ingénierie au service de la décarbonation

Décarbonation et croissance verte, l’ingénierie répond présent

Dossier : L'Industrie de la connaissanceMagazine N°775 Mai 2022
Par Michel KAHAN (86)

Enjeu majeur de notre actua­li­té, l’accélération de la tran­si­tion éco­lo­gique néces­site la mobi­li­sa­tion concer­tée de tous les acteurs de la socié­té. Les métiers de l’industrie de la connais­sance s’engagent pour appor­ter leur contri­bu­tion à ce jeu col­lec­tif. C’est le cas en par­ti­cu­lier de l’ingénierie, dont le rôle est cru­cial dans la décar­bo­na­tion, car elle inter­vient dès la concep­tion des projets.

Publié en février 2022, le der­nier rap­port d’évaluation du groupe d’experts inter­gou­ver­ne­men­tal sur le cli­mat (GIEC) est par­ti­cu­liè­re­ment alar­mant. Il montre que, au rythme actuel, le réchauf­fe­ment de la tem­pé­ra­ture mon­diale pour­rait atteindre 2,7 °C à la fin du XXIe siècle, avec des consé­quences désas­treuses pour la pla­nète et l’humanité. Pour pré­ser­ver l’avenir des géné­ra­tions futures, nous savions déjà que nous devions revoir notre modèle de déve­lop­pe­ment, fon­dé sur l’utilisation crois­sante de res­sources consi­dé­rées comme infi­nies et sur les éner­gies fos­siles. Aujourd’hui, il nous faut enga­ger des actions fortes et immé­diates autour d’un objec­tif com­mun : la réduc­tion dras­tique des émis­sions de CO2.

Une stratégie nationale bas carbone

En matière de décar­bo­na­tion, la France a déjà une feuille de route : la stra­té­gie natio­nale bas car­bone (SNBC), intro­duite par la loi rela­tive à la tran­si­tion éner­gé­tique pour la crois­sance verte de 2015. Elle défi­nit une tra­jec­toire de réduc­tion des émis­sions afin de per­mettre à notre pays d’atteindre la neu­tra­li­té car­bone à l’horizon 2050, fixant la baisse à – 33 % entre 2015 et 2030 et à – 81 % entre 2015 et 2050. Elle donne éga­le­ment de grandes orien­ta­tions pour mettre en œuvre la tran­si­tion éner­gé­tique. Manque encore, tou­te­fois, la décli­nai­son concrète de ces orien­ta­tions. D’où l’intérêt du Plan de trans­for­ma­tion de l’économie fran­çaise, une ini­tia­tive du Shift Pro­ject née au prin­temps 2020, dans le sillage de la crise sani­taire et des réflexions enga­gées autour du « monde d’après ».

Avec ce plan, The Shift Pro­ject veut convaincre un maxi­mum de déci­deurs de pla­ni­fier la tran­si­tion éco­lo­gique, en pro­po­sant des solu­tions prag­ma­tiques pour décar­bo­ner l’économie fran­çaise. Il me semble que c’est pré­ci­sé­ment le prag­ma­tisme qui devrait nous inci­ter à pri­vi­lé­gier une « troi­sième voie » entre la décrois­sance prô­née par cer­tains et la convic­tion ancrée chez d’autres que la tech­no­lo­gie nous sau­ve­ra. Une voie qui, loin de les oppo­ser, emprunte à ces deux visions : celle de la sobrié­té appuyée par la technologie.


REPÈRES

Think tank œuvrant en faveur d’une éco­no­mie libé­rée de la contrainte car­bone, The Shift Pro­ject a publié en jan­vier 2022 Cli­mat, crises : le plan
de trans­for­ma­tion de l’économie fran­çaise
. Fruit de deux ans de tra­vail asso­ciant une cen­taine de contri­bu­teurs, ce vaste pro­gramme opé­ra­tion­nel vise à emme­ner la France vers la neu­tra­li­té car­bone. Il balaye une quin­zaine de sec­teurs (mobi­li­té, loge­ment, usages numé­riques, san­té, culture, admi­nis­tra­tion publique, défense, ensei­gne­ment supé­rieur et recherche ; agri­cul­ture et ali­men­ta­tion, forêt et bois, éner­gie, fret, indus­trie lourde, indus­trie auto­mo­bile) et inclut aus­si des chan­tiers trans­ver­saux comme l’emploi et la finance. 


