Bienvenüe en Mortainais

Dossier : Libres ProposMagazine N°533 Mars 1998Par : Alexandre OSSADZOW (55)

Ful­gence Bien­venüe, construc­teur du réseau du che­min de fer métro­po­li­tain de Paris, avait com­men­cé sa car­rière fer­ro­viaire en éta­blis­sant, en basse Nor­man­die, des lignes « de cam­pagne » dont la plu­part sont aujourd’­hui fermées.

Affiche de randonnée dans le MortainaisPre­nant acte de ce fait, le dépar­te­ment de la Manche a déci­dé en 1991 de réha­bi­li­ter le tra­cé de la sec­tion Saint-Hilaire du Har­couët-Vire (sur la ligne Rennes-Caen), dans le but d’a­mé­na­ger sur la plate-forme un che­min de ran­don­née pour pié­tons et cava­liers, et a acquis en consé­quence auprès de la SNCF l’emprise, située sur son ter­ri­toire, de ce tra­cé. Cette infor­ma­tion, figu­rant dans l’ar­ticle paru dans La Jaune et la Rouge de mars 1994 (p. 3 à 11), m’a­vait été aima­ble­ment com­mu­ni­quée par notre agent à Mor­tain, M. Jean-Luc Gar­dan, chef de la sub­di­vi­sion de l’É­qui­pe­ment, qui me pré­ci­sait que le conseil géné­ral lui avait confié la direc­tion des tra­vaux cor­res­pon­dants dans l’emprise de sa subdivision.

L’en­chaî­ne­ment de l’af­faire est alors le sui­vant. Le 18 mai 1994, une lettre signée Ber­nard Pache, alors pré­sident de l’A.X., et pré­pa­rée par votre ser­vi­teur, est adres­sée à M. Pierre Agui­ton, pré­sident du conseil géné­ral de la Manche, lui don­nant infor­ma­tion sur l’au­teur de la ligne, le féli­ci­tant de son ini­tia­tive et lui sug­gé­rant de don­ner au che­min de ran­don­née ain­si amé­na­gé, le nom de Ful­gence Bienvenüe.

Une réponse suit le 2 août, fort aimable tout en évi­tant, comme savent le faire les Nor­mands, de s’en­ga­ger formellement.

Des contacts tenus ensuite avec la Direc­tion du tou­risme du dépar­te­ment m’ap­prennent qu’en fait ce tra­cé est inté­gré dans un vaste pro­gramme d’a­mé­na­ge­ment de che­mins et sen­tiers, lan­cé par le conseil géné­ral sur dif­fé­rents sec­teurs du dépar­te­ment. J’ap­pelle ensuite régu­liè­re­ment, à Mor­tain, M. Jean-Luc Gar­dan, puis son suc­ces­seur M. Joël Cour­bier, pour savoir où en est l’a­mé­na­ge­ment. Outre le débrous­saillage, les tra­vaux com­prennent la confec­tion d’une chaus­sée empier­rée et sta­bi­li­sée, le curage des fos­sés, la remise en état des ouvrages d’art, etc., pour un mon­tant glo­bal de sept mil­lions de francs (dont un mil­lion appor­té par la Com­mis­sion de l’U­nion euro­péenne). Et, même pour cette affaire locale, le finan­ce­ment est éche­lon­né… Enfin, en jan­vier 1997, l’a­mi Cour­bier me dit que cette fois le che­min de Saint-Hilaire à Vire est pra­ti­que­ment prêt, mais non encore ouvert offi­ciel­le­ment, ce qui d’ailleurs le gêne, des pro­me­neurs » sau­vages » étant signa­lés ; il me rap­pelle que l’ou­ver­ture relève du conseil géné­ral, maître de l’ouvrage.

Quelque temps après Mme Anne Vetois, qui suit cette affaire au dépar­te­ment, m’ap­pelle pour m’in­for­mer de l’ou­ver­ture offi­cielle pré­vue le 22 juin ; et je reçois la pla­quette géné­rale dif­fu­sée pour la mani­fes­ta­tion, laquelle a reçu pour titre Bien­venüe en Mortainais.

Les orga­ni­sa­teurs (com­pre­nant en par­ti­cu­lier, autour du conseil géné­ral, les jour­naux Ouest France et La Manche et Le Cré­dit Mutuel) ont bien fait les choses, pré­voyant en par­ti­cu­lier : une ran­don­née pédestre de 31 km (âge mini­mum requis : 12 ans) ; des courses à pied, par caté­go­ries (junior à vété­ran) ; des cir­cuits à vélos tous ter­rains ; d’autres cir­cuits, cyclo­tou­ristes ; une ran­don­née équestre, et des cir­cuits d’at­te­lages. Et comme j’a­vais fait part de mon sou­hait, d’as­sis­ter à l’ou­ver­ture et d’ef­fec­tuer avec mon épouse le par­cours du che­min de ran­don­née, nous rece­vons bien­tôt, signée de M. Robert Cour­teille, direc­teur du tou­risme au conseil géné­ral, une aimable invi­ta­tion pour les 21 et 22 juin, avec chambre réser­vée dans le meilleur hôtel de Mor­tain : l’Hô­tel de la Poste (qui est aus­si le seul de cette ville, ce qui ne l’empêche pas d’être fort confortable).

