De la réduction des coûts à la maîtrise stratégique des coûts

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°598 Octobre 2004
Par Karim HATEM (84)

Depuis plu­sieurs années, la maî­trise des coûts est une pré­oc­cu­pa­tion majeure pour les diri­geants du sec­teur pri­vé mais aus­si du sec­teur public et de l’ad­mi­nis­tra­tion. Dans ce cadre, diverses méthodes de réduc­tion de coûts, fon­dées soit sur la réduc­tion comp­table des coûts (une des plus en vogue consis­tant à réduire les postes achat) soit sur une réduc­tion plus ou moins équi­table des bud­gets des dif­fé­rentes direc­tions, se sont développées.

Ces approches ont connu des suc­cès à court terme pro­bants, compte tenu des marges de pro­grès impor­tantes exis­tant dans l’en­semble des sec­teurs de l’en­tre­prise1.

Néan­moins, ces approches se sont par­fois révé­lées déce­vantes en matière d’a­mé­lio­ra­tion de la per­for­mance éco­no­mique à moyen terme, tant en termes de créa­tion de valeur qu’en termes de péren­ni­sa­tion des gains, en par­ti­cu­lier pour les rai­sons suivantes :

  • les approches de réduc­tion de coûts sont mises en place dans une logique d’ur­gence. Les cri­tères de sélec­tion des domaines d’ac­tion sont alors fon­dés sur le mon­tant des gains poten­tiels et de la faci­li­té de mise en œuvre. Dans cette logique, l’é­tude des impacts à moyen ou long terme sur l’é­co­no­mie de l’en­tre­prise repo­sant sur une éva­lua­tion des actions à l’aune de la créa­tion de valeur pour l’en­tre­prise, des risques pris, de la flexi­bi­li­té, etc., est sou­vent négligée ;
  • les approches de réduc­tion de coûts sont mono­di­men­sion­nelles et pri­vi­lé­gient les leviers tra­di­tion­nels (achats, bud­gets, etc.) condui­sant à des gains finan­ciers à court terme. Or l’a­mé­lio­ra­tion de la per­for­mance éco­no­mique à moyen terme repose aus­si sur d’autres leviers concer­nant l’or­ga­ni­sa­tion, le mana­ge­ment, les pra­tiques, le pilo­tage de la per­for­mance (et non uni­que­ment des coûts) et la res­pon­sa­bi­li­sa­tion budgétaire ;
  • enfin, les approches de réduc­tion de coûts ont sou­vent été pla­quées sur les modèles orga­ni­sa­tion­nels et mana­gé­riaux exis­tants, sans pré­oc­cu­pa­tion de cohé­rence, ce qui a sou­vent obli­gé les entre­prises à les gérer comme des pro­jets décon­nec­tés du fonc­tion­ne­ment et des ins­tances (d’é­va­lua­tion, de déci­sion) tra­di­tion­nels ain­si que du cycle de ges­tion de l’en­tre­prise. Cette non-inté­gra­tion dans le fonc­tion­ne­ment de l’en­tre­prise a sou­vent posé le pro­blème de la cohé­rence (par exemple, com­ment conci­lier pilo­tage stra­té­gique et réduc­tions de coûts décon­nec­tées de la stra­té­gie ?) et de la péren­ni­sa­tion des résul­tats et du pro­ces­sus, sans par­ler de blo­cages internes et de démo­ti­va­tions consé­cu­tives au manque de cohé­rence de l’ap­proche avec le pro­jet d’entreprise.


Sur la base des constats pré­cé­dents, notre cabi­net a déve­lop­pé et mis en œuvre avec suc­cès une approche ori­gi­nale de maî­trise stra­té­gique des coûts tota­le­ment inté­grée dans le pro­jet et le modèle de l’en­tre­prise ain­si que dans sa culture de gestion.

