Création de valeur et organisation : quel rôle pour le Corporate ?

Dossier : Le conseil en managementMagazine N°548 Octobre 1999
Par Michel GAUTHIER (72)
Par Henri TCHENG (86)
Par Frédéric WISCART (92)

Définitions préliminaires

La struc­ture de man­age­ment d’un groupe est le sys­tème où inter­agis­sent organ­i­sa­tion générale et mod­èle de management.

L’or­gan­i­sa­tion générale est visu­al­isée par un organ­i­gramme sim­pli­fié per­me­t­tant de dégager les dif­férents niveaux de man­age­ment. Un niveau de man­age­ment est la struc­ture de com­man­de­ment d’une entité (ou d’un ensem­ble d’en­tités) assistée de ser­vices fonc­tion­nels (Finances, Ressources humaines, Juridique, R&D, etc.) qui lui sont directe­ment rattachés.

Force est de con­stater que les organ­i­grammes des groupes étudiés cor­re­spon­dent tous à un dia­gramme en “râteau”, où chaque entité dépend hiérar­chique­ment d’une seule entité du niveau de man­age­ment supérieur. Ces organ­i­grammes ont au plus qua­tre niveaux, respec­tive­ment appelés Cor­po­rate, Secteur, Branche et Unité opérationnelle.

Les unités opéra­tionnelles sont générale­ment des cen­tres de prof­it. Elles sont regroupées au sein de branch­es dédiées à une famille homogène de pro­duits ou de marchés.

Le mod­èle de man­age­ment définit les rela­tions entre les dif­férents niveaux de l’en­tre­prise et plus par­ti­c­ulière­ment le rôle du Cor­po­rate. On dis­tingue qua­tre mod­èles de man­age­ment, fonc­tions du degré de cen­tral­i­sa­tion des actes déci­sion­nels et de l’in­té­gra­tion des activ­ités : le Cor­po­rate peut être opéra­teur, con­trôleur opéra­tionnel, con­trôleur stratégique et financier, ou ges­tion­naire de portefeuille.

La déter­mi­na­tion d’un mod­èle de man­age­ment va de pair avec la déf­i­ni­tion de proces­sus de déci­sion, qui pré­cisent les respon­s­abil­ités de cha­cun dans des domaines tels que la plan­i­fi­ca­tion stratégique et budgé­taire, les vari­a­tions de périmètre (acqui­si­tions, dés­in­vestisse­ments), l’in­vestisse­ment indus­triel, l’ori­en­ta­tion et la ges­tion des opéra­tions, les ressources humaines, la com­mu­ni­ca­tion, le finance­ment et la trésorerie.

Les comités de direc­tion asso­ciés à ces proces­sus de déci­sion, la nature du con­trôle opéré par le Cor­po­rate sur les niveaux inférieurs, et la cul­ture de l’en­tre­prise sont égale­ment des élé­ments con­di­tion­nant forte­ment le choix du mod­èle de management.

Ce dernier per­met ain­si de struc­tur­er la décli­nai­son du man­age­ment par la valeur, et en par­ti­c­uli­er de maîtris­er l’indi­ca­teur SVA (Share­hold­er Val­ue Added) à tous les niveaux de l’en­tre­prise. La pres­sion action­nar­i­ale peut être ain­si dif­fusée jusqu’aux unités opérationnelles.

Constat : le déséquilibre historique des structures de management

Les groupes étudiés ont été ou sont encore mar­qués par un déséquili­bre de leur struc­ture de man­age­ment. Prenons l’ex­em­ple d’un groupe bipo­laire, agis­sant dans un pre­mier secteur d’ac­tiv­ités X cor­re­spon­dant à son méti­er his­torique, et dans un sec­ond secteur Y qu’il a dévelop­pé par crois­sance externe. Avant réor­gan­i­sa­tion du Groupe et redéf­i­ni­tion de son mod­èle de man­age­ment, le Cor­po­rate se com­por­tait en con­trôleur opéra­tionnel vis-à-vis des deux niveaux inférieurs du secteur X. Par con­tre, il se com­por­tait en ges­tion­naire de porte­feuille vis-à-vis des trois niveaux de man­age­ment inférieurs du secteur Y.

