Byunghyun OH (2007)

Byunghyun OH (2007)

Dossier : TrajectoiresMagazine N°738 Octobre 2018
Par Alix VERDET

La Jaune et la Rouge donne la parole aux alum­nis pour met­tre en valeur la grande var­iété des pro­fils et des par­cours dans la com­mu­nauté polytechnicienne.

Peux-tu nous présenter ton parcours depuis la Corée jusqu’à Polytechnique ?

Je m’appelle Byunghyun Oh (pronon­cez *pio­nne hie­unne), Oh étant mon nom de famille, ce qui aide les gens qui ne savent pas com­ment m’appeler (« Mon­sieur Oh, bon­jour ! »). Per­son­nelle­ment, je préfère un Byung mal pronon­cé qui me fait me sen­tir unique. Je suis né en Corée en 1983 à Séoul même et j’ai vécu dans la ban­lieue de Séoul.

Je suis allé à l’université Postech, spé­cial­isée en ingénierie et sci­ences, à Pohang de l’autre côté du pays. J’ai fait mon ser­vice mil­i­taire oblig­a­toire en Corée pen­dant deux ans et trois mois dans l’armée de l’air en tant que sur­veil­lant de radars, à la fin de ma pre­mière année uni­ver­si­taire. Par la suite, j’ai eu l’opportunité de ren­con­tr­er des pro­fesseurs étrangers en vis­ite en Corée dans mon uni­ver­sité. J’ai préféré éviter les uni­ver­sités améri­caines ou anglo-saxonnes.

Pourquoi ?

Parce que c’est trop courant, tout le monde le fait et je me con­sid­ère volon­tiers atyp­ique. Claude Viter­bo, un pro­fesseur de l’École poly­tech­nique, est venu pour une con­férence. Un rap­proche­ment était en pro­jet entre mon uni­ver­sité et Poly­tech­nique et on cher­chait un élève par­tant pour ten­ter l’aventure. Il se trou­ve que je rem­plis­sais toutes les con­di­tions : j’avais fini mon ser­vice mil­i­taire, con­di­tion sine qua non si on veut aller à l’étranger pour une longue durée ; il fal­lait ne pas préfér­er les uni­ver­sités anglo-sax­onnes ; un de mes pro­fesseurs m’a recom­mandé auprès de mon directeur ; j’avais un ami fran­cophile qui avait une bonne image de la France. Toutes ces cir­con­stances ont fait que la chance est tombée sur moi et je l’ai saisie.

Ça ne t’a pas fait peur de suivre un enseignement en français ?

Les langues étrangères et moi, c’est une petite rela­tion de plaisir. Je par­lais déjà l’anglais, j’apprenais sérieuse­ment l’allemand au lycée en lien avec ma pas­sion pour la musique clas­sique où il y a beau­coup de paroles en alle­mand. Avec mon ami fran­cophile, nous échan­gions nos con­nais­sances en langues.

Est-ce que ça a été dur de quitter la Corée ?

Ça n’a pas été trop dur parce que je n’aimais pas tant que ça mon pays, même si je suis plus nuancé aujourd’hui, quand je vois son évo­lu­tion depuis dix ans. Je n’aime pas une cer­taine cul­ture sociale qui rabote toutes les dif­férences entre les gens, pour les met­tre dans un seul moule autorisé. Et j’étais curieux de savoir com­ment ça se pas­sait en France. Je savais que ce serait un point de non-retour.

Qu’est-ce que tu as aimé à l’École polytechnique ?

C’est d’avoir un par­cours prédéfi­ni qui t’oblige à t’ouvrir. J’avais plus d’appétence pour les math­é­ma­tiques mais j’ai été obligé de faire de la physique, de la biolo­gie, de la bio­math­é­ma­tique, de l’économie, de la mécanique – ma pire note, mais suff­isante pour valider.

En dehors des cours, j’ai pu pra­ti­quer du sport. J’ai choisi la sec­tion escalade comme mon par­rain de la pro­mo 2006. Aujourd’hui, je reste en con­tact avec mon chef de sec­tion escalade.

Une autre activ­ité était impor­tante, c’était la chorale car j’aimais beau­coup la musique clas­sique. Je par­ticipe tou­jours à la chorale de l’X en renfort.

Y a‑t-il des choses que tu as moins bien vécues ?