Décarboner, une démarche collective

Les entre­prises, qui apportent des solu­tions en inves­tis­sant et en inno­vant, sont en pre­mière ligne de la tran­si­tion éco­lo­gique. Mais, sur un sujet d’intérêt géné­ral comme celui-là, rien ne peut se faire sans les déci­deurs poli­tiques. Ce sont eux qui fixent le cap, donnent l’impulsion et coor­donnent les actions menées à tous les éche­lons ter­ri­to­riaux. L’appui de la socié­té civile est éga­le­ment essen­tiel. Pour être accep­tées, les déci­sions prises par les poli­tiques comme les solu­tions pro­po­sées par les entre­prises doivent reflé­ter les choix des citoyens-consom­ma­teurs. On le constate sur les ques­tions énergétiques.

“La voie de la sobriété appuyée par la technologie.”

À titre d’exemple, mal­gré un volon­ta­risme affi­ché, la France a des dif­fi­cul­tés à mettre en place des parcs éoliens off­shore, dont le prin­cipe est très dis­cu­té en rai­son notam­ment de ten­sions autour des usages de la mer. A contra­rio, on assiste depuis deux ans à un véri­table retour­ne­ment sur le nucléaire. Pour­tant, les enjeux de sûre­té et de ges­tion des déchets demeurent. Mais, face aux menaces que le chan­ge­ment cli­ma­tique fait peser sur les popu­la­tions, ils ne sont plus per­çus de la même manière. Cela ouvre de nou­velles pers­pec­tives. Pour­quoi ne pas uti­li­ser l’énergie nucléaire la nuit pour rechar­ger les bat­te­ries des véhi­cules élec­triques, par exemple, ou pour déve­lop­per la pro­duc­tion d’hydrogène décarboné ?

L’industrie de la connaissance, actrice de l’économie décarbonée

Jeu col­lec­tif, l’économie décar­bo­née ne peut s’épanouir que dans un éco­sys­tème glo­bal où cha­cune des par­ties pre­nantes est à l’écoute des autres et où toutes tra­vaillent ensemble en déve­lop­pant les syner­gies. L’industrie de la connais­sance se met en ordre de marche pour appor­ter sa contri­bu­tion à l’effort com­mun. Tous nos métiers sont mobi­li­sés et tous ont un rôle à jouer dans la décar­bo­na­tion. L’ingénierie encore plus que les autres, peut-être, parce qu’elle inter­vient dès la phase de concep­tion des pro­jets. Elle a donc un impact poten­tiel déter­mi­nant sur l’empreinte car­bone finale des bâti­ments, des équi­pe­ments, des pro­cé­dés indus­triels et des infra­struc­tures d’eau, de trans­port, d’énergie et de trai­te­ment des déchets.

En outre, son exper­tise tech­nique, sa capa­ci­té à ima­gi­ner des réponses nou­velles à des pro­blé­ma­tiques com­plexes, à appor­ter ana­lyses et conseils aux déci­deurs publics et pri­vés, lui confèrent une place émi­nente dans le choix et la mise en œuvre de solu­tions répon­dant à l’objectif cli­ma­tique. C’est le levier ver­tueux de l’ingénierie, bien au-delà de l’impact de ses acti­vi­tés en propre (études, consom­mables, dépla­ce­ments) pour les­quelles elle doit bien sûr éga­le­ment pro­gres­ser, comme toute acti­vi­té de services.

L’ingénierie au service de la construction durable… 

Conscients de leurs res­pon­sa­bi­li­tés, les ingé­nieurs s’engagent pour la décar­bo­na­tion dans tous les sec­teurs d’activité. Les évo­lu­tions consta­tées dans le domaine de la construc­tion, res­pon­sable de 23 % des émis­sions de gaz à effet de serre (GES) annuelles en France, en témoignent. La construc­tion bas car­bone se déve­loppe dans notre pays, avec dès la concep­tion des pro­jets cette ques­tion ini­tiale : faut-il construire du neuf ou réno­ver l’existant ?

Actuel­le­ment, dans le ter­tiaire, on pri­vi­lé­gie plu­tôt la réno­va­tion. Et, quand on décide de construire du neuf, c’est de plus en plus avec des maté­riaux bio­sour­cés ou renou­ve­lables, issus si pos­sible d’un appro­vi­sion­ne­ment local. On voit se mul­ti­plier les struc­tures en bois ou mixtes, par exemple, et de nou­veaux maté­riaux font leur appa­ri­tion, comme les bétons bas carbone.

La construc­tion durable, c’est éga­le­ment l’attention por­tée à l’efficacité éner­gé­tique des bâti­ments. J’évoquais plus haut la sobrié­té appuyée par la tech­no­lo­gie. Nous en avons une illus­tra­tion ici, puisque l’exploitation de la data est l’un des leviers pour accroître cette effi­ca­ci­té éner­gé­tique. En col­lec­tant, cen­tra­li­sant et ana­ly­sant les don­nées, il est pos­sible d’identifier les gise­ments d’économies puis d’adapter la ges­tion des consom­ma­tions pour ren­for­cer la performance.

