Aurélie Moy (2013), fondatrice du TyVillage, un village de tiny houses

« La déconsommation, ça rend heureux »
Aurélie Moy (2013), fondatrice du Ty Village

Dossier : TrajectoiresMagazine N°772 Février 2022
Par Diane GÉDÉON (2020)

Aurélie Moy (2013) est à l’origine du pre­mier vil­lage de tiny hous­es en France, le Ty Vil­lage. Les tiny hous­es sont de petites maisons d’environ 12 m2 mon­tées sur remorque qui con­stituent de nou­veaux loge­ments alter­nat­ifs et écologiques, aus­si bien dans le choix des matéri­aux, le proces­sus de con­struc­tion et l’emprise au sol, que dans le mode de vie plus écore­spon­s­able de celles et ceux qui y habitent. Un choix de sobriété inscrit dans un cadre plus glob­al de décrois­sance de la con­som­ma­tion, qu’Aurélie a com­mencé à décou­vrir dès l’École lors du choix de sa 3A.

Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ton parcours à l’X ? Savais-tu déjà ce que tu voulais faire pendant tes années d’École ? Comment le projet a‑t-il mûri, quels sont les choix scolaires que tu as faits ?

Aurélie Moy : Quand je suis arrivée à l’X, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Dans ma famille, tout le monde a fait une école d’ingénieurs (les Arts et Métiers pour mon père, Cen­trale pour ma mère). Ils ont fait toute leur car­rière dans le monde de la finance et de l’assurance. Au début, j’avais cette image qu’il fal­lait for­cé­ment tra­vailler dans un milieu comme celui-là. Ça ne sus­ci­tait pas beau­coup d’enthousiasme en moi, mais je n’avais pas vrai­ment d’autre imaginaire.

Au moment de choisir ma 3A à l’X, je fai­sais défil­er les par­cours d’approfondissement, c’était vrai­ment la grosse déprime : physique quan­tique, économie, big data… Rien ne me par­lait. Mais le tout dernier de la liste était un par­cours de sci­ences pour les défis de l’environnement (SDE), ça a été le soulage­ment ! Je n’avais pas vrai­ment de fibre écologique à l’origine, mais l’aspect pluridis­ci­plinaire et le fait que ce soit tourné vers l’environnement m’ont attirée. Tous les cours du PA-SDE (pro­gramme d’approfondissement – sci­ences pour les défis de l’environnement) m’ont beau­coup plu.

“Je n’avais pas vraiment de fibre écologique à l’origine,
mais l’aspect pluridisciplinaire et le fait que ce soit tourné
vers l’environnement m’ont attirée.”

Pour ma 4A, je voulais par­tir dans un pays anglo­phone mais je n’étais pas attirée par la cul­ture améri­caine. Je suis par­tie en Aus­tralie (je pre­nais encore l’avion à l’époque…) faire un mas­ter d’ingénieur envi­ron­nemen­tal à l’UNSW Syd­ney. J’aimais l’aspect un peu nature, anglo­phone, tourné vers l’environnement du mas­ter. Mais surtout c’était dans l’hémisphère Sud, avec une ren­trée uni­ver­si­taire en févri­er. Ça m’a lais­sé six mois pour faire un stage dans une ONG en Sier­ra Leone en Afrique de l’Ouest pour faciliter l’accès à l’eau potable en zone rurale.

À la fin de ma 4A en Aus­tralie, au moment de démar­rer dans la vie active, c’était encore assez flou, je ne savais pas ce que je voulais faire. Je suis tombée sur PUR Pro­jet, une entre­prise sociale qui opère des pro­jets de refor­esta­tion, d’agroforesterie et de con­ser­va­tion forestière (en gros, une boîte qui plante des arbres). Ça m’a beau­coup plu et con­va­in­cue de sign­er un CDI à Paris. Au bout d’un an, j’ai quit­té l’entreprise car je n’étais pas heureuse dans la vie à Paris et je n’étais plus alignée avec la vision de l’entreprise. J’ai démé­nagé en Bre­tagne, j’ai acheté un voili­er que j’ai habité. Je me suis con­sacrée pleine­ment pen­dant un an au Ty Village.

