Les Ambassadeurs AX au Japon livrent leur point de vue sur le pays des Samouraïs

Ambassadeurs AX au Japon : les X au pays des samouraïs

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°782 Février 2023
Par Michel GEORGIN (66)

Pas­cal Ger­bert-Gail­lard (X00) et Jean-Bap­tiste Bor­des (X01), ambas­sadeurs AX au Japon, nous racon­tent leurs expéri­ences dans ce pays mar­qué par le pro­grès sci­en­tifique qui attire l’intérêt de la com­mu­nauté polytechnicienne.

Du fait de l’éloignement géo­graphique et de la bar­rière de la langue, le Japon est un pays fasci­nant. Nous avons donc demandé aux ambassa­deurs AX à Tokyo d’exposer leurs points de vue com­plé­men­taires : Pas­cal Ger­bert-Gail­lard (X00) y est depuis près de quinze ans dans des postes de man­age­ment, Jean-Bap­tiste Bor­des (X01) y est arrivé en sep­tem­bre 2022 comme attaché sci­en­tifique à l’ambassade de France au Japon.


Lire aus­si : Le réseau inter­na­tion­al des ambas­sadeurs de l’AX


Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce qui vous a amené à travailler au Japon ? 

Pas­cal : D’aussi loin que je me sou­vi­enne, le Japon m’a tou­jours intrigué. C’est la pra­tique du judo que j’ai com­mencé à 6 ans qui m’a fait décou­vrir ce pays fasci­nant. Ado­les­cent, je dévo­rais tous les livres sur le sujet, et je me suis vite ren­du compte que, pour bien com­pren­dre ce pays et ses habi­tants, il me faudrait appren­dre la langue. L’X pro­po­sait des cours de japon­ais sous la direc­tion d’Ishii Sen­sei : j’ai donc inté­gré la sec­tion judo. Pen­dant ma sco­lar­ité j’ai relancé le Binet Japon et j’ai vis­ité le pays trois fois.

Mon pre­mier voy­age au Japon remonte à plus de vingt ans déjà, dans le cadre de l’échange de la sec­tion judo de l’X. La vis­ite fut courte et érein­tante, mais essen­tielle pour mon choix de con­naître le pays plus avant. Après avoir oscil­lé entre la Chine et le Japon, je me suis sta­bil­isé à Tokyo depuis 2016, ini­tiale­ment pour lancer Bio c’ Bon Japon, une joint-ven­ture entre le plus gros dis­trib­u­teur japon­ais Æon Group et le super­marché Bio français, et main­tenant comme directeur Asie de SES-imago­tag, le leader mon­di­al de la dig­i­tal­i­sa­tion du retail. Le choix du Japon a donc été une pro­lon­ga­tion naturelle de l’activité com­mencée à l’X.

“Le choix du Japon a été une prolongation naturelle de l’activité commencée à l’X.”

Jean-Bap­tiste : Mon pro­jet sci­en­tifique col­lec­tif de deux­ième année, qui por­tait sur la recon­nais­sance automa­tique de sons instru­men­taux, m’a lit­térale­ment changé la vie : j’ai alors décidé de me con­sacr­er à l’intelligence arti­fi­cielle. Après trois ans à la DGA, j’ai tra­vail­lé comme ingénieur de recherche pour l’Université de tech­nolo­gie de Com­piègne sur l’analyse et la com­préhen­sion automa­tique de scènes routières mul­t­i­cap­teurs pour les véhicules autonomes, dans le cadre d’une coopéra­tion fran­co-chi­noise. Mes trois ans se sont déroulés à Pékin et, en par­al­lèle de mon tra­vail de recherche, je me suis dédié à l’enseignement.

Je suis ensuite retourné en France : trois ans à l’École poly­tech­nique puis deux ans à l’Ensta Paris. J’avais pris goût à l’expatriation et j’allais sou­vent à l’étranger. Quand le min­istère des Affaires étrangères m’a pro­posé un poste d’attaché sci­en­tifique au con­sulat général de San Fran­cis­co, je me suis dit que c’était une occa­sion excep­tion­nelle. Après trois ans pas­sion­nants, j’ai eu la pos­si­bil­ité de chang­er de pays et j’ai choisi le Japon. Le 1er sep­tem­bre 2022 je suis donc arrivé à l’ambassade de France au Japon.

