Concert de la Saint-Sylvestre 2014, Mozart, Rameau, Dvorak, Kodaly

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°710 Décembre 2015Par : la Philharmonie de Berlin, Simon Rattle, direction : Menahem Pressler, pianoRédacteur : Marc DARMON (83)Editeur : 1 DVD ou 1 Blu-Ray Euroarts 2061134

C’est un pro­gramme pour soirée de fête, avant que tous, spec­ta­teurs et musi­ciens, ail­lent célébr­er le Nou­v­el An 2015 avec leurs proches. Le pro­gramme est donc naturelle­ment dis­parate, mais con­tient des mer­veilles. Simon Rat­tle a annon­cé qu’il quit­tait la tête de la Phil­har­monie de Berlin, pour retourn­er dans son Angleterre natale.

Sa suc­ces­sion à ce poste, le plus en vue de la musique clas­sique, a du reste don­né lieu à un feuil­leton à rebondisse­ment et à sus­pense début 2015.

Rat­tle a choisi pour ce soir-là des oeu­vres qui cou­vrent une péri­ode de deux cents ans, du baroque français (Les Indes galantes, 1735) au musi­cien hon­grois postro­man­tique Zoltan Kodaly (Hary Janos, 1927), en pas­sant par Dvo­rak, Brahms, Chopin et Mozart.

On est obligé de débuter cette chronique par le Con­cer­to en la de Mozart, le célèbre vingt-troisième, car cette par­tie du con­cert est une expéri­ence unique. Le soliste en est Mena­hem Pressler, à qua­tre-vingt-onze ans passés. Pressler a créé le Beaux-Arts Trio il y a soix­ante ans, la référence pour les oeu­vres pour trio avec piano, forme qui a don­né le jour à de nom­breux chefs‑d’oeuvre (Haydn, Mozart, Beethoven, Brahms, Schu­mann, Tchaïkovs­ki, Rach­mani­nov, etc.).

Mais Pressler se pro­duit désor­mais en soliste depuis ses qua­tre-vingt-cinq ans, après la dis­so­lu­tion du Beaux-Arts Trio, et avoir changé deux fois de vio­lon­cel­liste et trois fois de vio­loniste. Et on réalise depuis quelques années quel mag­nifique pianiste soliste est celui qui a été l’âme d’un des ensem­bles de musique de cham­bre les plus impor­tants de ces dernières décennies.

En bonus, le DVD pro­pose un touchant film doc­u­men­taire sur l’artiste. Le Con­cer­to n° 23 de Mozart est naturelle­ment un chef‑d’oeuvre. Le sec­ond de ses trois mou­ve­ments est très célèbre, son thème ayant été repris dans de nom­breuses illus­tra­tions musi­cales, dont le mag­nifique L’Incompris de Lui­gi Comenci­ni, rela­tant l’injustice envers un frère aîné.

Naturelle­ment, on a enten­du ce con­cer­to dans de nom­breuses inter­pré­ta­tions mémorables, les ver­sions de référence du jeune Baren­boïm, de Mur­ray Per­ahia, d’Ashkenazy, de Bren­del, de Geza Anda, ou les inter­pré­ta­tions mémorables d’un Horowitz très âgé (près de dix ans de moins que Pressler, tout de même) ou Serkin.

Et pour­tant, jamais on n’a enten­du ce que l’on entend (et voit) dans ce con­cert. C’est pro­pre­ment par­fait. Mais atten­tion, pas par­fait comme un bon élève, par­fait au sens que cela paraît iné­gal­able. Le touch­er, le phrasé sont absol­u­ment sub­limes, et seraient déjà incroy­ables chez un pianiste de trente ans de moins. Quel mag­nifique pianiste.

Bien sûr, c’est le célèbre ada­gio qui con­vient le mieux à l’artiste, dans les deux mou­ve­ments extrêmes on peut avoir l’impression que le pianiste ralen­tit imper­cep­ti­ble­ment le tem­po de l’orchestre (que Rat­tle dirige là sans baguette).

Stand­ing ova­tion naturelle­ment (en présence de la Chancelière), et donc, en bis, Pressler nous offre un superbe Noc­turne de Chopin, où encore une fois son sens du touch­er et du ruba­to font mer­veille, idéal comme l’enregistrement que Clau­dio Arrau en fit en 1978 (à soix­ante-quinze ans) et qui est peut-être un des dix plus beaux dis­ques de piano au monde.

Le reste du pro­gramme est très réus­si, et les spec­ta­teurs de ce gala n’ont pas dû regret­ter leur soirée. En ouver­ture, une rareté à Berlin, une sélec­tion des morceaux orches­traux dansants des Indes galantes, opéra-bal­let de Rameau (1735).

Avec un orchestre allégé, le même que pour le Mozart qui va suiv­re, Rat­tle donne une vraie leçon d’interprétation à l’ancienne, avec un par­fait style des vio­lons, des flûtes (le Français Emmanuel Pahud en pre­mière flûte soliste), des per­cus­sions anci­ennes, et des chaînes telles que décrites dans la par­ti­tion pour le célèbre Air des Sauvages.

Après l’entracte, deux Dans­es slaves de Dvo­rak, une Danse hon­groise de Brahms, très enlevées, et la suite d’orchestre tirée de l’opéra-comique pop­u­laire Hary Janos, de Zoltan Kodaly (pronon­cer « Kodaille »), présen­té ici comme un véri­ta­ble con­cer­to pour cym­balum, extrême­ment fes­tif. Une belle soirée.

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