Cent ans d’histoire du Bassin d’essais des carènes

Dossier : ExpressionsMagazine N°627 Septembre 2007
Par Serge BINDEL (47)
Par Jean-Claude DERN (60)
Par Toan NHAM (05)
Par Jean-Marc QUENEZ (86)


Bassin n° 1 avec sa plate-forme originelle.

La créa­tion en 1895 à Paris d’une Sec­tion tech­nique des con­struc­tions navales, chargée de « dress­er, d’après les pro­grammes trans­mis par le min­istre, les plans com­plets des navires et de leurs appareils moteurs », est l’élé­ment déter­mi­nant dans la déci­sion prise, quelques années plus tard, de créer un « bassin des­tiné aux expéri­ences des mod­èles de navires ». 

Le chef de cette sec­tion, Émile Bertin (X 1858), dépensera toute son énergie pour faire aboutir le pro­jet de con­struc­tion d’un bassin de dimen­sions suff­isam­ment grandes et doté d’équipements les plus per­fec­tion­nés, pour qu’on puisse y réalis­er des essais fiables. Le bassin tant atten­du par son fon­da­teur est enfin inau­guré le 9 juil­let 1906. Il a pour longueur 160 mètres, pour largeur 10 mètres, et 4 mètres de profondeur. 

Émile Bar­ril­lon (X 1898), nom­mé à la tête du Bassin en 1920, mar­que de son empreinte le Bassin pen­dant vingt ans ; cette influ­ence sera égale­ment con­sid­érable vis-à-vis de son dis­ci­ple et suc­cesseur, Roger Brard (X 1925). 


Roger BRARD et Émile BARRILLON lors de la 9e ITTC de 1960.

Jusqu’alors con­sacrées à la résis­tance et aux essais en eau libre d’hélice, les études au bassin n° 1 sont éten­dues par Bar­ril­lon à la manœu­vra­bil­ité et à l’au­to­propul­sion en 1929. Il mul­ti­plie les postes d’ex­péri­ences et fonde en 1935 le lab­o­ra­toire hydro­dy­namique. Celui-ci com­prend une cuve à houle per­me­t­tant l’é­tude de la tenue à la mer au point fixe et un canal à mou­ve­ment d’eau. 

Bar­ril­lon réu­nit ses homo­logues bri­tan­nique, alle­mand et hol­landais en fon­dant avec eux la con­férence des directeurs de Bassin en 1932 (qui devien­dra l’In­ter­na­tion­al Tow­ing Tank Con­fer­ence) ; il accueille la 4e édi­tion en 1935. 

Avec Brard, directeur du Bassin à par­tir de 1940, le pre­mier bassin de gira­tion est achevé en 1942 ; le Bassin se dote d’une cuve de tan­gage en marche en 1942 et du pre­mier tun­nel de cav­i­ta­tion en 1948. Brard avait déjà une renom­mée inter­na­tionale acquise en dessi­nant les hélices du Nor­mandie, octroy­ant au paque­bot le record de vitesse de la tra­ver­sée de l’At­lan­tique Nord en 1937, le Ruban bleu alors détenu par le Queen Mary.


Bassin de gira­tion en 1949.

Brard sait prof­iter de la péri­ode de recon­struc­tion d’après-guerre pour diver­si­fi­er les essais au prof­it de la Marine marchande et dot­er le Bassin de moyens mod­ernes, tels le bassin n° 2, con­stru­it en 1951 pour l’é­tude du pas­sage des gros pétroliers dans le canal de Suez, et le bassin n° 3 de 1954, un bassin rec­tiligne clas­sique, mais avec des dimen­sions plus impor­tantes que celui d’origine. 

Avec l’aug­men­ta­tion de la vitesse en plongée des sous-marins pen­dant la Sec­onde Guerre mon­di­ale se pose le prob­lème de la sta­bil­ité en plongée des sous-marins. On décou­vre alors la méth­ode des demi-mod­èles, util­isée jusqu’en 1990. Le Bassin apprend aus­si à utilis­er de grandes maque­ttes nav­i­gantes hors de ses bassins de trac­tion pour répon­dre à de nou­veaux besoins : en 1966, la baie de Saint-Tropez voit nav­iguer le pre­mier mod­èle libre de sous-marin pour le SNLE Red­outable. Brard fait égale­ment étudi­er abon­dam­ment la cav­i­ta­tion dont les essais, dans le petit tun­nel de 1948, ne sont pas suff­isam­ment représen­tat­ifs ; il con­va­inc les autorités du besoin d’un grand tun­nel de cav­i­ta­tion garan­tis­sant la repro­duc­tion des phénomènes réels. 