Comment s’est passée votre arrivée au Japon ?

JB : Quand je suis arrivé, le Japon était encore très coupé du reste du monde. À l’exception des diplo­mates, peu de Français pou­vaient ren­tr­er et il y avait une procé­dure assez com­plexe. Avec une appli­ca­tion smart­phone assez décon­cer­tante (MySOS), l’arrivée à l’aéroport était longue et très bal­isée, avec une série de stands à tra­vers­er… Mais, une fois arrivé, quel bon­heur ! L’ambassade de France au Japon est un envi­ron­nement excep­tion­nel avec des locaux très récents et des col­lègues extrême­ment sym­pa­thiques et com­pé­tents à la fois. Le tra­vail de réseau­tage avec les Japon­ais est très agréable : les Français sont appré­ciés et les rela­tions entre les deux pays sont très bonnes. 

Combien d’X sont-ils présents au Japon ? Que font-ils ?

P : À la dif­férence de cer­taines écoles parte­naires, comme HEC ou Sci­ences Po qui ont plusieurs pro­mo­tions mixtes de Français et de Japon­ais, nous n’avons pas une pop­u­la­tion très nom­breuse au Japon. Je crois que nous avons en tout trois cama­rades ayant la nation­al­ité japon­aise, et ils ne rési­dent pas au Japon, donc c’est très français par­mi les X ! J’estime le nom­bre de cama­rades à moins d’une trentaine et nous sommes générale­ment une quin­zaine lors d’événements à Tokyo.

On peut dis­tinguer trois pop­u­la­tions par­mi nos cama­rades. Les expa­triés qui arrivent plutôt en deux­ième par­tie de car­rière pour pren­dre des postes de respon­s­abil­ité dans les fil­iales locales d’entreprises générale­ment français­es ou en ambas­sade, les cama­rades en for­ma­tion, générale­ment en PhD ou en post­doc à Tokyo ou Kyoto qui ren­treront une fois leur for­ma­tion achevée (une ving­taine depuis dix ans, presque cinq par an ces dernières années) et enfin les locaux con­sti­tu­ant le noy­au dur de notre présence ici. On retrou­ve des cama­rades dans la finance, dans l’industrie, dont notam­ment l’énergie, l’automobile et l’aéronautique, la san­té… sans oubli­er le luxe et l’agroalimentaire. Enfin l’univers de la tech, et notam­ment les start-up, com­mence à attir­er quelques-uns d’entre nous, mais je pense que nous en sommes encore au début de l’aventure.

“La vie de Jules Brunet (X1857) a inspiré le film Le Dernier Samouraï.”

JB : Ce que je vais dire est un peu daté par rap­port aux infor­ma­tions de Pas­cal, mais saviez-vous que le dernier samouraï… est un poly­tech­ni­cien ? Je vous invite à regarder la vie de notre cama­rade Jules Brunet, X1857, qui a été instruc­teur auprès du shogu­nat Toku­gawa et a par­ticipé à la guerre de Boshin con­tre la restau­ra­tion Mei­ji. Le film Le Dernier Samouraï est inspiré de la vie de ce camarade.

Comment décririez-vous la vie au Japon ? 

P : Elle serait par­faite s’il était pos­si­ble d’y être un flâneur per­pétuel ! C’est un pays à la géo­gra­phie mag­nifique qui a une his­toire et une cul­ture extrême­ment rich­es. Il est pos­si­ble d’y pass­er une vie sans faire le tour du sujet et c’est pour moi une rai­son d’émerveillement con­stant. Dans la vie quo­ti­di­enne, ce sont la ponc­tu­al­ité, la pro­preté, la sécu­rité, les rela­tions sociales bien huilées, le respect des délais qui ren­dent le pays agréable à vivre. Bien évidem­ment, la médaille a un revers comme la dif­fi­culté de chang­er le statu quo, le fait de pass­er énor­mé­ment de temps pour con­va­in­cre ses inter­locu­teurs, la faible pro­duc­tiv­ité, la ten­dance du pays à se repli­er sur lui-même, la néces­sité de maîtris­er la langue et les codes pour arriv­er à faire avancer les sujets dans le long terme.

