Troupeau de vaches avec leurs veaux dans le bocage charolais.

Biodiversité et agriculture

Dossier : La biodiversitéMagazine N°616 Juin/Juillet 2006
Par Gilles KLEITZ

La biodiversité des territoires agricoles, pastoraux et ruraux

La biodiversité des territoires agricoles, pastoraux et ruraux

Le domaine rur­al, où s’ex­er­cent notam­ment les activ­ités agri­coles et pas­torales, cou­vre plus de la moitié du ter­ri­toire français. On y trou­ve non seule­ment l’ensem­ble des habi­tats et des espèces du ter­ri­toire, y com­pris celles inscrites dans les Livres rouges (listes des espèces rares ou men­acées), mais égale­ment le pat­ri­moine vivant des espèces, var­iétés, et races cul­tivées ou élevées, sélec­tion­nées au cours de l’his­toire. Le monde rur­al joue ain­si un rôle de pre­mier plan dans l’évo­lu­tion de la diver­sité du monde vivant sur le ter­ri­toire français. De façon pra­tique, les liens entre activ­ité agri­cole et bio­di­ver­sité se com­pren­nent à l’échelle de la par­celle, de l’ex­ploita­tion et du ter­ri­toire. Ils intè­grent les dimen­sions biologiques et agronomiques, sociales et tech­niques, et les rap­ports à l’é­conomie et aux marchés.

L’a­gri­cul­ture et l’él­e­vage con­sis­tent en pre­mier lieu à maîtris­er des cycles de vie d’or­gan­ismes utiles, sélec­tion­nés, dans le cadre d’é­cosys­tèmes sim­pli­fiés, semi-naturels ou très peu mod­i­fiés. Cette maîtrise exige un tra­vail, un savoir-faire, des amé­nage­ments et des intrants. Il en résulte des par­celles ou des ate­liers qui, selon les cas, vont être d’une très grande diver­sité biologique, par­fois com­pa­ra­ble ou supérieure à ce qu’elle serait en l’ab­sence d’in­ter­ven­tion, ou au con­traire appau­vrie, com­mune, et de faible valeur pat­ri­mo­ni­ale et écologique.

Ain­si, les straté­gies agronomiques d’une part (amé­nage­ments, rota­tions cul­tur­ales, plan­ta­tion de haies, ges­tion des prairies…) et les tech­niques d’autre part (tra­vail du sol, pacage d’an­i­maux, util­i­sa­tion d’in­trants de syn­thèse, épandage des efflu­ents d’él­e­vage, util­i­sa­tion de races et var­iétés adap­tées au milieu, autres inter­ven­tions tech­niques, choix de la saison­nal­ité et de l’in­ten­sité dont font l’ob­jet ces travaux) déter­mi­nent, dans une très large mesure, quels organ­ismes, choi­sis ou spon­tanés, vivent sur une par­celle et per­me­t­tent d’éviter l’u­til­i­sa­tion de tech­niques nuis­i­bles pour la bio­di­ver­sité du sol et des plantes (phy­tosan­i­taires…). Ces choix stratégiques et tac­tiques influ­ent ain­si sur la diver­sité des organ­ismes et la pro­duc­tion de bio­masse sur une par­celle, leur valeur en tant que pat­ri­moine naturel, et leurs capac­ités de régu­la­tion écologique.

L’or­gan­i­sa­tion spa­tiale des par­celles dans l’ex­ploita­tion agri­cole et dans l’en­vi­ron­nement rur­al représente un deux­ième déter­mi­nant fon­da­men­tal pour la diver­sité biologique du monde rur­al. L’open­field, le bocage, les mosaïques de bosquets, de zones cul­tivées et de prairies, les verg­ers, l’im­por­tance des prairies naturelles et per­ma­nentes, la diver­sité à l’in­térieur des par­celles et entre par­celles, l’in­ser­tion spa­tiale et topographique du réseau hydro­graphique dans le par­cel­laire agri­cole, les liens entre ces élé­ments, ou la part des élé­ments linéaires dans l’en­vi­ron­nement sont tous struc­turants pour l’ex­is­tence d’habi­tats var­iés et de zones refuges pour les organismes.