Un avant-pro­jet de grand cen­tre de recherche, des­tiné à rem­plac­er l’étab­lisse­ment de Paris, et pou­vant en par­ti­c­uli­er accueil­lir ce grand tun­nel, est con­fié à Serge Bindel par le délégué min­istériel pour l’arme­ment. Ce nou­veau cen­tre ne ver­ra toute­fois le jour, et encore sous forme embry­on­naire, que vingt ans plus tard. Pen­dant ce temps, des avancées sci­en­tifiques majeures (élé­ments finis, méth­ode des sin­gu­lar­ités, théorie des tranch­es) et l’ar­rivée de l’in­for­ma­tique pour le cal­cul sci­en­tifique changent pro­fondé­ment les méth­odes de tra­vail durant les décen­nies 1960 et 1970. 


Le cal­cu­la­teur analogique PACE de 1963.

Essai de sous-marin au GTH en 1999.


Max AUCHER


Dès sa créa­tion, en 1906, le Bassin a tra­vail­lé, par voca­tion même, aus­si bien pour les navires civils que mil­i­taires. Cette péri­ode se car­ac­térise par une activ­ité intense autour des pro­jets civils : à par­tir de 1966, le baron Bich s’in­vite au Bassin pour s’en­gager sérieuse­ment dans l’Amer­i­ca’s Cup. Sous l’ef­fet des chocs pétroliers, on s’in­téresse à l’ac­tiv­ité off­shore (une sec­tion « Génie océanique » est créée en 1973), au routage intel­li­gent des navires (la divi­sion « Navires de com­merce » décou­vre une procé­dure pou­vant économiser plus de 20 % de car­bu­rant). En matière mil­i­taire, le silence néces­sité par les portées de plus en plus grandes des équipements de détec­tion sous-marine, impose de mieux dessin­er les propulseurs de sous-marin. En atten­dant le grand tun­nel hydro­dy­namique, le Bassin s’équipe, en 1975, d’un nou­veau tun­nel de moin­dre taille et peut déjà mieux cern­er les paramètres influents. 

Face à la demande de per­for­mances accrues des plates-formes navales, les études de navires non con­ven­tion­nels fleuris­sent. Ces études sont accom­pa­g­nées de la réal­i­sa­tion de mod­èles pilotés de grande taille, com­par­a­tive­ment aux mod­èles habituelle­ment con­stru­its par le Bassin, tant pour les hydrop­tères (H890) que pour les navires à effet de sur­face (Molènes). Un démon­stra­teur (navire expéri­men­tal) de 250 tonnes, Agnès 200, sera même con­stru­it et testé au début des années 1990. 

Max Auch­er (X 1942), directeur du Bassin de 1979 à 1982, achève le mod­èle math­é­ma­tique de manœu­vra­bil­ité des sous-marins, met au point une méth­ode d’ex­trap­o­la­tion à l’échelle 1 des essais sur mod­èle de résis­tance et d’au­to­propul­sion de bâti­ments de sur­face et con­tribue aux recherch­es de réduc­tion de bruit des propulseurs. 


Bassin Bar­il­lon en 2000

Les sys­tèmes Satrap et Cog­ite, pour la réduc­tion du roulis et de la gîte au moyen d’ailerons et de mass­es mobiles sont mis au point sur le Pen Men, mod­èle libre du porte-avions Charles de Gaulle testé à Lori­ent de 1987 à 1991. 

Le grand tun­nel de cav­i­ta­tion (désor­mais appelé grand tun­nel hydro­dy­namique), est inau­guré en 1988 à Val-de-Reuil. Il est util­isé inten­sive­ment en vue de la réduc­tion de la cav­i­ta­tion et du ray­on­nement acous­tique des propulseurs de sous-marins. 

