Capital investissement : questions posées et tentatives de réponse

Dossier : Capital InvestissementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Xavier MORENO (68)

Le Private Equity est-il une nouvelle forme de capitalisme ?

Le Private Equity est-il une nouvelle forme de capitalisme ?

Le cap­i­tal­isme a besoin d’un rouage essen­tiel qui per­me­tte à l’é­pargne de financer les entre­pris­es et de leur trou­ver des pro­prié­taires. His­torique­ment, sont apparues trois formes de cap­i­tal­isme. Celui d’É­tat illus­tré par les man­u­fac­tures de Col­bert et ses avatars mod­ernes du secteur nation­al­isé. Celui des familles illus­tré par les trois cents ans du groupe Wen­del et incar­né aujour­d’hui par les Bouygues, Arnault, Lagardère, Bol­loré ou Pin­ault. Celui, enfin, du cap­i­tal­isme des marchés financiers né au xixe siè­cle et qui représente tou­jours l’essen­tiel du cir­cuit long de l’é­pargne vers les entreprises.

Avec le Pri­vate Equi­ty, les grandes sources d’é­pargne au plan mon­di­al, c’est-à-dire, les caiss­es de retraite, qu’on les appelle assur­ance-vie ou fonds de pen­sion, ont priv­ilégié un cir­cuit court avec un seul inter­mé­di­aire : la société qui gère le Fonds d’in­vestisse­ment assure l’achat des entre­pris­es, leur finance­ment, la nom­i­na­tion des dirigeants, les déci­sions stratégiques et la liq­uid­ité du place­ment par la revente, le plus sou­vent en bloc, de l’entreprise.

C’est cette con­cen­tra­tion de pou­voir qui assure le pro­fes­sion­nal­isme et l’ef­fi­cac­ité de ce nou­veau capitalisme. 

Quels sont les atouts du Private Equity par rapport aux autres formes de capitalisme ?

Le pre­mier est d’ap­porter à la fois du cap­i­tal et de l’ex­per­tise. Dans le cap­i­tal­isme financier, une longue chaîne de com­pé­tences s’ef­force d’ori­en­ter au mieux l’é­pargne investie en actions et de gér­er les pou­voirs asso­ciés : con­seil en pat­ri­moine, gérants de Sicav, ana­lystes financiers, asso­ci­a­tions d’ac­tion­naires, agences de nota­tion, assem­blées générales et con­seils d’ad­min­is­tra­tion se parta­gent les rôles et se com­plè­tent pour choisir où et quand inve­stir et exercer ce qu’on appelle une gou­ver­nance effi­cace. Mais cet éclate­ment des com­pé­tences enlève la vue d’ensem­ble et rend plus dif­fi­cile les analy­ses appro­fondies comme la prise de déci­sions stratégiques.

Le Pri­vate Equi­ty a poussé au plus haut degré de pro­fes­sion­nal­isme l’ex­per­tise ” avant achat “, ain­si que l’ex­er­ci­ce du rôle d’ac­tion­naire pleine­ment respon­s­able, des ori­en­ta­tions stratégiques et du con­trôle de la gestion.

Beau­coup de grands groupes cotés ont pu véri­fi­er que lorsqu’ils vendent cer­taines de leurs activ­ités au Pri­vate Equi­ty, l’ac­quéreur con­duit des inves­ti­ga­tions préal­ables, due dili­gence, qui lui don­nent in fine une meilleure con­nais­sance que le vendeur des activ­ités cédées ! Beau­coup de groupes famil­i­aux qui, pour gér­er une trans­mis­sion pro­gres­sive du cap­i­tal se sont asso­ciés au Pri­vate Equi­ty, ont pu con­stater l’ef­fi­cac­ité de la gou­ver­nance mise en place. Dans le cap­i­tal­isme famil­ial, seuls les groupes qui ont su pro­fes­sion­nalis­er la gou­ver­nance sur­vivent à la généra­tion du fondateur.

