Construction bas carbone : atelier de préfabrication

Construction bas carbone : quels enjeux de prévention ?

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Paul DUPHIL
Par Philippe ROBART

Paul Duphil, Secré­taire Général, et Philippe Robart, Directeur Tech­nique, au sein de l’Organisme Pro­fes­sion­nel de Préven­tion du Bâti­ment et des Travaux Publics (OPPBTP), revi­en­nent sur les enjeux que pose la tran­si­tion énergé­tique au secteur du BTP. Rencontre.

Comment l’OPPBTP appréhende-t-il la question de la décarbonation des bâtiments ? 

Sous l’impulsion de la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale, la com­mande publique et privée adressée à la fil­ière BTP évolue. La Stratégie Nationale Bas Car­bone (SNBC) pub­liée en 2020 fixe la feuille de route pour attein­dre l’objectif de neu­tral­ité car­bone de la France d’ici à 2050 et recon­fig­ure le marché du BTP de dif­férentes façons : 

  • trans­ferts d’investissements de la con­struc­tion neuve vers la rénovation ;
  • exi­gence de per­for­mance crois­sante pour la struc­ture et l’enveloppe des bâti­ments neufs asso­ciée à des pro­duc­tions locales d’énergie inté­grées au bâti ;
  • émer­gence de nou­veaux matéri­aux, essor de la con­struc­tion bois et des matéri­aux biosourcés ;
  • déploiement de grandes infra­struc­tures de pro­duc­tions d’énergies « vertes » et trans­for­ma­tions du réseau de dis­tri­b­u­tion de l’électricité.

Quels sont les nouveaux enjeux de prévention posés par la transition environnementale appliquée au BTP ?

Pour la réno­va­tion, il s’agit d’intervenir sur des ouvrages exis­tants dont la sta­bil­ité struc­turelle et les matéri­aux qui ont été util­isés ne sont pas pré­cisé­ment con­nus. La ques­tion du diag­nos­tic de l’ouvrage, du repérage des matéri­aux dan­gereux avant travaux (ami­ante et plomb prin­ci­pale­ment) est plus que jamais d’actualité. Après curage, quand les travaux de réno­va­tion démar­rent à l’intérieur du bâti­ment, les sit­u­a­tions émis­sives de pous­sières (sil­ice cristalline par frac­tura­tion de matéri­aux, pous­sières de bois) asso­ciées aux opéra­tions de déca­page, de ponçage et de perce­ments, néces­si­tent des pro­tec­tions col­lec­tives, des dis­posi­tifs d’aspiration et d’humidification pour neu­tralis­er le risque en amont. Les référen­tiels élaborés par l’OPPBTP pour les sub­stances soumis­es à des valeurs lim­ites d’exposition (VLEP) sont issus de mesurages homogènes et sont recon­nus par l’État. Dès lors que le risque peut être traité effi­cace­ment en amont, le port d’un masque sera le plus sou­vent évité. 

Le curage en lui-même est con­sti­tué prin­ci­pale­ment d’opérations manuelles avec les risques asso­ciés de blessures, de trou­bles musculo-squelettiques. 

Si les ini­tia­tives en faveur de l’économie cir­cu­laire sont encore peu répan­dues, cer­tains élé­ments de con­struc­tions sont couram­ment déposés pour être réu­til­isés comme par exem­ple les châs­sis vitrés. 

Face à l’émergence de matéri­aux isolants biosour­cés, il faut être atten­tif aux adju­vants util­isés qui pour­raient nuire à la san­té des travailleurs.

L’analyse détail­lée de l’accidentologie sur les chantiers en 2022 mon­tre que le risque de chute de hau­teur reste présent, ce qui invite à redou­bler de vig­i­lance. En effet, il s’agit d’un risque à haut poten­tiel : il engen­dre des acci­dents mor­tels ou de grav­ité élevée. Ce risque con­cerne les travaux relat­ifs à l’enveloppe du bâti­ment (façade et cou­ver­ture) en par­ti­c­uli­er avec la mise en place d’isolants ther­miques extérieurs, ain­si que la pose de façades pré­fab­riquées qui néces­site la manu­ten­tion et le lev­age d’éléments volu­mineux. Les exa­m­ens d’adéquation des engins de lev­age avec les charges à porter et les con­fig­u­ra­tions sont indispensables. 

Pour le lev­age des per­son­nes, les pro­to­coles de mise en place et d’utilisation des échafaudages et des nacelles sont de plus en plus sécurisants. Les équipements de pro­tec­tion col­lec­tive en toi­ture (en par­ti­c­uli­er en rives de toi­tures en pente), la fix­a­tion des garde-corps en périphérie de planch­er d’étage, le main­tien en place des plaques de pro­tec­tion des trémies, l’usage du har­nais et le choix des points d’ancrage, sont autant d’éléments de sécu­rité qui doivent être défi­nis en amont du début des travaux, dans une démarche de préven­tion intégrée. 

Le risque de chute de hau­teur reste présent il faut donc redou­bler de vig­i­lance en ter­mes de pro­tec­tions col­lec­tives en rives de toi­tures, d’usage du har­nais et de choix des points d’ancrage.

Construction bas carbone et économie circulaire
Curage de batiment

Qu’en est-il du recours au bois, du béton bas carbone et des énergies vertes ? 

