De nouvelles perspectives pour les fonds LBO

Dossier : Le nouvel espace financierMagazine N°652 Février 2010
Par Thierry BÉLIARD (95)
Par Xavier POITEVINEAU (00)

REPÈRES

REPÈRES
Les fonds LBO ont pour voca­tion d’être action­naires de sociétés, appelées par­tic­i­pa­tions, pour une durée de l’ordre de qua­tre à sept ans. Ces par­tic­i­pa­tions sont achetées par les fonds, le plus sou­vent avec l’aide d’un finance­ment ban­caire sig­ni­fi­catif (aujourd’hui ~ 50 % du prix d’acquisition), dans le cadre d’un pro­jet spé­ci­fique. La prin­ci­pale rémunéra­tion des fonds, de très loin, provient de la plus-val­ue (éventuelle) qu’ils réalisent entre l’achat et la vente de leurs par­tic­i­pa­tions. Naturelle­ment, cette plus-val­ue éventuelle est liée à la per­for­mance opéra­tionnelle de la société en portefeuille.

L’an­née qui s’est écoulée depuis la chute de Lehman Broth­ers a fait évoluer beau­coup d’at­ti­tudes et de com­porte­ments et a mod­i­fié en pro­fondeur cer­tains secteurs économiques : il est clair que les ban­ques ne fonc­tion­neront plus de la même manière (les comités des risques y veilleront), les fonds d’ar­bi­trage non plus (leurs investis­seurs y veilleront).

Qu’en est-il des fonds LBO ? Sont-ils égale­ment voués à dis­paraître ? Ont-ils encore un rôle à jouer dans l’é­conomie d’au­jour­d’hui, voire dans la recon­struc­tion de notre économie ?

Un net ralentissement lié aux conditions actuelles

Dans la péri­ode de crise économique actuelle qui touche toutes les entre­pris­es, les par­tic­i­pa­tions des fonds LBO ne font pas excep­tion. Compte tenu de la baisse — tem­po­raire — de la per­for­mance de leurs par­tic­i­pa­tions, les fonds devront atten­dre plus longtemps avant de les ven­dre, et donc de réalis­er cette rémunéra­tion potentielle.

Espèces men­acées
Cer­taines « espèces » finan­cières sont aujourd’hui en voie de dis­pari­tion. Par exem­ple, les CLO/CDO (Col­lat­er­al­ized Loan Obligations/Collateralized Debt Oblig­a­tions), ces instru­ments qui per­me­t­tent aux ban­ques de plac­er sur le marché financier une grande par­tie de leurs porte­feuilles de prêts ou d’obligations, qui étaient encore il y a dix-huit ou vingt-qua­tre mois des acteurs floris­sants, dom­i­nants, peut-être même arro­gants, sont aujourd’hui en grande difficulté.

La crise économique a été la con­séquence d’une crise ban­caire et finan­cière qui a égale­ment eu un impact direct sur l’ac­tiv­ité des fonds. Les ban­ques ont en effet bais­sé sig­ni­fica­tive­ment le niveau de dette qu’elles acceptent de prêter sur une acqui­si­tion : si, en 2007, ces niveaux étaient beau­coup trop élevés (jusqu’à 9 x l’EBIT­DA1 sur des dossiers très vis­i­bles), les ban­ques n’ac­ceptent plus de prêter au-delà de 3 x l’EBIT­DA aujourd’hui.

Compte tenu du temps qu’il faut pour que les vendeurs ajus­tent leurs prix à la baisse (comme dans l’im­mo­bili­er), peu de trans­ac­tions peu­vent se réalis­er aujour­d’hui (cf. fig­ure 1). Cette dif­fi­culté à mon­ter de nou­veaux dossiers provient égale­ment de la mod­i­fi­ca­tion des rela­tions entre les fonds et les ban­ques qui ont évolué au gré de la per­for­mance, bonne ou mau­vaise, des par­tic­i­pa­tions en porte­feuille. Pour ces dif­férentes raisons, les fonds LBO tra­versent une péri­ode de crise. Comme tou­jours, cer­tains n’y sur­vivront pas, mais l’in­dus­trie du pri­vate equi­ty con­tin­uera à exister.

