Réunion AX Ambassadeurs en Australie en 2020.

AX Ambassadeurs en Australie, l’île-continent de tous les possibles

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°765 Mai 2021
Par Anne-Béatrice BRÉCHEMIER (92)
Par Julien GASTALDI (2005)
Par Alix VERDET

Anne-Béa­trice Bréchémi­er (92) et Julien Gastal­di (2005) sont les ambas­sadeurs AX des antipodes en Aus­tralie. Des ter­res loin­taines et atti­rantes où des poly­tech­ni­ciens sont présents et où d’autres pour­raient facile­ment trou­ver leur place en rai­son des chantiers immenses dont ce pays vaste et con­trasté est l’objet.

Où êtes-vous en Australie et dans quel secteur exercez-vous ?

Anne-Béa­trice : Je vis à Syd­ney depuis trois ans et demi et je suis en train de me repo­si­tion­ner dans le monde du pri­vate equi­ty et de l’infrastructure. Je suis venue en Aus­tralie pour m’y installer, pas dans le cadre d’un pro­jet pro­fes­sion­nel. Aupar­a­vant, j’étais en Chine où je dirigeais Fives Cryo Suzhou, entre­prise française dans l’énergie — cryo­génie. Ça fait bien­tôt huit ans que j’ai quit­té la France. J’étais attirée par la Chine et, depuis l’Asie, j’ai décou­vert l’Australie. J’avais envie de tra­vailler à nou­veau dans un con­texte pro­fes­sion­nel anglo-sax­on tout en restant proche de l’Asie, et je voulais aus­si que mes enfants ajoutent la pra­tique de l’anglais à celle du chi­nois. En arrivant en Aus­tralie, j’ai tra­vail­lé bénév­ole­ment dans l’associatif autour des start-up, du men­tor­ing et du net­work­ing.

“Pour l’obtention du visa,
j’ai dû prouver à
Engineers of Australia
que l’X était une bonne école d’ingénieurs.”

Julien : Je suis arrivé en Aus­tralie en 2008 pour faire ma 4A. À l’X, j’avais fait un pro­gramme sci­en­tifique sur le change­ment cli­ma­tique et mon pre­mier stage a porté sur la ges­tion de l’empreinte car­bone de GDF-Suez en Aus­tralie pour leurs opéra­tions déchets. J’ai beau­coup aimé cette expéri­ence et n’ai pas vrai­ment changé de job depuis. Je suis tou­jours dans la ges­tion du CO2, des gaz à effet de serre et pas unique­ment dans la ges­tion des déchets. Je voy­age aux qua­tre coins de l’Australie mais je suis basé à Syd­ney. J’y ai ren­con­tré une Française qui habitait Palaiseau quand j’étais à l’X et nous avons deux enfants. Comme mon stage et mon pre­mier tra­vail m’avaient plu, je suis resté une année de plus et, de fil en aigu­ille, comme l’obtention du droit de rési­dence et de la carte verte sont un peu un par­cours du com­bat­tant, nous nous sommes retrou­vés ma com­pagne et moi citoyens aus­traliens avec une mai­son, un chien et deux enfants. Sans vrai­ment l’avoir plan­i­fié, nous sommes en train de faire notre vie ici. Une des raisons pour lesquelles j’ai envie de m’impliquer davan­tage dans les réseaux de l’AX, c’est qu’à terme j’aimerais « m’expatrier » un peu en France pen­dant deux ou trois ans pour y avoir une expéri­ence pro­fes­sion­nelle et pour que nos enfants puis­sent pass­er du temps avec leurs grands-par­ents. Nous avons pris la déci­sion de nous installer en Aus­tralie avant de nous ren­dre compte de ce que la dis­tance représen­tait. Car trente heures d’avion dans un low-cost quand tu as vingt ans, c’est une chose, avec deux enfants qui cri­ent, c’est net­te­ment moins facile. 

Comment se sont passées votre arrivée et votre adaptation en Australie ?

AB : Pour moi, ça a été rel­a­tive­ment facile car j’arrivais de Shang­hai. Je par­le un peu chi­nois mais je maîtrise beau­coup mieux l’anglais, donc tout a été beau­coup plus sim­ple. Tout était beau­coup plus lent aus­si. Les Chi­nois réagis­sent au quart de tour pour une demande de papi­er, pour une répa­ra­tion, tout arrive très vite. Ça ne tient pas for­cé­ment bien, mais c’est beau­coup plus rapi­de qu’en France. En com­para­i­son avec Shang­hai, l’Australie m’a égale­ment paru beau­coup plus calme. Et, après les ciels cou­verts et pol­lués, j’ai décou­vert un ciel bleu tout le temps, l’air pur, le soleil, l’océan, de grands hori­zons… Les his­toires de visas n’ont pas été sim­ples en revanche. Un agent d’immigration m’a mal aigu­il­lée sur l’obtention d’un pre­mier visa qui ne me per­me­t­tait pas de tra­vailler. J’ai mis presque deux ans à en obtenir un autre qui me per­me­tte de tra­vailler. Heureuse­ment, j’avais été prév­enue du sujet à l’avance et avais anticipé. Mes enfants sont entrés très facile­ment à l’école française.

