Cheminer avec le général De Gaulle

Cheminer autour du Général

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°756 Juin 2020
Par Pierre-René SÉGUIN (X73)

J’ai eu le temps d’aller au ciné­ma voir le De Gaulle de Gabriel Le Bomin, juste avant qu’on soit con­finé. Autant le dire tout de suite, mal­gré ses plus de 500 000 spec­ta­teurs sur la pre­mière semaine d’exploitation et la seule, ce film n’est pas bon ; non sans qual­ités, mais pas bon ; autant le savoir, au cas où il ferait l’objet d’une reprise d’exploitation à la sor­tie du con­fine­ment. Avant d’essayer de définir pourquoi, je veux le replac­er dans un con­texte par­ti­c­uli­er, le mien.

Si je suis allé voir cette pro­duc­tion dont, par intu­ition, je craig­nais sinon le pire du moins le médiocre, c’est que mon par­ti­c­uli­er trempe dans le Général depuis plusieurs mois. On enchaîne les lec­tures selon des logiques con­tin­gentes, un livre (ou un film) don­nant l’idée et l’envie d’en lire (voir) un autre par asso­ci­a­tion ; et puis un jour on brise la chaîne et on passe à d’autres enchaîne­ments. Je trem­pai fut un temps dans les Bour­bons, de père en fils et en Petit­fils (Jean-Chris­t­ian, fils de Pierre et sans doute petit-fils de quelqu’un). Jadis (presque naguère mais pas autre­fois) on m’offrit ami­cale­ment une biogra­phie insat­is­faisante de Jean Moulin ; un cul­tivé autre ami s’étonna de mon appré­ci­a­tion, car il avait lu une excel­lente bio de Pétain du même auteur (Béné­dicte Vergez-Chaignon) ; je con­firme que ce livre sur le Maréchal est exem­plaire, il me don­na envie d’en savoir plus sur de Gaulle. C’est ain­si que je lus les Mémoires de guerre du Général, dans l’excellente édi­tion de la Pléiade. 

Les Mémoires de guerre du Général

Ce n’est pas faire preuve d’une grande pré­coc­ité que de lire les Mémoires de guerre à soix­ante ans large­ment dépassés. J’assume mes lacunes. Peut-être avec plus de matu­rité ai-je mieux appré­cié l’œuvre. Tou­jours est-il que ce texte mérite le haut niveau auquel on le place com­muné­ment. Cela restera pour moi un moment fort de mon activ­ité de lecteur ; la forme en est impec­ca­ble, la langue exem­plaire, la clarté de la pen­sée indé­pass­able ; les notes de l’édition savante per­me­t­tent de rec­ti­fi­er les faits lorsque la cul­ture his­torique du lecteur est prise en défaut ; indépen­dam­ment des biais intro­duits con­sciem­ment ou non pour l’objectif visé par l’auteur et a con­trario du car­ac­tère admirable de l’aventure con­tée, l’œuvre est en elle-même un mon­u­ment de la lit­téra­ture française. Elle me don­na envie de lire ce que Churchill pou­vait dire de son côté, notam­ment sur le Connétable. 

Celles de Churchill

Je pas­sai donc un temps cer­tain à lire les deux tomes des Mémoires de guerre dudit Sir Win­ston, dans l’édition par François Ker­saudy de la mas­sive ver­sion résumée pub­liée à la fin des années 50 sous la direc­tion du Pre­mier min­istre lui-même (lequel François Ker­saudy est l’auteur notam­ment d’une très bonne bio du descen­dant de Marl­bor­ough, ain­si que d’un ouvrage sur les rela­tions entre Churchill et de Gaulle qui n’apprend rien qu’on ne sache déjà). Lec­ture aisée à court terme, qui dans la durée paraît para­doxale­ment plus pénible que celle du Grand Charles pour­tant plus long, car c’est de l’histoire de jour­nal­iste (Lacou­ture prou­ve néan­moins qu’on peut être jour­nal­iste et rigoureux, et écrivain) et non une « œuvre ».

Les erreurs abon­dent, la prose bat facile­ment la cam­pagne, rares sont les for­mules mar­quantes, on sent le raboutage de con­tri­bu­tions divers­es par un auteur peu regar­dant au résul­tat. Je n’y ai notam­ment pas trou­vé ces por­traits de per­son­nage qu’on a chez le Français et qui en cinq lignes ou en deux pages habil­lent pour l’éternité, en bien ou en mal, celui qui en est le sujet. J’en con­clus que l’Anglais était meilleur ora­teur qu’écrivain, peut-être parce qu’il tra­vail­lait davan­tage à ses dis­cours, qui en demandaient moins. Les Nobel certes pou­vaient dif­fi­cile­ment lui don­ner le prix de la Paix… France un, per­fide Albion zéro !