Ce que j’ai moins appré­cié, c’est une rel­a­tive fer­me­ture des élèves français aux élèves étrangers. Les dif­férences cul­turelles ont engen­dré des malen­ten­dus dont je ne pou­vais pas avoir con­science. Les élèves français vien­nent en général de pré­pas comme Louis-le-Grand, Hen­ri-IV et autres et j’ai vu des élèves garder très fière­ment leur carte de lycée de façon très vis­i­ble. Ces élèves-là vien­nent d’un moule fran­co-français, avec des codes cul­turels partagés, style polo, chaus­sures bateau, etc. Ça paraît car­i­cat­ur­al mais à peine. Alors pourquoi s’intéresseraient-ils aux étrangers ? C’était mon analyse. Ce qui fait que mes con­tacts à l’École étaient sans excep­tion tous issus de quartiers dif­fi­ciles et bour­siers. Ça fait mal. Les étrangers étaient sol­idaires entre eux. Mon cer­cle de sou­tiens était com­posé de Viet­namiens, d’Indiens, de Chinois.

J’ai aus­si souf­fert de la rigid­ité de cer­tains cadres mil­i­taires qui sem­blaient être là pour te punir plutôt que pour te soutenir. Comme j’avais une cer­taine habi­tude mil­i­taire – j’avais survécu à plus de deux ans de ser­vice mil­i­taire dans une toute petite base mil­i­taire au fin fond du monde –, j’ai fini par me pli­er, pour ma survie : j’ai rangé tout mon cœur et mes émo­tions dans un casi­er et j’ai fer­mé à clé.

En as-tu parlé avec les autres ?

Non, je n’en ai pas par­lé. J’espère que cette occa­sion de m’exprimer per­me­t­tra à d’autres de le faire. Aujourd’hui, je n’ai peur de rien, je n’ai rien à per­dre, et dire, ça fait du bien.

Comment s’est passée ton adaptation à la France ?

Par le monde asso­ci­atif, on peut ren­con­tr­er beau­coup de per­son­nes. Mes activ­ités sportives et de chorale à l’École m’ont aidé. Mon chef de sec­tion sportive invi­tait régulière­ment des élèves en sor­tie pour faire de l’escalade en dehors de ses heures obligatoires.

Ça m’a per­mis de décou­vrir la cul­ture française, de par­ticiper aux pots où cha­cun pré­pare la cui­sine à tour de rôle et où j’ai fait décou­vrir la salade coréenne avec du piment. Car faire des maths et de la physique, ça touche peu de per­son­nes en dehors du cadre de l’École.

Sinon, être coréen, c’est avoir une nation­al­ité très neu­tre pour les Français, sans con­no­ta­tions ni néga­tives ni pos­i­tives, même si les gens sont per­dus au début quand je leur dis que je ne suis pas chinois !

Envisages-tu ta vie en France ou en Corée ?

Pour l’instant, j’envisage ma vie en France pour une durée indéter­minée, je n’envisage pas de ren­tr­er en Corée de façon défini­tive, sauf pour des raisons per­son­nelles que je ne peux maîtris­er. J’ai beau­coup prof­ité de tout ce que la France a pu me don­ner : l’École, la lib­erté d’être soi-même. Et le régime social français avec ses 35 heures et ses nom­breuses RTT, quand je sais qu’en Corée les gens ont une semaine de vacances par an au maximum.

Quel a été ton parcours professionnel ?

Les trois emplois que j’ai eus étaient tous dans l’informatique. Je suis à BNP Paribas depuis 4 ans et demi. L’informatique était ma pas­sion d’adolescence mais je voulais sor­tir de cette image de geek, trop replié sur soi. Par­fois, je suis un peu « jaloux » car plusieurs cama­rades de pro­mo­tion se sont lancés avec suc­cès dans l’entrepreneuriat. Mais ce qui me plaît, ma voca­tion, c’est que je con­tribue au bien-être de mes col­lab­o­ra­teurs qui sont venus à l’informatique par défaut et n’ont pas la for­ma­tion qu’il faut. J’ai vu des biochimistes, des métro­logues, des spé­cial­istes du nucléaire qui ont atter­ri dans l’informatique parce qu’il n’y avait pas autre chose pour eux. Il leur manque la com­bi­nai­son infor­ma­tique et math­é­ma­tiques que j’ai acquise. Je me sens pro­tégé par ce diplôme si sin­guli­er qu’est celui de l’École poly­tech­nique. Lorsque j’ai mis en place des change­ments, je suis con­tent d’entendre mes col­lègues dire : « Mais pourquoi n’a‑t-on pas fait comme ça jusqu’à présent ? » Ce sont des com­pli­ments très forts pour moi et je leur en suis recon­nais­sant aus­si, car sans leur sou­tien, je n’aurais pas for­cé­ment eu l’accord des chefs.