Le sec­ond atout est de dis­pos­er d’un hori­zon de temps plus long que celui qu’im­posent les marchés financiers. Le Pri­vate Equi­ty investit après avoir arrêté une stratégie de développe­ment à trois à cinq ans, dont la réal­i­sa­tion ne sera pas com­pro­mise par d’éventuelles fluc­tu­a­tions trimestrielles de résul­tats. Les ges­tion­naires de Pri­vate Equi­ty ont eux-mêmes reçu de leurs ” clients ” épargnants un engage­ment à dix ans qui per­met de mobilis­er les cap­i­taux néces­saires sur une longue péri­ode pour attein­dre les objec­tifs de développe­ment. Le cap­i­tal­isme famil­ial dis­pose aus­si de cet atout avec plus de temps pour réalis­er les pro­jets mais sou­vent moins de cap­i­taux pour les financer.

Le troisième atout est l’aligne­ment fort d’in­térêt entre les action­naires et le man­age­ment. Au prix d’une prise de risque pat­ri­mo­ni­ale per­son­nelle élevée, les équipes dirigeant les sociétés appar­tenant au Pri­vate Equi­ty peu­vent, en cas de forte val­ori­sa­tion de leur entre­prise, tir­er de sub­stantielles plus val­ues. Et, fort heureuse­ment, la pra­tique se répand d’élargir à l’ensem­ble des salariés cette offre attrac­tive de devenir action­naire de sa société. Le cap­i­tal­isme financier est allé dans cette voie depuis longtemps par les stock options et les plans d’é­pargne d’en­tre­prise investis en actions de l’en­tre­prise, alors que cette pra­tique est plus rare dans le cap­i­tal­isme famil­ial. Mais le Pri­vate Equi­ty l’a général­isée dans des pro­por­tions par­fois telles qu’après deux ou trois trans­mis­sions en Pri­vate Equi­ty, le man­age­ment et les salariés peu­vent pren­dre le plein con­trôle de leur entre­prise. Nul doute que la moti­va­tion qui en résulte con­tribue aux per­for­mances des entre­pris­es détenues par le Pri­vate Equi­ty. À not­er un autre avan­tage lié à la prise de risque pat­ri­mo­ni­al, qui est logique­ment un meilleur régime fiscal.

Le qua­trième atout est l’op­ti­mi­sa­tion finan­cière qua­si per­ma­nente, c’est-à-dire le choix des modes de finance­ment qui soient les plus adap­tés à la généra­tion de cash de l’en­tre­prise. Le Pri­vate Equi­ty utilise le plus pos­si­ble les ressources d’emprunt et en évi­tant d’im­mo­bilis­er inutile­ment le cap­i­tal. Ce fameux levi­er d’en­det­te­ment sus­cite à son tour beau­coup de ques­tions. Mais il con­tribue forte­ment à la sur performance.

Peut-on prouver quantitativement la sur performance du Private Equity ?

Toute preuve quan­tifiée néces­site en économie de longues séries de chiffres pour des résul­tats ” sta­tis­tique­ment sig­ni­fi­cat­ifs “. Le Pri­vate Equi­ty col­lecte beau­coup de don­nées, mais avec des séries disponibles beau­coup moins longues et moins com­plètes que celles fournies par les entre­pris­es cotées.

Néan­moins, les quinze dernières années ont mon­tré une surper­for­mance de 5 à 10 % dans les ren­de­ments annuels du Pri­vate Equi­ty par rap­port aux place­ments bour­si­er com­pa­ra­bles. La meilleure démon­stra­tion en est fournie par les per­for­mances com­parées pub­liées par les grands Fonds de pen­sions nord américains.

L’autre volet de la sur per­for­mance se mesure dans les entre­pris­es détenues par le Pri­vate Equi­ty. En France, l’AF­IC1 a fait faire une étude détail­lée sur un échan­til­lon d’en­tre­pris­es assez vaste, et donc probant, même s’il est dif­fi­cile d’en démon­tr­er la représen­ta­tiv­ité. Le résul­tat est que les entre­pris­es détenues par le Pri­vate Equi­ty ont une crois­sance plus rapi­de et créent plus d’emplois que les autres. Voilà en tout cas un champ de recherche fécond à pro­pos­er à de jeunes chercheurs en économie.

Le recours massif à l’endettement ne fait-il pas peser un risque insupportable aux entreprises détenues par le Private Equity ?