De même que la taille des par­celles, et que le posi­tion­nement des jachères, ce sont ces élé­ments qui déter­mi­nent la con­nec­tiv­ité écologique du ter­ri­toire, per­me­t­tent des zones de refuge ou de coloni­sa­tion de pop­u­la­tions d’e­spèces et d’habi­tats, et déter­mi­nent la richesse biologique du milieu rur­al. Ces choix peu­vent y con­tribuer, mais égale­ment aller à con­tre­sens de cette richesse. C’est le cas, par exem­ple, lorsque le sys­tème de cul­ture se base sur une seule cul­ture dans le temps et dans l’e­space, cul­tivée sur des par­celles de grande taille défici­taires en “zones de régu­la­tion écologique” (haies, bosquets…).

Les systèmes d’exploitation agricole et leurs effets sur la biodiversité

La France rurale est, à l’échelle du siè­cle écoulé, dans une phase de recrû biologique : elle est moins peu­plée et moins util­isée. En cent cinquante ans, un dix­ième du ter­ri­toire est passé de la cul­ture et de la prairie à la forêt. Cepen­dant, des dynamiques his­toriques de spé­cial­i­sa­tion ter­ri­to­ri­ale, d’in­ten­si­fi­ca­tion, de déprise agri­cole, et de mitage péri­ur­bain oblig­ent à un con­stat nuancé, selon les situations.

Les cul­tures cou­vrent 30 % du ter­ri­toire et leur inten­si­fi­ca­tion his­torique, répon­dant à un impératif d’au­to­suff­i­sance ali­men­taire et de développe­ment économique, a entraîné des effets défa­vor­ables à la bio­di­ver­sité sur ces terres.


Trou­peau de vach­es avec leurs veaux dans le bocage charo­lais. © PASCAL XICLUNA/MIN.AGRI.FR.

Dans les régions de grande cul­ture, représen­tant la moitié des sur­faces cul­tivées, les prairies et les sur­faces boisées occu­pent une sur­face réduite, ce qui induit une homogénéité des habi­tats et des sources ali­men­taires, préju­di­cia­ble en par­ti­c­uli­er à la faune sauvage. En out­re, les modal­ités d’u­til­i­sa­tion de la diver­sité var­ié­tale et ani­male ont changé, entraî­nant sou­vent une éro­sion de l’a­gro­bio­di­ver­sité à l’échelle locale.

L’usage réguli­er des pes­ti­cides, accru par une pres­sion crois­sante des ravageurs suite à l’in­ten­si­fi­ca­tion de l’a­gri­cul­ture, est par ailleurs une source impor­tante de réduc­tion de la diver­sité de la flo­re et la faune dans les champs cul­tivés (y com­pris dans les sols) et dans leur voisi­nage. L’usage impor­tant d’en­grais chim­iques et d’ef­flu­ents d’él­e­vage ont égale­ment réduit la diver­sité biologique des milieux en les eutrophisant. Les pro­duc­tions inten­sives spé­cial­isées, telles que le maraîchage, l’ar­bori­cul­ture et la viti­cul­ture, ont eu les mêmes effets.

L’él­e­vage con­cerne égale­ment 30 % du ter­ri­toire (sur­face en herbe, cul­tures four­ragères, par­cours). Si cette activ­ité — quand elle n’est pas con­duite hors-sol — est glob­ale­ment favor­able au main­tien de la bio­di­ver­sité des écosys­tèmes prairi­aux, dans cer­taines régions, la spé­cial­i­sa­tion exces­sive et l’in­ten­si­fi­ca­tion ont eu des effets néfastes sur l’en­vi­ron­nement, notam­ment par eutrophi­sa­tion des milieux et par exten­sion des cul­tures four­ragères annuelles. Les zones de poly­cul­ture éle­vage ont évolué par spé­cial­i­sa­tion-inten­si­fi­ca­tion ou par déprise, deux dynamiques défa­vor­ables à la diver­sité biologique.

Ain­si, l’in­ten­si­fi­ca­tion laitière et les cul­tures four­ragères annuelles qu’elle exige ont sou­vent été un fac­teur d’éro­sion de la diver­sité biologique des ter­roirs herbagers. Inverse­ment, l’a­ban­don des activ­ités pas­torales exten­sives dans des zones de forte valeur écologique, et con­séc­u­tive­ment la fer­me­ture des paysages, ont pu entraîn­er des change­ments, par­fois négat­ifs, en ter­mes de bio­di­ver­sité. Enfin, la con­cen­tra­tion régionale des éle­vages hors-sol soulève des prob­lèmes impor­tants de pol­lu­tion par les nitrates et les phosphates.