Dans le secteur X, le Cor­po­rate fixe les objec­tifs stratégiques des dif­férentes unités opéra­tionnelles, et les con­trôle sur la base d’un report­ing détail­lé opéra­tionnel et financier. Il alloue les ressources des unités. Il inter­vient pour coor­don­ner leurs inter­faces et réalis­er des syn­er­gies. Il définit leur mod­èle de ges­tion opéra­tionnelle et leur four­nit une assis­tance en cas de difficulté.

Le pou­voir est donc exces­sive­ment con­cen­tré au sein du Cor­po­rate, qui exerce le même rôle que les branch­es. Le dou­blon des respon­s­abil­ités et des fonc­tions sup­ports évolue naturelle­ment vers une sit­u­a­tion où la Branche n’est plus qu’un sim­ple inter­mé­di­aire relayant l’in­for­ma­tion, sans rôle notable dans la prise de décision.

Dans le secteur Y, le Cor­po­rate ges­tion­naire de porte­feuille se con­tente d’in­ter­venir à la marge pour s’as­sur­er que les objec­tifs sont atteints. Il opti­mise le retour sur cap­i­taux employés pour remon­ter des div­i­den­des ou des plus-val­ues sur ces­sion. Très éloigné des prob­lé­ma­tiques opéra­tionnelles, il ne peut con­stater qu’a pos­te­ri­ori les activ­ités créa­tri­ces ou destruc­tri­ces de valeur. Ses rela­tions avec les respon­s­ables opéra­tionnels sont sou­vent ten­dues. In fine, le Cor­po­rate éprou­ve des dif­fi­cultés à jus­ti­fi­er sa valeur ajoutée par rap­port au Secteur auprès des action­naires du Groupe, voire des marchés financiers.

Cette struc­ture déséquili­brée con­stitue une entrave au développe­ment des syn­er­gies inter­en­tités, généra­tri­ces d’é­conomies et d’op­por­tu­nités d’aug­men­ta­tion du chiffre d’af­faires. En effet, le pou­voir et le degré d’au­tonomie des respon­s­ables d’en­tités d’un même niveau de man­age­ment (les branch­es par exem­ple) sont hétérogènes, ce qui rend ardue la prise de déci­sions communes.

D’autre part, une telle struc­ture provoque un déséquili­bre de l’in­térêt du Cor­po­rate vis-à-vis de l’ensem­ble des activ­ités du Groupe et de son per­son­nel. Adopter un com­porte­ment de ges­tion­naire de porte­feuille vis-à-vis d’un Secteur dont le Groupe souhaite se sépar­er à court ou moyen terme peut con­tribuer à aug­menter la valeur du Secteur. Ce dernier prou­ve en effet sa capac­ité à opér­er indépen­dam­ment de la struc­ture à laque­lle il appar­tient. Lorsque les activ­ités sont toutes pérennes au sein du Groupe, l’ar­gu­ment s’in­verse, et le déséquili­bre devient inopportun.

Cet exem­ple est représen­tatif des struc­tures de man­age­ment hybrides ren­con­trées. Celles-ci sont par­ti­c­ulière­ment vis­i­bles dans des groupes se con­sti­tu­ant par crois­sance externe. Les activ­ités nou­velle­ment acquis­es sont con­sti­tuées en branch­es. Celles-ci restent indépen­dantes tant que le Cor­po­rate n’est pas par­venu à homogénéis­er le mod­èle de man­age­ment et à dif­fuser la cul­ture de l’en­tre­prise. Pour les dirigeants de grands groupes, cer­taines entités font ain­si fig­ure de citadelles imprenables !

Dynamique actuelle : la convergence des structures de management

À par­tir d’un tel déséquili­bre, et sous la pres­sion de leurs action­naires, les groupes s’ori­en­tent vers une struc­ture de man­age­ment homogène, en adop­tant un organ­i­gramme uni­forme com­por­tant trois niveaux de management.

Le Cor­po­rate exerce les mêmes respon­s­abil­ités vis-à-vis de toutes les entités d’un même niveau, en adop­tant générale­ment un rôle de con­trôleur stratégique et financier.

Dans cette struc­ture homogène, le Cor­po­rate développe et définit le cadre stratégique à l’in­térieur duquel les branch­es et les unités opéra­tionnelles sont libres de pren­dre des initiatives.

Il con­trôle l’al­lo­ca­tion des ressources, et ne les alloue directe­ment que dans le cas d’in­vestisse­ments sig­ni­fi­cat­ifs ou stratégiques.