As-tu gardé des liens avec des camarades polytechniciens ?

À l’occasion d’un after­work de pro­mo ou par hasard. Récem­ment, un cama­rade chilien m’a demandé des con­seils pour choisir du bon gin­seng, plante coréenne his­torique par excel­lence. C’était le plus inat­ten­du des contacts !

Être coréen, avoir fait Poly­tech­nique, avoir acquis cette dimen­sion cul­turelle nou­velle, avoir par­cou­ru des sujets très var­iés, ça m’a per­mis d’en être là aujourd’hui. Je suis sat­is­fait, même si je me dis aus­si que j’aurais pu faire mieux.

Commentaire

Ajouter un commentaire

Duvalrépondre
12 octobre 2018 à 17 h 42 min

Témoignage Byunghyun OH (2007) — N° 738 de la J et la R
Bien que con­sid­érable­ment plus ancien que Byungh Oh (je suis de la pro­mo­tion 1962 et j’ai 77 ans), je trou­ve des simil­i­tudes entre ce qu’il relate de ses dif­fi­cultés à nouer de véri­ta­bles rela­tions avec ses cama­rades de pro­mo français et ce que j’ai vécu en uni­ver­sité améri­caine (UC Berke­ley) où j’ai séjourné durant un laps de temps plus court, il est vrai, durant l’an­née sco­laire 1967–1968, pour y décrocher un mas­ter of sci­ence en nuclear engi­neer­ing. Je ne me sou­viens pas y avoir noué des rela­tions appro­fondies avec des étu­di­ants améri­cains, qu’ils aient appartenu à mon départe­ment ou pas. Il y avait une cer­taine dif­férence d’âge (j’avais presque 26 ans en arrivant, j’avais suivi le cur­sus de l’X, du Ser­vice mil­i­taire et de l’é­cole d’ap­pli­ca­tion) et j’é­tais donc sen­si­ble­ment plus âgé que mes condis­ci­ples, les préoc­cu­pa­tions des étu­di­ants améri­cains n’é­taient pas les miennes (le mou­ve­ment hip­pie, dont j’ig­no­rais tout à l’époque, était en pleine ascen­sion à San Fran­cis­co, c’est à dire à deux pas de Berke­ley, et la résis­tance des étu­di­ants améri­cains à la guerre au Viet­nam et, surtout, aux men­aces d’en­rôle­ment quelle impli­quait pour eux, était déjà très vive, alors qu’en Europe, d’où je venais, le pub­lic, du moins celui de mon âge, n’é­tait pas encore très sen­si­bil­isé à ce con­flit) et, par ailleurs, l’é­tu­di­ant améri­cain moyen ne man­i­fes­tait pas d’ap­pé­tence par­ti­c­ulière pour un partage d’ex­péri­ence ou de cul­ture avec des étu­di­ants non-améri­cains. Mes rela­tions un tant soit peu suiv­ies par­mi les étu­di­ants se situ­aient donc qua­si-exclu­sive­ment dans la pop­u­la­tion des non-améri­cains (français, bien sûr, dont quelques X, mais, plus large­ment, européens, voire Sud-améri­cains ou, éventuelle­ment, indi­ens (de l’Inde)…assez nom­breux, pour ces derniers, en Nuclear engineering.
J’au­rais ten­dance à penser, par con­séquent, que, mal­heureuse­ment, le relatif isole­ment dont sem­ble avoir souf­fert Byungh Oh durant son cur­sus à l’X, cor­re­spond à un phénomène assez clas­sique, donc à car­ac­tère plus ou moins intem­porel, lorsqu’on a affaire à une pop­u­la­tion jeune, au sein de laque­lle on se trou­ve para­chuté à un âge et avec une expéri­ence de la vie et des préoc­cu­pa­tions sen­si­ble­ment dif­férents de ce que sont ceux de la majorité de cette population. 

Emmanuel Duval

Répondre