Les politiques publiques et leurs effets sur la diversité biologique

Les aides aux pro­duc­tions végé­tales au titre de l’or­gan­i­sa­tion com­mune des marchés (56 % des aides à l’a­gri­cul­ture) con­tin­u­ent d’être un levi­er d’in­ten­si­fi­ca­tion majeur, défa­vor­able à la bio­di­ver­sité aus­si bien au niveau des sys­tèmes de cul­ture que des ter­ri­toires, avec des effets con­trastés d’une région à l’autre. Ajoutées aux aides au remem­bre­ment, aux aides nationales à l’ir­ri­ga­tion et au drainage, ain­si qu’à des actions favor­ables aux cul­tures four­ragères inten­sives, ces mesures regroupent les effets les plus négat­ifs sur la bio­di­ver­sité en milieu rur­al. Les efforts de raison­nement des apports d’in­trants, de tra­vail con­ser­va­toire des sols, de cou­ver­ture hiver­nale des sols, de ges­tion des jachères et d’en­tre­tien des haies représen­tent des avancées qual­i­ta­tives impor­tantes. Cepen­dant, ils cor­re­spon­dent à moins de 4 % des aides à l’a­gri­cul­ture (mesures agri-envi­ron­nemen­tales, con­trat d’a­gri­cul­ture durable, hand­i­cap naturel…), à 6 % des exploita­tions français­es et à 13 % de la sur­face agri­cole utile. Ces efforts ne com­pensent pas les inci­ta­tions à effets négat­ifs sur la diver­sité biologique.

L’ar­ti­cle 69 de la PAC, qui per­met d’aug­menter la pro­por­tion des aides agri-envi­ron­nemen­tales en prél­e­vant au max­i­mum 10 % du ” pre­mier pili­er ” de la PAC (aides à la pro­duc­tion con­ven­tion­nelle), aurait pu per­me­t­tre de réduire ce déséquili­bre, mais la France a choisi de ne pas utilis­er ce levi­er, con­traire­ment à plusieurs voisins européens. Le pas­sage en 1992 de sou­tiens aux pro­duits à un sys­tème de sou­tien à la sur­face a nour­ri l’a­gran­disse­ment his­torique de la taille des par­celles et des exploita­tions, phénomènes défa­vor­ables à la diver­sité biologique des envi­ron­nements ruraux puisqu’il encour­age l’ho­mogénéité des cul­tures, le remem­bre­ment, l’aug­men­ta­tion de la pres­sion des ravageurs et la sys­té­ma­ti­sa­tion des traite­ments. Par­mi les mesures agri-envi­ron­nemen­tales, celles explicite­ment vouées à favoris­er la bio­di­ver­sité con­cer­nent moins de 1 % des aides publiques à l’a­gri­cul­ture, et con­cer­nent au plus quelques pour cent des sur­faces con­cernées, avec l’ex­cep­tion notable des actions d’en­tre­tien des haies, qui ont touché 22 % des haies françaises.

Le gel régle­men­taire de 10% des grandes cul­tures a eu des effets béné- fiques sur la bio­di­ver­sité, bien que cette mesure n’ait pas été conçue dans une per­spec­tive envi­ron­nemen­tale et que des marges d’amélioration dans ce sens soient pos­si­bles. Les baiss­es his­toriques des prix des den­rées inci­tent égale­ment à une opti­mi­sa­tion des quan­tités d’intrants, favor­able à la réduc­tion des pol­lu­tions d’origine agri­cole. L’augmentation à venir du cours du pét­role devrait égale­ment favoris­er cette ten­dance, les engrais chim­iques en dépen­dant largement.