Il inter­vient prin­ci­pale­ment pour véri­fi­er la cohérence des résul­tats obtenus avec les objec­tifs stratégiques et sug­gér­er des plans d’actions.

Ain­si, le Groupe pris pour exem­ple a‑t-il récem­ment évolué vers la struc­ture sché­ma­tisée ci-après.

Réduisant les entrav­es exposées précédem­ment, cette struc­ture impose cepen­dant une réflex­ion sur le niveau appelé Secteur, sup­primé pour par­venir à une organ­i­sa­tion équilibrée.

En effet, com­ment super­vis­er effi­cace­ment de nom­breuses Branch­es dont les activ­ités sont par­fois très dif­férentes ? Le Cor­po­rate est-il suff­isam­ment disponible pour iden­ti­fi­er et dévelop­per les syn­er­gies entre les branch­es d’un même secteur d’ac­tiv­ités ? Com­ment opti­miser la per­for­mance de cer­taines fonc­tions sup­ports, comme la Logis­tique, la Qual­ité, la R&D ou les Achats, dont la cen­tral­i­sa­tion est per­ti­nente non pas au niveau Groupe, mais au niveau Secteur ?

Afin d’of­frir l’ex­per­tise fonc­tion­nelle spé­ci­fique, l’an­i­ma­tion et la coor­di­na­tion des entités au sein d’un même secteur d’ac­tiv­ités, l’en­tre­prise peut se dot­er d’un super­viseur de secteur, dont le titre peut être directeur général délégué. Pour rem­plir sa mis­sion, ce dernier est assisté d’équipes réduites ; il appar­tient au Cor­po­rate. Le com­man­de­ment du Groupe est alors assuré par le prési­dent assisté de ses super­viseurs de secteurs, qui con­stituent ensem­ble la direc­tion générale du Groupe. Ces derniers ont un rôle impor­tant pour l’in­struc­tion des dossiers et la pré­pa­ra­tion des déci­sions stratégiques pour le compte du prési­dent. Leur spé­cial­i­sa­tion leur per­met de maîtris­er les enjeux stratégiques et opéra­tionnels des branch­es qui leur sont rattachées.

Le Cor­po­rate garde ain­si le con­tact avec les branch­es. Il peut inter­venir effi­cace­ment dans la déf­i­ni­tion des objec­tifs stratégiques et l’al­lo­ca­tion des ressources, tout en con­ser­vant la disponi­bil­ité suff­isante pour gér­er les prob­lé­ma­tiques du Groupe.

La con­ver­gence de la struc­ture de man­age­ment accom­pa­gne la dif­fu­sion de la pres­sion action­nar­i­ale à tous les niveaux de l’en­tre­prise : chaque acteur doit aujour­d’hui se con­cen­tr­er sur ses mis­sions réelle­ment créa­tri­ces de valeur.

Les actes déci­sion­nels sont ain­si décen­tral­isés par l’ap­pli­ca­tion du principe de sub­sidiar­ité, ce qui va de pair avec le ren­force­ment du con­trôle des niveaux inférieurs.

Le man­age­ment par la valeur per­met d’ex­ercer ce con­trôle à l’aune des attentes des action­naires, mais aus­si de respon­s­abilis­er et fédér­er le per­son­nel de l’en­tre­prise autour d’ob­jec­tifs partagés.

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1. La créa­tion de valeur repose sur trois leviers : les résul­tats opéra­tionnels, les cap­i­taux engagés et le coût du cap­i­tal. Les gise­ments de per­for­mance sont alors exploités selon le principe fon­da­men­tal : un investisse­ment crée de la valeur s’il génère une rentabil­ité supérieure au coût des cap­i­taux investis. Les indi­ca­teurs de créa­tion de valeur traduisant le mieux les attentes des action­naires et des marchés financiers sont le CFD (Cash Flow Actu­al­isé) et SVA (Share­hold­er Val­ue Added).
2. On appelle Cor­po­rate l’ensem­ble con­sti­tué par les dirigeants d’une entre­prise et leurs équipes de support.
3. Ces groupes ont leur siège social en France. Ils sont cotés. Leur chiffre d’af­faires dépasse 30 mil­liards de francs. Leur organ­i­sa­tion est mul­ti­po­laire : ils peu­vent opér­er dans des secteurs d’ac­tiv­ités très dif­férents (indus­trie lourde, légère, dis­tri­b­u­tion, télé­com­mu­ni­ca­tions, médias, etc.).

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