J : Mon arrivée a été moins stres­sante. En tant qu’étudiant, j’avais le droit de tra­vailler vingt heures par semaine. J’ai eu mon per­mis de tra­vail deux ans et demi après mon arrivée. J’ai dû tra­vailler dans une ferme pen­dant trois mois pour jus­ti­fi­er mon séjour sur le ter­ri­toire. Ça a été une très bonne expéri­ence de rameuter des mou­tons en motocross. Mais je n’ai eu le droit de rési­dence per­ma­nente qu’en juil­let 2011, trois ans après mon arrivée. Dans ces moments-là, on est totale­ment à la mer­ci du patron. Si votre job s’arrête, vous avez entre trois et cinq semaines pour faire vos valis­es et ren­tr­er ! L’expérience aus­trali­enne, c’est avant tout le visa et les papiers d’immigration. Le fait de tra­vailler dans une entre­prise française n’aide pas, car le statut d’expatrié n’existe plus. Pour l’obtention du visa, j’ai dû prou­ver à Engi­neers of Aus­tralia que l’X était une bonne école d’ingénieurs. Les Aus­traliens ne con­nais­sent pas le sys­tème des écoles d’ingénieurs et c’est dif­fi­cile de leur expli­quer que c’est une très bonne for­ma­tion par rap­port à ce qu’ils con­nais­sent, que mes notes à l’X n’étaient pas à com­par­er avec les notes aus­trali­ennes, surtout mes notes de sor­tie par rap­port à mes notes d’entrée ! Ici, c’est un sys­tème anglo-sax­on avec de grandes uni­ver­sités qui ont une bonne répu­ta­tion, à l’intérieur desquelles un réseau se crée. Le sim­ple fait d’utiliser le mot school ou lieu de uni­ver­si­ty nous déclasse en quelque sorte.

Ce que nous aime­ri­ons faire avec le groupe des X en Aus­tralie, c’est tiss­er des réseaux et créer des liens pour que les prochains n’aient pas à faire tout ce tra­vail d’explication et pour qu’ils soient aigu­il­lés vers les bons visas, etc.

Y a‑t-il beaucoup d’X qui travaillent en Australie ? 

AB : Il y en a une cinquan­taine, plus de deux tiers dans la région de Syd­ney. L’autre poste est Mel­bourne, puis Perth, Bris­bane. Nous sommes en lien avec presque tout le monde via un groupe LinkedIn et un groupe What­sApp. Vu les dif­fi­cultés de déplace­ment actuelles, nous ne nous sommes réu­nis qu’entre habi­tants de Syd­ney pour l’instant. Les X tra­vail­lent plutôt dans le développe­ment durable, l’énergie, les éner­gies renou­ve­lables, les infra­struc­tures. Quelques-uns tra­vail­lent dans le retail (data ana­lyt­ics). L’Australie est une terre d’opportunités pour les infra­struc­tures et l’énergie en général car les investisse­ments et les besoins y sont colos­saux. La France a beau­coup d’atouts à faire val­oir dans les éner­gies renou­ve­lables et les infra­struc­tures. Syd­ney est en train d’être agrandie vers l’Ouest, un deux­ième aéro­port est en cours de con­struc­tion, des lignes de train, de bus, des habi­ta­tions… Et comme c’est un pays immense, il y a beau­coup de choses à faire et les con­di­tions cli­ma­tiques ne sont pas des plus ten­dres pour les infrastructures. 

J : Les ingénieurs européens ont une vraie valeur ajoutée dans tous ces pro­jets. Avec tout le respect que j’ai pour mes com­pa­tri­otes aus­traliens, je con­state que vivre dans un pays qui a depuis trente ans 3 % de crois­sance annuelle incite moins à l’effort et je les trou­ve en retard dans tout ce qui est effi­cac­ité énergé­tique, opti­mi­sa­tion de design, etc. Dès qu’ils pré­par­ent un grand pro­jet, très vite ils font appel à une entre­prise européenne. Leur métro, c’est Alstom, leurs infra­struc­tures, c’est sou­vent une entre­prise espagnole. 

Parlez-nous de la vie à l’australienne.

AB : À Syd­ney, nous sommes entourés par l’eau, la baie est immense et présente partout. Le soir ou tôt le matin, dès 5h30, on peut aller faire du pad­dle en groupe dans la baie, c’est fréquent. Les habi­ta­tions sont étalées, la nature est toute proche.