Cette approche uti­lise un cer­tain nombre de tech­niques clas­siques (iden­ti­fi­ca­tion des leviers de per­for­mance, ana­lyse finan­cière, bud­get flexible, pilo­tage de la per­for­mance, bench­mar­king, conduite du chan­ge­ment, mise en œuvre de gains rapides, etc.) sur les­quelles nous ne revien­drons pas ici pour ne pas alour­dir le dis­cours. Les prin­ci­pales ori­gi­na­li­tés de la démarche sont les suivantes :

  • mise en place d’une poli­tique de maî­trise stra­té­gique des coûts posi­tion­née et para­mé­trée par rap­port à la pro­blé­ma­tique et au pro­jet d’entreprise ;
  • uti­li­sa­tion d’ou­tils d’aide à la déci­sion cohé­rents avec la poli­tique de maî­trise des coûts et de la stratégie ;
  • inté­gra­tion de l’ap­proche dans le cycle de ges­tion de l’entreprise.

Mise en place d’une politique stratégique de maîtrise des coûts

Comme nous l’a­vons vu pré­cé­dem­ment, cette mise en place est néces­saire pour plu­sieurs rai­sons : d’une part elle per­met de don­ner du sens à la démarche en cohé­rence avec le pro­jet d’en­tre­prise et d’autre part elle est le garant de l’in­té­gra­tion com­plète de cette der­nière au fonc­tion­ne­ment de l’entreprise.

Dans cette optique, la poli­tique de maî­trise stra­té­gique des coûts doit au mini­mum repo­ser sur une fina­li­té reliée à la stra­té­gie de l’en­tre­prise (par exemple, amé­lio­rer l’E­BIT­DA sur plu­sieurs années, opti­mi­ser l’u­ti­li­sa­tion des capi­taux inves­tis, se pré­pa­rer à un chan­ge­ment des condi­tions éco­no­miques d’ex­ploi­ta­tion, etc.).

Cette fina­li­té indui­ra des pro­blé­ma­tiques à adres­ser (dépense, inves­tis­se­ment, pro­ces­sus, pra­tiques, etc.) et un péri­mètre d’ac­tion fonc­tion­nel (siège, fonc­tions sup­port, fonc­tions cœur de métier) et orga­ni­sa­tion­nel (entre­prise, Busi­ness Unit, etc.) en fonc­tion des pré­oc­cu­pa­tions (conjonc­tu­relles ou structurelles).

De plus, cette poli­tique défi­nie doit s’in­té­grer dans le modèle de l’en­tre­prise, ce qui sup­pose un diag­nos­tic concer­nant en particulier :

  • le modèle managérial
    Si l’on se réfère, par exemple, à la matrice » Ash­ridge : paren­ting styles  » pour qua­li­fier le modèle mana­gé­rial en fonc­tion des styles de sys­tèmes de pilo­tage (pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique, contrôle stra­té­gique ou contrôle éco­no­mique et finan­cier) selon le niveau d’in­fluence du siège sur la pla­ni­fi­ca­tion et le contrôle des stra­té­gies, il appa­raît que si l’on veut garan­tir l’ef­fi­ca­ci­té de l’ap­proche, la poli­tique rete­nue doit prendre en compte le modèle mana­gé­rial exis­tant et non être pla­quée sur ce modèle.
  • le modèle organisationnel
    De la même manière, la poli­tique doit être posi­tion­née en fonc­tion du modèle orga­ni­sa­tion­nel de l’en­tre­prise (degré de cen­tra­li­sa­tion, contri­bu­tion atten­due des fonc­tions cœur de métier et sup­port, poids des poli­tiques fonc­tion­nelles, auto­no­mie des métiers, etc.) afin de garan­tir son effi­ca­ci­té et sa pérennité.
  • la culture et les valeurs de l’entreprise
    S’ins­cri­vant dans le moyen terme, une démarche de maî­trise des coûts ne peut s’af­fran­chir de cet aspect. À titre d’exemple, s’il est pos­sible de mettre en œuvre des démarches simi­laires de sour­cing dans le sec­teur de la san­té et dans le sec­teur indus­triel, il appa­raît rapi­de­ment que les poli­tiques de maî­trise des coûts seront fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­rentes. À l’in­té­rieur même d’un sec­teur d’ac­ti­vi­té, les dif­fé­rences de culture entre entre­prises pour­ront engen­drer des poli­tiques dif­fé­rentes. Par exemple le poids de la dimen­sion humaine et sociale est un fac­teur typique de différenciation.

