De l’X à l’histoire de l’architecture, des sciences et des techniques

Dossier : HistoireMagazine N°771 Janvier 2022
Par Antoine PICON (76)

La var­iété des thèmes his­toriques traités par les poly­tech­ni­ciens his­to­riens n’empêche pas d’y trou­ver une fil­i­a­tion avec la for­ma­tion poly­tech­ni­ci­enne, notam­ment le lien avec les savoirs sci­en­tifiques et techniques.

Pourquoi suis-je devenu his­to­rien ? Quelque quar­ante ans après les faits, il est dif­fi­cile de recon­stituer avec pré­ci­sion les motifs d’un engage­ment dans une car­rière qui n’allait pas tout à fait de soi au sor­tir de l’École poly­technique. Deux fac­teurs ont sans doute joué un rôle en ce qui me con­cerne : un désir d’écriture que le car­ac­tère par­tielle­ment lit­téraire de la dis­ci­pline his­torique pou­vait sat­is­faire, un intérêt pour ce que des êtres et des sit­u­a­tions, des choses et des savoirs éloignés de nous dans le temps peu­vent nous dire sur ce que nous sommes et sur les expéri­ences que nous vivons. 

La curiosité à l’égard du cadre bâti

Dans mon cas, les choses et les savoirs l’ont plutôt emporté dans un pre­mier temps sur les êtres et les sit­u­a­tions, dans la mesure où j’ai com­mencé par étudi­er les muta­tions de l’architecture et de l’ingénierie à l’aube de l’ère indus­trielle. Ce choix s’expliquait par un autre de mes intérêts, la curiosité que j’avais tou­jours éprou­vée à l’égard du cadre bâti, des infra­struc­tures aux villes en pas­sant par les bâti­ments. Cette curiosité m’avait poussé à choisir les Ponts et Chaussées à la sor­tie de Poly­tech­nique et à m’inscrire dans une école d’architecture. Au fil de mes pre­mières recherch­es, je suis devenu une sorte d’hybride d’historien de l’architecture et d’historien des sci­ences et des tech­niques. Si les thé­ma­tiques de l’architecture et de la ville l’ont plutôt emporté par la suite, je con­tin­ue à scruter la rela­tion qu’elles entre­ti­en­nent avec les savoirs sci­en­tifiques et techniques.

Des choses aux êtres

J’ai tra­vail­lé sur des sujets assez dif­férents en apparence, de l’histoire du saint-simonisme, une utopie de la pre­mière moitié du XIXe siè­cle qui compte beau­coup d’ingénieurs en son sein, à l’évolution des pra­tiques d’aménagement du ter­ri­toire, des trans­for­ma­tions de l’architecture aux XVIIIe et XIXe siè­cles à l’évolution de la car­togra­phie urbaine. Mais ces sujets qui peu­vent paraître assez éloignés à pre­mière vue ren­voient à des thèmes que je scrute de manière durable, les rap­ports entre tech­niques, espaces et sociétés ou encore la façon dont l’imaginaire joue un rôle dans la trans­for­ma­tion con­crète du monde. Au sein du monde his­to­rien, je suis plutôt quelqu’un qui part des choses, de tech­niques, de dessins ou encore d’objets bâtis.

“C’est dans les choses que l’esprit se donne le mieux à voir.”

Mais je ferais volon­tiers mienne cette remar­que du philosophe François Dagognet : « Le monde des objets, qui est immense, est finale­ment plus révéla­teur de l’esprit que l’esprit lui-même. Pour savoir ce que nous sommes, ce n’est pas for­cé­ment en nous qu’il faut regarder. Les philosophes, au cours de l’histoire, sont demeurés trop exclu­sive­ment tournés vers la sub­jec­tiv­ité, sans com­pren­dre que c’est au con­traire dans les choses que l’esprit se donne le mieux à voir. » En d’autres ter­mes, des choses et des savoirs qui s’y rap­por­tent, on remonte plus facile­ment qu’il pour­rait y paraître aux êtres et aux sit­u­a­tions qu’ils rencontrent.

Rester historien hors de l’histoire

Aban­don­nant le ter­rain de l’histoire stric­to sen­su, je me suis plutôt penché sur des ques­tions con­tem­po­raines au cours de la décen­nie qui vient de s’écouler. Mais, qu’il s’agisse d’étudier l’impact qu’a eu le numérique sur la pro­duc­tion archi­tec­turale ou la mon­tée en puis­sance des pro­jets de villes intel­li­gentes, je reste his­to­rien dans mon souci de com­pren­dre ces change­ments et de leur don­ner tout leur relief à la lumière d’évolutions de plus longue durée. Après tout, la fonc­tion de l’histoire n’est-elle pas pré­cisé­ment de « don­ner l’impérieux sen­ti­ment du chan­gement », ain­si que le for­mu­lait Marc Bloch, l’un des fon­da­teurs de l’École des Annales à l’occasion d’une con­férence des­tinée aux mem­bres du groupe X Crise à la veille du sec­ond con­flit mondial ? 

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