La biographie de Lacouture

Après l’action de De Gaulle vue par lui-même, une biogra­phie d’icelui ? Je suis allé vers Jean Lacou­ture, trois tomes d’un petit mil­li­er de pages cha­cun : plus je lis des bio, plus je suis con­va­in­cu qu’on ne peut racon­ter la vie d’un grand humain en moins de 800 pages. Cette biogra­phie date un peu (du milieu des années 80) mais je suis con­va­in­cu, alors que j’approche de sa fin, qu’on ne peut faire mieux ; sans doute tel ou tel point a‑t-il été com­plété ou rec­ti­fié depuis lors avec de nou­velles recherch­es ; mais, en tant que glob­al­ité, com­ment faire plus clair et plus com­plet ? En out­re, ce que l’analyse perd en ter­mes de recul par rap­port au sujet (le pre­mier prési­dent de la Ve République était encore au pou­voir une quin­zaine d’années aupar­a­vant), elle le gagne et au-delà en vivac­ité des témoignages, dont celui de l’auteur qui a en tant que jour­nal­iste par­ticipé à beau­coup d’événements relatés à par­tir des années 50. Il ne manque d’ailleurs pas de relever ses pro­pres erreurs de juge­ment sur le moment.

Je suis vrai­ment admi­ratif devant le tra­vail réal­isé : comme dans les ouvrages du per­son­nage sujet du livre, la forme est par­faite, l’écriture impec­ca­ble, la clarté tou­jours évi­dente ; le con­texte de l’action du per­son­nage est décrit à chaque occa­sion en juste pro­por­tion avec ce qui est néces­saire pour com­pren­dre cette action ; et il n’est pas de page qui ne soit agré­men­tée par une référence cul­turelle per­ti­nente, une for­mule per­cu­tante, une réflex­ion éclairante. L’auteur, venant de rivages poli­tiques éloignés de ceux du per­son­nage, a été man­i­feste­ment sub­jugué par son sujet mais n’en est jamais l’otage, ce qui est le défaut le plus naturel du biographe. On ressort de la lec­ture plus intel­li­gent qu’on n’y est entré.

Des faiblesses dans la réalisation

Ce qui n’est pas le cas pour le film qui est le pré­texte à cette prom­e­nade intel­lectuelle autour de De Gaulle. Citons par hon­nêteté ses qual­ités : le déco­ra­teur est excel­lent et le cadre matériel fort bien resti­tué ; l’opérateur aus­si, qui nous donne de belles images ; Tante Yvonne et Sosthène sont flat­tés par les acteurs qui les incar­nent. Le prob­lème est dans le scé­nario. Les auteurs ont choisi de don­ner pen­dant la dizaine de jours autour du 18 juin 1940 où se passe l’action une place aus­si grande à l’intime du Général qu’à l’action publique ; cela human­ise le per­son­nage et je n’ai rien con­tre (son amour sincère pour sa famille et notam­ment pour sa fille hand­i­capée est con­nu) ; mais, s’il s’est inquiété de sa famille en ces jours, cela paraît arti­fi­cielle­ment exagéré dans le film.

Quant à l’action, les scènes gou­verne­men­tales en France sont d’un théâ­tral insup­port­able et traduisent à mon avis fort mal l’ambiance du moment. Acces­soire­ment, je ne sache pas qu’on saluât le chef décou­vert dans les couloirs à cette époque de l’armée française… Reste le per­son­nage prin­ci­pal. Lam­bert Wil­son a rai­son d’incarner sans singer Charles. Mais com­ment y croire ? L’intéressé est telle­ment typé qu’on a du mal à adhér­er à sa trans­po­si­tion laborieuse. La mag­nifique voix du comé­di­en trahit quoiqu’il fasse l’original rugueux et c’est Lam­bert Wil­son qu’on entend. Un acteur a besoin d’être dirigé : c’est dans les lacunes du réal­isa­teur qu’il faut situer l’origine de l’échec, ain­si que dans celles des scé­nar­istes, dont le réal­isa­teur est aus­si respon­s­able ; on ne fait pas faire un chef‑d’œuvre à un tâcheron ; la bonne volon­té ne sup­plée pas au manque de génie.

Messieurs les Anglais

Par com­para­i­son, l’évocation de Churchill dans la même péri­ode réal­isée en 2017 par un autre tâcheron, anglais, inti­t­ulée Dark­est Hour, m’a sem­blé beau­coup plus con­va­in­cante, quoique dépourvue de tout génie, bien dans la tra­di­tion de ce ciné­ma anglais de qual­ité qui tient lieu d’art pop­u­laire à nos voisins depuis qu’Hollywood et la Pre­mière Guerre mon­di­ale ont tué chez eux la pro­duc­tion locale. Angleterre un, France zéro, c’est un comble !

Poster un commentaire