Avant la rentrée

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°607 Septembre 2005Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Bach hier et aujourd’hui

Bach hier et aujourd’hui

Kara­jan enreg­istre en 1952 la Messe en si avec le Phil­har­mo­nia et une dis­tri­b­u­tion de rêve (pour un opéra) : Elis­a­beth Schwarzkopf, Nico­laï Ged­da, Heinz Rehfuss1. Une ver­sion grandiose, roman­tique, presque dra­ma­tique, aux antipodes de la ver­sion baroque de Tom Koop­man, et qui rap­pelle celle qu’utilisa Béjart pour Notre Faust. Dans le même cof­fret, un incun­able : un extrait d’une répéti­tion de la même œuvre en 1950, tou­jours dirigée par Kara­jan, avec la légendaire Kath­leen Ferrier.

Les Sonates pour vio­lon et clavier datent de la péri­ode dorée de Cöthen. Blan­dine Ran­nou au clavecin et Flo­rence Mal­goire en don­nent une belle inter­pré­ta­tion, poly­phonique et char­nue2, mieux adap­tée, en défini­tive, à ces œuvres sen­suelles d’une péri­ode heureuse et féconde, que des ver­sions plus austères comme celle de Menuhin et Glenn Gould.

Jouer les Vari­a­tions Gold­berg à l’orgue est une gageure, tant ces pièces sont mar­quées par le clavecin, pour lequel elles ont été écrites, et le piano, sur lequel elles sont le plus sou­vent jouées aujourd’hui. La tran­scrip­tion pour orgue que pro­pose Erik Feller3, très “ orchestrée ”, réjouira les amoureux de cet instru­ment aux tim­bres rich­es et fera grin­cer des dents ceux pour qui les ver­sions abstraites type Glenn Gould con­stituent le mod­èle insurpassé.

Symphonies

Le XIXe siè­cle n’a guère vu d’évolution en musique avant la fin des années 1880. Et Dvo­rak utilise en 1894 pour sa 9e Sym­phonie (Du Nou­veau Monde) le même lan­gage que Beethoven, l’année où Debussy com­pose le Prélude à l’après-midi d’un faune. Et alors ? L’idée selon laque­lle on doit innover à tout prix en art est récente. Et si vous aimez les sym­phonies roman­tiques bien écrites, écoutez les neuf Sym­phonies de Dvo­rak, dans l’intégrale par la Staatskapelle Berlin, dirigée par Otmar Suit­ner et enreg­istrée au début des années 19804. Les pre­mières sont rarement jouées, et c’est dom­mage : cela vaut bien Bruck­n­er, et c’est bien mieux que Saint-Saëns. À la même époque, les mêmes ont enreg­istré les qua­tre Sym­phonies de Brahms5 : une écoute com­parée avec les inter­pré­ta­tions de Baren­boïm, Mehta, Bern­stein, Furtwän­gler mon­tre que la ver­sion Suit­ner a du souf­fle, est bien enreg­istrée, et n’a rien à leur envier.

Du souf­fle : c’est aus­si ce que l’on peut dire de la musique sym­phonique d’Aubert Leme­land, com­pos­i­teur français con­tem­po­rain dont Skar­bo, l’éditeur dirigé par notre cama­rade Jean-Pierre Férey, pub­lie les 8e et 9e Sym­phonies, ain­si que “… In ricor­do Arturo Toscani­ni ” et Bat­tle Pieces pour piano et orchestre (avec J.-P. Férey au piano), par l’Orquestra Nacional do Por­to, dirigé par Marc Tar­due6. C’est une musique poly­tonale, remar­quable­ment orchestrée, qui donne la pri­or­ité à la couleur, et dont le style la situe, pour fix­er les idées, entre Rous­sel, Bar­ber et Britten.

Quatuors

Ce sont pré­cisé­ment les trois Quatuors de Brit­ten qu’a enreg­istrés le Quatuor Bel­cea, avec trois Diver­ti­men­ti pour quatuor7. Comme pour beau­coup de com­pos­i­teurs depuis Beethoven, Brit­ten a mis dans ses quatuors la quin­tes­sence de son art. C’est sub­til, très con­cen­tré et très fort, comme un whisky pur malt dont on n’a pas rééquili­bré avec de l’eau la teneur en alcool après son vieil­lisse­ment en fût. Mais c’est aus­si une musique sans issue, dés­espérée. Les Quatuors de Chostakovitch, dont le Quatuor Debussy pour­suit l’enregistrement de l’intégrale avec les n° 2 et 148, sont générale­ment moins intel­lectuels, plus “ au pre­mier degré ”, et sou­vent tour­men­tés. Les quatuors 2 et 14, que sépar­ent trente ans d’une exis­tence sou­vent dif­fi­cile, sont foi­son­nants, jail­lis­sants, débor­dants de joie créa­trice, dans une écri­t­ure clas­sique : une belle musique de vie.

