concer­nés a favo­ri­sé une syner­gie garan­tis­sant un ali­gne­ment des poli­tiques sec­to­rielles et une opti­mi­sa­tion de l’exploitation de nos res­sources aus­si bien fores­tières que minières.

“Propulser l’Afrique vers l’avant-garde de la techno­logie mondiale, brisant ainsi les stéréotypes et changeant la perception du continent.”

Le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique et l’innovation sont éga­le­ment déci­sifs. La col­la­bo­ra­tion dans ces domaines peut pro­pul­ser l’Afrique vers l’avant-garde de la techno­logie mon­diale, bri­sant ain­si les sté­réo­types et chan­geant la per­cep­tion du conti­nent. En résu­mé, la coopé­ra­tion bila­té­rale et mul­ti­la­té­rale accrue entre les nations afri­caines peut conduire à de plus grandes auto­no­mie et rési­lience éco­no­mique, sociale et politique.

Usine de gaz de pétrole liquéfié (GPL) à Batanga, Gabon.
Usine de gaz de pétrole liqué­fié (GPL) à Batan­ga, Gabon. © Perenco

ABB : Il existe une longue tra­di­tion de coopé­ra­tion entre la Gui­née et le Gabon. Plu­sieurs Gui­néens ont fait car­rière dans l’administration gabo­naise. C’est le fait de la volon­té des deux pre­miers chefs d’État des deux pays au cours des pre­miers temps des indé­pen­dances. Le Gabon et la Gui­née ont, à eux deux, plus du tiers des réserves mon­diales exploi­tables de fer dans le monde. À l’image des orga­ni­sa­tions qui se sont construites autour de res­sources spé­ci­fiques, le Gabon et la Gui­née devraient lan­cer une ini­tia­tive afri­caine autour du fer pour défendre un prix juste, équi­table du mine­rai exploi­té dans chaque pays. Dans le domaine de l’éducation, les pro­grammes d’échange peuvent être for­ma­li­sés ; un fonds com­mun pour la for­ma­tion et la qua­li­fi­ca­tion des pro­fes­sion­nels dans des domaines spé­ci­fiques aux deux pays pour­rait être créé.

Quelles sont les tendances géopolitiques émergentes en Afrique et comment les États africains, y compris le Gabon et la Guinée, se préparent-ils à relever les défis futurs dans un contexte de grande incertitude et d’évolution rapide ?

EO : Dans un contexte d’intensification des inves­tissements étran­gers, l’Afrique est à un car­re­four éco­no­mique. Ces flux finan­ciers ciblent prin­ci­pa­le­ment les infra­struc­tures et les res­sources natu­relles, por­teurs d’opportunités mais aus­si de risques de dépen­dance éco­no­mique. La Zone de libre-échange conti­nen­tale afri­caine (ZLE­CAf) incarne un mou­ve­ment vers une inté­gra­tion éco­no­mique accrue, visant à sti­mu­ler le com­merce intra-afri­cain et à réduire la dépen­dance aux mar­chés exté­rieurs. Cette ini­tia­tive est aus­si un levier pour la sta­bi­li­té poli­tique régionale.

L’éducation, la tech­no­lo­gie, le déve­lop­pe­ment durable, l’innovation et la sécu­ri­té sont des vec­teurs essen­tiels pour une crois­sance inclu­sive et res­pec­tueuse de l’environnement. L’accent mis sur une main‑d’œuvre qua­li­fiée et l’inté­gration de tech­no­lo­gies avan­cées sont cru­ciaux pour le déve­lop­pe­ment éco­no­mique du conti­nent. Enfin, la conso­li­da­tion de la gou­ver­nance démo­cra­tique est une condi­tion majeure pour assu­rer la sta­bi­li­té poli­tique et le déve­lop­pe­ment éco­no­mique, tout en adap­tant les formes de démo­cra­tie aux contextes locaux.

Étudiantes du secondaire au laboratoire informatique, Onitsha, Nigeria.
Étu­diantes du secon­daire au labo­ra­toire infor­ma­tique, Onit­sha, Nige­ria. © GOALLORD-CREATIVITY / Shutterstock

ABB : L’Afrique des pro­chaines années va connaître plu­sieurs défis. Le plus impor­tant est celui de sa démo­gra­phie, avec 1,4 mil­liard d’habitants. Le nombre de ses jeunes va décu­pler et, sur­tout, le nombre de ses jeunes urbains va être mul­ti­plié par vingt. Les ques­tions du chô­mage, des com­pé­tences et de la crois­sance pour gérer cette masse vont être au centre des enjeux.

“L’Afrique des prochaines années va connaître plusieurs défis. Le plus important est celui de sa démographie, avec 1,4 milliard d’habitants.”

