Un marché au Tchad. La présence de groupes ethniques en position transfrontalière génère parfois de l'instabilité.

Géographie physique, groupes ethniques et démographie africaine

Dossier : Géopolitique de l'AfriqueMagazine N°794 Avril 2024
Par Moez AJMI (X99)

Abor­der l’Afrique d’un point de vue des fron­tières entre les États indé­pen­dants (au nombre de 54 aujourd’hui) est très réduc­teur de la richesse qu’offre le conti­nent en matière de diver­si­té cultu­relle et eth­nique. Ces fron­tières issues de la colo­ni­sa­tion ne tra­duisent aucune réa­li­té his­to­rique et sont par­fois com­plè­te­ment igno­rées par des groupes eth­niques vivant de part et d’autre de cer­taines fron­tières. Il faut revoir les idées toutes faites en la matière pour construire des par­te­na­riats efficaces.

En octobre 2007, ce fut mon pre­mier dépla­ce­ment en Afrique sub­sa­ha­rienne, à Libre­ville au Gabon. Bien que je sois ori­gi­naire d’Afrique du Nord, ce dépla­cement marque le début de mon his­toire avec le conti­nent afri­cain où je passe aujourd’hui, depuis de nom­breuses années, la moi­tié de mon temps en par­cou­rant plu­sieurs pays afri­cains dans le cadre de mon tra­vail de conseil auprès d’investisseurs pri­vés et de socié­tés natio­nales opé­rant dans les indus­tries extrac­tives sur le conti­nent afri­cain. À tra­vers cet article, j’essayerai d’apporter une lec­ture des inter­ac­tions entre la géo­gra­phie phy­sique, les groupes eth­niques et la démo­gra­phie afri­caine. En com­men­çant par déter­mi­ner ce qui carac­té­rise le conti­nent afri­cain sur cha­cun de ces trois thèmes.

La géographie physique

La géo­gra­phie du conti­nent est mas­sive. Son cœur est un pla­teau rocheux sur­éle­vé for­mé il y a entre 3 500 et 500 mil­lions d’années, riche en miné­raux mais aux sols pauvres. Les zones les plus éle­vées sont situées sur les côtés, confé­rant au conti­nent un carac­tère « fer­mé ». Des vastes bas­sins hydro­gra­phiques carac­té­risent l’intérieur du conti­nent, qui vont jouer un rôle cata­ly­seur dans les ren­contres des popu­la­tions afri­caines. La carte cli­ma­tique et la répar­ti­tion de la végé­ta­tion et de cer­taines matières pre­mières (notam­ment le fer et l’or) ont éga­le­ment favo­ri­sé le mou­ve­ment des popu­la­tions. L’élevage et l’agriculture ajou­tés à la chasse et à la cueillette ont contri­bué au fort accrois­se­ment des populations.

Les groupes ethniques

Le conti­nent afri­cain compte un nombre éle­vé de groupes eth­niques, cer­tains le chiffrent à plus de 2 500 groupes, entraî­nant ain­si une diver­si­té lin­guis­tique et de pra­tiques cultu­relles. Les mul­tiples crises qu’a connues le conti­nent ont contri­bué au pay­sage socio­cul­tu­rel et poli­tique afri­cain. Là aus­si, la créa­tion des États afri­cains n’a pas réus­si à fon­der la notion d’un bien com­mun des peuples, pro­vo­quant ain­si un refuge dans les groupes eth­niques d’origine ou dans le tri­ba­lisme, uti­li­sé sou­vent par les poli­ti­ciens en périodes élec­to­rales en Afrique. Le défi du conti­nent était et est de savoir vivre les conflits eth­niques et d’interagir les uns avec les autres en dépas­sant ses différences.

“Plus de 2 500 groupes ethniques.”

La démographie africaine

Selon les pré­vi­sions de l’ONU, les pays afri­cains devraient contri­buer à plus de la moi­tié de l’augmentation pré­vue de la popu­la­tion mon­diale en 2050. Et en 2100 plus du tiers de l’humanité sera afri­caine, selon l’Ined. Ce boom démo­gra­phique consti­tue­ra-t-il un han­di­cap ou une force pour le conti­nent ? Plu­sieurs lec­tures existent quant à la réponse à cette ques­tion ; ce boom pour­rait accé­lé­rer la crois­sance éco­no­mique de l’Afrique mais sans enca­dre­ment, autre­ment dit sans la créa­tion de condi­tions de réa­li­sa­tion (édu­ca­tion, san­té, infra­struc­tures, etc.), ce boom pour­rait se trans­for­mer en un handicap.