Utilisation d’outils d’aide à la décision cohérents avec la politique mise en place

L’ob­jec­tif est d’u­ti­li­ser des outils d’é­va­lua­tion fon­dés sur des cri­tères tra­dui­sant le pro­jet d’en­tre­prise, qui sont, par défi­ni­tion, dif­fi­ci­le­ment contes­tables par un mana­ger. Les axes de nota­tion rete­nus peuvent être très variés en fonc­tion de la poli­tique rete­nue et de son inté­gra­tion dans le modèle de l’en­tre­prise : dans cer­tains cas il peut s’a­gir de la contri­bu­tion à la stra­té­gie et du risque de mise en œuvre, dans d’autres de la contri­bu­tion au ser­vice four­ni et du res­pect des valeurs sociales, pour d’autres enfin il s’a­gi­ra de la flexi­bi­li­té du bud­get et des risques de mise en œuvre. Au-delà des deux axes prin­ci­paux, il est pos­sible de choi­sir des axes secon­daires per­met­tant d’af­fi­ner l’analyse.

L’ou­til se pré­sente alors comme une matrice clas­sique pré­sen­tant les axes pri­vi­lé­giés (dans notre exemple : contri­bu­tion stra­té­gique et risques), et le posi­tion­ne­ment des actions cohé­rentes avec la poli­tique rete­nue. La taille des bulles repré­sente dans notre exemple le mon­tant des gains.

L’ou­til per­met alors :

  • l’ar­bi­trage objec­tif entre les pistes pro­po­sées (G semble plus prio­ri­taire que E, même si les gains sont moins importants),
  • la pré­pa­ra­tion des plans d’ac­tion (C deman­de­ra plus d’at­ten­tion que G, bien que les gains soient moins importants).


Enfin, la matrice de base peut être com­plé­tée par des matrices secon­daires, en par­ti­cu­lier pour bâtir les plans d’ac­tions ; dans l’exemple pré­cé­dent, il pour­ra dans cer­tains cas être utile de bâtir une matrice stratégie/facilité de mise en œuvre, per­met­tant entre autres d’i­den­ti­fier les gains rapides. On dis­po­se­ra alors d’un sys­tème par­fai­te­ment équi­table, ou tout au moins dif­fi­ci­le­ment dis­cu­table, tant en matière d’ob­jec­tifs de maî­trise des coûts qu’en matière d’ho­ri­zon d’at­teinte de ces objectifs.

Intégration de l’approche dans le cycle de gestion de l’entreprise

L’in­té­gra­tion de l’ap­proche dans le cycle de ges­tion de l’en­tre­prise se fait natu­rel­le­ment du fait des prin­cipes mêmes de l’approche :

  • défi­ni­tion d’une poli­tique de maî­trise stra­té­gique des coûts per­met­tant de sor­tir d’un mode pro­jet et de consi­dé­rer l’o­pé­ra­tion comme une occa­sion de conduire un chan­ge­ment conti­nu, d’a­li­gner en per­ma­nence les pro­ces­sus sur les nou­velles prio­ri­tés stra­té­giques et de mettre en place des formes de pro­fes­sion­na­li­sa­tion en matière de ges­tion au sein d’un pro­jet d’en­tre­prise cohé­rent et non comme une opé­ra­tion dra­ma­tique de chasse aux coûts tous azi­muts, pou­vant être en contra­dic­tion avec d’autres pro­jets à court ou moyen terme ;
  • ali­gne­ment de l’ap­proche avec le pro­ces­sus bud­gé­taire : les pistes sont iden­ti­fiées par les mana­gers en préa­lable au cycle bud­gé­taire (annuel et plu­ri­an­nuel). Il est ain­si pos­sible de réfé­rer des éco­no­mies à des lignes bud­gé­taires pré­cises. Les mana­gers ne sont néan­moins pas déci­sion­naires des pistes qui seront fina­le­ment rete­nues. Ces déci­sions sont prises par le Comi­té de direc­tion et font par­tie inté­grante du cycle bud­gé­taire. On évite ain­si l’é­cueil de déci­sions prises par rap­port à des réfé­rents per­son­nels qui peuvent se révé­ler nui­sibles pour l’en­tre­prise dans sa globalité ;
  • mise en place d’un réfé­rent unique d’é­va­lua­tion des pistes de gains fon­dé sur le pro­jet d’en­tre­prise et le modèle orga­ni­sa­tion­nel et mana­gé­rial de l’en­tre­prise, per­met­tant d’in­té­grer le pilo­tage de la mise en œuvre dans le pilo­tage glo­bal de l’entreprise ;
  • pla­ni­fi­ca­tion des gains à court terme et à moyen terme, ce qui per­met de se pla­cer dans une logique de construc­tion bud­gé­taire à moyen terme et par là même de trans­for­mer les pistes rete­nues en objec­tifs indi­vi­duels ou col­lec­tifs cohé­rents dans le temps.