Un second défi est sécu­ri­taire et de défense. La mon­tée en puis­sance des forces ter­ro­ristes et les insta­bi­li­tés démo­cra­tiques obser­vées dans plu­sieurs pays d’Afrique nous poussent à poser les vraies ques­tions. Si « l’épidémie » des coups d’État semble se cal­mer, il est impor­tant de pré­ci­ser que leurs causes demeurent encore enra­ci­nées dans les pra­tiques de gou­ver­nance en Afrique. La menace sécu­ri­taire entraîne d’une part un fort inves­tis­se­ment dans l’acquisition d’arsenal mili­taire, sou­vent au détri­ment de lignes budgé­taires des­ti­nées aux sec­teurs sociaux ou éco­no­miques, et d’autre part un recours aux milices Wag­ner et à la coopé­ra­tion mili­taire de pays occi­den­taux, en échange de contrats sou­vent « juteux » pour ces dernières. 

La course aux matières pre­mières trans­forme l’Afrique en théâtre d’affrontements stra­té­giques et éco­no­miques durables impli­quant, au-delà des puis­sances occi­den­tales, le Bré­sil, l’Inde et la Tur­quie. Depuis le début des échanges com­mer­ciaux dans le cadre de la ZLE­CAf, et bien aupa­ra­vant d’ailleurs, on s’est ren­du compte de l’impact d’un mar­ché com­mun afri­cain sur la posi­tion de l’Afrique dans le com­merce inter­na­tio­nal. Si de nom­breuses cri­tiques pointent du doigt les inéga­li­tés qui pour­ront en décou­ler, il est évident que la pleine réa­li­sa­tion de la ZLE­CAf pro­pul­se­ra l’Afrique par­mi les conti­nents qui comptent davan­tage dans les échanges mondiaux.


Lire aus­si : La dif­fi­cile inté­gra­tion régio­nale des États africains


Adolescents se rendant au lycée à Conakry, Guinée.
Ado­les­cents se ren­dant au lycée à Cona­kry, Gui­née. © schusterbauer.com / Shutterstock

Pour terminer, quel message majeur aimeriez-vous transmettre à la communauté internationale et à celle des polytechniciens, en ce qui concerne l’avenir de l’Afrique et son rôle dans les affaires mondiales ?

EO : L’Afrique, acteur émergent en géo­po­li­tique, fait face à des chances et des défis uniques. Déter­mi­nante pour la scène mon­diale, elle demande une recon­nais­sance de son auto­no­mie et de ses aspi­ra­tions propres. Les par­te­na­riats inter­na­tio­naux doivent évo­luer vers plus d’équité et de res­pect mutuel, recon­nais­sant la diver­si­té cultu­relle et son uni­té phi­lo­so­phique. Pour les ins­ti­tu­tions d’enseignement supé­rieur, comme l’École poly­tech­nique, l’accent sur l’innovation et la tech­no­lo­gie est essen­tiel pour sou­te­nir le déve­lop­pe­ment afri­cain. Les poly­tech­ni­ciens jouent un rôle clé dans le trans­fert de connais­sances et l’innovation, favo­ri­sant ain­si le déve­lop­pe­ment durable de l’Afrique. L’Afrique ne doit plus être consi­dé­rée comme un récep­tacle du sou­tien inter­na­tio­nal, mais comme un réser­voir inépui­sable de contri­bu­tions au monde, trans­cen­dant lar­ge­ment les richesses de son sol et de son sous-sol.

“Africa must unite !”
Kwame Nkrumah ancien président du Ghana

ABB : L’Afrique a, bien avant l’arrivée du monde moderne, nour­ri la crois­sance des autres conti­nents, par l’exploitation exces­sive de ses res­sources et la mise en place de méca­nismes d’échanges inégaux à l’échelle internationale.

Aucun pays afri­cain, aucun ensemble sous-régio­nal du conti­nent ne peut, seul, rele­ver le défi de la construc­tion de nou­velles rela­tions éco­no­miques inter­na­tio­nales plus équi­li­brées et plus équi­tables, plus dura­ble­ment pro­fi­tables pour les Afri­cains comme pour leurs par­te­naires. Nous ne ces­sons de le répé­ter depuis Nkru­mah : « Afri­ca must unite ! » Il faut recon­naître que nous en sommes encore très loin : pour y arri­ver, il nous faut être moins dépen­dants dans la for­mu­la­tion de nos poli­tiques éco­no­miques, moné­taires, sécu­ri­taires, mili­taires, scien­ti­fiques, édu­ca­tives, etc., et plus soli­daires pour ras­sem­bler nos forces éparses.

Avec les atouts liés à sa jeune démo­gra­phie et son éco­no­mie crois­sante, l’Afrique est plus que jamais ouverte à une coopé­ra­tion gagnant-gagnant avec le reste du monde. La com­mu­nau­té des poly­tech­ni­ciens devrait de plus en plus s’intéresser aux voies et moyens d’établir des formes équi­tables de par­te­na­riat avec les Afri­cains. 

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SACKO Tiran­ké Ibra­hi­ma Kalilrépondre
4 avril 2024 à 21 h 49 min

Après lec­ture de ces dif­fé­rentes ana­lyses, je trouve qu’elles sont ins­pi­rantes et pour­raient per­mettre à nos diri­geants de mieux se frayer un bon départ à tra­vers la mise en œuvre des axes de coopération.

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