Il est impor­tant de rap­pel­er à ce sujet que le Pri­vate Equi­ty ne se résume pas au LBO. Tout le secteur du Ven­ture Cap­i­tal, cap­i­tal-créa­tion, et cap­i­tal-développe­ment opère sans endet­te­ment. Pour le LBO, le recours aux finance­ments ban­caires est la règle. Mais la dette ne pèse pas directe­ment sur les entre­pris­es. Elle finance leur acqui­si­tion par une ” société mère ” et le droit, comme la pra­tique, pro­tè­gent la société ” fille ” d’un prélève­ment financier exces­sif au prof­it de la ” mère “. En out­re, une grande par­tie de ces dettes est un ” prêt sur gage ” qui n’est rem­boursable qu’au moment de la revente. Plus risquées et ayant des échéances à huit ou dix ans, ces dettes ressem­blent beau­coup à des Fonds Pro­pres, sauf qu’elles sont pri­or­i­taires par rap­port au cap­i­tal et rémunérées à des taux inter­mé­di­aires entre dette ban­caire clas­sique et rentabil­ité atten­due des Fonds propres. 

Porté par la très grande liquidité du marché, le Private Equity ne risque-t-il pas une crise grave en cas de “credit crunch ” ?

Il est incon­testable que le cer­cle vertueux des taux d’in­térêts bas, d’une offre de dette abon­dante de la part des ban­ques, d’une très bonne rentabil­ité de ces crédits à forte marge et à faible taux de défaut, a forte­ment con­tribué à gon­fler les moyens à dis­po­si­tion du Pri­vate Equi­ty… et les prix des entre­pris­es achetées. La sit­u­a­tion peut chang­er bru­tale­ment, comme en juil­let dernier, empêchant la con­clu­sion de cer­taines trans­ac­tions et ren­dant le crédit plus cher. Pour autant, cette ten­sion ne met­tra pas en péril l’ensem­ble du marché : les trans­ac­tions passées sont pro­tégées par les con­trats de crédit signés et une cou­ver­ture du risque de taux. Les trans­ac­tions futures seront moins faciles à financer. Mais, à con­di­tion de revoir les marges ban­caires à la hausse et les taux d’en­det­te­ment à la baisse, un nou­v­el équili­bre entre offre et demande de crédit s’établi­ra spon­tané­ment. Le prix à pay­er sera un peu moins ” d’ex­ubérance ” dans les prix, ce qui défa­voris­era les vendeurs, mais pas les acheteurs. Donc un refroidisse­ment, mais pas une crise.

Jusqu’où ira la ” prise de part de marché ” du Private Equity sur les autres capitalismes ?

Ques­tion dif­fi­cile. Mais même si le Pri­vate Equi­ty a de nom­breux atouts, les trois autres cap­i­tal­ismes ont les leurs. Les fron­tières entre eux peu­vent se déplac­er, mais aucun ne dis­paraî­tra. Les grands manip­u­la­teurs des vas­es com­mu­ni­cants sont les grandes caiss­es de retraite de par le monde, surtout celles d’Amérique et d’Eu­rope du Nord. Ce sont elles qui décideront quelle part de l’é­pargne qu’elles gèrent doit aller vers le Pri­vate Equi­ty ou vers les marchés actions traditionnels.

Elles sont passées en moyenne de 5 % il y a dix ans à près de 10 %, voire même 15 %, aujour­d’hui. Le jour où elles fer­ont plus con­fi­ance aux place­ments bour­siers qu’aux mega trans­ac­tions de KKR ou Black­stone, le Pri­vate Equi­ty pla­fon­nera à son niveau d’équilibre.

Même si le tâton­nement autour de cet équili­bre se fait au prix de cer­taines désil­lu­sions, sous-per­for­mance ou même échecs reten­tis­sants, les atouts du Pri­vate Equi­ty lui promet­tent un avenir très por­teur. Aus­si por­teur que celui qui attend les entre­pre­neurs, car rarement l’en­vi­ron­nement économique mon­di­al a été aus­si favor­able aux créa­teurs de richesse et aux ges­tion­naires de capital.

1. AFIC : Asso­ci­a­tion Française des Investis­seurs en Capital.

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