CD Vilde Frang joue les concertos de Britten et Korngold

Comme une musique de film

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°714 Avril 2016Rédacteur : Jean SALMONA (56)

On a dit que Tchaï­kovs­ki avait « com­po­sé de la musique de film avant la nais­sance du ciné­ma », pour signi­fier – avec iro­nie dans l’esprit de l’auteur de cette saillie – que sa musique cher­chait à sus­ci­ter l’émotion au pre­mier degré.

Saint-Saëns, on le sait, a écrit en 1908 la musique d’accompagnement de L’Assassinat du duc de Guise. Innom­brables sont, depuis, les com­po­si­teurs de musique dite « clas­sique » – par­mi les­quels Pro­ko­fiev, Chos­ta­ko­vitch, Ger­sh­win – à s’être essayés à la musique de film, jusqu’à s’y consa­crer, comme Georges Auric.

Mais aucun, à notre connais­sance, de l’École de Vienne ni de ses sui­veurs. Car c’est bien en effet d’émotion qu’il s’agit.

KORNGOLD et BRITTEN, concertos pour violon

Erich Wolf­gang Korn­gold, com­po­si­teur pré­coce et par­ti­cu­liè­re­ment doué de musique de chambre, de Lie­der et d’opéras dans la lignée de Richard Strauss, fuit l’Autriche nazie pour les États-Unis.

Il écrit des musiques de films pour gagner sa vie, et il y réus­sit au-delà de toute espé­rance (une ving­taine de films, dont les célèbres Cap­tain Blood, Les Aven­tures de Robin des Bois et L’Aigle des mers avec Errol Flynn).

Frus­tré en quelque sorte par ces suc­cès, qui le condamnent à un genre qui n’était pour lui qu’un gagne-pain tem­po­raire, il achève en 1947 un Concer­to pour vio­lon esquis­sé en 1937 et qu’il enri­chit par la suite de thèmes de ses musiques de films, concer­to que vient d’enregistrer, à côté du Concer­to de Ben­ja­min Brit­ten, Vilde Frang avec l’orchestre radio-sym­pho­nique de Franc­fort diri­gé par James Gaf­fi­gan1.

C’est une oeuvre réso­lu­ment post­ro­man­tique dédiée à Alma Mah­ler, au lyrisme exa­cer­bé, super­be­ment orches­trée et qui ne peut que sus­ci­ter l’émotion, en effet – sauf celle des esprits cha­grins, dont cer­tains cri­tiques de la côte est qui, en réac­tion contre son suc­cès public lors de sa créa­tion par Jascha Hei­fetz, l’avaient sur­nom­mée « Hol­ly­wood Concerto ».

Le Concer­to de Brit­ten, tout aus­si tonal et presque aus­si lyrique, est plus exi­geant sur le plan de la forme, comme toute la musique de Britten.

La jeune – et belle – vio­lo­niste Vilde Frang se joue mer­veilleu­se­ment des dif­fi­cul­tés tech­niques de ces deux oeuvres dia­bo­liques, par­fai­te­ment « en situa­tion » avec son jeu à la fois chaud, sen­suel, vir­tuose et d’une extrême précision.

Au total, deux des concer­tos de vio­lon majeurs du XXe siècle, avec ceux de Pro­ko­fiev et Chostakovitch.

L’Aiglon – HONEGGER et IBERT

Voués aux oubliettes de l’histoire par les aya­tol­lahs des musiques sérielles et autres, Arthur Honeg­ger et Jacques Ibert font par­tie de ces com­po­si­teurs fran­çais du XXe siècle qu’il est urgent de redécouvrir.

CD L'aiglon opéra de Honegger et IbertAuteurs l’un et l’autre de nom­breuses musiques de films, ce qui témoigne de l’accessibilité de leur style, ils se sont asso­ciés en 1937 pour écrire un opé­ra d’après la pièce d’Edmond Ros­tand, L’Aiglon, dont le livret reprend une grande par­tie du texte.

Il s’agissait pour eux, décla­rèrent-ils à la presse lors de la créa­tion, « d’écrire une oeuvre d’un carac­tère popu­laire et direct » qui puisse « tou­cher et émou­voir tous les publics, sans ces­ser d’être une oeuvre d’art » (qui ose­rait aujourd’hui, par­mi les com­po­si­teurs contem­po­rains, faire sien un tel objectif ?).

Eh bien, disons-le tout de go, voi­là un opé­ra de pre­mière gran­deur, qui n’a rien à envier à ceux de Richard Strauss, qui était étran­ge­ment absent de la dis­co­gra­phie jusqu’ici et dont il faut saluer l’enregistrement par l’orchestre sym­pho­nique de Mont­réal diri­gé par Kent Naga­no avec une pléiade de solistes dont l’excellente sopra­no belge Anne-Cathe­rine Gil­let dans le rôle du duc de Reichs­tadt, « l’Aiglon »2.

Des thèmes et des har­mo­nies superbes mis en valeur par une orches­tra­tion qui vaut bien celle de Strauss (Richard), un lyrisme et un carac­tère dra­ma­tique qui ne recherchent pas la faci­li­té et qui cepen­dant pro­voquent et sou­tiennent l’émotion, voi­là un opé­ra fran­çais qui mérite – il avait été inter­dit sous l’Occupation et peu repris depuis, notam­ment il y a peu à l’opéra de Mar­seille – d’être ins­crit au réper­toire des prin­ci­pales scènes nationales.

Hommage à Henri DUTILLEUX

CD Hommage à Henri DutilleuxSous ce titre, un disque récent pré­sente un ensemble de pièces de com­po­si­teurs contem­po­rains dont Dutilleux, Phi­lippe Her­sant, Nico­las Bacri, et d’autres moins connus. Il s’agit de pièces pour vio­lon­celle seul ou pour vio­lon­celle et accor­déon, par Fabrice Bihan, vio­lon­celle, et Phi­lippe Bour­lois3.

Il faut saluer le cou­rage d’une mai­son d’édition qui s’ouvre à des com­po­si­teurs jeunes avec des oeuvres audibles, évo­ca­trices et poétiques.

Celles de Dutilleux, trois Strophes pour vio­lon­celle seul, très fortes, dominent l’ensemble.

Rap­pe­lons que Dutilleux a lui aus­si écrit des musiques de films : pour le célèbre Café du Cadran d’Henri Decoin, par exemple, et aus­si pour un film de pro­pa­gande du gou­ver­ne­ment de Vichy, Forces sur le stade, ce qu’il vaut mieux oublier.

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1. 1 CD Warner.
2. 2 CD Decca.
3. 1 CD Triton.

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