Les ten­dances durables obser­vées dans l’habitat et le ter­tiaire se retrouvent dans la construc­tion d’infrastructures. Pour le contour­ne­ment Nîmes-Mont­pel­lier, nous avons ain­si réa­li­sé des ouvrages tests avec du béton recy­clé. Et, pour la liai­son fer­ro­viaire Lyon-Turin, les maté­riaux extraits du per­ce­ment seront réuti­li­sés sur place pour fabri­quer le pare­ment en béton des tun­nels, dans une logique d’économie circulaire.


Le saviez-vous ?

Syn­tec-Ingé­nie­rie a éla­bo­ré en 2019 une Charte de l’ingénierie pour le cli­mat. Les signa­taires prennent un double enga­ge­ment. D’une part, être force de pro­po­si­tion dans les mis­sions et les pro­jets qu’ils réa­lisent pour en réduire l’empreinte car­bone. D’autre part, adop­ter dura­ble­ment des pra­tiques internes sobres en car­bone et dimi­nuer leurs propres émis­sions de gaz à effet de serre. Comme soixante-dix diri­geants de socié­tés adhé­rentes de Syn­tec-Ingé­nie­rie, j’ai signé cette charte dès octobre 2019 au nom du groupe Setec pour maté­ria­li­ser la pré­oc­cu­pa­tion forte, réso­lu­ment por­tée par les col­la­bo­ra­teurs de notre entre­prise, de mener une action concrète pour contri­buer à la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique. La charte sym­bo­lise cet enga­ge­ment quo­ti­dien, qui donne du sens à notre métier et que résume notre nou­velle signa­ture « ingé­nieurs et citoyens ». 


… et de la mobilité propre

L’ingénierie par­ti­cipe acti­ve­ment à la décar­bo­na­tion d’un autre sec­teur prio­ri­taire pour la tran­si­tion éco­lo­gique fran­çaise, puisqu’il repré­sente plus de 30 % des émis­sions annuelles : celui des trans­ports. Les solu­tions ima­gi­nées sont mul­ti­formes. Cela va du déve­lop­pe­ment de véhi­cules lourds « zéro émis­sion » (tel le Cora­dia iLint d’Alstom, pre­mier train de pas­sa­gers ali­men­té par une pile à hydro­gène) à la mise en place du « trans­port à la demande », un ser­vice qui offre aux usa­gers la pos­si­bi­li­té de se dépla­cer sur réser­va­tion grâce à la coor­di­na­tion des solu­tions de mobi­li­té dis­po­nibles, en pri­vi­lé­giant les plus écologiques.

Les ingé­nieurs inter­viennent à tous les niveaux des pro­jets menés et pour tous leurs acteurs. Ils accom­pagnent ain­si l’usage crois­sant de la voi­ture élec­trique en conseillant à la fois les col­lec­ti­vi­tés sur leur plan de mobi­li­té, les opé­ra­teurs sur le déploie­ment d’un réseau de bornes de recharge répon­dant aux besoins des auto­mo­bi­listes et les indus­triels sur la mise au point de véhi­cules ver­tueux tout au long de leur cycle de vie, jusqu’au recy­clage des batteries.

Des ingénieurs à la fois maîtres d’œuvre et conseils

De fait, si le cœur de métier de l’ingénierie est d’être pour­voyeur de solu­tions en termes de maî­trise d’œuvre, un des objec­tifs de notre pro­fes­sion est qu’elle soit recon­nue éga­le­ment pour sa capa­ci­té de conseil dans la maî­trise d’ouvrage. Un conseil appli­cable à cha­cun des domaines de la tran­si­tion éco­lo­gique. Nous pou­vons aus­si bien contri­buer à la mise en place de filières de décar­bo­na­tion indus­trielle, par exemple autour du cap­tage de CO2, qu’à l’alimentation des agri­cul­teurs en éner­gie renou­ve­lable locale issue de la métha­ni­sa­tion et de l’incinération de déchets, ou encore au ren­for­ce­ment de la rési­lience des ter­ri­toires et leur adap­ta­tion aux aléas climatiques.

D’ores et déjà, une chose est cer­taine : l’ingénierie a pris réso­lu­ment le tour­nant de la crois­sance verte, en interne et avec ses clients. Pour conti­nuer dans cette voie, nous avons besoin des jeunes. Nous les avons enten­dus lorsqu’ils appe­laient les entre­prises à se mobi­li­ser autour des enjeux éco­lo­giques. Aujourd’hui, nous les invi­tons à nous rejoindre pour accé­lé­rer avec nous les trans­for­ma­tions en cours : le défi est de taille, mais ô com­bien enthousiasmant !

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