Le Quatuor Psophos, né à Lyon en 1997, a rem­porté tous les con­cours et il est désor­mais célèbre dans le monde entier. Les qua­tre belles jeunes femmes qui le com­posent jouent les trois Quatuors de Mau­rice Ohana9, qui rompent avec l’écriture clas­sique et exploitent toutes les pos­si­bil­ités des trois instru­ments pour trou­ver des sons nou­veaux : une musique sen­suelle et onirique, hors tradition.

Les Quatuors de Glazounov mar­quent, eux, l’aboutissement et le som­met de l’écriture clas­sique et tonale et de l’esprit russe, dans la lignée de Boro­dine et Tchaïkovs­ki. Le Utrecht String Quar­tet a enreg­istré les n° 2 et 4, des années 1880–1890, et l’Élégie de 192810. Prenez une bouteille d’une bonne vod­ka, des zak­ouskis, invitez quelques amis chers et peu bavards, et lais­sez-vous gag­n­er par ces mélodies superbes, ces struc­tures har­moniques raf­finées : vous êtes dans un salon bour­geois de Saint- Péters­bourg, mais Fau­ré et Proust ne sont pas loin.

Musique de chambre

L’amitié ajoute à la musique une dimen­sion sup­plé­men­taire. C’est pré­cisé­ment de quelques amis que Martha Arg­erich s’entoure au Fes­ti­val de Lugano, et elle a de très bons amis : Yefim Bronf­man, Max­im Vengerov, Renaud et Gau­ti­er Capuçon, Lilya Zil­ber­stein, Mark Drobin­sky, entre autres, ont enreg­istré “ live ” la Sym­phonie clas­sique de Prokofiev et la Suite Casse-Noisettes de Tchaïkovs­ki (tran­scrip­tions à deux pianos), la 3e Sonate pour vio­lon et piano de Brahms, la 1re de Schu­mann, le Trio n° 1 de Schu­bert, le 2e Trio de Chostakovitch, le Quin­tette pour piano et cordes de Schu­mann, et le 2e Quatuor avec piano de Dvo­rak11. L’atmosphère heureuse et déten­due des fes­ti­vals, le car­ac­tère irrem­plaçable du con­cert (l’équivalent musi­cal d’un repas pré­paré avec des pro­duits frais), où les musi­ciens stim­ulés par la présence du pub­lic et l’impossibilité de se repren­dre se don­nent à fond, con­fèrent à ces enreg­istrements une qual­ité d’autant plus unique que les inter­prètes sont hors pair et d’une exi­gence rigoureuse (alors que, sou­vent, les musi­ciens des fes­ti­vals prof­i­tent d’un pub­lic euphorique porté à l’indulgence pour se laiss­er aller à l’à‑peu-près).

Trois com­pos­i­teurs français à décou­vrir : Georges Onslow (1784–1853), dont les Quin­tettes pour cordes 7 et 8, par Le Salon Roman­tique12, sont roman­tiques et bien écrits ; André Caplet (1878–1925), dont le Miroir de Jésus, pour sopra­no et ensem­ble de cham­bre, homo­logue musi­cal de Puvis de Cha­vannes, est enreg­istré en pre­mière mon­di­ale13 ; enfin Jean-Michel Damase (né en 1928), qui a enreg­istré avec un quatuor à vent qua­tre de ses œuvres14, pièces exquis­es dans la dou­ble lignée de Rav­el et Poulenc.

P. S. : on s’en voudrait de ne pas saluer les 16 stan­dards joli­ment enlevés de Any Time, le dernier disque des Dix­ieland Seniors15, issus de la pro­mo 1945, qui firent mer­veille au con­cert Jazz X de 2004 avec leur joie de vivre et de jouer com­mu­nica­tive, et que vous pou­vez enten­dre le 3e mer­cre­di de chaque mois au Petit Jour­nal Saint- Michel. ■

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1. 2 CD EMI 5 86838 2.
2. 2 CD ZIG ZAG ZZT 060801.
3. 1 CD ARION ARN 68673.
4. 5 CD EDEL 0002782CCC.
5. 3 CD EDEL 0013502BC.
6. 1 CD SKARBO DSK 3046.
7. 2 CD EMI 5 57968 2.
8. 1 CD ARION ARN 68674.
9. 1 CD AR-RE-SE 2004–7.
10. 1 CD MDG 603 1237–2.v 11. 3 CD EMI 4 76871 2.
12. 1 CD PIERRE VERANY PV 705051.
13. 1 CD ACCORD 476 742 8.
14. 1 CD PIERRE VERANY PV 705041.
15. 1 CD DIXIE 2 c/o F. May­er (X 45).

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