Aujourd’hui, les pays afri­cains importent plus qu’ils n’exportent, les tra­vailleurs afri­cains ne contri­buent pas ain­si suf­fi­sam­ment à la richesse du conti­nent, ce phé­no­mène engendre des inéga­li­tés impor­tantes dans la popu­la­tion afri­caine, favo­rables à la vio­lence et au ter­ro­risme. Une aug­men­ta­tion de la popu­la­tion, sans enca­dre­ment, ne fera qu’accentuer ces phé­no­mènes. À noter que les don­nées démo­gra­phiques en Afrique consti­tuent des esti­ma­tions non pré­cises et fai­sant par­fois l’objet de révi­sions non négli­geables ; le Nige­ria a connu par exemple des fluc­tua­tions impor­tantes d’un recense­ment de popu­la­tion à l’autre.

Comment la géographie physique influence la démographie africaine ?

La géo­gra­phie, notam­ment la carte cli­ma­tique du conti­nent, explique en grande par­tie les mou­ve­ments migra­toires et les varia­tions démo­gra­phiques afri­caines. Cette influence sur la popu­la­tion pour­rait se maté­ria­li­ser sous trois formes : le com­por­te­ment bio­lo­gique de l’homme, ses apti­tudes à satis­faire ses besoins ali­men­taires et les condi­tions d’exploitation agri­coles et com­mer­ciales. Les phases de pluies consti­tuent en géné­ral des phases d’accroissement démo­gra­phique et les phases de séche­resse des sources d’agressions de toutes sortes ; l’assèchement du Saha­ra a entraî­né la migra­tion des popu­la­tions de langues nilo-saha­riennes vers le nord ou vers le sud ; le recul des pré­ci­pi­ta­tions et la dis­pa­ri­tion de la forêt équa­to­riale ont conduit les groupes de locu­teurs de langues ban­toues à pro­gres­ser vers le sud et le sud-est, jusqu’en Afrique australe.

Enfants transportant des bidons d’eau en Ouganda.
Enfants trans­por­tant des bidons d’eau en Ougan­da. © Dennis

Une densité de population très inégale

La den­si­té de popu­la­tion afri­caine est faible, de 30 habi­tants par km², et la répar­ti­tion est inégale sur le conti­nent entre l’intérieur d’une part et les grandes val­lées, les lit­to­raux et les hautes terres, du fait des contraintes natu­relles. Le Saha­ra et le Kala­ha­ri comptent moins d’un habi­tant par km², alors que la den­si­té au Burun­di est de 500 habi­tants au km² et celle du Nil de plus de 1 500 habi­tants au km².

Les foyers les plus peu­plés du conti­nent afri­cain sont au nombre de six : le foyer de l’Afrique du Nord, le foyer du golfe de Gui­née, le foyer de la val­lée du Nil, le foyer de la mon­tagne éthio­pienne, le foyer de l’Afrique des Grands Lacs et le foyer de l’Afrique aus­trale. Les mou­ve­ments de popu­la­tion et les échanges furent aus­si encou­ra­gés par la complé­mentarité de cer­taines régions, comme le sel qui n’est pro­duit que dans cer­taines zones bien déli­mi­tées (aires déser­tiques du Saha­ra ou du Kala­ha­ri) ou encore comme le fer uti­li­sé dans la fabri­ca­tion de la daba et se trou­vant au Magh­reb, dans le Niger orien­tal et sur le pla­teau du Nige­ria central.

Un défi pour la transition urbaine

Cette démo­gra­phie afri­caine consti­tue­ra un défi pour la tran­si­tion urbaine et sa poli­tique locale corres­pondante ; ges­tion et amé­na­ge­ment urbains, inté­gra­tion des échelles locales et régio­nales pour tenir compte des réa­li­tés afri­caines, aspects environ­nementaux, etc. La crois­sance urbaine afri­caine, expli­quée à moi­tié par l’exode rural et à moi­tié par la crois­sance de la popu­la­tion urbaine elle-même, consti­tue aujourd’hui une chance écono­mique, mais mal valo­ri­sée par les pou­voirs publics. Les villes afri­caines consti­tue­ront demain la future géo­gra­phie phy­sique qui ani­me­ra le conti­nent ; des villes bien pla­ni­fiées et bien gérées, à l’heure du déve­lop­pe­ment des smart cities, peuvent contri­buer au déve­lop­pe­ment éco­no­mique de l’Afrique tout en gar­dant une empreinte cultu­relle locale.

Comment les groupes ethniques influencent la démographie africaine ?