Le TyVillage est un ensemble de tiny houses imaginé par Aurélie Moy
Aujourd’hui, au Ty Vil­lage, dix-huit tiny hous­es sont occupées, à la fois par des retraités, des cou­ples, des étudiants.


Micromaisons

Le mou­ve­ment des micro­maisons ou small house move­ment est un mou­ve­ment social et archi­tec­tur­al prô­nant la sim­plic­ité volon­taire par l’habitation de petites maisons. 


Qu’est-ce qui t’a plu dans l’idée d’avoir une tiny house, puis d’élargir ce rêve à un village entier ?

Aurélie Moy : Ce qui m’a fait vrai­ment attirée, c’est tout d’abord l’aspect min­i­mal­iste. Comme j’avais pas mal voy­agé (en Sier­ra Leone, en Aus­tralie, au Mex­ique), je bougeais juste avec ma valise. Je me suis ren­du compte que je n’avais pas besoin de tant de choses que ça. L’aspect con­struc­tion écologique me plai­sait aus­si : je fai­sais un mas­ter d’ingénieur envi­ron­nemen­tal et cela fai­sait sens pour moi. L’aspect liber­té géo­graphique a aus­si joué : je peux tra­vailler quelques années dans un endroit, puis bouger pour aller ailleurs. Enfin, l’aspect moin­dre du coût financier, je ne pen­sais pas avoir une car­rière où je gag­n­erais beau­coup, et donc j’avais intérêt à être pro­prié­taire rapi­de­ment, à ne pas con­tracter trop de prêts.

“C’est pour moi une grande source d’épanouissement d’explorer la sobriété.”

Le Ty Vil­lage avait démar­ré un peu avant que je quitte PUR Pro­jet. J’avais com­mencé à rêver de tinys quand j’étais en 4A en Aus­tralie. J’avais beau­coup de temps pour moi, j’ai com­mencé à dessin­er des tinys, à con­tac­ter des con­struc­teurs. C’est là que j’ai tra­vail­lé avec l’Ate­lier des branchés (con­struc­teurs de tiny hous­es). Pour implanter la tiny que je fai­sais con­stru­ire pour moi, j’ai pen­sé à un ter­rain famil­ial en friche à Saint-Brieuc. Mais, comme le ter­rain est grand, il y avait la place d’en installer plusieurs, c’est comme ça que j’ai pen­sé à la pos­si­bil­ité de faire un vil­lage de tinys. Ça pou­vait aus­si per­me­t­tre de répon­dre à une demande de nou­veaux loge­ments. C’est ain­si que le pro­jet est né.

J’ai créé l’entreprise avec mon père et je la gérais d’abord en par­al­lèle avec PUR Pro­jet. Ça demandait beau­coup de temps, surtout au moment où l’on a inau­guré le vil­lage. Quand j’ai quit­té PUR Pro­jet, j’ai pu me con­sacr­er davan­tage au Ty Vil­lage et me lancer dans l’aventure poli­tique. C’était six mois avant les munic­i­pales, je pre­nais con­science des leviers de la poli­tique locale, j’ai rejoint une équipe et je suis désor­mais élue dans l’opposition.

TyVillage est une entreprise propriétaire d’un terrain à Saint-Brieuc pour construire des tiny houses
Le Ty Vil­lage a obtenu l’accord de la com­mune pour con­stru­ire et louer des tiny hous­es et des emplace­ments pour que cer­taines per­son­nes vien­nent s’installer avec leur pro­pre tiny.

Est-ce que tu peux nous présenter le projet du Ty Village ? Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées, quelle forme prend le projet aujourd’hui ?

Aurélie Moy : Le Ty Vil­lage est une entre­prise pro­prié­taire d’un ter­rain à Saint-Brieuc, qui a obtenu l’accord de la com­mune pour con­stru­ire des tiny hous­es et les louer sur ce ter­rain et pour laiss­er de la place pour que cer­taines per­son­nes vien­nent s’installer avec leur pro­pre tiny. Aujourd’hui, dix-huit tiny hous­es sont occupées, à la fois par des retraités, des cou­ples, des étudiants.