Conclusion

L’ap­proche Ylios ne s’op­pose pas aux démarches clas­siques de réduc­tion de coûts, qui ont prou­vé leur effi­ca­ci­té dans des situa­tions de crise où la stra­té­gie prin­ci­pale de l’en­tre­prise est réduite au fait de retrou­ver rapi­de­ment des marges finan­cières de manœuvre, mais vient les com­plé­ter pour gérer plus effi­ca­ce­ment des situa­tions dans les­quelles les pré­oc­cu­pa­tions à moyen terme ont droit de cité.

Sa mise en œuvre, et son accep­ta­tion par tous en tant que par­tie inté­grante du pro­ces­sus de ges­tion de l’en­tre­prise, est une opé­ra­tion longue qui peut être incom­pa­tible avec un besoin urgent de résul­tats. Elle peut néan­moins être menée en paral­lèle ou consé­cu­ti­ve­ment à des opé­ra­tions coup de poing de réduc­tion des coûts per­met­tant de déga­ger rapi­de­ment des marges de manœuvre financières.

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1. Pour des rai­sons de sim­pli­fi­ca­tion dans cet article, nous appel­le­rons » entre­prise » toute socié­té, busi­ness unit, admi­nis­tra­tion ou orga­ni­sa­tion, qu’elle appar­tienne au sec­teur pri­vé, para­pu­blic ou public. Cette appel­la­tion est certes abu­sive en géné­ral, mais ne change pas le fond du pro­pos en matière de maî­trise des coûts.

2 Commentaires

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Lorisrépondre
18 juin 2013 à 9 h 30 min

Cost savings

Bon­jour, Tout d’a­bord très bon article, on peut guère faire mieux. La réduc­tion des coûts est deve­nu quelque chose de pri­mor­dial dans une période de réces­sion. Cepen­dant, je tiens a dire qu’une réduc­tion des coûts via une rené­go­cia­tion avec un four­nis­seur (ou le choix de prendre un autre four­nis­seur) peut éga­le­ment jouer sur le moyen et long terme, comme c’est le cas avec l’éner­gie. Les petites entre­prises peuvent déve­lop­per leur cash-flow et donc conti­nuer a croître et se péren­ni­ser, en plus d’é­co­no­mi­ser l’éner­gie et de faire un geste pour le futur.

ste­phanerépondre
22 juillet 2016 à 17 h 00 min

La réduc­tion des coûts
https://www.linkedin.com/pulse/la‑r%C3%A9duction-des-co%C3%BBts-nentraine-pas-le‑d%C3%A9veloppement-st%C3%A9phane-barloy

Je fais sim­ple­ment réfé­rence à votre article que je par­tage. La réduc­tion des coûts appli­quée comme stra­té­gie dans l’ur­gence est néces­sai­re­ment une solu­tion inadé­quate pour le moyen et le long terme, elle aura les mêmes effets qu” un pan­se­ment sur une jambe de bois.

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