La fil­ière bois est en pleine expan­sion et les entre­pris­es qui la com­posent doivent se struc­tur­er pour réalis­er des chantiers plus gros et plus com­plex­es. Jusque-là, le tis­su économique était com­posé d’entreprises de petite taille, insuff­isam­ment pré­parées pour absorber cette demande et tra­vailler sur des chantiers de grande taille avec des lots mul­ti­ples et la mix­ité entre béton, métal et bois. Cette struc­tura­tion est néces­saire pour répon­dre aux enjeux de préven­tion des risques sur le chantier. C’est un défi en ter­mes d’organisation du tra­vail. Il y a des habi­tudes à met­tre en place et même des pro­duits à créer. 

Le béton reste le matéri­au de con­struc­tion le plus con­som­mé dans le monde. Il représente à lui seul 7 % des émis­sions de gaz à effet de serre mon­di­ales. Or il est pos­si­ble de divis­er par trois l’impact car­bone du béton en jouant sur les for­mu­la­tions. Pour cela, il est néces­saire de réduire la quan­tité de clink­er grâce à l’utilisation de liants alter­nat­ifs comme les laitiers issus des hauts-fourneaux ou les fumées de sil­ice des usines de fer­rosili­ci­um. L’inconvénient est la ciné­tique de prise et le dur­cisse­ment ralen­ti de ces bétons moins car­bonés, avec un impact sur les pra­tiques du chantier et les plan­nings. Des risques nou­veaux à anticiper avec des délais allongés, des cof­frages et des étaiements ad hoc pour obtenir le niveau req­uis de résis­tance à la compression.

Du côté des infra­struc­tures d’énergie, la con­struc­tion neuve et la main­te­nance des parcs d’éoliennes et des cen­trales de pan­neaux pho­to­voltaïques néces­si­tent d’écrire pré­cisé­ment les gammes opéra­toires qui con­cer­nent plusieurs métiers et con­di­tions d’interventions dif­fi­ciles : travaux sur cordes, char­p­en­tiers, cou­vreurs, étancheurs et électriciens.

L’électrification mas­sive et en par­ti­c­uli­er l’accroissement du tra­vail sur bat­ter­ies et en présence de sources de courant mul­ti­ples aug­mentent le risque d’électrocution.

Dans ce cadre, que proposez-vous ? 

Nous offrons aux entre­pris­es un par­cours préven­tion qui cou­vre la sen­si­bil­i­sa­tion, le diag­nos­tic, les out­ils, la doc­u­men­ta­tion, l’accompagnement ciblé, la for­ma­tion… Nous met­tons à leur dis­po­si­tion des doc­u­ments péd­a­gogiques, des fich­es pra­tiques ou des webi­naires, acces­si­bles sur notre site web preventionbtp.fr pour qu’elles dis­posent d’une meilleure com­préhen­sion et con­nais­sance de la régle­men­ta­tion et des risques, s’approprient la préven­tion et la met­tent en œuvre. 

Nous pro­posons des solu­tions chantiers sur des thé­ma­tiques don­nées. Quand une entre­prise veut procéder à un démous­sage de toi­ture, nous lui four­nissons une fiche détail­lant pré­cisé­ment les mesures de préven­tion asso­ciées au mode opéra­toire. Sur des sujets plus larges comme par exem­ple l’emploi de filets de sécu­rité, nous pro­posons des guides tech­niques com­plets. 

L’OPPBTP mène égale­ment des actions ciblées pour rap­pel­er aux maîtres d’ouvrage leurs oblig­a­tions de diag­nos­tic afin qu’ils four­nissent aux entre­pris­es des plans et doc­u­ments répon­dant aux exi­gences régle­men­taires. Et parce que l’OPPBTP est un organ­isme de for­ma­tion agréé, nous pro­posons des mod­ules de for­ma­tion sur ces dif­férents risques (for­mats courts ou longs, en dis­tan­ciel et en présentiel).

Quels sont les principaux freins et défis qui persistent ?

Si l’accidentologie dans le BTP en France affiche explicite­ment depuis trois décen­nies une ten­dance glob­ale­ment bais­sière, plusieurs effets con­jonc­turels et phénomènes sys­témiques vien­nent per­turber ponctuelle­ment ces résul­tats. L’accidentologie actuelle résulte d’une part d’une réduc­tion sig­ni­fica­tive et durable pro­duite par les cul­tures sécu­rité et les pro­grès tech­niques, et d’autre part d’éléments pénal­isants tels que l’évolution de la com­mande, les plan­nings « ten­dus », les offres dégradées qui con­ti­en­nent des dis­posi­tifs de sécu­rité insuff­isants, l’insuffisance de véri­fi­ca­tion des qual­i­fi­ca­tions des entre­pris­es, les moyens don­nés aux maîtres d’œuvre, la désig­na­tion tar­dive du coor­don­na­teur SPS, la non-trans­mis­sion des connaissances/compétences vers les nou­veaux com­pagnons, le recours à l’intérim sans process d’accueil, le déficit de formation.

Et pour conclure ? 

Réus­sir la con­struc­tion bas car­bone c’est égale­ment réus­sir la préven­tion inté­grée à la con­struc­tion bas car­bone en amont, pour amélior­er les con­di­tions de tra­vail sur tous les chantiers par une impli­ca­tion de cha­cune des par­ties prenantes de la fil­ière. 

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