La plus grande dif­fi­culté à laque­lle j’ai été con­fron­tée, pro­pre à n’importe quel pro­jet de type entre­pre­neur­ial, c’est de me retrou­ver à faire tous les métiers du monde, des tâch­es pour lesquelles je n’avais aucune com­pé­tence, aucune for­ma­tion. Je me suis retrou­vée à faire de la plomberie, à dis­cuter avec des entre­pris­es de travaux publics, à gér­er des prob­lèmes d’urbanisme. Le plus dur, c’est de devoir pren­dre des déci­sions, alors que je n’y con­nais rien du tout.

Je suis très sat­is­faite de la forme que ça a pris. Je lui ai con­sacré beau­coup de temps et d’énergie pen­dant deux ans et main­tenant le pro­jet fonc­tionne tout seul. Le ges­tion­naire, Michel, est sur place. Il ne reste que trois emplace­ments à rem­plir. Une vie sociale com­mence à s’installer entre les per­son­nes habi­tant les dix-huit tiny hous­es. Ça me fait vrai­ment plaisir, parce que j’ai un peu porté le pro­jet toute seule pen­dant deux ans, et main­tenant je vois que les per­son­nes occu­pant les tiny hous­es s’approprient de plus en plus les lieux : des pro­jets sont portés par elles pour faire décou­vrir l’habitat réversible, elles pren­nent l’initiative de planter des fleurs, d’installer un poulailler, de faire un tableau des petites annonces, etc.

Ce village s’inscrit donc évidemment dans une démarche écoresponsable et écologique. Est-ce que tu lui donnes également une portée sociale ?

Aurélie Moy : Une de mes moti­va­tions était l’aspect intergénéra­tionnel : j’avais envie de faire du vil­lage un lieu de ren­con­tre entre des per­son­nes plus jeunes et des per­son­nes plus âgées. Ça s’est fait assez naturelle­ment. Aujourd’hui plusieurs per­son­nes sont instal­lées au Ty Vil­lage dans leur pro­pre tiny : une femme d’une soix­an­taine d’années, un homme d’une quar­an­taine d’années, un cou­ple qui a la trentaine et une femme de 26 ans.

Sur l’aspect social, nous avons égale­ment été con­tac­tés par la Pro­tec­tion civile qui avait besoin d’hébergements pour loger des bénév­oles pen­dant les pics de Covid. Nous leur avons mis à dis­po­si­tion deux tinys. Nous veil­lons aus­si depuis deux ans à faire en sorte que les tinys qui ne sont pas occupées l’été par des étu­di­ants puis­sent servir à faire du loge­ment saison­nier. Le loge­ment saison­nier con­stitue une énorme ten­sion sur les côtes de Bre­tagne l’été.

Tu as choisi un projet concret, à l’échelle très locale d’un village. Que penses-tu des X qui décident dans des structures beaucoup plus importantes dans le domaine de l’environnement, de la recherche ou du conseil dans le domaine de l’énergie par exemple ? Est-ce que tu trouves cela vain ?

Aurélie Moy : Je pense que cha­cun doit aller là où il se sent d’aller. Il faut avoir le sen­ti­ment d’être à la bonne place pour avoir un max­i­mum d’énergie, pour con­tribuer pleine­ment. Ce qui me par­le per­son­nelle­ment, c’est de porter ce pro­jet du Ty Vil­lage, de tester la voie de la poli­tique locale, mais aus­si d’acculturer les entre­pris­es aux prob­lèmes écologiques. Il y a pour moi un côté ras­sur­ant à tra­vailler à petite échelle, de voir vrai­ment les con­tours d’un pro­jet plutôt que de tra­vailler dans des struc­tures plus gross­es. C’est là où je me sens le plus à l’aise. Par exem­ple, la poli­tique à plus grande échelle (départe­men­tale, régionale ou nationale) ne me par­le pas du tout. Tra­vailler à l’intérieur d’un grand groupe ne me par­le pas non plus. Mais si cer­tains en ont l’envie, qu’ils se lan­cent, on en a besoin !

Est-ce que tu penses que la lutte écologique va nécessairement de pair avec une plus grande sobriété au quotidien, avec la nécessité de se débarrasser autant que possible de notre tendance à surconsommer ?