Enfin, la mise en œuvre de la con­di­tion­nal­ité des aides ain­si que le respect régle­men­taire des bonnes con­di­tions agri­coles et envi­ron­nemen­tales pour­ront apporter des pos­si­bil­ités nou­velles pour la diver­sité biologique sur l’exploitation agri­cole et en milieu rur­al. En par­ti­c­uli­er, la mise en place des ban­des enher­bées le long des cours d’eau est poten­tielle­ment une mesure effi­cace, si son appli­ca­tion est rigoureuse et suiv­ie. Par ailleurs, il ne faut pas per­dre de vue que la con­di­tion­nal­ité des aides ne s’applique bien sûr qu’aux sys­tèmes de pro­duc­tion rece­vant des aides, donc pas aux éle­vages de porcs, de volaille, à la vigne et aux verg­ers, qui pour­tant con­tribuent large­ment aux impacts sur la pol­lu­tion et la baisse de la bio­di­ver­sité. D’une façon plus générale, de nom­breux témoins con­fir­ment que l’esprit des mesures régle­men­taires européennes en matière de réduc­tion des nui­sances envi­ron­nemen­tales liées à l’activité agri­cole n’est, en France, ni appliqué pleine­ment ni respec­té. Enfin, les ori­en­ta­tions récentes sur l’utilisation nationale du futur Fonds européen agri­cole de développe­ment rur­al (2007–2013) lais­sent présager une réduc­tion impor­tante des aides directe­ment favor­ables à la bio­di­ver­sité en milieu rural.

Paysage rural dans la Vienne.
Paysage rur­al dans la Vienne.

Les aides à l’élevage représen­tent 22% des con­cours publics à l’agriculture. Ces aides ont glob­ale­ment con­tribué à aug­menter les chep­tels et à figer les charge­ments à l’hectare à des niveaux supérieurs à l’optimum pour la diver­sité biologique des écosys­tèmes prairi­aux. Cepen­dant, la lim­i­ta­tion de la déprise agri­cole à laque­lle ces aides con­tribuent ain­si que l’attribution de “primes à l’herbe” liées à des charge­ments encadrés (1,5% des aides à l’agriculture) et d’indemnités com­pen­satri­ces de hand­i­caps naturels (4 % des aides) con­duisent à des effets posi­tifs nota­bles sur la bio­di­ver­sité, notam­ment dans les zones exten­sives à fort intérêt écologique, en main­tenant des espaces ouverts. Par ailleurs, les activ­ités d’élevage sont encadrées par la régle­men­ta­tion sur les instal­la­tions classées et par l’application de la Direc­tive “ nitrates ”. La pre­mière a peu d’impact sur la réduc­tion des effets négat­ifs sur la bio­di­ver­sité dans la mesure où les autori­sa­tions et déc­la­ra­tions ne pren­nent que par­tielle­ment en compte les capac­ités pédologiques et agronomiques d’absorption des efflu­ents et où les con­trôles restent très lim­ités du fait du grand nom­bre d’éleveurs.

La sec­onde est d’une mise en œuvre lente dans les zones vul­nérables, une trop faible pro­por­tion d’éleveurs réal­isant les enreg­istrements régle­men­taires et pra­ti­quant le raison­nement de la fumure qui en découle. Par ailleurs, la fix­a­tion d’un pla­fond de 170 kg d’a­zote par hectare a insti­tué un droit d’é­pandage à des niveaux large­ment supérieurs à un opti­mum pour les diver­sités biologiques mes­si­coles, prairi­ales, pour les espaces inter­par­cel­laires, et pour l’amélio­ra­tion de la qual­ité biologique des cours d’eau et du lit­toral. Des amélio­ra­tions effec­tives devront donc être réal­isées pour que l’ef­fi­cac­ité des mesures de réduc­tion de la pol­lu­tion par les nitrates ait un effet con­staté sur la biodiversité.

En matière de pes­ti­cides, la France s’est engagée dans une poli­tique de réduc­tion du nom­bre des matières actives autorisées. Elle reste le sec­ond con­som­ma­teur de pes­ti­cides au monde (3 kg/ha/an). En 2003, 95 % des points de suivi de la qual­ité des eaux de sur­face présen­tent une des espèces chim­iques sen­si­bles ou néces­si­tent un traite­ment de type déni­trata­tion et char­bon act­if pour l’ob­ten­tion d’eau potable. Les mass­es d’eau souter­raines (nappes) risquent de ne pas attein­dre le bon état écologique demandé par la Direc­tive cadre européenne sur l’eau du fait des pes­ti­cides ou des nitrates. De plus de nom­breux points de cap­tages de l’eau sont aban­don­nés du fait d’un dépasse­ment des normes imposées à l’eau brute. Bien qu’un effort impor­tant reste donc à faire dans ce domaine, la négo­ci­a­tion d’une réduc­tion quan­tifiée des quan­tités et dos­es de pes­ti­cides épan­dues en France n’a pu aboutir faute de sou­tien, con­traire­ment à ce qui est mis en place actuelle­ment dans plusieurs États mem­bres de la Com­mu­nauté européenne.