A Sydney la nature est toujours proche
À Syd­ney, nous sommes entourés par l’eau, les habi­ta­tions sont étalées, la nature est toute proche.

J : Une des raisons pour lesquelles nous restons, c’est la qual­ité de vie, l’équilibre entre le tra­vail et la vie per­son­nelle. Il est dif­fi­cile d’imaginer la vie ailleurs. Il faut met­tre de côté ses sou­venirs français où l’été, on dîne longue­ment au couch­er du soleil. Ici, c’est le matin que tout se passe, tout le monde se lève à 5h30 pour aller faire son foot, son yoga, son surf ; puis le tra­vail com­mence vers 8 heures, sans vraie pause déje­uner, à l’anglo-saxonne, sans vie sociale pen­dant la journée. À 17h-17h30, la journée de tra­vail est finie. Les Aus­traliens pren­nent volon­tiers une bière à la sor­tie du tra­vail. Le con­fine­ment n’a pas été vécu ici de façon trau­ma­tique. C’est aus­si le pays de la live music. Tous les dimanch­es après-midi dans tous les bars de toutes les villes, il y a un groupe qui joue. Daft Punk a lancé son dernier album ici.

Piste Australie
Dans les régions plus cen­trales d’Australie la ville la plus proche se trou­ve sou­vent à 10 heures de 4 x 4.

Mon tra­vail m’amène par­fois dans les régions plus cen­trales d’Australie, et là, il s’agit totale­ment d’un autre pays. C’est le far-west, le poids de l’histoire colo­niale y est bien plus présent, il faut vivre de la débrouille, la ville la plus proche se trou­ve à 10 heures de 4 x 4. Quand on aime l’aventure, c’est sym­pa. Ça ouvre égale­ment une vue sur des points sen­si­bles de l’histoire aus­trali­enne, sa rela­tion à l’Angleterre, la décoloni­sa­tion des peu­ples aborigènes… Quand on s’installe à l’intérieur des ter­res, on en décou­vre la face cachée, mar­quée égale­ment par le cli­mat et la nature. Ce qui rend ces endroits très durs à vivre, c’est qu’ils ont des cycles infer­naux de trois ou qua­tre ans de sécher­esse totale suiv­is par deux ou trois ans de pluies torrentielles.

Existe-t-il deux Australie ou plus ?

J : Il y a au moins trois Aus­tralie : l’Australie des villes qui est mul­ti­cul­turelle, très mod­erne, très dig­i­tal­isée. L’Australie tra­di­tion­nelle blanche de descen­dance anglo-sax­onne, présente là où se con­cen­tre le pou­voir, avec un mode de vie à l’anglaise, avec des cours­es de chevaux, des grands cha­peaux, dans les ban­lieues et dans les régions. Jusque dans les années 1970, les seules per­son­nes qui avaient le droit d’immigrer via l’immigration choisie étaient des Anglais à la peau blanche. On peut dire qu’ils n’interagissent pas vrai­ment ni avec les pre­miers Aus­traliens ni avec les derniers Aus­traliens. Et ensuite il y a la dure vie des per­son­nes de couleur. Jusqu’au milieu des années soix­ante, les Aborigènes n’avaient aucun droit et étaient con­sid­érés comme de la faune…

Êtes-vous en relation avec des Australiens ou plutôt avec les populations du melting-pot ? Est-ce facile de se faire des amis ?

AB : Pro­fes­sion­nelle­ment, j’ai plutôt des amis aus­traliens ; j’ai aus­si des amis asi­a­tiques, japon­ais, indi­ens, beau­coup d’anglais, des français, un peu de tout. C’est assez facile de se faire des amis ; des amis aus­traliens, c’est peut-être un peu plus dur, ça prend un peu plus de temps.

J : Se faire de copains expa­triés de toute nation­al­ité, c’est très facile, surtout dans nos pro­fes­sions. Tiss­er des liens dans la com­mu­nauté aus­trali­enne, cela représente des années de tra­vail et on n’y est jamais vrai­ment. On sort très facile­ment après le boulot boire une bière ou un café de manière très con­viviale mais, pour les liens plus per­son­nels, c’est autre chose. Dans mon tra­vail, je me force à aller à la ren­con­tre de l’Australien typ­ique, mais c’est très facile de vivre ici sans vrai­ment s’intégrer dans la com­mu­nauté australienne. 

Quelles sont les tensions de la société australienne ?