Un apport en capital et en conseil

La pre­mière des car­ac­téris­tiques des fonds est qu’ils sont des investis­seurs de moyen-long terme. Les fonds sont lev­és pour une durée ini­tiale com­prise entre dix et douze ans. La struc­ture de leur rémunéra­tion, comme décrite au 1er para­graphe, rend les équipes rel­a­tive­ment imper­méables à un trou de rentabil­ité sur la période.

Un parte­nar­i­at bénéfique
Le man­age­ment de cer­taines entre­pris­es, famil­iales ou cotées, souf­fre par­fois de l’ab­sence ou de la rareté des échanges avec ses admin­is­tra­teurs. Les fonds sont des admin­is­tra­teurs pro­fes­sion­nels, dont l’un des objec­tifs est pré­cisé­ment de débat­tre avec le man­age­ment des par­tic­i­pa­tions et de l’aider à tester la per­ti­nence de leurs déci­sions. Cela per­met d’affin­er la déf­i­ni­tion de la stratégie et de con­seiller le man­age­ment dans les choix qu’il doit effectuer (de tous ordres : mar­ket­ing et com­mer­ci­aux, organ­i­sa­tion­nels, et bien sûr financiers).

Elles peu­vent ain­si tout à fait sup­port­er, dans le cadre d’un pro­jet bien défi­ni, d’ef­fectuer des investisse­ments qui met­tent par­fois plusieurs années à devenir renta­bles. Cette car­ac­téris­tique per­met de rem­plac­er avan­tageuse­ment d’autres types d’ac­tion­naires, notam­ment la Bourse qui sanc­tionne sys­té­ma­tique­ment une baisse de rentabil­ité, même temporaire.

Par ailleurs, le méti­er même des fonds est d’être des action­naires impliqués. Cela per­met d’avoir des échanges de qual­ité avec le man­age­ment, à la fois struc­turés et con­struc­tifs. Cette fonc­tion con­tin­uera à avoir une impor­tance pri­mor­diale si bien que les fonds ne devraient pas disparaître.

Les fonds disposent de ressources importantes

Les mon­tants abso­lus à inve­stir en LBO se situent à un pic historique

Au-delà de l’in­térêt théorique des fonds et de ce qu’ils peu­vent apporter d’un point de vue macroé­conomique, ils dis­posent surtout aujour­d’hui de grandes ressources qui leur per­me­t­tront de jouer un rôle impor­tant dans l’é­conomie. Tout d’abord, les moyens financiers : les équipes de ges­tion ont con­tin­ué à lever des fonds impor­tants jusqu’à récem­ment (fig­ure 2) alors même que les oppor­tu­nités d’in­vestisse­ment dimin­u­aient. De plus, la part que les équipes de ges­tion prévoient d’al­louer aux trans­mis­sions et au LBO a aug­men­té depuis deux ans si bien que les mon­tants abso­lus à inve­stir en LBO se situent à un pic his­torique (plus de 9 mil­liards d’eu­ros à fin 2008).

Dettes ” senior ” et dettes ” mezzanine ”
Dans le cas de trans­mis­sion d’en­tre­prise ou de restruc­tura­tion, les action­naires sont générale­ment amenés à financer une par­tie de l’opéra­tion par des prêts qui sont classés en deux caté­gories : les dettes ” senior ” font l’ob­jet de con­trats qui pro­tè­gent au mieux le prê­teur qui béné­fi­cie générale­ment de la primeur en matière de paiement d’in­térêts ; les dettes ” mez­za­nine ” com­plé­men­taires des précé­dentes offrent une rémunéra­tion supérieure, mais des garanties moindres.

Les fonds LBO ont égale­ment su élargir leur gamme d’ac­tiv­ité au-delà du cap­i­tal-trans­mis­sion clas­sique, et pro­pos­er des ” ser­vices ” plus diver­si­fiés et plus proches des besoins actuels des dirigeants ou actionnaires.