Le docteur Gilles Buisson, historien du Mortainais
Le doc­teur Gilles Buis­son, his­to­rien du Mor­tai­nais © SYLVAIN BONNEMER

Avec la fer­me­ture des lignes fer­ro­viaires, la ville n’est évi­dem­ment plus des­ser­vie par la SNCF. Le 21 juin en début d’a­près-midi, nous débar­quons donc, sur la ligne de Paris à Gran­ville, à la gare de Vire, où nous attend M. Le Bour­geois, chauf­feur de M. Mou­rier, direc­teur dépar­te­men­tal de l’É­qui­pe­ment ; trois quarts d’heure de route, et nous sommes à l’Hô­tel de la Poste. Deux béné­voles de Mor­tain, MM. Simon et Lan­glois, nous attendent et nous conduisent à la col­lé­giale Saint-Évroult.

C’est ici l’oc­ca­sion de se rap­pe­ler qu’un col­lège (du latin col-lego, » par­ler ensemble ») est, au départ, une réunion de per­sonnes qui parlent entre elles ; qu’est col­lé­giale une église qui, tout en étant située hors du siège épis­co­pal, abrite (ici, a abri­té) un cha­pitre col­lé­gial, réunion de reli­gieux conseillers de l’É­vêque et ayant reçu de celui-ci le titre de cha­noines. Cette col­lé­giale est un très bel édi­fice, de style gothique, datant du xiiie siècle, excep­té la porte romane, seul reste de la pre­mière construc­tion du xie par le comte Robert de Mor­tain, demi-frère de Guillaume le Conqué­rant. Elle a été dédiée à saint Évroult, moine du viie siècle qui évan­gé­li­sa une bonne par­tie de la basse Normandie.

Visite de la col­lé­giale, de son mobi­lier et de son Tré­sor : un chris­male, cof­fret du viie siècle qui ser­vait aux moines irlan­dais pour por­ter l’eu­cha­ris­tie ; un évan­gé­liaire, et une copie du rou­leau mor­tuaire de saint Vital, dont l’o­ri­gi­nal du xe siècle est conser­vé à la Biblio­thèque natio­nale » de France « . Après quoi nous assis­tons à la messe et aux vêpres anti­ci­pées, célé­brées au sein de la Com­mu­nau­té des Béa­ti­tudes qui s’est ins­tal­lée dans les lieux. L’as­sis­tance, venant tant de l’in­té­rieur que de l’ex­té­rieur, est nom­breuse et fer­vente ; les céré­mo­nies sont sui­vies d’une expo­si­tion de pein­tures reli­gieuses, de style un peu naïf, de Mar­cel Has­quin, avec allo­cu­tion de l’é­vêque d’A­vranches et Cou­tances, Mon­sei­gneur Fihey, sur le thème de l’art et de la foi. La Com­mu­nau­té des Béa­ti­tudes, qui groupe des membres convain­cus, a entre autres mérites celui d’a­voir entre­pris la res­tau­ra­tion des bâti­ments, plu­sieurs fois endom­ma­gés, notam­ment lors de la Seconde Guerre mondiale.

Après ces moments de pié­té, M. Lan­glois nous conduit, faveur insigne, chez le doc­teur Gilles Buis­son. Non content d’a­voir soi­gné ses com­pa­triotes durant de nom­breuses années, et de les avoir aus­si admi­nis­trés, le doc­teur Buis­son, ancien maire, est la mémoire et, par bon­heur, l’his­to­rien de Mor­tain, l’un de ceux dont j’ai tiré plu­sieurs indi­ca­tions sur la ligne fer­ro­viaire de Mor­tain à Vire, dont le fait que ses tran­chées, dans le rocher, ont été l’un des pre­miers recours en France à la dyna­mite ; il est aus­si et sur­tout, l’au­teur de plu­sieurs ouvrages sur la dif­fi­cile et déci­sive bataille qui, après le débar­que­ment, oppo­sa en ce site Alliés et Alle­mands en août 1944. Nous avons avec lui un fort inté­res­sant entre­tien d’une ving­taine de minutes, avant de nous reti­rer pour ne pas trop abu­ser de ses quatre-vingt-cinq ans. Échange de bons pro­cé­dés, je lui enver­rai ensuite (en m’ex­cu­sant du retard) les cinq articles sur Ful­gence Bien­venüe, ce qui me vau­dra de rece­voir, dédi­ca­cé, un exem­plaire de son der­nier ouvrage, Mor­tain 1944 – direc­tion Avranches.