Par ailleurs, l’É­tat s’en­gage offi­cielle­ment à accom­pa­g­n­er la réforme des sys­tèmes d’ex­ploita­tion afin qu’ils intè­grent mieux des objec­tifs de ges­tion durable des milieux et de leur diver­sité biologique et paysagère. L’a­gri­cul­ture biologique cou­vre 1,4 % de la sur­face agri­cole et con­cerne près de 2 % des agricul­teurs, alors que nos voisins européens atteignent jusqu’à 10 % de sur­faces agri­coles utiles (SAU) (Ital­ie, Allemagne).

L’a­gri­cul­ture raison­née, qui devrait, selon les vœux de ses insti­ga­teurs, qual­i­fi­er 30 % des exploita­tions en 2008, vise à réduire les impacts négat­ifs, notam­ment en ter­mes d’in­trants, sur la diver­sité biologique des cam­pagnes, en veil­lant à un meilleur respect de la régle­men­ta­tion (pour env­i­ron 80 % des mesures de l’a­gri­cul­ture raisonnée).

Les approches con­tractuelles ter­ri­to­ri­ales (Con­trat ter­ri­to­r­i­al d’exploitation/Contrat d’a­gri­cul­ture durable) et les mesures agri-envi­ron­nemen­tales per­me­t­tent à des agricul­teurs de s’en­gager dans des démarch­es appro­fondies, en par­ti­c­uli­er dans la coges­tion d’e­spaces du réseau Natu­ra 2000.

Le développe­ment con­staté de liens entre les démarch­es de qual­ité (Apel­la­tion d’o­rig­ine con­trolée, IGP, labels, etc.) et la prise en compte d’ex­i­gences envi­ron­nemen­tales lais­sent égale­ment entrevoir des pos­si­bil­ités impor­tantes de val­ori­sa­tion com­mer­ciale de la qual­ité envi­ron­nemen­tale des ter­roirs de France et de leurs métiers. Une évo­lu­tion de la poli­tique nationale des signes offi­ciels de qual­ité serait alors néces­saire, car con­traire­ment aux autres États mem­bres européens, la France dis­pose d’une panoplie très lim­itée d’outils de cer­ti­fi­ca­tion agro-environnementale.

L’ap­pli­ca­tion crois­sante des normes envi­ron­nemen­tales ISO 14 000 aux proces­sus de pro­duc­tion agri­cole ouvre égale­ment de nou­velles voies, mais ne va guère au-delà de la régle­men­ta­tion, comme l’a­gri­cul­ture raison­née. Enfin, l’in­té­gra­tion des prob­lé­ma­tiques envi­ron­nemen­tales et écologiques aux pro­grammes de for­ma­tion ini­tiale et con­tin­ue des agricul­teurs et de leur encadrement devrait con­stituer un aspect essen­tiel de la poli­tique française en matière de ges­tion de l’en­vi­ron­nement rural.

L’u­til­i­sa­tion des ressources géné­tiques végé­tales a été pro­fondé­ment mod­i­fiée au cours du siè­cle dernier en pas­sant de l’u­til­i­sa­tion d’une par­tie de la pro­duc­tion comme semences avec forte vari­abil­ité inter­ré­gionale, à la mise en place d’une fil­ière semences struc­turée et per­for­mante en ter­mes de créa­tion var­ié­tale. Elle s’ac­com­pa­gne d’une régle­men­ta­tion qui définit ce qu’est une var­iété et encadre la com­mer­cial­i­sa­tion de semences.

Les ressources géné­tiques disponibles sur le ter­ri­toire nation­al ont été rassem­blées en col­lec­tions et enrichies de ressources étrangères. Cette organ­i­sa­tion a eu le mérite de répon­dre aux exi­gences du mod­èle pro­duc­tiviste, mais elle réduit inévitable­ment la diver­sité disponible et n’as­sure pas le main­tien des var­iétés anciennes.

Une liste de var­iétés ” ama­teur ” en espèces potagères et d’ar­bres fruitiers a été con­sti­tuée, mais ce n’est qu’une adap­ta­tion ad hoc de la régle­men­ta­tion qui ne résout pas le prob­lème de fond, et notam­ment le fait que les marchés glob­al­isés sont appro­vi­sion­nés par des pro­duits moins divers que les marchés locaux. Cette organ­i­sa­tion, basée sur l’ho­mogénéité de la var­iété, ne répond pas non plus aux besoins d’une approche agronomique qui mis­erait sur la diver­sité des semences, notam­ment pour lim­iter le recours aux pesticides.

