Beethoven : 3e Symphonie Héroïque Brahms : Ouverture tragique Schoenberg : Extraits des Gurre-Lieder

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°709 Novembre 2015Par : l'Orchestre du Festival de Lucerne, direction Claudio Abbado, 2013Rédacteur : Marc DARMON (83)Editeur : 1 DVD ou 1 Blu-Ray ACCENTUS ACC10282

C’est le dernier. Tous les ans depuis dix années, Clau­dio Abba­do jouait et enreg­is­trait des chefs‑d’oeuvre (Mahler bien sûr, mais aus­si Beethoven, Bruck­n­er, Mozart, etc.) avec l’Orchestre du Fes­ti­val de Lucerne qu’il avait recréé en tri­ant sur le volet les meilleurs artistes des grands orchestres et ensem­bles de musique de cham­bre européens.

Toscani­ni avait déjà créé cet orchestre d’élite en 1938, Abba­do le refonde en 2003, sur la base du Mahler Cham­ber Orches­tra, auquel Abba­do a inté­gré des solistes pres­tigieux et des mem­bres des meilleurs orchestres d’Europe, dont les phil­har­monies de Berlin et Vienne.

On a donc thésaurisé huit sym­phonies de Mahler, trois de Bruck­n­er, le Requiem de Mozart, un con­cer­to de Prokofiev, un autre de Beethoven, dans des vidéos haute déf­i­ni­tion somptueuses, mag­nifique­ment filmées et dirigées, avec un orchestre inté­grant tour à tour entre autres les solistes des quatuors Alban Berg et Hagen, Emmanuel Pahud à la flûte, Sabine Mey­er à la clar­inette, Renaud et Gau­ti­er Capuçon au vio­lon et vio­lon­celle, Natalia Gut­man au vio­lon­celle, Wol­fram Christ à l’alto.

Mais, à l’été 2013, c’est le dernier fes­ti­val de Lucerne d’Abbado. Pour le con­cert d’ouverture, son dernier enreg­istrement vidéo, Abba­do a choisi un pro­gramme var­ié inté­grant l’Ouver­ture trag­ique de Brahms, un long extrait des Gurre-Lieder de Schoen­berg et la troisième sym­phonie de Beethoven, l’Héroïque.

Le con­cert débute par l’Ouver­ture trag­ique de Johannes Brahms (1880). On regrette en voy­ant ce con­cert de ne pas avoir plus de témoignage vidéo d’Abbado dans Brahms (on a tout de même, chez Euroarts, le Con­cer­to pour vio­lon et le Requiem alle­mand). Mais ce n’est qu’une entrée en matière, une pré­pa­ra­tion pour ce qui va suivre.

Les Gurre-Lieder de Schoen­berg ont été com­posés sur une longue péri­ode au début du XXe siè­cle. Écrite après la Nuit trans­fig­urée, il s’agit d’une des toutes dernières oeu­vres de Schoen­berg avant que son style ne se trans­forme rad­i­cale­ment vers le dodécaphonisme.

L’orchestre est énorme, extrême­ment ren­for­cé par rap­port au Brahms, et par rap­port au Beethoven qui suiv­ra. On note par exem­ple six clar­inettes, huit cors, qua­tre per­cus­sion­nistes, qua­tre harpes. L’extrait choisi (fin de la pre­mière par­tie) est un long inter­lude orches­tral suivi du célèbre Chant de la colombe.

On regret­tera que les sous-titres exis­tent en alle­mand, anglais, coréen et japon­ais mais pas en français, un choix édi­to­r­i­al nou­veau, mais qui en dit long sur l’évolution du pub­lic français vue des grandes com­pag­nies inter­na­tionales du disque.

Cela dit, la par­tie chan­tée est courte et la per­for­mance de la sopra­no japon­aise Mihoko Fujimu­ra est suff­isante en elle-même.

La Sym­phonie héroïque est une de ces oeu­vres qui ont forgé l’Histoire de la Musique, comme Orfeo de Mon­tever­di, le pre­mier opéra de tous les temps, comme La Bohème où Puc­ci­ni rendait pop­u­laire un nou­veau style, comme la pre­mière sym­phonie de Mahler, la pre­mière oeu­vre qui annonce le XXe siècle.

La troisième sym­phonie de Beethoven fait plonger dans le XIXe siè­cle, fait le pont entre des cen­taines de sym­phonies clas­siques (quar­ante et une rien que chez Mozart, plus de cent chez Haydn, les deux pre­mières de Beethoven, etc.) du XVIIIe siè­cle et le siè­cle romantique.

La troisième sym­phonie était déjà le chef‑d’oeuvre de l’intégrale Beethoven qu’Abbado a enreg­istrée en vidéo à Berlin dans les années 2000. Un DVD que je regarde et offre très sou­vent. Mais l’interprétation de 2013 n’a rien à voir.

Avec des tem­pos extrême­ment retenus (la sym­phonie est jouée en une heure entière, un record), un recueille­ment inouï, une lis­i­bil­ité par­faite, des bass­es qui met­tent une pres­sion insouten­able, Abba­do dirige l’ensemble comme un requiem, le som­met étant naturelle­ment la marche funèbre, que per­son­ne n’a jouée ainsi.

Évidem­ment, depuis le décès d’Abbado début 2014, ce DVD est un événe­ment. Il est d’autant plus poignant qu’il traduit con­stam­ment la fin d’une époque. Les artistes de l’orchestre que l’on suit tous les ans depuis dix années ont per­cep­ti­ble­ment tous vieilli.

Le con­tre­bassiste, Aloïs Poch, porte désor­mais une barbe grise, Sabine Mey­er a besoin de lunettes, les joueurs de tim­bales, de cor anglais, de trompette, fidèles tous les ans, sont vis­i­ble­ment mar­qués depuis les con­certs de 2003–2004. Seul l’altiste Wol­fram Christ, déjà vétéran à la créa­tion de l’orchestre (il fut alto solo de l’orchestre phil­har­monique de Berlin de 1978 à 1999) paraît inchangé.

C’est cer­tain, il y aura un avant et un après la série d’Abbado à Lucerne.

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