Tout d’abord, les opéra­tions de cap­i­tal développe­ment con­stituent un ” retour aux sources ” du LBO, que de nom­breuses équipes de ges­tion avaient oublié. Les fonds peu­vent entr­er au cap­i­tal d’une société à l’oc­ca­sion d’une acqui­si­tion ou de la néces­sité d’ef­fectuer un gros investissement.

Ensuite, les inter­ven­tions en sit­u­a­tion de retourne­ment : cette activ­ité plus sen­si­ble est réservée aux fonds les plus expéri­men­tés. Il s’ag­it en effet de ren­tr­er au cap­i­tal d’une société en dif­fi­culté opéra­tionnelle forte (typ­ique­ment qui con­somme de la tré­sorerie chaque année). Le fonds peut ren­tr­er à l’oc­ca­sion d’une procé­dure judi­ci­aire ou, pour la prévenir, le plus sou­vent en aug­men­ta­tion de cap­i­tal pour financer les restruc­tura­tions nécessaires.

Les ban­ques sont actuelle­ment extrême­ment frileuses

Enfin, les restruc­tura­tions finan­cières con­stituent une activ­ité assez nou­velle, vouée à se dévelop­per. Elle naît des excès d’en­det­te­ment util­isés dans le passé pour struc­tur­er cer­taines acqui­si­tions. Cer­tains action­naires savent que leur cap­i­tal ne vaut plus rien ; par­fois une par­tie de la dette ban­caire ou mez­za­nine doit même être pro­vi­sion­née. Un fonds LBO externe peut alors s’avér­er utile en appor­tant des cap­i­taux extérieurs, ce qui per­met de rem­bours­er une par­tie des dettes, de financer les restruc­tura­tions opéra­tionnelles éventuelles et de cristallis­er une val­ori­sa­tion extérieure pour régler les con­flits entre action­naires his­toriques et banquiers.

Acteurs français du cap­i­tal investisse­ment Sources : AFIC, Chequers
Mil­lards d’euros 2005 2006 2007 2008

Fonds levés

dont allo­ca­tion prévue

aux transmission/LBO

% du total

12,0

7,9

66,0%

10,3

6,0

58,0%

10,0

6,9

68,8% 

12,7

9,1

71,4%

Des outils sans équivalent

Pru­dence bancaire
Pour répon­dre à leurs besoins en cap­i­taux, les entre­pris­es peu­vent envis­ager un appel pub­lic à l’é­pargne ou, théorique­ment chercher des finance­ments ban­caires. Mais les ban­ques sont actuelle­ment extrême­ment frileuses et peu répon­dent aux deman­des de leurs clients, par­fois par­faite­ment justifiées.

Enfin, l’ab­sence d’al­ter­na­tives à l’of­fre de cap­i­taux des fonds de LBO est actuelle­ment patente. Pour les entre­pris­es cotées, la con­jonc­ture actuelle est peu prop­ice à un appel au marché. Plusieurs lev­ées d’oblig­a­tions ont eu lieu sur les derniers mois (EDF, Lafarge, Arcelor Mit­tal, etc.), ain­si que quelques aug­men­ta­tions de cap­i­tal mais, dans les deux cas, elles se font à des con­di­tions pénal­isantes pour les action­naires actuels : rémunéra­tion élevée des oblig­a­tions ou dilu­tion forte pour les aug­men­ta­tions de capital.

En con­clu­sion, si les fonds LBO tra­versent eux aus­si une péri­ode de crise, il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils con­stitueront encore dans quelques années des acteurs majeurs de l’é­conomie : leur mod­èle de fonc­tion­nement en fait des acteurs du finance­ment ayant une vision à plus long terme que les autres, et ils dis­posent aujour­d’hui de ressources impor­tantes. La prin­ci­pale ques­tion qui reste posée reste naturelle­ment celle du paysage con­cur­ren­tiel : autant l’e­spèce ” fonds LBO ” sur­vivra, autant de nom­breux représen­tants de cette espèce ne sur­vivront pas.

1. EBITDA : Earn­ings Before Inter­est, Tax­es, Depre­ci­a­tion & Amor­ti­za­tion, équiv­a­lent à notre Excé­dent brut d’exploitation français.

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