J : L’Australie a une éthique appelée le fair go et le mate­ship (cama­raderie). La cul­ture aus­trali­enne s’appuie sur cette idée d’équité plus que d’égalité, que cha­cun doit avoir une chance raisonnable dans sa vie. Ceux qui pren­nent l’ascendant sur leur groupe sont vite rap­pelés à l’ordre. C’est une cul­ture rug­by : on y va, on se ren­tre dedans dans une bonne cama­raderie, on se prend des coups au pas­sage, mais ça finit bien. C’est assez mar­rant à vivre dans la vie de tous les jours. Y a‑t-il du racisme en Aus­tralie ? Je dirais oui et absol­u­ment pas. C’est un racisme un peu léger qui s’applique à tout le monde. 180 nation­al­ités coex­is­tent et ils ont des stéréo­types sur tout le monde, cha­cun en prend pour son grade. L’Australie manque un peu de recul sur sa pro­pre cul­ture. Les Aus­traliens ont l’impression d’être cette grande famille de cama­raderie où tout le monde est inté­gré alors qu’il y a un vrai phénomène de class­es et de ségré­ga­tion. À part en 2005 où des émeutes avaient eu lieu sur ces thèmes-là, pour l’instant, ces ten­sions ne remon­tent pas à la sur­face parce que tout va bien, tout le monde a un boulot, la vie avance.

Dans les faits, ce qui m’a tou­jours impres­sion­né et qui m’a don­né envie de rester, c’est la sécu­rité dans ce pays. Un de mes pre­miers sou­venirs d’étudiant, c’était de voir que des jeunes filles ayant trop bu, errant à trois heures du matin dans la rue, étaient sec­ou­rues par un gen­tle­man rug­by­man qui les aidait à se relever, à pren­dre un taxi, et qui s’assurait que tout allait bien.

AB : Dans la vie, les ten­sions ne se voient pas. On sait que ce n’est pas for­cé­ment facile pour les Aborigènes, qu’il y a des caté­gories qui ne peu­vent pas vrai­ment mon­ter dans l’échelle sociale, ou très lente­ment. Les ten­sions exis­tent mais ne sont pas à fleur de peau.

Pourquoi avez-vous accepté d’être ambassadeurs AX pour l’Australie ? Comment voyez-vous votre rôle ?

AB : Il y a tout à faire ici pour faire con­naître l’X, pour faciliter les réseaux, etc. Le tout à faire est atti­rant. Et j’ai à cœur d’être une ressource ici, de faire con­naître l’École, que des parte­nar­i­ats soient noués avec les uni­ver­sités et les insti­tu­tions aus­trali­ennes qui con­vi­en­nent, d’accueillir les nou­veaux arrivants, de con­necter les X qui vivent ici et créer une com­mu­nauté, d’être en con­tact avec les X ambas­sadeurs dans les autres pays. L’ambassade AX m’a fait con­naître aus­si les poly­tech­ni­ciens présents en Aus­tralie, car j’en con­nais­sais très peu.

“Il y a tout à faire ici
pour faire connaître l’X,
ce tout à faire est attirant.”

J : De façon pra­tique, j’avais un peu l’impression d’être le seul X en Aus­tralie qui répondait aux deman­des de stage dont ma boîte e‑mail était régulière­ment inondée. Comme je tra­vaille dans une caté­gorie niche, je pas­sais mon temps à refuser des deman­des de stage parce que je ne pou­vais pas les pour­voir. Je les redirigeais vers des con­tacts, mais sans process suivi. J’avais l’impression de ne pas vrai­ment aider. Et j’ai tou­jours été très recon­nais­sant des occa­sions que l’X m’a apporté. Après treize ans ici, je suis con­tent de don­ner de mon temps et de ma recon­nais­sance, de faire un peu plus que pay­er ma coti­sa­tion et mon abon­nement à la JR.

Dîner X-Australie, novembre 2020
Pre­mier dîn­er X‑Australie, novem­bre 2020.

Comment s’est passée votre première réunion ?

AB : C’était très sym­pa de se décou­vrir. Julien nous avait trou­vé un lieu avec vue sur l’opéra. Nous étions douze et voulons être plus nom­breux la prochaine fois, tout en gar­dant ça à l’australienne, cool.

J : C’était un très bon moment. Par rap­port à ce que je m’imaginais qu’allait être une réu­nion d’alumni de l’X, j’ai été agréable­ment sur­pris par le nom­bre de poly­tech­ni­ci­ennes, il y avait une bonne par­ité et une belle var­iété de parcours.


Pour en savoir plus…

We acknowl­edge the Tra­di­tion­al Own­ers of Coun­try through­out Aus­tralia and their con­tin­u­ing con­nec­tion to land, sea and com­mu­ni­ty. We pay our respects to them and their cul­tures, and to the Elders both past and present. https://www.1voiceuluru.org/.

We fur­ther acknowl­edge the spe­cial role that indige­nous peo­ple play in mit­i­gat­ing and adapt­ing to cli­mate change around the world. http://declaration.humanrights.gov.au/

A pro­pos du réseau AX Ambas­sadeurs (en Aus­tralie et ailleurs)

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