La dif­fé­ren­cia­tion entre com­mu­nau­tés se fait en fonc­tion de l’ethnie en Afrique, moti­vée par­fois par une volon­té poli­tique de dis­cri­mi­na­tion posi­tive. De nom­breux recen­se­ments de popu­la­tion com­portent une variable de col­lecte rela­tive à l’ethnie, comme celui au Bur­ki­na Faso, même si cette variable a aujourd’hui été rem­pla­cée par la langue par­lée. Plu­sieurs socio­logues afri­cains estiment d’ailleurs que l’ethnie est un faux concept, comme celui de l’identité natio­nale, et retiennent les cri­tères lin­guis­tiques pour dif­fé­ren­cier les com­mu­nau­tés ; trois quarts des langues afri­caines appar­tiennent à la famille des langues ban­toues, une grande famille des langues nigé­ro-congo­laises, dont les noyaux pri­mi­tifs se trou­vaient sur les pla­teaux nigé­rians qui se sont dis­per­sés pro­gres­si­ve­ment vers l’Afrique occi­den­tale et l’Afrique aus­trale en appor­tant la métal­lur­gie du fer. Il s’agissait de la pre­mière colo­ni­sa­tion interne du continent.

L’ethnie, source de conflits ?

Pour sim­pli­fier, nous pou­vons divi­ser les peuples d’Afrique en deux groupes : d’une part les Ara­bo-Ber­bères habi­tant l’Afrique du Nord, ce sont des métis de Noirs d’Afrique et de Blancs, Sémites et Indo-Euro­péens, et les Négro-Afri­cains d’autre part.

Le nombre éle­vé de groupes eth­niques en Afrique, voire à l’intérieur d’un seul État afri­cain (plus de 250 groupes eth­niques recen­sés dans la seule Répu­blique démo­cra­tique du Congo), peut consti­tuer un obs­tacle au déve­lop­pe­ment d’une uni­té natio­nale, et par­fois un élé­ment d’instabilité pour des groupes eth­niques en posi­tion trans­fron­ta­lière, à l’exemple de l’ethnie Zagha­wa trans­fron­ta­lière entre le Tchad et le Sou­dan. En réa­li­té, c’est l’utilisation poli­tique de l’ethnicité (« poli­ti­sa­tion de l’ethnicité »), pour mobi­li­ser des par­ti­sans dans une conquête du pou­voir, qui serait la source de conflits. Le Rwan­da en est l’illustration lors du géno­cide des Tut­sis par les Hutus en 1994. On réduit sou­vent à tort tout conflit en Afrique à un pur conflit ethnique !

Faire converger ethnie et État ?

La crois­sance rapide de popu­la­tion en Afrique sti­mule les reven­di­ca­tions autoch­tones pour repré­sen­ter les cir­cons­crip­tions, qui peuvent dégé­né­rer en dis­cri­mi­na­tion et en net­toyage eth­nique, ali­men­tées par la pres­sion sur les res­sources et les terres. La crise éco­no­mique en Côte d’Ivoire des années 1990 a pré­ci­pi­té la guerre civile sur les terres entre les popu­la­tions de la cein­ture fores­tière pro­duc­trice de cacao et les immi­grants de la savane septentrionale. 

Plu­sieurs outils existent aujourd’hui, accé­lé­rés par les pro­ces­sus démo­cra­tiques, pour faire conver­ger eth­nie et État, ou com­ment éta­blir un envi­ron­ne­ment har­mo­nieux, d’intégration sans exclu­sion, de par­te­na­riats éco­no­miques et de par­tage de valeurs com­munes. On pour­ra citer par exemple la com­mis­sion pour les droits de l’homme et la jus­tice admi­nis­tra­tive au Gha­na, visant à atté­nuer les conflits eth­niques, ou encore la décen­tra­li­sa­tion du pou­voir au Kenya qui, après les vio­lences des élec­tions de 2007, a adop­té une Consti­tu­tion don­nant à ses gou­ver­neurs une grande autonomie.

Écolière lisant à son bureau en Afrique du Sud.
Éco­lière lisant à son bureau en Afrique du Sud. © Mon­key Business

Un nouveau paradigme

Appré­hen­der l’Afrique n’est pas facile et néces­site la prise en compte de ces inter­ac­tions entre la géo­gra­phie phy­sique, les groupes eth­niques et la démo­gra­phie afri­caine, sur un plan que ce soit poli­tique, diplo­ma­tique ou éco­no­mique. À l’aube de la ruée vers le conti­nent et ses res­sources fos­siles et minières, accen­tuée par la tran­si­tion éner­gé­tique (il suf­fit de voir le nombre de som­mets Afrique orga­ni­sés par tel ou tel pays pour se rendre compte de l’importance qu’occupe aujourd’hui le conti­nent), il convien­drait de pro­cé­der à des inno­va­tions sur les par­te­na­riats avec les pays afri­cains, pour inté­grer de nou­veaux para­mètres dis­cri­mi­nants jusqu’à pré­sent igno­rés : favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment éco­no­mique local, pré­ser­ver la diver­si­té cultu­relle et eth­nique, for­mer la jeu­nesse afri­caine, accom­pa­gner la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique, pro­mou­voir les droits humains et enfin res­pec­ter l’Homme africain.

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