Retour à l’hô­tel, dîner et cou­cher de bonne heure en pré­vi­sion d’un lever mati­nal. Le dimanche 22 juin, le ren­dez-vous des ran­don­neurs est à l’an­cienne gare de Mor­tain-Le Neuf­bourg, à 7 heures 30. Les orga­ni­sa­teurs, dont Mme Vetois et M. Cour­bier, sont sur le pied de guerre dès avant 6 heures… Des cars nous conduisent à l’an­cienne sta­tion de la Gau­te­rie, au nord de Sour­de­val. Nous sommes plus de 900, et pour une fois, bien équi­li­brés en nombre entre hommes et dames, car je le dis à notre honte, le sexe dit faible est en géné­ral mieux repré­sen­té dans ce genre de ran­don­nées… Le pré­sident Agui­ton coupe le cor­don qui barre sym­bo­li­que­ment le che­min, et en avant ! assez vite pour cer­tains, plus tran­quille­ment pour les vété­rans comme nous.

L’i­ti­né­raire rete­nu par les orga­ni­sa­teurs com­bine des sec­tions de l’an­cienne voie fer­rée, et d’autres par­cours. La plate-forme fer­ro­viaire a été amé­na­gée sur sa lar­geur, envi­ron quatre mètres : c’est donc un che­min, mot gau­lois signi­fiant qu’il peut être emprun­té par plu­sieurs per­sonnes se tenant par la main, et pré­sente donc une lar­geur suf­fi­sante pour des chars, autre mot gau­lois. Faut-il pré­ci­ser ici que les Gau­lois étaient pas­sés maîtres en la fabri­ca­tion de chars de ser­vice (à bœufs – trans­crip­tion latine car­rus, car­ri), qu’ils fai­saient cir­cu­ler sur des che­mins de cam­pagne, tan­dis que les Romains ne connais­saient que les chars de course (cur­rus, cur­ri), à che­vaux, et ne sor­tant pas des cir­cuits cor­res­pon­dants ? En dehors de ce che­min, nous avions aus­si quelques pas­sages en sen­tier, autre mot gau­lois dési­gnant un par­cours ne pou­vant por­ter qu’une per­sonne à la fois, en lar­geur s’entend.

Saluons ici les chefs de sub­di­vi­sion Gar­dan et Cour­bier, qui ont su réa­li­ser, grâce à des essais effec­tués au labo­ra­toire dépar­te­men­tal de Saint-Lô, une chaus­sée sta­bi­li­sée en pierres et en terre, sans bitume, ce que nous ne savons plus faire à Paris, où nos jar­dins publics sont sillon­nés d’al­lées, hélas, bitumées.

L’i­ti­né­raire nous conduit par des pay­sages variés à la Cha­pelle de Mont­fort, hors tra­cé de la ligne fer­ro­viaire. Nous y trou­vons col­la­tion et eau de bois­son pré­pa­rées par les orga­ni­sa­teurs, ce qui nous a per­mis d’a­voir un sac léger. Nous retrou­vons l’an­cienne ligne fer­ro­viaire au lieu-dit La Gal­loui­nière, et la sui­vons jus­qu’à l’ar­ri­vée en gare de Neuf­bourg, où une petite fête attend les quelque 2 000 enthou­siastes qui ont par­ti­ci­pé aux diverses activités.

Tout a une fin : nous repar­tons nous chan­ger à l’hô­tel, d’où l’a­mi Cour­bier nous conduit en voi­ture pour la gare de Vire. Retour à Paris-Mont­par­nasse un peu avant 22 heures, et chez nous un peu avant 23 heures. Cette esca­pade nous laisse un excellent sou­ve­nir, nous revien­drons sans doute plus lon­gue­ment car il y a ici beau­coup de choses à voir… et à goû­ter. Je ter­mine en rap­pe­lant l’ai­mable chan­son nor­mande de Fré­dé­ric Bérat dont voi­ci le pre­mier couplet :

Quand tout renaît à l’espérance,
Et quand l’hi­ver fuit loin de nous ;
Sous le beau ciel de notre France,
Quand le fri­mas se fait plus doux ;
Quand la nature est reverdie,
Quand l’hi­ron­delle est de retour,
C’est le pays qui m’a don­né le jour…

… en pré­ci­sant que pour ceux de notre espèce, qui ne sont pas issus de cette belle pro­vince, la fin des cou­plets se modi­fie comme suit :

J’aime à revoir la Normandie.
C’est un pays où je reviens toujours.

Les randonneurs à pied
Les ran­don­neurs à pied PHOTOGRAPHIE OUEST FRANCE

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