Je suis claire­ment en faveur de la décrois­sance. Non seule­ment parce que ça paraît une évi­dence d’un point de vue de la sit­u­a­tion écologique aujourd’hui : on a besoin de réduire les flux de matière, de réduire les flux d’énergie pour réduire les émis­sions et les impacts en général. Mais c’est surtout pour moi une grande source d’épanouissement d’explorer la sobriété, de sor­tir de la sur­con­som­ma­tion, de vivre avec peu de choses et de rem­plir ma vie de liens humains. C’est à la fois une néces­sité écologique et un nou­veau mod­èle d’épanouissement : la décon­som­ma­tion, ça rend heureux !

Quelles sont les ressources (livres, films, articles, revues…) qui ont forgé ta vision des enjeux liés à l’environnement et à l’écologie ?

Aurélie Moy : Par­mi les livres qui m’ont le plus mar­quée, il y a le livre de Cyril Dion, Petit manuel de résis­tance con­tem­po­raine, et, dévelop­pant davan­tage l’aspect d’écopsychologie, L’espérance en mou­ve­ment de Joan­na Macy (com­ment accueil­lir les émo­tions qui peu­vent sur­gir lorsqu’on prend con­science de la crise écologique, com­ment digér­er ces émo­tions et en faire un moteur d’action).

Au-delà des lec­tures, ce sont des événe­ments qui m’ont fait chem­iner. Par exem­ple, le fes­ti­val annuel Oasis des col­ib­ris. Les Oasis, c’est le mou­ve­ment d’écolieux, d’habitat par­tic­i­patif, et ils organ­isent chaque année un fes­ti­val. J’ai aus­si passé du temps à La Bas­cule (une asso­ci­a­tion souhai­tant accélér­er la tran­si­tion démoc­ra­tique, écologique et sociale en encour­ageant notam­ment le lob­by­ing citoyen), aux côtés de l’association Hameaux légers, et j’ai fait du woof­ing.

Quelles sont tes motivations pour les années à venir ? Aussi bien dans tes projets personnels que pour le Ty Village ?

Aurélie Moy : Pour le Ty Vil­lage, qu’il ter­mine sa crois­sance – avec l’accueil de trois tinys sup­plé­men­taires nous serons au com­plet –, qu’on arrive à mon­ter un pro­jet intel­li­gent pour l’été et que les habi­tants et les habi­tantes con­tin­u­ent à y vivre heureux et heureuses.

Pour moi, m’installer quelque part à la cam­pagne où je pour­rai, à tra­vers dif­férents pro­jets, con­tribuer à revi­talis­er sociale­ment et écologique­ment un petit bout de planète !

Le TyVillage peut encore accueillir trois tiny houses, il sera ensuite complet
Il ne reste que trois emplace­ments à rem­plir au Ty Vil­lage. Une vie sociale com­mence à s’installer entre les per­son­nes habi­tant les dix-huit tiny hous­es.

Est-ce que tu as un message à transmettre aux élèves de l’École ?

Aurélie Moy : Je trou­ve que ce serait une excel­lente idée de créer un binet low-tech à l’X. Vrai­ment ! Des ingénieurs qui met­traient leur cerveau en action pour imag­in­er des solu­tions basse tech­nolo­gie, durables, facile­ment répara­bles avec les moyens du bord pour répon­dre à des besoins pri­maires, plutôt que d’aller vers tou­jours plus de high-tech. Com­ment fab­ri­quer un poêle à bois, un chauffe-eau solaire, ce genre de choses. Le binet s’inscrirait un peu dans la démarche du Low-tech Lab (pro­gramme de recherche et de doc­u­men­ta­tion open source visant à val­oris­er l’innovation low-tech), qui pub­lie des rap­ports sur l’efficacité de ce qui est pro­duit, et qui doc­u­mente de manière très riche ses créations.


Arti­cle ini­tiale­ment paru dans l’IK n° 1398 du 8 décem­bre 2021 à l’initiative du NeXt (asso­ci­a­tion d’écologie et de pro­mo­tion de la tran­si­tion durable des modes de vie à l’École poly­tech­nique). Mer­ci à Helen Sands (2020) et à la rédac­tion de l’IK pour l’aimable repro­duc­tion de cet article.


Pour en savoir plus :

https://www.tyvillage.fr/

https://tinyhousefrance.org/

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