Dans cette annexe nor­mande du Bassin, J.-C. Dern (directeur entre 1988 et 1996) développe l’ac­tiv­ité de recherche hydro­dy­namique à tra­vers la fon­da­tion d’une « sec­tion recherche ». C’est ain­si que sont posées entre 1990 et 1995 les bases de nou­veaux domaines d’ac­tiv­ités, dont la con­cep­tion glob­ale des propulseurs. Une fois acquise la maîtrise du grand tun­nel, l’é­tude de la cav­i­ta­tion des propulseurs fait des pro­grès décisifs. 

Une chaîne de cal­cul de con­cep­tion des propulseurs est mise au point. La tenue d’im­mer­sion des sous-marins près de la sur­face fait l’ob­jet de cal­culs et d’es­sais avec le nou­veau mod­èle libre de 1990. 

Con­stru­it en l’an 2000, le nou­veau bassin de 550 m, nom­mé « bassin Bar­ril­lon » à l’oc­ca­sion du cen­te­naire, per­met les pre­miers tests à grande échelle ain­si que des essais sur houle extrême (mer de niveau 8 et plus). 

La con­nais­sance de l’in­tégrité des struc­tures navales s’é­panouit dans les cal­culs com­plets de struc­tures de navires et l’in­stal­la­tion de mon­i­tor­ings de coques (out­ils de sur­veil­lance de l’é­tat des coques, y com­pris pen­dant le ser­vice) sur des bâti­ments de la Marine. 

Petit à petit, toute l’ac­tiv­ité du Bassin est démé­nagée à Val-de-Reuil, aujour­d’hui le cœur de l’hy­dro­dy­namique navale en France. 

Des cal­culs fiables validés par des essais à la cuve à houle « Roger Brard » per­me­t­tent l’é­clo­sion du domaine de la sta­bil­ité dynamique des navires après avaries. 

Ces nou­velles capac­ités sont cou­plées à deux chaînes numériques automa­tisées d’op­ti­mi­sa­tion de carènes et de propulseurs pour amélior­er les per­for­mances des navires. Elles sont prêtes à répon­dre aux défis que lanceront les archi­tectes et arma­teurs de la prochaine décen­nie pour amélior­er de façon spec­tac­u­laire les per­for­mances et la sécu­rité des navires. 

RÉFÉRENCES

1. Fas­ci­cule Cent ans d’histoire du Bassin d’essais des carènes, écrit à par­tir des notes de Max AUCHER et com­plété par les ingénieurs et tech­ni­ciens du cen­tre, 104 pages, 2006, peut être demandé au Bassin d’essais des carènes, Chaussée du Vex­in, 27100, Val-de-Reuil.
2. Arti­cle de l’Association tech­nique mar­itime et aéro­nau­tique, 2006, « 1906–2006, le cen­te­naire du Bassin d’essais des carènes, De l’évaluation à la con­cep­tion, S. BINDEL, J.-C. DERN, J.-M. QUENEZ. 

2 Commentaires

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Mme THOMAS Marie-Jeannerépondre
3 février 2013 à 13 h 10 min

Mon père à tra­vail­lé au Bassin des Carènes
Bon­jour,
Mon père : BOSQUET Albert à tra­vail­lé au Bassin des Carènes jusqu’à sa retraite le 26 mars 1971 en même temps que M. LARGIER. le pot d’adieu a eu lieu au réfec­toire du Bassin.
J’ai en ma pos­ses­sion dif­férentes pho­tos qui représen­tent, je le pense, des essais pris­es me sem­ble-t-il au Bassin.
Vous serez-t-il pos­si­ble de m’en dire plus sur mon papa ?
Je vous en remer­cie par avance.
Mme THOMAS Marie-Jeanne et Mme BOSQUET Thérése ses filles

Michel Courou­blerépondre
17 mai 2021 à 18 h 29 min

Ancien ingénieur au Bassin des Carènes , boule­vard Victor
Directeur de l’époque ( 1968 — 1973 ) Mon­sieur CASTERA et Max AUCHER comme s/ directeur
J’ai pu faire un début de car­rière excep­tion­nel , à la tâche sles navires spé­ci­aux avec Robert BALQUET : hydrop­tère SA 800 , navres à lame d’air cap­tive, propul­sions diphasiques.…. !
Très heureux de savoir le bassin renaître et pour­suiv­re ses mis­sions dans un site d’exception !
La vis­ite est elle réal­is­able pour les anciens ?
Bien cordialement

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