Le développe­ment d’or­gan­ismes géné­tique­ment mod­i­fiés con­stitue un tour­nant dans l’his­toire de la bio­di­ver­sité. D’un point de vue tech­nologique et agronomique, il ouvre par­fois de nou­velles per­spec­tives en matière de ren­de­ments, de san­té, de réduc­tion d’in­trants ; cepen­dant, ces avan­tages doivent encore être con­fir­més dans un con­texte d’opin­ion publique européen très large­ment défa­vor­able aux OGM.

Par ailleurs, d’un point de vue de la rela­tion aux semences, ces tech­nolo­gies ren­for­cent la dépen­dance du secteur agri­cole aux grandes sociétés semen­cières. Enfin, l’emploi à grande échelle des organ­ismes géné­tique­ment mod­i­fiés com­porte encore beau­coup d’in­cer­ti­tudes quant à ses con­séquences pos­si­bles sur la bio­di­ver­sité, qu’un cer­tain nom­bre d’ex­perts jugent nocives. En par­ti­c­uli­er, les mécan­ismes d’un trans­fert de gènes mod­i­fiés d’e­spèces cul­tivées allogames à leurs cousines sauvages sont étab­lis mais les effets en sont dif­fi­cile­ment prévis­i­bles ; des tox­i­c­ités non désirées sur l’en­to­mo­faune sauvage ont égale­ment été documentées.

Les travaux sci­en­tifiques doivent donc se pour­suiv­re sur ces points et le suivi de la bio­di­ver­sité agri­cole et rurale doit inté­gr­er la mesure des impacts, et notam­ment de la dis­per­sion pos­si­ble des gènes allochtones dans les pop­u­la­tions naturelles.

Conclusion

L’a­gri­cul­ture et les activ­ités rurales con­stituent un enjeu pri­mor­dial pour la ges­tion durable de la bio­di­ver­sité en France. Elles con­tribuent à la ges­tion de milieux vivants, semi-naturels ou naturels qui héber­gent, sur près des deux tiers du ter­ri­toire, l’essen­tiel du pat­ri­moine vivant nation­al. Par ailleurs, les milieux présen­tant une diver­sité biologique impor­tante sont favor­ables à une agri­cul­ture plus économe, moins dépen­dante des ressources non renou­ve­lables et moins pol­lu­ante, de même qu’une agri­cul­ture générale­ment respectueuse de l’en­vi­ron­nement est favor­able à la biodiversité.

Si les réformes suc­ces­sives de la PAC ont per­mis d’in­té­gr­er la prise en compte de ce pat­ri­moine, les effets des poli­tiques de sou­tien à l’a­gri­cul­ture sur la diver­sité biologique des milieux ruraux restent glob­ale­ment défa­vor­ables. Ces effets sont à lier au déséquili­bre entre les mesures sou­tenant, directe­ment ou indi­recte­ment, des sys­tèmes de pro­duc­tion inten­sifs et la spé­cial­i­sa­tion régionale, et les mesures agro-envi­ron­nemen­tales et rurales, mar­ginales en ter­mes de moyens et de sur­faces, et dont les effets locaux et globaux sur la bio­di­ver­sité restent très large­ment insuffisants.

Un obser­va­toire sys­té­ma­tique des effets des pra­tiques agri­coles et de leur évo­lu­tion sur la diver­sité biologique des milieux ruraux, avec un éven­tail d’indi­ca­teurs, est en train d’être mis en place (“ réseau 1 000 par­celles ”) et ses résul­tats sont atten­dus. Le Plan d’ac­tion agri­cul­ture de la stratégie nationale pour la diver­sité biologique adop­té en novem­bre 2005 met en avant la com­plé­men­tar­ité des actions à l’échelle du ter­ri­toire agro-écologique, de la par­celle et des ressources géné­tiques, dans le cadre d’une amélio­ra­tion de la con­nais­sance et des échanges tech­niques entre acteurs.

À terme, la bio­di­ver­sité en milieu rur­al béné­ficierait sans nulle doute d’une réori­en­ta­tion majeure des poli­tiques publiques de sou­tien, au prof­it de la qual­ité, des spé­ci­ficités locales et de l’emploi, et de la rémunéra­tion des ser­vices environnementaux.

Poster un commentaire