Il y a donc plusieurs ver­sions du Japon, suiv­ant le temps que cha­cun est prêt à lui con­sacr­er et le degré d’implication de la per­son­ne. Il est pos­si­ble de n’en voir que le côté carte postale, tout comme il est pos­si­ble de pass­er de l’autre côté du miroir, par-delà ce qui est don­né à voir, les tatemae (mot japon­ais qui désigne les com­porte­ments soci­aux et respectueux à adopter en pub­lic), pour décou­vrir une réal­ité un peu différente.

JB : La vie en ambas­sade n’est pas représen­ta­tive car je vis le plus clair de mon temps dans un envi­ron­nement français et sur un ter­ri­toire français. Néan­moins mes pre­mières impres­sions sont excel­lentes : l’environnement est très pro­pre, sûr, la politesse des Japon­ais n’est pas qu’une légende et les ser­vices pro­posés, quels qu’ils soient, sont tou­jours de grande qualité.

Quels sont les avantages comparatifs de la France par rapport au Japon qui pourraient attirer davantage d’X au Japon ?

JB : En forçant le trait pour sim­pli­fi­er la com­préhen­sion, d’autant que cela dépend des domaines, on peut dire que dans la recherche en numérique on a une cer­taine avance en France à con­cep­tu­alis­er, alors que les Japon­ais réus­sis­sent à tester et à dévelop­per des pro­to­types. Ils sont excel­lents en méca­tron­ique et, à chaque fois que je vais dans un lab­o­ra­toire, je vois des étu­di­ants de mas­ter qui mon­tent seuls et en un temps record des machines qui per­me­t­tent d’avoir rapi­de­ment des cas con­crets d’utilisation. En France, on ne voit jamais ça : les étu­di­ants ne sont pas assez for­més et les finance­ments le per­me­t­tent rarement.

Pour ce qui con­cerne les coopéra­tions de recherche, les rap­ports sont floris­sants : les lab­o­ra­toires inter­na­tionaux fran­co-japon­ais se mul­ti­plient et les liens, quand ils exis­tent, sont sou­vent extrême­ment fructueux et très durables. Mal­gré les cul­tures, indis­cutable­ment très dif­férentes, il y a une véri­ta­ble syn­ergie. De plus le Japon est un pays qui partage beau­coup de valeurs avec la France en ter­mes de droits des indi­vidus et de liber­té de parole.

“Le Japon est un pays qui partage beaucoup de valeurs avec la France en termes de droits des individus et de liberté de parole.”

P : Le Japon est la troisième économie au monde, avec énor­mé­ment d’opportunités qui restent à saisir. Le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion va créer un appel d’air pour des biens, com­pé­tences et ser­vices afin d’alimenter la sil­ver économie, ain­si qu’un besoin de reprise pour beau­coup de PME du tis­su indus­triel japonais. 

Les Français béné­fi­cient en général d’une image pos­i­tive au Japon, avec une com­mu­nauté fran­co-japon­aise locale très soudée et bien organ­isée, autour de l’ambassade, de la cham­bre de com­merce, des divers­es asso­ci­a­tions. Le Japon a mis en place une poli­tique d’immigration préféren­tielle pour les étrangers haute­ment qual­i­fiés, qui per­met d’obtenir la rési­dence per­ma­nente en deux ans au lieu de dix, ce qui est assez attrac­t­if. Depuis novem­bre il est main­tenant pos­si­ble de se ren­dre au Japon pour un court séjour sans visa ou test particulier. 

Pour qui souhait­erait s’installer sur le long terme, l’obstacle prin­ci­pal est le visa. Dans le cadre d’un trans­fert vers une fil­iale locale, c’est assez sim­ple. Pour qui voudra s’installer sans avoir un con­trat en place, il fau­dra trou­ver d’autres moyens, pou­vant aller de la créa­tion d’une société au portage salar­i­al par exem­ple. Enfin, dans une vie pro­fes­sion­nelle, c’est générale­ment un accéléra­teur de car­rière, car quelqu’un qui réus­sit dans un envi­ron­nement aus­si com­plexe et exigeant que le Japon saura met­tre à prof­it cette expéri­ence ailleurs pour réus­sir.  

Poster un commentaire